La démocratisation et la trahison du pays

             Tout comme la plupart des autres pays francophones africains, la tentative de démocratisation du Rwanda remonte du sommet franco-africain de La Baule tenu en juin 1990. Jusque là, le régime Habyarimana n'était pas ouvert aux changements démocratiques et va même continuer à s'opposer catégoriquement à la naissance d'autres partis politiques. Rappelons que c'est le seul parti unique - MRND (Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement), qui regroupait de fait toute la population rwandaise. Sous la pression du mouvement révolutionnaire interne et de la communauté internationale, le régime Habyarimana finira, tant bien que mal, par accepter le multipartisme. Une commission nationale chargée de définir l'avenir politique du pays fut mise en place en juillet 1990. Le rapport de cette commission aboutit à la promulgation d'une Constitution "révisée" du 10 juin 1991, qui autorisa la création de nouveaux partis politiques. Le parti MDR (Mouvement Démocratique Républicain) sera le premier parti d'opposition à voir le jour en juin 1991 et suivront le PSD (Parti Social Démocrate), le PDC (Parti Démocrate Chrétien) et le PL (Parti Libéral). Ces partis politiques seront les plus influents dans la population. Le Rwanda va connaître près d'une vingtaine de partis politiques jusqu'en 1994.

 

                         La naissance à la hâte de ces partis politiques et certainement aussi l'inexpérience de leurs leaders seront catastrophiques pour leur avenir et pour l'avenir du pays en particulier. En effet, plutôt que d'expliquer à la population leurs stratégies et leurs idéologies, les leaders des partis d'opposition vont directement se livrer à discréditer l'ancien parti unique (MRND) et surtout son président-fondateur Habyarimana. Ces jeunes leaders iront même à vouloir s'approprier le domaine de la sécurité nationale. C'est ce chaos politique que le FPR a profité pour intensifier la guerre au Rwanda. La cohésion de ces partis surtout avec le FPR va affaiblir le pouvoir du régime en place qui visiblement ne voulait aussi rien lâcher.

            

             Par ces attaques, le FPR a ressuscité les vieilles haines ethniques et a engendré de fait une bipolarisation politico-ethnique. En effet, les massacres systématiques perpétrés contre les populations civiles hutu dans les zones envahies par le FPR entraînaient sans aucune autre alternative les déplacements des populations rurales qui n'étaient en rien impliqués dans cette agression. Ces massacres n'étaient en aucun cas de bonne augure.

- Pour le gouvernement Habyarimana, il n'était pas facile d'entamer des négociations avec chaque fois des menaces de reprise de guerre. De l'autre côté, le FPR intensifiait l'infiltration militaire, recherchait un armement à la pointe, tout cela avec la complicité de certains pays étrangers. Cela ne pouvait jamais amener à une solution heureuse et négociée du conflit.

- Les deux grands antagonistes dans cette guerre (le MRND ainsi que le FPR) voulaient à tout prix une victoire militaire pour enfin s'assurer un pouvoir sans partage. Ils étaient ainsi tous les deux animés par une série de manoeuvres dilatoires afin de faire retarder sinon échouer les négociations de paix. Voilà ce qui a sapé les négociations d'Arusha et qui explique d'ailleurs la politique actuelle du FPR (il règne et gouverne seul, par la terreur et sans l'opposition). Les partis actuellement dits de l'opposition démocratique sont, bon gré mal gré, ses acolytes. Ils n'ont pas pu éviter ce guet-apens.

- En ce qui concerne les partis politiques de l'opposition démocratique, la soif du pouvoir et les intérêts égoïstes ont été à la base de la trahison révoltante du peuple rwandais par les leaders de ces partis. Ils devraient tôt ou tard faire un mea culpa au peuple rwandais. C'est suite à cette trahison bâtie sur l'inexpérience de ces jeunes leaders, sur la convoitise des postes hautement placés dans les grandes affaires du pays, sur le manque de projet de société à construire  dans leurs programmes, sur le manque de sagesse et de clairvoyance politiques, sur la collaboration contre nature avec le FPR, ...,  que ces mêmes leaders ont mené à l'éclatement de leur force politique qui les regroupait: FDC* (Forces Démocratiques de Changement). 

            

             C'est ainsi que le grand parti de tous les temps dans l'histoire politique du Rwanda moderne, le Mouvement Démocratique Républicain (MDR), qui était incontestablement soutenu par une grande partie de la population rwandaise, fut affaibli par ses faux leaders dont les ambitions étaient tout à fait personnelles. Vers la fin de la guerre en juillet 1993, et sous les erreurs des individus qui par ailleurs luttaient pour le poste de premier ministre, ce parti  va éclater en deux factions. La séparation de ces deux tendances au sein du MDR va se radicaliser dans la suite. Précisons ici que dès le début de la guerre et dans le cadre d'un rapprochement jugé nécessaire par l'opposition, certains partis politiques ou leurs factions s'étaient cachés derrière le paravent démocratique pour entretenir des relations plus ou moins officielles avec les inyenzi-inkotanyi (FPR). Ce jeu extrêmement dangereux, qui devait normalement être arbitré au niveau national (gouvernement), n'a jamais été arrêté.

