NSENGIYUMVA Prosper

 

 

 

 

 

LE RWANDA après 1991 :

vers une crise généralisée du développement

        

 

 

 

 

 

    RWANDA: LA DESINTEGRATION D'UN ETAT OU D'UN PEUPLE    

 

 

 

            

 

 

 

 

 

         Contribution à la mise au clair du drame rwandais d'avril 1994

 

 

 

 

                                                  Janvier 1999

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

… Ce n’est ni sur les collines du Rwanda ou du Burundi ni dans l’indifférence de beaucoup de gens qu’il faut chercher les causes premières et les plus déterminantes de ce conflit, mais plutôt dans les grands centres économiques et financiers de notre planète ainsi que dans l’ambition de quelques uns (Juan Carrero Saralegui, Fondation S’Olivar, Majorque, Espagne).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentation

 

         Depuis plus de 30 ans de recouvrement de son indépendance en 1962, le Rwanda s’est lancé dans un combat de développement à travers lequel plusieurs obstacles ont été heurtés. Dans la mesure du possible, ils ont pu être évités. Il s’agit entre autres des contraintes physiques de son territoire, des contraintes économiques (peu de ressources naturelles), des contraintes géographiques (enclavement), des contraintes démographiques, etc. Depuis 1990, à ces obstacles s’est ajouté  la contrainte de la guerre. L’un des mobiles de cette guerre trouve sa source dans la lutte pour le pouvoir des différentes composantes de la société rwandaise et plus particulièrement  des deux plus grandes ethnies : les bahutu et les batutsi. Lancée par les inyenzi-inkotanyi en 1990, cette guerre a complètement détruit le Rwanda en 1994. Face à cette conjoncture, que pourra être l’avenir de ce pays ?

           

            Des milliers de vies humaines (toutes les ethnies confondues) ont trouvé la mort dans cette tragédie. Suite à la victoire des inyenzi-inkotanyi en juillet 1994, plusieurs hutu ont pris le chemin de l’exil. Ils vivaient dans des camps sous la bienveillance de la communauté internationale. La minorité politico-militaire tutsi au pouvoir à Kigali va les y chasser en octobre 1996. C'est le retour forcé et massif au pays des réfugiés hutu. Dans cette errance obligée et sans fin*, plusieurs milliers de hutu, surtout des femmes et des enfants vont y laisser leurs vies. C'est ce que les médias vont appeler "génocide par la faim et les maladies". Tous ces hutu rentrés au pays ont fait l'objet de tri et de disparitions nocturnes. Les autres ont été purement et simplement emprisonnés. La majorité de ceux qui étaient restés à l’intérieur du pays vivait dans un dénuement presque total. La plupart des biens matériels avaient été détruits sinon pillés. Les cultures industrielles, qui constituaient plus de 80 % des recettes en devises, avaient été délaissées. L’économie nationale, qui repose essentiellement  sur l’agriculture fut étouffée. L'inflation battit son record. Bref, le coût de la vie devint presque insupportable pour la majorité de la population.

 

                        A la question de la paupérisation généralisée de la population, aussi bien à la campagne qu’en ville, se greffent les problèmes de la santé et de l’éducation. En effet, avec une conjoncture économique qui était défavorable à l’évolution souhaitée de ces secteurs avant même la guerre, que peut-on dire de leur développement après la guerre ? Malgré l’attention portée au domaine du développement avant la guerre des inyenzi-inkotanyi (plusieurs projets de développement particulièrement ruraux), la moitié de la population restait toujours analphabète. Ce pourcentage a visiblement augmenté après la guerre. Il en était de même pour le domaine de la santé où malgré la quantité des infrastructures qui semblait être suffisante, l’équipement en matériel et en personnel médical laissait encore à désirer.  Selon les experts des Nations Unies**, la brièveté de la vie des ruandais, qui est l'un des critères principaux révélateurs de la pauvreté humaine, s'est énormément accentuée après la guerre.

 

            Sans aucun progrès dans le domaine social (intellectuel), il sera difficile d’arriver aux autres performances et transformations sociétaires. C’est tout le développement du pays qui est en jeu. Les pertes en ressources humaines ont été nombreuses (morts ou réfugiés) et tous les secteurs de la vie nationale ont été affectés. Pire encore, la victoire de la diaspora tutsi s’est accompagnée d’une insécurité généralisée dans tout le pays. Le peu de ressources encore disponibles ainsi que les aides étaient et restent principalement orientées vers l’achat des armes. Cette préoccupation d’un pays naturellement pauvre et qui à peine allait sortir de la guerre ne peut en aucun cas satisfaire aux exigences de son développement. 

 

 

        


                            TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION........................................................................................................

I. Aperçu général sur le Rwanda..........................................................

II. Evolution de la situation socio-politique.............................

- Succession des différents régimes politiques au Rwanda et critiques des  relations Hutu (Bahutu) - Tutsi (Batutsi) - Twa (Batwa)............................................................................................................

- La psychose nationale après le 5 juillet 1993..........................................................

- Les droits de l'homme et la république du FPR......................................................

- L'image du tribunal international pour le Rwanda..................................................

- Génocide des tutsi et/ou des hutu : interprétation malsaine des faits

 ou mauvaise foi des médias......................................................................................

III. La problématique générale du développement avant et après la guerre d’octobre 1990.....................................................................................................

2.1  Les différentes contraintes au développement national.....................................

2.2 Evolution générale de la population rwandaise...................................................

2.3 Dynamique général du peuplement rural.............................................................

a) Le mouvement  migratoire ruandais et la guerre des inyenzi-inkotanyi................

b) Organisation du peuplement sur le territoire.........................................................

2.4 Efforts de développement annihilés par la guerre du FPR..................................

a) Les travaux communautaires de développement - UMUGANDA.......................

b) la planification du développement communal.......................................................

c) Le développement du Rwanda et le surarmement................................................

- La démocratisation et la trahison du pays...............................................................

- Le mensonge et la désinformation..........................................................................

2.5 Situation du bien être de la population................................................................

a) Les principales tendances de l’économie...............................................................

b) Problème de développement ruandais face à l’agriculture et à l’alimentation......

- Etat général du problème agricole et de la pauvreté...............................................

- La corruption dans la haute sphère politique de la 2nde République........................

- Intervention des projets agricoles dans le développement......................................

c)Efforts de développement en matière d’éducation et de santé..............................

-Etat général de l’éducation au Rwanda...................................................................

- Importance de la scolarisation dans le développement du Rwanda.......................

- Situation en matière de santé..................................................................................

- La réalité du développement se trouve d'ailleurs..................................................

2.6 Dynamique de croissance/développement urbain..............................................

- Relations Ville-Campagne.....................................................................................

2. 7 Le problème ruandais face à d’autres pays africains de même crise................

- Les USA et leur projet hégémonique dans la région des Grands Lacs.................

IV. Conséquences de la guerre imposée au Rwanda par des    inyenzi-inkotanyi....................................................................................................................................

Conclusions et Recommandations...........................................................................

BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................

   Annexes                 


INTRODUCTION

 

            Depuis octobre 1990, le Rwanda a été en état de guerre qui a complètement paralysé tous les secteurs de son économie. Cette guerre a décimé des milliers de vies humaines. Dans les zones des combats des préfectures de Ruhengeri et Byumba, plusieurs civils hutu dont les enfants ont été froidement abattus par le FPR* et des femmes enceintes éventrées. Les déplacés de guerre de ces deux préfectures sont même arrivés à Kigali. La barbarie la plus inhumaine dans cette sale guerre a commencée le 6 avril 1994 avec l'assassinat du président Habyarimana. Hormis le flot des déplacés à l’intérieur du pays qui s'est intensifié, plusieurs personnes ont quitté les leurs et leurs biens pour s'exiler principalement dans les pays voisins.

 

            Entre temps les biens immobiliers et mobiliers  qu’ils avaient laissés ont été saisis. Ils ont été occupé par les anciens réfugiés tutsi venus d’Ouganda et du Burundi ainsi que par les étrangers (surtout les ougandais) qui avaient combattu de leur côté. L’occupation des biens des hutu aussi bien à la campagne qu’en milieu urbain s’est avéré un problème délicat pour la rentrée des anciens propriétaires. Ce problème d’occupation gratuite des biens d'autrui, qui s’est accompagné d’une insécurité grandissante, empêchait les propriétaires de rentrer sans garantie de sécurité. Cette situation était réellement préoccupante, car la rentrée massive des réfugiés hutu laissait supposer que les squatters tutsi, qui normalement ne disposaient pas d’autres biens au Rwanda, allaient être obligés d’évacuer les logements et autres biens saisis. Ils allaient ainsi devenir des sans abri alors qu'ils venaient de gagner la guerre. Cela ne s'est pas passé ainsi, puisque la remise des biens s'est effectuée selon la gentillesse des individus (occupants), cas par cas. Malgré la victoire des tutsi et de leurs alliés sur les hutu, leur terreur à l’intérieur du pays ne s’arrêta jamais. Vingt deux mois après cette victoire, on comptait déjà plus de 100.000 hutu[1] tués dans la clandestinité.

