Le code ésotérique de la royauté

Ce code ésotérique était à la fois une constitution dans le sens moderne du terme, et un ensemble de règles ‘regissant des pratiques occultes, mythiques et magiques (imitsindo) ; et l’application de ses dispositions requérait de nombreuses consultations divinatoires appropriées. Ce code de la dynastie des Banyiginya était composé de poèmes couvrant tous les domaines intéressant la dynastie. Chaque poème était confié à une famille et se transmettait de père en fils à travers des générations. L’ensemble des détenteurs de ces poèmes constituait le collège des biru qui étaient des conseillers spéciaux du pouvoir sous l’autorité d’un doyen ou grand mwiru intronisateur, nécessairement du clan des Abatsobe. Les familles matri-dynastiques (Abega par exemple) étaient exclues de la connaissance du code ésotérique. L’accès au code ésotérique de la Reine Mère Nyiramavugo II Nyiramongi du clan des Abega fut la cause lointaine des événements tragiques de Rucunshu.
Le code ésotérique étant l’âme du système politique des Banyiginya, le conflit rwandais en est l’émanation. En effet, ce code avait placé le pouvoir au dessus de tout, même de la vie. Aux termes de ce code, l’exercice du pouvoir était la prérogative exclusive du roi munyiginya, prérogative qui se transmettait de père en fils. Le roi munyiginya exerçait un droit absolu de vie et de mort sur ses sujets ; il devait par conséquent mettre à mort quiconque pouvait y prétendre sans remplir les conditions du code ésotérique. Signalons en passant, que tuer pour le maintien du pouvoir était un devoir sacré pour le monarque munyiginya. Il lui était strictement interdit d’abdiquer. Si le cas devait se présenter, il devait se donner la mort ; et ainsi permettre que le pouvoir reste dans sa lignée (Kwitangira ingoma) [n.d.l.r. Alexis Kagame donne l'exemple de Ruganzu I Bwimba (vers 1400) qui se sacrifia pour éviter que son royame soit annexé par le Gisaka rival].
C’est pourquoi, lorsqu’un monarque tutsi tuait un roi hutu qui lui résistait, il devait le mutiler et orner le tambour - emblème de la dynastie – de ses organes génitaux pour signifier que le royaume hutu en question était, mythiquement et définitivement, éteint. Le Hutu était, comme on l’a vu, réduit à la condition de sous-homme au service de son seigneur. C’est le sens des vers suivants, extraits d’un vieux poème dynastique : « Harabaye ntihakabe Hapfuye imbwa n’imbeba Hasigara inka n’ingoma » ;signifiant, tout simplement, qu’après une lutte acharnée, les chiens et les rats on fini par céder leur place à la vache et le tambour. En d’autres termes, les royaumes Hutu ont été, finalement, définitivement conquis par le Tutsi. Comme on le voit, c’est le code ésotérique qui a radicalisé cette situation pour toujours.