            

             Dès la reprise de la guerre en avril 1994, les deux dissidents du MDR vont s'aligner du côté des 2 forces en confrontation: l'un (MDR Power) pour le MRND et l'autre (MDR de Twagiramungu) pour le FPR. Les hutu qui soutenaient la faction de Twagiramungu et donc pro-FPR seront considérés, à tort et à travers, comme modérés* . Les hutu du MDR Power seront eux considérés comme des durs du Parti: les hutu extrémistes. Le MRND qui redoutait le verdict des urnes en face du MDR ne demandait pas plus. L'affaiblissement du MDR l'arrangeait bien. Quant au FPR, qui ne voulait à tout prix qu'une victoire militaire, digérait mal une troisième force politique susceptible de l'amener à conclure un pacte de paix, rendant ainsi son ambition militaire irréalisable.

            

             De même, le PL (parti libéral), dont le fondateurs était un homme d'affaires hutu, va être vite récupéré par le FPR et tous les tutsi vont rallier ce parti politique. Quelques hutu (ils étaient assez minoritaires) membres du PL, dans le but de faire un front anti-tutsi, vont aussi se rallier au MRND. Pourtant, suite au manque de clairvoyance politique, les responsables du PL avaient toujours passé sous silence la monoethnicité des membres de leur parti. Tous les analystes s'étaient déjà demandé l'avenir d'un parti politique dont presque tous les membres étaient de l'ethnie minoritaire (tutsi) hormis son Président-fondateur et ses quelques acolytes. C'est ainsi qu'à la veille de la reprise de la guerre en 1994, la scission de ce parti avait déjà été presque officielle.

 

             Le troisième parti de l'opposition démocratique - le parti social démocrate (PSD), tout comme le PL, profitait des erreurs et faiblesses du parti MDR pour s'accaparer de ses membres. Devant cette situation, ce parti n'a jamais été plus clair. Réputé trop proche des milieux FPR, mais aussi avec quelques membres hutu qui jouaient le garde-fou, les leaders de ce parti vont se perdre dans cette mascarade politicienne qui divisa les rwandais au lieu de les unir. Voilà comment, au niveau national, sont né les deux fronts politiques antagonistes qui, après la mort de Habyarimana, vont conduire à la confrontation physique et quasi apocalyptique des deux ethnies.

 

             Du point de vue militaire, comment peut-on expliquer qu'un pays relativement bien organisé et dont l'armée avait pu repousser l'agresseur (inyenzi-nkotanyi), arrive à se désintégrer ainsi?

Tout d'abord, l'ancien parti unique n'avait pas fait grand chose pour l'unité des rwandais. Le sens  patriotique  et du bien commun faisait absolument défaut. Dès l'avènement de la seconde république en 1973, le régionalisme à peine voilé s'est concrétisé par un discours arrogant des nouveaux dirigeants (qui ne venaient que d'une seule région) ainsi que par une tendance à un matérialisme trop poussé. C'est ainsi que l'armée rwandaise, au lieu d'être formée par de bons citoyens de tout le pays et constituer une vraie force de défense nationale: "les forces armées rwandaises (FAR)", elle était presque formée par des éléments* de deux préfectures: Gisenyi et Ruhengeri. Ce qui devait être "les FAR" était en réalité devenu les "FARG (Forces armées de Ruhengeri et de Gisenyi)". Toutefois, il faut admettre que la mort du président Habyarimana (chef suprême de l'armée) ainsi que celle du chef de l'Etat major de l'armée rwandaise, survenues lors de l'attentat contre l'avion présidentiel ont constitué un coup dur dans la désorganisation de cette armée. D'un coup, le vide politique tant convoité par le FPR ,et qui allait conduire à la disparition de l'Etat est apparu.

 

             Il faut préciser que suite à ce fléau du régionalisme qui avait d'ailleurs endeuillé une partie importante de la population rwandaise après le putch militaire de 1973, le président Habyarimana et son entourage (AKAZU) tenaient absolument à rester au pouvoir. Il aurait déclaré qu'au lieu de céder le pouvoir aux hutu du sud (abanyenduga), il le donnerait purement et simplement aux tutsi. Pour Habyarimana et son AKAZU, l'ennemi politique numéro un était donc "les hutu du sud: abanyenduga" et en dernier lieu venaient les tutsi. Politiquement parlant, le Rwanda sous Habyarimana se caractérisait par trois forces politico-ethno-régionalistes antagonistes: AKAZU, les hutu du sud (abanyenduga), dont il n'a jamais eu une moindre confiance et les tutsi. Toutefois, ces deux dernières n'étaient pas officiellement reconnues. Cela montre à quel point les atrocités commises envers les leaders hutu de la première république (abanyenduga) par le pouvoir Habyarimana  le hantait encore. Ces quelques lignes montrent également comment le chemin de la victoire du FPR a été préparé, consciemment ou non, par Habyarimana et son entourage.