 

            Dans les villes, cette situation fut parti culière étant donné que presque toute la population civile avait fui les combats. Les villes désertées furent vite occupées par le vainqueur tutsi. Après la prise de la capitale en juillet 1994, on pouvait facilement affirmer que sa population, qui avait été dénombrée à 250.000 habitants en 1991, dépassait de loin les 300.000 habitants. Cette situation a été aggravée par le fait que les nouveaux venus tutsi ont été attiré par des immenses infrastructures mises en place par des  efforts inouïs des hutu depuis 33 ans d'indépendance. Même si les autorités FPR semblaient** inciter leurs membres à investir dans le secteur du bâtiment, ce sont les ONG étrangers qui ont fait le grand du boulot, surtout à la campagne. La guerre avait annihilé les espoirs de plusieurs investisseurs étrangers. 

 

            A ce problème de logement s’est ajouté celui de l’insécurité qui régnait dans tout le pays, spécialement dans le milieu rural. Signalons qu’une partie importante des agriculteurs s'était réfugiée à l’extérieur du pays. Il était plus que jamais nécessaire de faire revenir les gens dans leurs terroirs si on voulait réellement construire le pays. Ceci est assez important puisque toute l’économie du pays a été toujours basée sur l’activité agricole et comme partout ailleurs, c’est la campagne qui approvisionne la ville en ce qui concerne les produits alimentaires. Malheureusement, le retour de la population, qui était forcé, s'est fait avec beaucoup de victimes.

 

            Son retour a été forcé en 1996 soit par les pays hôtes (Tanzanie), soit par des attaques meurtrières des camps par le FPR (guerre au Zaïre). Sans toutefois présager sur le sort inquiétant qui attendait plusieurs d'entre eux, il fallait leur trouver des logements. Leurs maisons et leurs autres biens étaient occupés par les tutsi vainqueurs. Le problème de la propriété privée (foncière et non foncière) était devenu insoluble. Il fallait également arriver à satisfaire les besoins grandissants dans les autres secteurs tel que l’éducation, la santé, l’environnement, etc.

 

            Ainsi, une question se pose: quels sont les effets de cette guerre sur le développement du Rwanda? Ceci demande d’examiner l’évolution des différents secteurs de développement socio-économiques et culturels du pays avant et après la guerre afin de dégager leurs principales tendances. Plusieurs acteurs étaient appelés à contribuer à la reconstruction d’après-guerre, le plus concerné étant bien entendu le gouvernement FPR. Notre travail va surtout se consacrer sur l’analyse : population-développement, ce qui va se refléter nécessairement sur l'état environnemental de tout le pays.

 

            Le travail consistera donc en un essai d’éclaircissements des situations de développement du Rwanda et essayera de donner son point de vue sur la façon dont il perçoit l’avenir de ce pays. C’est pourquoi nous nous proposons de faire un aperçu sur les secteurs de: population et développement avant la guerre afin de pouvoir situer l’avenir du pays après la guerre. L’évolution de la situation socio-politique du pays depuis le pouvoir féodal ainsi que le rôle des pays voisins dans l’accueil des rwandais vont également être abordés. Il va également examiner  la situation de développement aussi bien en milieu urbain qu’à la campagne et dans ces deux cas, les effets probables du nouveau peuplement de la population tutsi sur l’occupation de l’espace national et le développement du Rwanda vont être mis en exergue. Il est toutefois à noter que la non disponibilité des données sous le régime FPR constitue un grand handicap pour ce travail.


I. Aperçu général sur le Rwanda

           

            Le Rwanda est un pays de l’Afrique centrale avec 26.338 kilomètres carrés. Sa population était chiffrée à 7.150.000 habitants en 1991. Avec une densité brute de 271 habitants au kilomètre carré, le pays était le plus densément peuplé du continent africain. Le taux d’accroissement naturel en 1991 était de l’ordre de 3,1 % par an avec une fécondité élevée de plus 8 enfants par femme en moyenne. Ce taux qui était parmi les plus élevés du monde avait même tendance à s’accélérer suite à la baisse de la mortalité surtout infantile. Par ailleurs, ses ressources sont assez limitées, ce qui classe le Rwanda parmi les pays les plus pauvres du monde.

 

            Avant l'arrivée du colonisateur blanc, le Rwanda était divisé en plusieurs dizaines de régions ou principautés (cfr. carte, Annexe 3). Malheureusement, le colonisateur n'a pas suivi ces entités régionales pour renforcer son administration. Cela se faisait dans le but de désorganiser les structures de la population indigène. Pourtant, même actuellement, les gens continuent de porter les noms de leurs régions. C'est ainsi que par exemple, les gens du MULERA, BUSHIRU, BUGOYI, BUGANZA, NDUGA, RUKIGA, etc., continuent de s'appeler respectivement ABALERA, ABASHIRU, ABAGOYI, ABAGANZA, ABANYENDUGA, ABAKIGA. Ces deux derniers noms sont plus intéressants, car ils ont pu dépasser les frontières géographiques de leurs régions respectives et catégoriser tous les rwandais en deux groupes régionalistes. Ainsi, les habitants des préfectures de GISENYI, RUHENGERI et BYUMBA se sont vus attribuer le nom d'ABAKIGA et le reste du pays le nom d'ABANYENDUGA. Pourtant, quand on suit de près ces appellations, on remarque que la région originale de NDUGA (D sur la carte) s'étend seulement sur les parties des communes de Tambwe, Ntongwe, Mugina, Nyamabuye et Musambira. Quant à la région de RUKIGA (o sur la carte), elle est située sur les communes de Tumba et Cyungo. On voit donc que les rwandais qui se sont appropriés le nom de ABAKIGA ou ABANYENDUGA ne le sont réellement pas. Les vrais bakiga se trouvent sur une petite partie de la préfecture de BYUMBA et les vrais banyenduga sur une partie de la préfecture de Gitarama. Ces noms sont donc apparentés à des régions bien précises. Ce sont des personnalités animées de mauvaise volonté qui les ont récupérés à des fins politiques introduisant ainsi le fléau du régionalisme dans le pays. C'est ainsi qu'en 1973, avec le putsch des militaires qui voulaient le pouvoir, le terme de "Nduga élargi" est entré dans les annales du peuple pour signifier toutes les préfectures  Rwanda, hormis GISENYI, RUHENGERI et BYUMBA. Le pays était donc divisé en deux régions seulement, le NORD (Abakiga) et le SUD (Abanyenduga).

 

            Quant à la répartition géoethnique de la population rwandaise, il est à remarquer que le NORD du pays, hormis la région du Mutara qui était habitée par une population importante des hima (tutsi), le reste était pratiquement habité par des hutu jusqu'en 1994. Sûrement qu'on trouvait quelques tutsi ici et là (ex. des Bagogwe), mais la région est connue comme un bastion des hutu. Le reste du pays était peuplé par une population ethniquement hétérogène. C'est probablement la raison pour laquelle la résidence principale des derniers rois (ibwami) se trouvaient à NYANZA (NYABISINDU). Il est à remarquer que le roi (mwami) avait plusieurs résidences secondaires dans tout le pays.

 

            La révolte hutu contre l'exploitation du régime monarchique tutsi est ainsi partie de cette région hétérogène. Précisément, c'est la région de MARANGARA qui a été le berceau de la révolte hutu en 1959. Ensuite, elle s'est propagée dans la région de NDIZA, transmettant le message révolutionnaire dans le NORD et dans tout le reste du pays. Précisons que le pays compte trois ethnies: les bahutu, les batutsi et les batwa. Ce sont les deux premiers qui sont toujours en lutte pour le siège du pouvoir.


 II. Evolution de la situation socio-politique

 - Succession des différents régimes politiques au Rwanda et critiques des      relations Hutu (Bahutu) - Tutsi (Batutsi) - Twa (Batwa)

            D’après le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 1991, trois ethnies cohabitaient au Rwanda. Les BAHUTU étaient environ 90 % de toute la population, les BATUTSI - environ 10 % et les BATWA - environ 1 %.

                                                                                             

 

                                                                                                           Tableau n° 2

 

                            

 

           

Source: République Rwandaise, Recensement Général de la Population et de l’Habitat, Kigali, 1991

 

            Selon l’historiographie rwandaise, ce sont les BATWA (twa) qui auraient peuplé les premiers les forêts du Rwanda. Ils vivaient alors de la chasse et de la cueillette. Les BAHUTU (hutu), d’origine bantou, seraient venus en second lieu vers le 7e S. av. Jésus Christ. Agriculteurs, ils défrichèrent presque tout le pays. Ils se déplaçaient au fur et à mesure que la fertilité du sol était menacée dans la partie occupée. Ce sont les BATUTSI (tutsi) qui seraient venus en dernier lieu au 16e Siècle. Pasteurs-nomades d’origine nilotique, ils migraient avec leurs troupeaux de vaches à la recherche de nouveaux pâturages.