 

             A tout cela, sont venues se greffer les exigences de la Banque Mondiale et du FMI. Dans le cadre du programme d'ajustement structurel que le Rwanda venait de signer, la réduction du personnel de l'administration public était en pourparlers alors que les effectifs militaires devaient être absolument réduits. On avait probablement oublié que Timeo Danaos et dona ferentis. Cette démobilisation dans l'armée alors que le pays était en pleine guerre a été soutenue par les différents partis politiques d'opposition, non pas par ce qu'ils ne voyaient pas le risque, mais peut être aussi parce que le commandement des FAR constituait un danger potentiel à la démocratisation. Ce commendement soutenait sans réserve le régime Habyarimana. La démobilisation ainsi que le rapprochement de certains partis d'opposition avec le FPR ne pouvaient qu'abaisser le morale des troupes qui étaient déjà minées par des divisions régionales. Malheureusement, ce parti pris et ce manquement patriotique des chefs des FAR se retrouvent encore dans l'armée FPR. L'armée est monoethnique et de fait soutient, défend et représente l'autorité dictatorial tutsi de Kigali. C'est un vrai obstacle à toute tentative de démocratisation du pays.

 

             Il y a lieu de se demander encore ce qui se serait passé si les FAR avaient pu contenir les éléments du FPR après la mort du président Habyarimana. Si, comparativement à ce qui s'est passé après la victoire du FPR, on est d'accord que la victoire des FAR pouvait limiter les dégâts, presque tous les rwandais s'accordent à dire que ce scénario aurait été également décevant en ce qui concerne le respect des droits de l'homme. En effet, comme la garde présidentielle et les interahamwe étaient devenus incontrôlables, rien ne présage que le massacre des opposants hutu et des tutsi allait facilement s'arrêter. Aggravée et combinée avec le problème régional, la situation de la mort de Habyarimana risquait de rendre la population en provenance des régions du Sud du Rwanda encore plus malheureux que le coup d'état de 1973. Toutefois, suite à cette situation incontrôlable de la garde présidentielle et de la milice interahamwe, il serait aussi coquin d'affirmer que leur action était bien longtemps et soigneusement planifiée. Ceci ne vaut pas bien sûr le pardon pour les crimes qu'ils ont commis, mais une planification minutieuse et encore par une armée bien encadrée ne conduit jamais à une défaite imminente. Les tenants de la planification des massacres avancent que les listes des personnes à éliminer circulaient partout. Evidemment, la planification des massacres des opposants politiques, dont la majorité était d'ailleurs des hutu, datait de longtemps*. Mais, affirmer qu'il y a eu une planification des massacres systématiques des tutsi dans tout le pays, c'est un pure mensonge. Actuellement, plusieurs coupables des deux parties des belligérants qui ont exécuté des innocents circulent librement. Certains même occupent des postes de très haute responsabilité dans les affaires politiques du pays.

 

             Toutefois, en ce qui concerne les FAR et leurs alliés, il faut bien distinguer la planification et l'exécution des massacres. Pour un peu comprendre, il faut situer l'événement dans son contexte de guerre, avec des barrières partout dans Kigali. Dans une guerre où la tactique privilégiée de l'ennemi n'était que l'infiltration, il était plus que jamais nécessaire à la population civile d'organiser des rondes et des barrières. Par exemple, les habitants de Kigali qui habitaient un même quartier s'organisaient pour faire des rondes. Quant aux interahamwe, ils avaient mis des barrières sur des carrefours stratégiques. Malheureusement, les interahamwe ont été caractérisé par une indiscipline qui faisait passer par l'échafaud tous ceux qui n'épousaient pas leur action. L'ennemi a été confondu avec la population. Il est à noter que l'initiative des rondes est venue de la population des divers quartiers de la capitale bien avant 1994, étant donné l'insécurité qui sévissait dans Kigali. Malheureusement, la population en a été victime en 1994, vu que pendant la nuit, on se promenait avec une machette alors que l'ennemi utilisait des armes à feu. Etablir une liste de personnes selon tel ou tel autre critère n'était qu'une question de secondes. Il n'y avait donc pas d'état major pour centraliser ces listes qui n'étaient établies d'ailleurs que sur des barrières. Cette tactique s'étant généralisée dans tout le pays, il s'est avéré que certaines personnalités administratives ont participé à l'élaboration de ces listes. Pour ces personnes, la responsabilité dans cette affaire reste totalement personnelle. Certes, des coupables qui ont exécuté des massacres de 1994 existent , mais pas des planificateurs.

 

             Un essai de compréhension de cette situation amène à donner des éclaircissements suivants. Le 6 avril 1994, c'est l'attentat contre l'avion présidentiel avec la mort des deux présidents rwandais et burundais. Suite à cet événement tragique et en même temps, la garde présidentielle et les soldats FPR stationnés à Kigali commencent les massacres des populations civiles. Bien que ces massacres ne soient en aucun cas pardonnables, les premiers l’ont fait par fureur qu’ils n’ont pas pu contenir. Pour les seconds, c’était une suite logique de leur plan de cette guerre. La milice interahamwe renforça dès lors les barrages à travers toutes les rues de la capitale. Le 9 avril 1994, c'est la proclamation du gouvernement Kambanda. Ce gouvernement, qui devait être un gouvernement de crise fort a hérité une situation déplorable. Pour contrer l'avancé du FPR, les interahamwe ont été armé. Leur cible ne fut pas claire. Ils s'en prirent aux tutsi, aux opposants politiques hutu et même des règlements de compte terrorisèrent tout le pays. Des familles entières des hutu, même celles des officiers supérieurs* des FAR furent froidement abattues. Tout cela a rendu la situation de plus en plus incontrôlable. Si on y ajoute la boulimie de l'argent et des autres biens matériels, Kigali était devenu un véritable théatre chaotique improvisé. Le jeune gouvernement se trouvait devant des faits accomplis. S'il y a eu des planificateurs des massacres à grande échelle, ils ne pouvaient que se trouver du côté FPR, qui avait planifié à son aise la guerre et évalué toutes ses conséquences. Quant aux autres acteurs qui se trouvaient à l'intérieur du pays (gouvernement, FAR, partis politiques et leurs milices), leur responsabilité dans le massacre des tutsi réside dans l'exécution et non dans la planification. Cette responsabilité est en outre absolument individuelle.

 

              Tout ce qu'on peut reprocher aux responsables politiques du gouvernement hutu dirigé par Monsieur Kambanda* , ils n'ont pas pu et/ou voulu arrêter à temps les massacres ethniques. Ils ont par ailleurs armé les milices et par leur discours belliqueux, attisé les haines. Dans la suite, leur discours appelant au calme n'a rien donné. D'un côté, les interahamwe étaient devenus des maîtres absolus de la ville. L'autorité de l'Etat (gouvernement) était devenue inférieure à celle des interahamwe. De l'autre côté, le FPR avait aussi commencé son sale besogne de nettoyage ethnique. C'était un chaos sanglant.  Il était bien sûr très délicat à ce gouvernement de maîtriser la situation, étant donné qu'il ne contrôlait pas l'évolution militaire sur le terrain. C'est pourquoi, les reproches formulés par la communauté internationale à son encontre devraient être bien pesés. Cette communauté internationale connaît d'ailleurs les conditions difficiles de son investiture, puisqu'elle a participé activement à sa formation. Quoi qu'il en soit et quels que soient les motifs des massacres des populations civiles survenus sous ce régime et celui des inyenzi-inkotanyi, l'extermination de vies humaines n'est pas un mode de gestion digne d'une société du vingtième siècle. N'ayant pas été à même de se défendre correctement, les hutu ont même  payé cher après la victoire du FPR. Cette défaite, assimilable à tort ou à raison, à une lâcheté de la majorité  hutu est exploitée par certains médias de mauvaise foi, pour globaliser la criminalité dans cette guerre à toute une ethnie. Au lieu de porter un jugement sincère et sévère à tout le système du régime Habyarimana, qui a été d'ailleurs longtemps soutenu par les occidentaux, on est en train d'incriminer tout un peuple pourtant innocent. C'est pourquoi, la responsabilité devrait être individuelle et non collective. En même temps, si l’on veut mettre à nu la vérité rwandaise, il est absolument indispensable de déterminer la responsabilité du FPR qui, soutenu par les pays extérieurs, a fait même l’impensable aux hutu.

 

             Notons également que la communauté internationale s'est suffisamment rendue coupable dans tout ce qui s'est passé au Rwanda. Du côté des sympathisants du FPR, ils n'ont jamais voulu entendre parler du cessez-le-feu. Les USA ont même été catégoriques en refusant une force d'interposition entre les belligérants. La prise de position de cette communauté encourageait même l'intensification de la guerre. Du côté gouvernemental et cela datait de longtemps, il faut savoir qu'aucune politique ne pouvait être prise sans l'aval des puissantes ambassades étrangères accréditées à Kigali. Rappelons que ces ambassadeurs*, qui étaient averti de tout ce qui se passait au Rwanda, avaient participé à la mise en place de ce gouvernement de crise et sûrement qu'ils ont continué à le conseiller.