 

            L’organisation des BAHUTU sur le territoire se caractérisait par un regroupement autour de la famille (lignage) et les terres agricoles s’élargissaient au fur et à mesure que le besoin se faisait sentir étant entendu que la pression démographique n’était pas un problème à cette époque. Cette organisation avait pour conséquence la formation de territoires plus ou moins élargis, parfois même grands, assimilables à des unités administrativement indépendantes, avec à la tête des chefs hutu qui à la longue furent considérés comme des rois sacrés bantou du Rwanda (ABAHINZA avec leurs royaumes). Contrairement au roi tutsi dont le pouvoir était totalement absolu, leur pouvoir était limité par la coutume[2]. Le système socio-politique des BATUTSI étant mieux hiérarchisé, ils vont parvenir à déstructurer le système des BAHUTU et à les assujettir en leur imposant un système féodal basé sur le clientélisme pastoral et foncier[3].

 Du point de vue de la science et de la technologie, ils n’ont rien fait progresser. Cette version des faits a toujours été celle de la cour royale et de la noblesse jusqu’au moment de la chute de leur pouvoir en 1959.

 

             Le système de pouvoir féodal va perdurer au moins pendant trois siècles . Il sera même renforcé à l’arrivée du colonisateur puisque celui-ci va s’appuyer sur l’administration locale en place afin de pouvoir tout dominer (administration indirecte). Heureusement, cette pénétration étrangère va peu à peu désacraliser et fonctionnariser la royauté. Elle va progressivement permettre à toutes les ethnies du pays d’accéder à l’évangélisation et à la scolarisation. Cette ouverture de la majorité alors opprimée au monde extérieur sera déterminant dans l’évolution socio-politique du pays. La royauté sera alors renversée par la révolution sociale de 1959.

 

            La Révolution Sociale de 1959 va permettre aux BAHUTU de prendre le pouvoir. Bon nombre de BATUTSI, surtout l’élite administrative qui ne voulait aucune concession, va quitter le pays pour s’installer dans les pays voisins. C’est cette élite (communément connue sous le nom d'INYENZI) qui, à plusieurs reprises va tenter de reprendre le pouvoir par la force quelques années après l’indépendance en menant des incursions à partir des pays voisins. Devant cette volonté de reprendre le pouvoir par la force, toute tentative en vue de leur de rapatriement fut un échec malgré de nombreux appels des autorités en faveur de leur rentrée au pays. Un département ministériel chargé de la question des réfugiés avait été formé à cet effet.

           

            Tout cela a fait, même quelques années après l’indépendance (1962), que le tutsi est resté dans l’imaginaire de plusieurs hutu comme un oppresseur d’autrefois et un oppresseur potentiel de demain. Il a été longtemps  connu comme un envahisseur qui avait pu finalement dominer les autochtones (twa et hutu). Cela s'est démontré et répété dans cette dernière décennie du vingtième siècle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, depuis la révolution sociale de 1959, son intégration semblait se faire comme celle de tous les autres étrangers. La phrase du Comité National du Parti MDR  PARMEHUTU en 1960 (parti du mouvement pour l’émancipation hutu: parti majoritaire après le renversement de la monarchie) est assez éloquent: « Le Rwanda est le pays des Bahutu (Bantou) et de tous ceux blancs ou noirs, tutsi, européens ou d’autres provenances, qui se débarrasseront des visées féodo-colonialistes »[4].

 

            Parlant du MDR Parmehutu, il faut insister sur le fait que c'est ce parti politique qui a conduit le Rwanda à l'indépendance. Brièvement, son grand leader Grégoire Kayibanda et ses compagnons de lutte avaient pu regrouper les hutu  dans des organisations catholiques de type MOC (mouvement ouvrier chrétien). Cela aura d'ailleurs une grande connotation sur le futur parti politique. A l'instar du MOC, Kayibanda avait crée le PARMEHUTU(parti du mouvement pour l'émancipation hutu). C'était donc un mouvement constitué essentiellement de paysans. Ces paysans n'étaient autres que des hutu et donc des serviteurs opprimés. Avec l'évolution des événements politiques, on a ajouté le sigle MDR afin de clarifier la politique du parti (Mouvement Démocratique Républicain). Le PARMEHUTU devint ainsi MDR PARMEHUTU. On voit ainsi que derrière ce nom, il ne se cache rien de terrifiant comme certains irresponsables tutsi veulent le faire croire. Le mouvement était né à la suite de l'existence des organisations chrétiennes (MOC). Ces organisations étaient à majorité formées par des hutu opprimés. C'est pourquoi leur émancipation était plus que jamais nécessaire. On peut même ajouter que le pas franchi dans cette émancipation a été anéanti par le FPR. Le parti MDR PARMEHUTU a été donc fondé dans des conditions sociales bien précises que l’histoire devra bien respecter.

 

            Les premiers leaders de la jeune République, dont la majorité venait des régions du centre et du sud du pays, vont commettre des erreurs politiques qui leur seront fatales. La première erreur parmi tant d'autres date dès la naissance de la jeune république. En effet, l'une des défaillances majeures en matière de démocratie fut que les partis politiques fondés en 1959 vont se voir étouffés en douce. Bien sûr, c'étaient des petits partis politiques face au MDR Parmehutu, mais il fallait les laisser évoluer librement. Ces autres partis politiques qui avaient vu le jour étaient: APROSOMA (Association pour la Promotion Sociale de la Masse), RADER (Rassemblement Démocratique Rwandais), UNAR (Union Nationale Rwandaise) et RADETWA (Rassemblement Démocratique des Twa). Le MDR resta ainsi seul sur l'échiquier politique et le pluralisme politique céda la place au monopartisme. L'autre défaillance qui est apparue vers la fin du régime est la volonté d’accaparer seuls le pouvoir politique au détriment des autres régions*. Cela va entraîner le pays vers un régionalisme à outrance. En 1973, la tactique ethnisante va être employée par quelques officiers de l’armée pour renverser le régime du premier Président démocratiquement élu. Cela faisait suite aux troubles ethniques qui avaient secoué le Burundi où l'armée tutsi était entrain d'exterminer les hutu. Plus de 250.000 hutu burundais ont été massacrés en 1972. La chute de la première république rwandaise va malheureusement s'accompagner par un esprit régionaliste sans précédent. Les soldats des deux préfectures du nord du Rwanda (Gisenyi et Ruhengeri), véritables artistes de ce putsch, seront caractérisés par une politique régionaliste accentuée. Le problème régional "RUKIGA - NDUGA" venait de naître presque officiellement.

 

            Le virus ethnique, activé ainsi au  Rwanda par les malheureux événements du  Burundi, va semer les troubles qui coûteront la vie à certains batutsi en 1973. Malgré que les officiers putschistes rwandais étaient les principaux agents de transmission de ce virus, ils s’en sont savamment servi pour expliquer le bien fondé de leur coup d'état. Ils étaient évidemment appuyé par quelques puissances impérialistes occidentales qui voulaient renverser le régime. C’est ainsi que ces soldats-putcthistes annoncèrent officiellement au peuple rwandais qu’ils se devaient de mettre fin au désordre qui régnait dans le pays. En faisant aujourd'hui une analyse historique des faits, on se rend compte que ce sont ces mêmes officiers hutu, qui dans les années quatre vingt, vont faire des tentatives de renverser le régime qu'ils avaient eux-mêmes mis au pouvoir et qui avait renforcé les clivages ethniques et régionales (régime de Habyarimana). Ce sont toujours ces mêmes officiers hutu qui reviendront dans la rébellion armée tutsi, cette fois-ci du côté FPR en 1990. Après l'attentat mortel du président Habyarimana, qui a conduit à la victoire militaire du FPR en 1994, les hutu seront utilisés comme des marionnettes servant à cacher l'omniprésence des tutsi dans tous les plus hauts postes du pays et à cautionner leurs sales actions devant la communauté internationale. Le chef de cette bande des officiers hutu, le Colonel Alexis Kanyarengwe, pourtant réputé être de caractère anti-tutsi*, avait été même placé à la tête de leur organisation militaire, actuellement considérée comme politique (le FPR). A l'instar de ce vieux colonel des FAR (Forces Armées Rwandaises), les hutu dans l'administration publique ont purement et simplement été utilisé pour servir les intérêts du FPR après sa victoire en 1994 et non des intérêts du pays. C'était le sauve-qui-peut pour la plupart d'entre eux.

 

            Concernant la Révolution Sociale de 1959, il faut donner quelques précisions. En 1957, l’élite hutu avait publié un document révolutionnaire et historique qui mettait en cause les relations politico-sociales entre les hutu et le pouvoir tutsi. C’est le Manifeste des Bahutu[5]. Le pouvoir tutsi alors en place essaya de réprimer l’opposition hutu en éliminant physiquement son élite. En 1959, plusieurs partis politiques vont voir le jour. C’est suite à cette situation que la grande masse paysanne hutu, avec à sa tête des leaders hutu et quelques tutsi, va se soulever. Les hutu vont réclamer leurs droits, ce qui ne va pas être obtenu sans heurts. Dans ce climat de tensions sociales, plusieurs hutu vont être massacrés. La réaction défensive des hutu ne tarda pas et fut musclée. C'est le début de la Révolution de 1959. Dans la suite, le pouvoir de domination des tutsi sur les hutu sera anéanti. Malgré que le colon avait fort longtemps favorisé et soutenu la minorité tutsi au pouvoir, il va maintenant faire volte-face. Cette révolution sera donc finalement appuyée par les autorités coloniales ainsi que par l’Eglise Catholique. Ce revirement brusque et positif en faveur de la grande masse paysanne opprimée leur vaudra, surtout après la victoire du FPR en 1994, des critiques de toutes pièces de la part des tutsi. C'est ainsi que pendant et après la guerre qui a conduit à la défaite des hutu en 1994, l'Eglise Catholique Rwandaise va payer un lourd tribut. Tous les évêques hutu ainsi que plusieurs prêtres et soeurs vont être purement et simplement éliminés.

           

            Dans les années 1990, avec à la tête certains intellectuels de la diaspora rwandaise tutsi auxquels se sont joints quelques occidentaux dont les plus acharnés sont des africanistes de l’école tiers-mondiste française (Cathérine Coquery-Vidrovitch, J. P. Chrétien, etc.) a été forgé la théorie selon laquelle les bahutu, les batutsi et les batwa forment une seule ethnie. Ils auraient alors vécu depuis longtemps dans une harmonie totale [6]. Ce serait la Révolution Sociale de 1959 qui aurait mis la poudre au feu et divisée les rwandais sur le plan ethnique, division qui serait également le chef d’oeuvre du colonisateur. Pourtant, les tenants de cette thèse ne montrent pas ce que le tutsi, qui régnait en maître absolu sur tout le pays, a fait pour contrer cette division du colon qui, selon toute vraisemblance, avait beaucoup de chances d’échouer, étant donné qu’il y avait déjà plus de quatre siècles d’intimité entre les hutu et les tutsi [7]! Selon toujours ce nouveau courant, leur distinction ne trouverait son fondement que dans les mécanismes internes de stratification et de différenciation sociale. C’est ainsi qu’ils avancent que les différences morphologiques et culturelles propres aux tutsi et aux hutu seraient davantage le résultat d’une spécialisation économique et donc susceptible d’évoluer...

           

             Sans toutefois vouloir affirmer que les hutu et les tutsi ne peuvent pas vivre en harmonie, ce qui est par ailleurs idéal et souhaitable, nous pensons que construire un pays sur une base de réalités historiques fausses est contre le développement de ce pays. Ici, nous considérons "développement comme étant un processus historico-systémique de longue période, construit sur des faits économiques, culturels, institutionnels, administratifs, ..., constamment en évolution"[8]. J.M.V. Higiro[9] cite quelques faits culturels qui démontrent clairement la non harmonie historique entre les hutu et les tutsi:

a) l'emblème royal, caractérisé par le tambour "KALINGA" était orné d'organes génitaux des roitelets et autres leaders hutu* massacrés justement parce qu'ils étaient des hutu ou qu'ils luttaient pour la cause hutu.

b) la culture rwandaise est riche en proverbes. Ces proverbes expriment bien les relations qui lient les rwandais dans leur  vie quotidienne. Voici quelques exemples:

            - Utuma abahutu atuma benshi (Qui veut confier une mission à des hutu doit en envoyer plusieurs, autrement dit le hutu est oublieux);

            - Umuhutu ntashimwa kabili (Le hutu, on ne le félicite pas deux fois: le hutu est versatile);

            - Inkunguzi y'umuhutu yivuga mu batutsi (Le hutu marqué par le sort déclame ses hauts faits parmi les tutsi: c'est s'attirer des malheurs que de provoquer un plus puissant que soi);

            - Umututsi umuvura amaso akayagukanulira (Le tutsi, tu lui soignes les yeux et il te fixe d'un regard méprisant: la reconnaissance n'est pas une qualité du tutsi);

            - Umututsi umusembereza mu kirambi akagutera ku bulili (Le tutsi, tu lui offres l'hospitalité et il te déloges du lit);

            - Umututsi umuvura amenyo ejo akayaguhekenyera (Le tutsi, tu lui soignes les dents et le lendemain, il en grince en ton sujet);

            - Umutwa ararengwa agatwika ikigega (Le twa devient opulent et il incendie son grenier: les twa sont particulièrement imprévoyants); ...

 

            Cette richesse traditionnelle de la culture rwandaise nous montre clairement que pour mieux connaître un rwandais et plus particulièrement un umututsi (tutsi), il faut être rôdé dans sa culture. D'ailleurs, c'est l'une des raisons qui a fait que la nouvelle génération des hutu a perdu la bataille devant les tutsi. En effet, les jeunes hutu ont  pensé qu'ils pouvaient mieux composer avec les tutsi qu'avec certains hutu malhonnêtes. C'est ainsi que lors de l'attaque des inkotanyi en 1990, un certain soutien même de la part des partis politiques a été sans faille. C'est justement à cause de la méconnaissance de leur partenaire que ces jeunes hutu, appelés à tort et à travers "les modérés" se sont fait surprendre. Peu de temps après avoir travaillé avec le FPR et remarqué la réalité, la majorité d'entre eux a trouvé le chemin de l'exil. La meilleure connaissance d'un umututsi et vice versa du côté tutsi envers le muhutu aidera certainement ces deux communautés à vivre ensemble.

 

            Selon toujours les mêmes faiseurs de la nouvelle historiographie du pays, «dans le Rwanda d’avant l’ère coloniale, ressortaient trois groupes socio-économiques, à savoir: les tutsi majoritairement éleveurs du bétail, les hutu agriculteurs et les twa qui vivaient de la chasse et de la cueillette. Les frontières entre ces groupes auraient été flexibles. Il suffisait à un hutu ou twa d’augmenter l’effectif de son cheptel pour devenir tutsi». Le raisonnement inverse serait-il aussi vrai?

           

            Comment alors peut-on objectivement comprendre cette situation? Dans toute société, la langue (expression orale) évolue avec la vie quotidienne des populations. Au Rwanda, comme les tutsi étaient les seules maîtres du pays et que leur richesse s’évaluait en troupeaux de vaches, les hutu et les twa aspiraient à avoir beaucoup de vaches (être riche comme les autres). Cela a été d’ailleurs remarquable après la révolution de 1959 où les hutu ont voulu remplacer les grands éleveurs tutsi. Avec la pression démographique, les pâturages sont vite devenus insuffisants ce qui entraîna  la diminution de l’effectif du bétail par individu et le gros bétail fut concurrencé par le petit bétail qui ne demande pas beaucoup d’espaces. Ainsi, dans le langage courant* , et cela même avant la révolution de 1959, un hutu qui arrivait à avoir plusieurs vaches était dit couramment qu’il était devenu tutsi (riche). C’est cette expression que la nouvelle école sur l’ethnisme au Rwanda essaie d’exploiter non sans arrière-pensée. Il en est de même pour le terme «IMFURA » terme qui correspond à "noble" en français. Avant et même après la révolution sociale de 1959, il était devenu normal d’appeler un hutu «IMFURA ou noble» selon que celui-ci maîtrisait parfaitement la manière de se comporter des nobles, qui ne pouvaient être que des tutsi.

 

            Pourtant, quand on va sur le terrain, on remarque que la réalité des faits a toujours été et est actuellement telle qu’aucun hutu n’est jamais devenu tutsi ou twa et inversement, malgré la situation économique susceptible d’évoluer dans les deux sens. Notons que seul le mwami (roi) pouvait ennoblir ou déchoir ses sujets. Un des rares cas qu’on connaît est celui du twa BUSYETI qui donna son nom à son célèbre tribu: ABASYETI et donc les tutsi d’origine twa. Suite à l'ascension économique et sociale des rwandais due essentiellement à l'influence coloniale et à la suppression de l'institution du servage pastoral (ubuhake), certains hutu soi-disant évolués ont renié leur ethnie pour rejoindre l'ethnie des tutsi. Malgré ce revirement, cela ne les mettait pas complètement hors des brimades et du mépris auxquels les condamnait leur origine. Ce choix montre à suffisance le degré de frustration des hutu dû aux discriminations ethniques. Il ressort ainsi que la dualité hutu-tutsi-twa résulte de trois ethnies bien distinctes, mais susceptibles bien que difficilement sinon rarement, à l'infiltration de l'une par l'autre.