 

             Par ailleurs, malgré que le Rwanda était un des rares pays africains qui arrivaient encore à rémunérer son personnel de l'administration publique, la crise économique que traverse le monde n'avait pas épargné le pays. C'est ainsi qu'au lieu d'affronter l'ennemi, la plupart des soldats avaient quitté leurs positions pour aller piller. Kigali-la capitale (elle réunissait 69 % du commerce de gros et autant du commerce de détail implanté dans les villes; elle avait aussi 70 % des industries manufacturières implantées dans les villes et en 1991, elle concentrait aussi 66,3 % des dépôts bancaires du pays), qui concentrait 21,6 % des établissements[1] du tissu économique national, était ainsi devenue le centre des pilleurs et des bombardements FPR. Ainsi, presque tous les camps militaires des FAR s'étaient repliés** sur la capitale, laissant ainsi l'ennemi progresser librement sur le territoire national. Notons également qu'au lieu de créer des fronts réels de résistance à l'agresseur, les autorités du gouvernement Kambanda ont incité la population civile hutu à fuir l'avancée du FPR. Si tous les hutu morts au Zaïre, au lieu de fuir, avaient pris les armes (les armes sophistiquées n'étaient pas tellement nécessaires) et fait le maquis contre le FPR, la guerre au Rwanda aurait pris une autre tournure. Mourir en combattant l'ennemi aurait été mieux. Fuir est décidément un acte de lâcheté.

 

             Il faut également ajouter l'embargo sur les armes décrété par les Nations Unies contre les FAR en mai 1994. Apparemment, cet embargo ne faisait que venir aggraver une situation militaire presque irrécupérable*** sur le terrain. Ici, il y a toujours lieu de se demander si la communauté internationale voulait la paix dans la région des Grands Lacs. Pourquoi n'a t-elle pas imposé cet embargo à l'agresseur du Rwanda, même au début de cette guerre en 1990? Pourquoi cet embargo, décrété par le conseil de sécurité par sa résolution 918/1994 a été unilatéral alors qu'il était évident que la guerre imposée au Rwanda venait de l'extérieur? Y-a-t-il y eu un laisser-faire ou une complicité?

La raison du plus fort est toujours la meilleure.

Depuis que le FPR a pris Kigali par les armes en juillet 1994, cette victoire militaire a été admise par la communauté internationale comme une victoire sur tout un peuple. En effet, au lieu d'apaiser les esprits, le camp tutsi, alors qu'il était sorti vainqueur, s'est vu reconnaître par cette même communauté comme seul victime de la guerre. La bipolarisation hutu tutsi atteint ainsi son paroxysme. La suprématie tutsi, alors que ces derniers restent assez minoritaires, prit une telle ampleur que les hutu se sentirent menacés par le simple fait d'être hutu. Des exactions sommaires, des disparitions inexpliquées des hutu, bref des bavures des droits de l'homme à l'échelle nationale prirent place. La communauté internationale sembla cautionner ces faits. Le FPR, sans qu'il soit dénoncé, fut le seul interlocuteur officiciel et valable en ce qui concerne les problèmes de développement du Rwanda. Jusqu'en 1999, rares sont les voix qui ont osé dire la vérité sur l'Etat FPR. 

- Le mensonge et la désinformation

             Tout régime politique qui repose sur la non transparence est tôt ou tard voué à sa propre destruction. C'est le cas du régime Habyarimana qui cachait la réalité à la population. Cette situation s'est aggravée avec l'attaque du pays en 1991. En effet, l'attaque du Rwanda par l'Ouganda et par quelques éléments de la diaspora rwandaise a été toujours masqué sous la désinformation. Du côté du régime Habyarimana, on a pas voulu dénoncer haut et fort l'agresseur, croyant que la diplomatie rwandaise allait triompher. Le résultat fut décevant. Habyarimana a, à plusieurs reprises, rencontré officieusement le président Museveni. Leurs promesses, qui avaient pour objet de coincer les rebelles tutsi et mettre fin à la guerre n'ont pas été respectées. Habyarimana avait probablement oublié que le président Museveni était lui-même un tutsi (hima). Rien n'a été révélé au peuple rwandais à propos de ces rencontres.

 

             Du côté FPR, dès les premières heures d'agression du Rwanda, les attaquants criaient haut et fort qu'ils luttaient contre le régime antidémocratique de Habyarimana. Soutenu par les médias occidentaux qui avaient été corrompus, le FPR a caractérisé le régime du feu président par tous les maux. La radio FPR y joua un grand rôle. Quelques années à peine après la prise du pouvoir  par le FPR, force est de constater que son régime est décidément bâti sur le mensonge. Ses promesses (démocratiques et économiques) ne sont restées que lettre morte. Son régime risque fort de vivre le même sort que celui de son prédécesseur. Pourtant, quelques heures avant cette attaque, le régime Habyarimana était l'un des régimes africains les mieux cotés en Occident. D'où est venu alors ce revirement brutal des occidentaux à 180°? Certains avancent que le FPR avait corrompu les médias afin de discréditer le régime. Ah oui, les médias forment actuellement un quatrième pouvoir souvent utile mais aussi dangereux. Il est surtout très dangereux pour les pays progressistes qui veulent se libérer de la domination impérialiste actuelle. Les dirigeants qui veulent mettre en cause les rapports des anciens métropoles avec leurs pays sont ainsi assassinés dans l'anonymat total, pourtant sous les yeux de cette presse volontairement muette. C'est le cas de plusieurs présidents africains progressistes dont l'inoubliable président bourkinabé SANKARA. En ce qui concerne Habyarimana, il semble aussi que certains de ses sympathisants occidentaux en avaient marre de lui. Vingt ans de règne, c'était assez. Habyarimana était devenu un dictateur respectueux, qui arrivait même à contredire ses pères occidentaux. Il fallait en finir avec lui.

 

             Tout récemment encore, les occidentaux ont voulu étendre ce qu'ils ont appelé "syndrome Pinochet". En effet, profitant de la visite officielle que le président Kabila du Congo effectuait en Europe en novembre 1998, ils ont voulu l'inculper et l'arrêter. Ils avançaient que Kabila était un dictateur qui avait violé les droits de l'homme dans son pays. C'est vrai que Kabila a fait piétiner l'enquête sur les massacres des milliers de hutu au Zaïre. Il a chassé les enquêteurs onusiens. Mais, les occidentaux oublient que c'est l'armée FPR qui a fait ce génocide. De plus, cette armée était appuyée par ces mêmes occidentaux qui aujourd'hui, veulent brouiller les pistes en nommant Kabila comme seul responsable. Kabila était une marionnette mis à la tête de la rébellion, mais les vrais responsables sont du FPR. C'est justement quand Kabila a voulu s'imposer comme vrai maître du Congo et qu'il avait tourné le dos aux occidentaux, qu'il a encaissé tous les maux. Pourquoi alors ces occidentaux ne veulent pas être objectifs? Avec le syndrome Pinochet qui est actuellement à la mode, gare aux chefs d'Etat des pays en voie de développement qui voudront se libérer de la domination impérialiste des occidentaux. Ceci montre le point faible des démocraties occidentales. Avec leurs médias qui sont superpuissants, la justice revient toujours à celui qu'ils veulent  et non à celui qui la mérite. 

 

             Dans la région des grands lacs, après la tombée de Kigali en 1994, les pays occidentaux et leurs médias ont continué de soutenir de prétendus groupes de rebelles (soldats FPR et ougandais) qui ont attaqué le Zaïre, attisant ainsi le conflit ethnique dans la région. Pour cacher de véritables coupables, ils ont diffusé sur leurs ondes que la région est ravagée par une guerre civile. Ils ne pouvaient donc pas se mêler des  affaires internes des autres pays indépendants. Pourtant, ils n'ont jamais arrêté de fournir des armes, des munitions et des instructeurs à ces prétendus rebelles. Les américains ont même été sur le champ de bataille à côté des mercenaires de Kabila. Entre-temps, des milliers et des milliers de réfugiés rwandais mouraient. L'indifférence fut totale. Ayant déjà décrété que l'Afrique subsaharienne était trop surpeuplée, ils ont sûrement trouvé une politique démo-économique en leur faveur mais destructrice pour la région. Les médias internationaux y sont pour quelque chose. Ils nous désorientent souvent au lieu de nous informer. La responsabilité dans le drame rwandais a par exemple été attribué seulement aux hutu.

 

             A notre avis, l'Afrique peut gérer toute seule tous ces conflits. Elle n'est ni pauvre, ni  mal équipée comme les uns veulent le faire croire. Elle est manipulée par les puissances étrangères. Elle manque des dirigeants dignes de ce nom, capables de la libérer. Elle est mal gérée à cause surtout des intérêts impérialistes. C'est la vache à traire pour les puissances occidentales. C'est pourquoi la plupart des dirigeants africains sont investis au trône par ces puissances étrangères. Tout ce qui se passe aujourd'hui en Afrique est commandité de l'extérieur mais la responsabilité est rejetée, à tort ou à raison, sur les africains. 