           

            Hormis que cette théorie contredit la réalité traditionnelle toujours véhiculée par la monarchie depuis des siècles, les tenants de ces idées semblent vouloir embrouiller expressément la vraisemblance historique. En effet, suite aux revendications de plus en plus grandissantes d’égalité et de fraternité entre les bahutu et les batutsi en 1958, les grands chefs de la cour royale avaient vivement réagi avec un document officiel affirmant sans ambiguïté qu’il n’y avait aucun lien entre eux et que les seules relations possibles étaient basées sur le servage*. Ce document illustre bien les relations qui se sont tissées au fur du temps entre les deux ethnies. Précisons qu’à l'arrivée au Rwanda des allemands vers 1894, ceux-ci ont trouvé une minorité ethnique qui dominait le pays. Ils n'ont pas touché à ce système. La tutelle belge, à son tour, a conforté la position privilégiée des tutsi. Contrairement à ce nouveau courant de certains tutsi de la diaspora rwandaise, le statut de "domination et d'exploitation" de la majorité par une minorité n'est pas une invention ni des allemands, ni des belges, mais ce système avait fondé ses racines sur la répression et le servage de la majorité hutu par une minorité tutsi après que cette dernière ait éliminé les rois sacrés hutu (ABAHINZA). Cette rupture des idées entre les générations des batutsi d’hier et d’aujourd’hui ne serait-elle pas fondée sur un opportunisme stratégique s’inscrivant dans la logique de la guerre ethnique imposée au Rwanda depuis 1990?

 

            N’étant pas ethnologue, je ne peux pas prétendre détenir la clé de la vérité objective sur cette question. Pourtant, afin d'éviter de se laisser influencer par un esprit partisan et pour laisser le champ ouvert aux hommes scientifiques dans leur recherche, nous pensons qu’il faut donner au lecteur le droit de faire un choix conscient et raisonné entre ces deux propos. Il est toutefois utile de remarquer que pour les rwandais, et cela depuis longtemps, l’identité sociale n’a jamais été l'objet d'aucune ambiguïté. Normalement, les personnes d'une même colline, d’une même cellule administratif ou secteur se connaissaient et savaient quelle strate sociale, actuellement appelé UBWOKO, à laquelle chacun faisait partie (hutu, tutsi ou twa). Quand les historiens étrangers ont commencé à écrire sur le pays, ils n’ont pas pu trouver dans leur langue le mot qui traduisait exactement ce terme. Ainsi plusieurs auteurs étrangers ont assimilé ce concept d’UBWOKO à ethnie, race, tribu, caste ou classe, ce qui a créé une ambiguïté totale dans la définition et la compréhension de « tutsi, hutu et twa ». L’administration coloniale a récupéré le mot ethnie pour désigner ubwoko et c’est ainsi que « UBWOKO » se traduit à tort ou à raison par « ethnie ».

 

            Malgré cette identité d'UBWOKO qui a caractérisée les rwandais et qui s’est toujours accompagnée par une exploitation d’un groupe social par un autre avant la révolution sociale de 1959, les limites de séparation identitaires (ethnique), du moins pour les rwandais qui se trouvaient à l’intérieur du pays avant la guerre de 1990, étaient devenues de moins en moins visibles. Erny P.[10] nous fait remarquer pertinemment qu’avant la guerre imposée au Rwanda par le Front Patriotique (FPR), on pouvait difficilement parler d’ethnies différentes au Rwanda, si on se référait à la définition de "l’ethnie comme étant un groupe de même culture et de même langue". Il y avait eu effectivement une intégration presque totale. Du point de vue économique, plusieurs hutu étaient devenus plus riches que des tutsi mais il y avait aussi des tutsi qui étaient parvenu à s'enrichir. D'ailleurs, avant la guerre de 1990, les mariages inter-ethniques étaient devenus si fréquents qu’il était difficile de distinguer un hutu et un tutsi dans certaines régions du pays (le sud et le centre). Il semble de plus en plus évident que c’est la guerre des inyenzi-inkotanyi qui est à la base de tout le drame rwandais.

 

            Il est utile de dire un mot sur les clans au Rwanda. Du temps monarchique, on en comptait plus d'une dizaine. Actuellement, ils ont peu à peu perdu leur valeur parmi la population tellement que les jeunes ne s'y retrouvent pas. Au Rwanda, le clan était considéré comme une organisation supra-familiale qui regroupait tutsi, hutu et twa au sein d'une même parenté supra-ethnique à caractère mystique. Chaque clan avait son totem. Les clans les plus répandus au Rwanda étaient: les BANYIGINYA (représentés par les familles des Bahindiro, des Bagunga, des Bashambo, des Batsobe, des Bakobwa, des Benemunyiga, des Baryinyonza, des Baka et des Banana), les BEGA (représentés par des Bakagara, des Bakongori, des Bakiza et des Bahanya), les BASINGA représentés par des Bacumbi, les BAZIGABA représentés par des Barenzi, les BACYABA représentés par les Babogo et les BAGESERA. Tous les rwandais se classaient ainsi, pêle mêle en ces clans. Deux personnes ayant le même totem (animal) ne pouvaient pas se marier. Selon la légende, seul avait échappé à la règle le clan royal dont le premier roi munyiginya avait épousé sa sœur, avec laquelle il était tombé du ciel. Le fait que tutsi, hutu et twa appartennaient au même clan sous entendait qu'ils étaient censés être frères et donc avoir un ancêtre commun. Cette stratagème permettait au tutsi de faire croire au hutu et twa qu'ils avaient une parenté commune ce qui assurait au tutsi la fidelité de ces derniers sans aucun autre engagement en contre-partie. Depuis la victoire des tutsi en 1994, les idéologues du FPR sont revenus sur cette stratégie. Ils font croire que tous les rwandais, hutu, tutsi et twa sont issus du même ancêtre. C'est ainsi que certains dignitaires hutu du régime FPR se réclament issus des mêmes clans que les responsables tutsi du FPR et donc se font passer aussi pour des tutsi. Pourvu que ça dure!

 

            Des critiques virulentes continuent de venir de ces historiens occidentaux qui se croient plus professionnels que leurs aînés, étant donné qu'ils ont fait des études universitaires en histoire et qu'ils exercent dans ce métier. Ils mettent en cause tous les travaux d'histoire faits antérieurement sur le Rwanda, dont ceux du célèbre Abbé Alexis Kagame. Ils arrivent même à qualifier l'histoire du Rwanda de pseudo-histoire[11]. Bref, ils reprochent à ces travaux de ne pas être faits par des historiens de métier avec un diplôme universitaire reconnu en histoire, d'un manque de critique, d'avoir accepté comme véridique les données relatives à la tradition de la dynastie des Banyiginya, d'avoir appliqué la notion de race  aux catégories sociales hutu, tutsi et twa, ....

 

            Certes, la science a évolué pendant ces dernières décennies et la clarté de certaines données historiques peut être donnée avec plus de précision. Dans le cas du Rwanda où la tradition orale constituait la seule source d'information jusqu'au début du 20e siècle, il serait scientifiquement malhonnête de dire que les travaux faits par les divers intellectuels rwandais et étrangers n'ont rien de scientifique. Il faut reconnaître qu'ils ont servi de matières premières pour les études postérieures dont les critiques faites par ces mêmes historiens dits de carrière. Par ailleurs, le manque de documents de confrontation pour certains faits historiques poussent ces historiens à les considérer comme des hypothèses à confirmer. Remarquons que ce manque de documents n'est imputable à personne. Le problème qui se pose est de savoir si, finalement, cette nouvelle génération d'historiens  aura ces documents. Et, en attendant, veulent-ils que l'histoire du Rwanda ne se limite que seulement à leurs recherches et que les données qu'ils ne sont pas à même ni de confirmer ni d'infirmer soient rejetées? Aucun rwandais ne connaissait mieux la généalogie des Banyiginya que les concernés eux-mêmes. Pour ces "experts du Rwanda", c'est une méconnaissance des réalités rwandaises qui conduit à leur malhonnêteté intellectuelle en mettant en doute les travaux antérieurs. Les rwandais qui ont eu à donner des IBISEKURU (généalogie) avant leurs mariages savent combien cet exercice est dur et qu'une personne étrangère à votre lignée ne peut pas s'en sortir mieux que vous (référence faite aux informateurs cités par Vidal). On peut surtout se demander pourquoi un intellectuel comme Vidal qui apparemment s'est intéressé au Rwanda depuis longtemps, a attendu la mort de Kagame et la diffusion de la nouvelle historiographie rwandaise par le FPR pour donner ses critiques. Contrairement à ce qu'elle affirme que, "..., les historiens ne sont au service d'aucune cause particulière"[12], la prise de position de ses confrères du CNRS (J. P. Chrétien, ...) dans le conflit rwandais laisse planer un doute sur le sérieux et la véracité des écrits de ces intellectuels. Force est de constater que ces derniers temps, les travaux sur le Rwanda de ce groupuscule d'experts sont confectionnés malheureusement avec passion. Par ailleurs, qualifier l'histoire du Rwanda de pseudo-histoire atteste un certain négativisme méprisant de Vidal envers le peuple rwandais. Cela revient à dire que le pays n'a pratiquement pas d'histoire. Ce raisonnement, qui vient pourtant d'un homme scientifique, n'a rien de dialectique. Le fait qu'un corps chimique n'a pas été encore découvert n'explique pas forcément qu'il n'existait pas ou qu'il n'existe pas. Plutôt que d'insinuer que le Rwanda n'a pas d'histoire, il serait judicieux de dire que son histoire  est mal connue. En effet, l'histoire écrite du Rwanda date dès la fin du dix-neuvième siècle. On peut donc affirmer, si on ne considère que l'histoire ne se limite qu'à l'écrit,  que son histoire est plutôt jeune.   

 

            Concernant les relations précoloniales entre hutu et tutsi (les batwa sont oubliés), C. VIDAL, dans son article[13] écrit: "Dans toutes les régions du Rwanda, les traditions généalogiques précisent que les premiers ancêtres de la lignée (situés en règle générale six générations avant celles d'informateurs nés vers 1900) ont défriché (kwica umugogo) la terre où vivent leurs descendants. Ces derniers se déclarent sans ambiguïté descendants d'ancêtres hutu ou bien d'ancêtres tutsi". Tout en étant pas historien de formation comme le veut Vidal, ce passage m'interpelle toutefois à ceci: "Dans toutes les régions du Rwanda, ...". On aimerait savoir ces régions puisque le peuplement du Rwanda ne s'est pas fait ni en même temps, ni par une même population. Est-ce que les divers mouvements de migrations ont été pris en compte? Par ailleurs, le raisonnement objectif  de cette dame qui recoupe d'ailleurs les anciens écrits, montre que "les hutu et les tutsi habitent le Rwanda il y a bien longtemps et que hutu et tutsi n'est pas l'invention de qui que ce soit". Par contre; Vidal affirme, à tort ou à raison, qu'à partir de 1725, hutu et tutsi se sont sédentarisé ensemble mais reconnaît ne pas savoir ni d'où venaient-ils, ni que faisaient-ils avant, ni dans quel conditions, ....

 

            En admettant que  ces recherches permettent de situer le problème hutu-tutsi à partir de 1725, est-ce-que cela voudrait dire qu'avant cette date les hutu, les tutsi et les twa n'habitaient pas au Rwanda? Non, puisqu'elle écrit elle-même que "à partir de cette date, les populations qui vivaient au Rwanda ont cessé de pratiquer une agriculture et un élevage itinérants". Ces populations ne peuvent donc qu'être hutu, tutsi et twa. Si cela est juste, pourquoi ont-ils cessé cette pratique? Rien n'est dit à ce propos. Tout cela a été confectionné pour contrarier la version selon laquelle les agriculteurs seraient arrivés les premiers et les pasteurs tutsi en second lieu. A la lumière de ce qui est dit plus haut, il serait mieux de recommander à certains chercheurs du CNRS de ne pas anticiper les affirmations hâtives. Les hutu, les tutsi et les twa pouvaient bien se sédentariser à la même époque tout en étant arrivés au Rwanda à des époques différentes, avec des origines et des modes de travail différents.

 

           

 

 

- La psychose nationale depuis le 5 Juillet 1973

            Depuis le 5 juillet 1973, date du putsch militaire qui a mis les assoiffés du pouvoir au trône, le Rwanda a été plongé dans une dictature militaire pourtant soutenue sans réserve par les pays qui se croient démocratiques. Afin de pouvoir gouverner seuls, l'ordre militaire fut élargi aux civils. La liberté céda la place à la terreur. Plusieurs anciens politiciens du sud du pays furent massacrés, mais il n'y eut aucune réaction de la part de ceux qui gouvernent le monde (les grandes puissances occidentales), particulièrement de l'ancienne puissance coloniale: la Belgique. Curieusement, même certains intellectuels rwandais témoins de ces massacres n'osent pas actuellement dévoiler la réalité. Ceci est d'autant plus inquiétant que certains soi-disants spécialistes occidentaux du Rwanda continuent de traiter de dictateur le premier président de la République - Kayibanda. Pourtant, c'est le président le plus démocrate que le pays ait jamais connu.

 

            Au lieu d'affronter avec lucidité l'un des grands problèmes  du pays - le problème socio-ethnique, le nouveau régime militaire opta de le camoufler. C'est ainsi que, manifester à haute voix que quelqu'un était d'origine tutsi était pris par le pouvoir Habyarimana comme une insulte, une atteinte à la dignité humaine et à la paix nationale. Effectivement, c'est dans cette paix camouflée que le noyau dur au pouvoir a pu profiter et faire tout ce qu'il voulait. Le problème hutu-tutsi fut ainsi anesthésié au profit non pas des intérêts généraux du pays, mais de la classe pillante au pouvoir. Il en sera de même du problème régional (problème entre le Nord et le Sud: ABAKIGA vs ABANYENDUGA), pourtant qui avait été à la base du coup d'état militaire de 1973 et dont l'acuité allait malheureusement en grandissant. Le pouvoir Habyarimana saura malicieusement exploiter tout cela au profit de ses intérêts propres. Ainsi, si les rwandais veulent d'une façon durable vivre en paix, ces deux problèmes à savoir le problème "hutu-tutsi" et le problème "kiga-nduga" devront être traités sans passion dans une conférence nationale.

 

             La deuxième République ainsi née ne va pas suivre et améliorer la politique de ses prédécesseurs afin de résoudre le problème des réfugiés. Il est à noter que la première République a toujours invité les réfugiés à rentrer, ce que les réfugiés tutsi jugeaient insuffisant. La raison avancée par les autorités de la seconde république comme principale obstacle au retour des réfugiés fut que le pays était surpeuplé. Cette situation va causer le mécontentement des réfugiés surtout que dans quelques pays d’accueil comme l’Ouganda, les autorités ne furent pas toujours favorables à leur hébergement.

 

             C’est le cas du régime du dictateur ougandais Amin qui va expulser les réfugiés rwandais dans les années 1980 et que la deuxième république ne pourra pas accueillir comme des ressortissants rwandais à part entière. Sous les conseils même de la communauté internationale (les puissances occidentales) qui avait une vision malthusienne du problème démographique  rwandais, ces réfugiés vont être bon gré mal gré rapatriés en Ouganda. C’est vraisemblablement à partir de ce moment que le problème des réfugiés rwandais est devenu assez délicat.

 

            Ayant trouvé un renfort du président ougandais Museveni (ex-maquisard) à côté duquel ils avaient combattu dans le maquis pour conquérir le pouvoir à Kampala, ils vont lancer une  nouvelle attaque contre le Rwanda en octobre 1990. Cette guerre, jugée par la majorité des rwandais comme une guerre ethnique sera assez meurtrière. Elle va durer 4 ans. Les anciens réfugiés tutsi vont prendre le pouvoir en juillet 1994. L’appui de l’Ouganda au Front Patriotique Rwandais avait une double face: d’abord Museveni les aidait en tant qu’ancien camarade du maquis, ensuite il voulait se débarrasser de la communauté des rwandais qui finalement étaient parvenu à occuper des postes importantes dans la vie de son pays. L’opposition ougandaise ne mâchait pas les mots quand il s’agissait de signifier à Museveni que ces postes devaient revenir aux ougandais.

           

            Un facteur important qui a fait basculer le pays dans l'anarchie, c'est l'événement du retour à la démocratie en 1991. Ce retour était exigée et soutenue par les bailleurs de fonds. Les partis politiques sont nés soudainement sur un fond ethnique, régional, ...., sans aucun projet politique valable de société. Cette situation était dominée par un esprit de haine et de vengeance de ces nouvelles formations politiques vis à vis de l'ancien parti unique le MRND. Cela s'expliquait par des scandales politiques et finançières monumentales (coup d'Etat de 1973 qui avait horriblement fait éliminé les leaders de la révolution de 1959, gestion de la chose publique comme un bien régional sinon familial, ...) que les fondateurs et les membres de ce parti s'étaient rendu responsables. Quant aux Forces Armées Rwandaises (FAR), elles étaient devenues une armée dont les officiers venaient presque d'une seule région (celle du président de la République), et soutenaient fermement le régime en place.