 

             Après la prise du pouvoir par le FPR en 1994, ses idéologues ont essayé de transformer l'histoire du Rwanda. Contrairement aux croyances de leurs grands-pères, les jeunes de la diaspora tutsi nient l'existence des hutu, tutsi et twa en tant que entités sociales indépendantes les unes des autres. Tous les hutu ont été obligé, bon gré malgré, de s'imprégner de ces nouvelles pensées idéologiques. Cela se faisait dans le but de montrer qu'il n'y a pas de vrai problème hutu-tutsi. Sans vouloir nier qu'effectivement ce problème doit être dépassé, nous pensons qu'il faut d'abord reconnaître qu'il y a un problème et ensuite chercher sa solution. Chercher une solution d'un problème socio-politique qui n'est pas bien posé, ou qu'on masque volontairement dans le seul but de rester au trône, ne peut conduire qu'à un imbroglio social dont les conséquences risquent d'être désastreuses.

 

             Cette manière médiatique de gérer la crise rwandaise ne facilite pas l'aboutissement à une meilleure solution: la paix dans la région. Cinq ans après les événements regrettables du Rwanda, il est malheureux de remarquer que ces mêmes médias continuent d'attiser le feu en se posant de fausses questions relatives aux FAR (forces armées rwandaises). Pourtant, ils n'ont jamais voulu lever l'ambiguïté et dire à  ceux qui le souhaitent que les agresseurs du Rwanda venaient d'un autre pays bien connu: l'Ouganda, qui les soutenait en matériel et même en hommes. Pourquoi vouloir connaître la provenance des armes d'une armée qui était régulière (FAR) et ignorer expressément la provenance des armes des réfugiés tutsi dont l'acquisition et l'utilisation étaient d'ailleurs théoriquement interdites par la communauté internationale?  Etait-il possible que seuls les réfugiés tutsi (sans la complicité des pays traîtres), avec des moyens de survie qu'ils disposaient, eussent pu attaquer le Rwanda et le détruire complètement? Y aurait-il eu des massacres (que les uns appellent même génocide) si le FPR n'avait pas attaqué le Rwanda en 1990 et persisté dans une logique de guerre jusqu'à sa victoire? Que les spécialistes du Rwanda répondent objectivement.

 

Qu'on se détrompe.

             Plusieurs pays continuent d'avoir de bonnes relations avec le FPR. De telles relations sont surtout renforcées par les soi-disants spécialistes du Rwanda. Ils donnent des informations, vraies ou erronées, à leurs gouvernements respectifs, sur l'état actuel de la gouvernance FPR. Malheureusement, presque tous les touristes occidentaux ayant à peine mis leur pied au Rwanda se sont déclarés ou se sont vus attribuer le titre de "spécialiste du Rwanda". C'est ainsi que des hommes et des femmes qui, à peine connaissaient le pays avant la guerre, ont pris leurs plumes et écrivent des pages et des pages sur le pays des mille collines. Mais, de quelle valeur sont tous ces écrits?  Différente bien sûr, mais ... Pour éviter de scandaliser les uns et les autres, j'invite les amis qui ont connu le Rwanda d'hier et qui connaissent le Rwanda d'aujourd'hui, de les juger avec toute objectivité. La méconnaissance des réalités rwandaises avant et après la guerre constitue un vrai handicap pour une réaction valable de tous les occidentaux. Malheureusement, tous les contours de la solution au problème rwandais passent par eux. Les spécialistes du Rwanda ne sont pas nombreux. On peut même affirmer, à de rares exceptions près, que tous ceux qui se sont vus attribuer ce titre ne le sont réellement pas. Pourtant, ils sont nombreux. La preuve est que, si ces spécialistes existaient réellement, ils auraient pu, bien avant le mois d'avril 1994, élaborer des scénario probables sur l'agression que le Rwanda venait de vivre pendant plus de trois ans. Cela pouvait limiter les dégâts et actuellement, il y aurait de quoi se féliciter. Rien n'a été fait justement puisque personne ne comprenait rien et donc n'était spécialiste du Rwanda. Qu'on se détrompe alors. Actuellement, ces soi-disant spécialistes du Rwanda ou encore des Grands Lacs sont divisés eux-mêmes en plusieurs camps. Les uns chantent la bonne gouvernance du FPR et les autres, qui y voient peut-être plus clair, ont déjà lancé un appel de détresse. Effectivement, quand ils comparent le régime FPR avec le régime dictatorial de Habyarimana, ils ne trouvent presque pas de différence hormis le changement des figures au pouvoir. Les rwandais ne peuvent pas participer à la vie nationale et donc faire de la politique. Certains analystes disent même qu'entre les deux régimes, le premier serait le meilleur. C'est vrai que le pouvoir Habyarimana était dictatorial, mais au moins la liberté de presse, surtout de l'opposition, était manifeste. En plus, depuis que le Rwanda existe, même sous le régime des monarques tutsi les plus cruels que le Rwanda ait jamais connus, il n'y a jamais eu autant de disparitions inexpliquées de personnes de l'ethnie opposé à celui au pouvoir. Si le FPR continue de semer la tempête, il récoltera aussi la tempête. Les médias occidentaux pro-FPR ne devraient plus tromper personne. Le régime FPR doit et devra être jugé par ses actions. Plus d'illusions.