 

            Les jeunes partis politiques, qui ne spéculaient que sur des discours dont la forme était attrayante pour la population mais dont le fond était presque nul, vont vite se rendre compte qu'ils ne bénéficiaient pas du soutien de cette armée régionaliste. Cela constituait un handicap majeur pour ces formations politiques. C'est ainsi que pour contrer cette force militaire, certains partis politiques ou leurs factions (PL, PSD, MDR de Twagiramungu, ...) vont clairement se rallier aux forces extérieures, en l'occurrence le FPR, dont l'objectif avoué était de renverser le gouvernement Habyarimana par les armes. Les hutu et plus précisément la grande masse paysanne, n'y virent pas clair à temps. Cette alliance hâtive et contre nature ne sera pas sans danger pour le pays et sera même assez coûteuse. La sagesse rwandaise rappelle à ces ex-chefs des formations politiques que: INZIRA NTIBWIRA UMUGENZI, ce qui, traduit littéralement veut dire, "une route, si dangereuse soit-elle, n'avertit jamais le passager". Partout, les erreurs ne sont jamais admises, mais une erreur grave en matière politique se répercute négativement sur un ou plusieurs groupes sociales, si ce n'est pas sur tout un peuple. A bon entendeur, ...

             

            Depuis le début du conflit en 1990, les déplacés de guerre se sont comptés par milliers éparpillés à l’intérieur du pays. L'objectif des ennemis du Rwanda a été atteint dans la nuit du 6 avril 1994. En effet, l’attentat contre l’avion présidentiel survenu dans cette nuit, qui a coûté la vie aux présidents rwandais et burundais: Habyalimana et Ntaryamira va être le détonateur des massacres ethniques qui se sont vite étendus sur tout le pays. La prise du pouvoir à Kigali par les ex-réfugiés tutsi en juillet 1994 va amener en exil plus de trois millions de hutu dans les pays voisins surtout au Zaïre (Kivu) où l’on comptaient une plus grande partie de ces réfugiés. Les réfugiés de l’ethnie minoritaire (tutsi) venaient de rentrer tout en chassant les rwandais de l’ethnie majoritaire (hutu). Le problème des réfugiés rwandais était plus que jamais amplifié.

 

            C'est pourquoi, parmi les éléments socio-politiques susceptibles de jouer significativement sur le développement du pays, il faut insister sur la structure ethnique de la société rwandaise. En effet, selon l’expérience de la guerre déclenchée en 1990, la composante ethnique au Rwanda est à prendre en considération lors de la planification du développement. Tout entrepreunariat dans ce domaine exigera la paix et celle-ci ne peut être envisagée que dans la mesure où il y a un compromis entre les diverses ethnies rwandaises. Nous pensons que cet élément peut agir non seulement sur la structure et le volume de la production de l’économie nationale mais aussi déterminer le dynamisme et la viabilité relative du processus de développement. C’est pourquoi, dans le but de   réaliser ultérieurement un développement souhaité, le Rwanda devrait réorganiser et transformer les structures politico-sociales et économiques en vue de créer progressivement les conditions optimales pour une harmonie de son peuple. Vouloir nier qu'on est hutu, tutsi ou twa constitue donc un mauvais antécédent historique pour le développement du Rwanda de demain. Finalement, on a rien donné à Dieu ou au diable pour être hutu, tutsi ou twa. On doit donc l'assumer comme tel.

 

            La notion de développement d'un pays incorpore toutefois d’autres éléments comme la liberté. Les conditions actuelles dans la région des Grands Lacs imposent que dans la recherche de la réalisation de l’objectif de développement dans le long terme, on s’engage à garantir la liberté au citoyen, condition sans laquelle tout risque d'être voué à l’échec.

 

 

 

 

- Les droits de l'homme et la république du FPR

            Jusqu'en 1962, année où le Rwanda a recouvré son indépendance, les droits de l'homme n'ont jamais été une préoccupation importante des autorités du pays. Le roi- MWAMI, avec son pouvoir absolu, régnait seul sur tout le pays où toutes les personnes et les biens lui appartenaient. Les autorités coloniales ne furent guerre plus progressistes, puisque leurs intérêts semblaient plutôt être plus orientés vers le côté économique que sociale. Comme nous l'avons fait remarqué dans le chapitre de l'évolution socio-économique du pays, les hutu furent longtemps, des victimes du régime absolu des tutsi. Les revendications des hutu pour un régime plus démocratique aboutirent avec la révolution de 1959 et l'avènement de la première république. Pourtant, l'avènement de la seconde république va porter un coup dur aux droits des rwandais. La consécration du régime militaire de Habyarimana par les gouvernements occidentaux fut un pas en arrière en ce qui concerne la liberté du peuple rwandais. Tous les rwandais furent, de fait, les membres du nouveau parti unique, le MRND. Le droit à la parole fut aboli. Comme dans tous les Etats autoritaires, le pays venait d'avoir un parent: "le père de la nation" en la personne de Habyara.... Cette situation va perdurer jusqu'en 1991 avec l'acceptation des nouveaux partis politiques d'opposition.

 

            La naissance du multipartisme va s'accompagner de la liberté de la parole. La presse écrite va jaillir sur tout le pays comme des rayons du soleil et des dizaines de journaux vont voir le jour presque en même temps. Afin de pouvoir dénoncer les méfaits du régime, plusieurs organisations des droits de l'homme vont naître. Ces organisations étaient apparentées, directement ou indirectement, à l'une ou l'autre parti politique. Leur liberté en matière de dénonciation était ainsi plus ou moins limitée et orientée selon leurs mouvances politiques. Ce manquement était toutefois comblé par la pluralité de ces organisations. De ce fait, elles étaient indépendantes les unes des autres, ce qui rendait plus ou moins efficace leur travail sur le terrain.

           

            L'attaque du pays par des éléments tutsi venus d'Ouganda mit de l'huile sur le feu. Plusieurs tutsi de l'intérieur du pays furent considérés, à tort ou à raison, comme des conspirateurs du régime Habyarimana. Le pouvoir en place va les arrêter et parfois des bavures contre les droits de l'homme seront constatées. Plusieurs organismes non gouvernementales vont dénoncer tous ces abus. Des commissions internationales seront même formées à cet effet. Elles vont constater les réalités sur le terrain et des rapports de dénonciation vont être publiés entre autre par Amnisty International. Le fait de laisser ces organisations des droits de l'homme travailler librement sur tout le territoire national paraît, à notre entendement, comme un moyen de laisser agir les autres, comme une expression d'une certaine liberté. Malgré les vingt ans de règne sans partage et malgré tous ses abus, le pouvoir Habyarimana commençait, même si c'était à petit pas, à se démocratiser. Il fallait, per fas et nefas, continuer dans cette ligne et essayer d'éviter la guerre. Maintenant que la guerre d'agression menée par les inyenzi-inkotanyi est presque terminée; que le pouvoir dictatorial de Habyarimana a été écartée et qu'un nouveau pouvoir est en place: avec un petit feed back, il y a lieu de juger l'action politique de nos responsables d'hier et d'aujourd'hui. S'il y avait à choisir, la majorité du peuple rwandais préférerait ce pouvoir dictatorial au lieu du pouvoir actuel. En se référant sur les conséquences de cette guerre sur le Rwanda, le choix deviendrait encore plus clair et presque unanime. Plus clair encore serait la comparaison des bavures des droits de l'homme sous les deux républiques. Le régime dictatorial de Habyarimana risquerait d'être blanchi.

 

            La troisième république (république FPR) est née dans un contexte de victoire militaire des inyenzi-inkotanyi. Elle a directement évolué dans des tensions de lutte interethnique que ses leaders avaient eux-mêmes activées. Cette victoire militaire de la minorité tutsi et de leurs alliés a jetté en dehors du pays une partie importante de la population hutu. Un régime oppressif et sanguinaire s'installa de nouveau à Kigali. La liberté d'expression fut d'office abolie. Les mauvaises habitudes du régime politique précédent furent renforcées. Tous les hutu furent considérés comme des génocidaires et donc des ennemis déclarés du nouveau régime. Si un hutu était appréhendé comme un opposant politique, tout son village était menacé d'être anéanti. Des exécutions sommaires et des détentions arbitraires et sans jugement caractérisèrent ce régime. Hormis les organisations affiliées au FPR, les autres organisations des droits de l'homme furent chassées. Malheureusement, certaines organisations non gouvernementales continuent de rendre un service délicat au FPR. C'est le cas d'African Rights dont le fondateur "Rakya Omaar", à juger par ses propos est devenue un véritable inyenzi-inkotanyi. Son organisation, au lieu de rester neutre dans le conflit rwandais et s'occuper véritablement des droits de l'homme a été récupéré par quelques types qui charment cette jeune femme. C'est ainsi que Rakya s'occupe de la nuisance des droits de quelques individus que le FPR juge indésirables. Pourtant, les médiass occidentaux n'en parlent presque pas ou en parlent avec passion. Monsieur Higiro[14] appelle de telles organisations ainsi que d'autres acteurs soucieux des droits de l'homme au Rwanda de revenir à la raison en ces termes: "Quiconque veut aider les rwandais à vivre ensemble doit réaliser que toute violation des droits des citoyens rwandais (exécutions sommaires, arrestations arbitraires, détentions sans jugement, traitements inhumains, ...), commise et tolérée au nom du génocide des tutsi, fait partie d'une stratégie d'un régime oppressif pour se maintenir au pouvoir".