* Le FDC (Forces Démocratiques de Changement): organisation qui regroupait les partis politiques MDR, PL et PSD

* En réalité, le terme hutu moderé utilisé par les occidentaux ne veut rien dire. En effet, derrière le terme hutu ne se cache aucune forme d'idéologie. Peut-être que les enfants nés des parents hutu et tutsi peuvent se réclamer de moderés à cause de leur croisement ethnico-parental, mais ici aussi, leur modération serait plutôt biologique qu'idéologique. Elle n'aurait pas de place dans le cas qui nous préoccupe. Les étrangers devraient donc comprendre qu'on est hutu ou tutsi par le sang. Donc, on est hutu ou on ne l'est pas. Ça ne se négocie pas.

* La quasi totalité des officiers des forces armées rwandaises était formée exclusivement par les militaires issus des deux préfectures: Gisenyi et Ruhengeri. Interrogé à ce propos par les journalistes, le président Habyarimana avait d'ailleurs répondu que les militants des autres préfectures ne semblaient pas  aptes à ce métier. Ainsi, selon les privilèges qu'on leur accordait, certains officiers et sous-officiers n'avaient jamais été sur le champ de bataille. Pourtant, la guerre faisait rage dans le Nord du pays depuis trois ans. Cette situation des privilégiés du régime se rencontrait aussi dans l'administration publique. Un cas parmi tant d'autres est celui de la diplomatie rwandaise, où la représentation de ces deux mêmes préfectures était assurée à presque 100 %, la préfecture de Ruhengeri se taillant la part du lion. Face à la guerre médiatique que les inyenzi avaient engagée en parallèle avec la guerre des canons, il a fallu que le peuple rwandais s'élève et dénonce fermement la médiocrité de la diplomatie rwandaise pour que le président Habyarimana reconnaisse cette situation.

*  Cette planification s'explique d'ailleurs par des massacres des opposants politiques directement après l'assassinat du président Habyarimana. C'est justement après avoir massacré ces opposants politiques, dont la presque totalité était d'ailleurs des hutu, que le vent mortuaire s'est abattu sur la population tutsi.

* Les massacres ont touché tout le monde comme une tempête dans un océan. A un certain stade des massacres, les interahamwe, qui étaient dans plusieurs quartiers, considéraient les gens qui fuyaient la ville comme des déserteurs. Ils se considéraient eux-mêmes comme des résistants.

* Après l'attentat contre l'avion de Habyarimana, la garde présidentielle ainsi que les inyenzi-inkotanyi ont commencé de massacrer les gens. Monsieur Kambanda, tout comme plusieurs autres hutu qui habitaient le quartier où était cantonné le contingent FPR et ses environs, avait trouvé refuge dans le camp de la gendarmerie de Kacyiru. Quand les militaires sont venus le chercher pour assumer la fonction de premier ministre, il semble qu'il a dit ses adieux à ses proches et depuis lors, tout le monde le croyait disparu pour de bon. Jusqu'à sa nomination officielle à ce poste, il suivait donc peureusement les massacres comme tous ses voisins. Sans toutefois vouloir être l'avocat du diable, cela diminue irrémissiblement la probabilité de sa participation dans la programmation du génocide.

*  La commission d'enquête parlementaire belge sur le Rwanda a révélé que la Belgique était bien informée, heure par heure, sur tout ce qui se passait dans le pays. Presque tous les agents belges affectés à la coopération au Rwanda jouaient aussi le rôle d’informateurs officiels du gouvernement belge.

[1] Articulation de l'Impératif Urbain avec le Développement Régional, H. B. CHAABANE, CYIZA P. et al., Miniplan, Kigali, Novembre 1992

**  On a difficilement compris et digéré, comment dans un délai de moins d'un mois après la reprise des combats d'avril 1994, toutes les casernes des FAR situées à GABIRO, RWAMAGANA, HUYE (Kibungo), GAKO, ..., avaient été occupées par le FPR et apparemment sans aucune moindre résistance.

***  L'embargo des armes contre le gouvernement Kambanda a été décrété unilatéralement par le Conseil de Sécurité de l'ONU dans la première moitié du mois de mai 1994. Le FPR occupait déjà une bonne partie du pays. Par ailleurs, il faut reconnaître que l'embargo des Nations-Unies n'a jamais inquiété aucun pays bien organisé. Même la Somalie qui, militairement avait directement à faire face aux américains a pu majestueusement se tirer d'affaire. Il y avait donc lieu de contourner cet embargo si les autorités militaires et civiles avaient été réellement responsables dans cette guerre.