 

            Une république guerrière: la défaite des FAR (Forces Armées Rwandaises) et la reconnaissance par la communauté internationale du génocide va faire du Rwanda-tutsi un enfant rebelle et gâté. Profitant de l'attitude ambigue de cette communauté à l'égard des conflits qui déchirent notre globe, le nouveau pouvoir tutsi va se distinguer par des actes guerriers surtout envers son voisin de l'OUEST. A l'instar de leurs pères monarchiques, les tutsi de Kigali avec leurs congénères de Kampala, vont vouloir étendre leur domination sur tous les pays des Grands Lacs. C'est ainsi que, appuyés par les Etats Unis d'Amérique (USA), ils vont chasser Mobutu du pouvoir et installer à Kinshasa un régime fantoche de Kabila.  L'agression d'un pays souverain, membre de l'ONU, devait normalement être condamnée et même militairement stoppée par la communauté internationale. Cela ne fut pas le cas. Dans la suite (1998), la volonté manifeste des tutsi ougandais et rwandais d'occuper l'ancien Zaïre va entraîner le Congo dans une spirale de guerre d'agression sans fin. Le prétexte avancé était le problème des tutsi zaïrois (abanyamurenge) qui, semble t-il, étaient menacés. D’une part, le rêve tutsi de créer un empire hima en Afrique centrale était, en réalité, la cause de la guerre d'agression déclarée contre Kabila en septembre 1998. Mais, de l’autre part, le rêve américain de dominer et exploiter l’Afrique des Grands Lacs allait se concrétiser. Ce conflit guerrier va ainsi impliquer plusieurs des pays de cette région africaine. Les objectifs guerriers des dirigeants tutsi de Kigali et de Kampala eurent une incidence grave sur l'économie de ces pays. Leurs peuples respectifs continuèrent de vivre dans la misère alors que l'armement se perfectionnait. La stratégie expansionniste des dirigeants tutsi de Kigali et Kampala à l'aube du 20e siècle rappelle la politique de plusieurs rois du Moyen Age. Ces pays devraient comprendre que bientôt nous serons au 21e siècle et que la stratégie de la prospérité par l'annexion a été révolue.

 

            En jetant un petit coup d'oeil sur la région des grands lacs, on remarque que tous ces pays vivent dans des guerres. L'Ouganda et le Burundi connaissent des rébellions qui viennent de passer plus d'une dizaine d'années. Les médias ne parlent plus de la guerre au Rwanda, mais chaque jour emporte des vies humaines. Le Congo connaît une agression des trois pays précédents. Plus précisément, il est devenu le théâtre des combats entre les grandes puissances qui convoitent le sous-sol de ce riche pays. Les pays montrés du doigt ne sont que leurs pions. Dans tout cela ce sont les peuples respectifs de ces pays qui continuent de souffrir. Ils sont en train de payer une lourde facture de ce qu'ils n'ont pas consommés. Au centre de tout cet imbroglio, c'est Museveni qui joue le sale jeu. La communauté internationale devrait l'identifier et le juger comme tel. Tout en continuant d’être protégé par certaines puissances occidentales, il continue de causer plusieurs dégâts matériels et surtout humains. Les survivants continuent de vivoter. Comme le disait le père J. Wrésinski, "Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l'homme sont violés". Pendant tout ce temps, le FPR continue d’occuper une certaine partie du Congo. Au mois de juin 2000, les agresseurs du Congo se sont même affrontés à Kisangani, tuant plusieurs milliers de civils. Pourtant la communauté internationale, même l’OUA, ne veulent pas dénoncer ouvertement ces envahisseurs d’un pays libre et indépendant. Au contraire, les aides continuent de venir soutenir le Rwanda pauvre du FPR et cela sous le paravent qu’il y a eu un génocide. Cela est corroboré par les données parues dans l’article de J. Diana: « Pendant qu’on endort le Congo, la communauté internationale aide le Rwanda ». Les exemples suivants y sont cités : 

 L'Union européenne a accordé une aide de plus de 153 millions de Euro, dont 110 millions libérés immédiatement.* Le Fmi fait bénéficier au Rwanda le programme ESAF pour un montant de 9,25 millions de DTS. Le même programme a été refusé au Zimbabwe à cause de son implication dans la guerre au Congo. * Le Congo  elle-même n'a droit qu'à des larmes de crocodile à travers une aide humanitaire hypocrite.

Où le Rwanda trouve-t-il de l'argent pour soutenir la guerre au Congo et améliorer en même temps son économie ? Beaucoup refusent de se poser cette question dans une situation pourtant flagrante. Par contre, tout le monde parle du Zimbabwe qui serait ruiné par la guerre au Congo. Comment le Zimbabwe, plus pourvu que le Rwanda peut-il se ruiner pendant que Kigali sent à peine le poids de la guerre ? Cette question aussi, personne ne se la pose. Pour empêcher que les hommes lucides y réfléchissent, on a trouvé une explication absolue. Le Rwanda trouverait les moyens de faire la guerre au Congo même en exportant les richesses de ce pays. Cette thèse est largement présentée dans des médias occidentaux. Là encore, on ne va pas plus loin. Car, d'autre part, le Zimbabwe est aussi accusé de se servir au Congo. Où est la vérité dans tout cela ? On ne le dira jamais assez, la communauté internationale toute entière mène la guerre contre le Congo. Quand on dit que le Rwanda ne donne nullement le visage d'un pays en guerre, ce ne sont pas de déclarations en l'air. Ce pays, en 1997, était le pays du monde le plus dépendant de l'aide extérieure. Et cela en terme d'aide extérieure officielle pour le développement par rapport au Pnb. Soit 32%. Aujourd'hui, selon l'agence Reuters, l'aide extérieure représente 45% du budget du Rwanda pour l'exercice 1999. Il n'y a aucun doute que l'aide de la communauté internationale au Rwanda a repris, sinon plus au moins doublé au lendemain du déclenchement de la guerre au Congo. C'est avec cette aide notamment que le Rwanda a pu faire face à ses obligations au Fmi et à la Banque mondiale. On cite plus particulièrement l'aide que la Suède, le Royaume Uni et le Pays-Bas ont accordée dans le cadre de l'aide bilatérale.

Le Rwanda préféré au Zimbabwe

En plus de toutes ces aides, le Rwanda a également bénéficié du programme ESAF (facilité d'ajustement structurel élargie) du Fmi en 1998 et en 1999, soit un montant de 9,25 millions de DTS. Le même montant lui a été accordé en mars 2000. Tout le monde sait que le Fmi avait refusé le même programme au Zimbabwe à cause de son implication dans la guerre au Congo. On pénalise un pays appelé au secours et qui est venu sauver la souveraineté d'un autre pays, tout en protégeant et soigner aux petits œufs celui qui a imposé la guerre. Cela veut clairement dire que le Rwanda avait le droit d'agresser le Congo mais le Zimbabwe n'en avait aucun pour venir à son secours. La Banque mondiale, quant à elle, a accordé au Rwanda deux prêts importants entre juillet 1998 et juillet 1999, soit un montant de 75 millions de $Us. L'aide avait pour motif, le renforcement des communautés locales. Tous les spécialistes en matière d'aide de la Banque mondiale savent que ce montant dépasse la hauteur de l'aide à laquelle le Rwanda avait droit en cette matière. La Banque mondiale s'est trouvée une explication pour justifier cette largesse. Pour elle donc, la raison est à chercher dans "le statut spécial accordé au Rwanda afin de lui permettre une transition rapide vers la paix et le développement". Le Royaume Uni quant à lui, dans le cadre de l'aide bilatérale, et sur base de l'accord du 12 avril 1999 entre lui et le Rwanda, à fait bénéficier à ce dernier une aide budgétaire de 55 millions de livres pour une période de dix ans. Le Japon n'est pas en reste car ayant reéchelonné la dette rwandaise pour un montant de 8,25 millions de $US. Le 27 août 1998, quelques semaines après le déclenchement de la guerre, le Pays-Bas consentait à une aide de 6,7 millions de $Us au "Trust Fund" du PNUD pour le renforcement des infrastructures scolaires du Rwanda.

Pendant que l'Union européenne endort le Congo avec des préceptes qu'elle n'accepterait pas elle-même en cas d'agression, elle met le paquet pour aider le Rwanda à résister devant le Congo. En mars 2000, l'UE a accordé au Rwanda une aide de 157,5 millions d'Euro, soit 7,25 milliards de F.B dans le cadre de la reprise de l'aide structurelle. De ce montant, 110 millions d'Euro ont été libérés immédiatement. L'UE, déclare, pince-sans-rire que cette aide va aider à la consolidation de la démocratie, aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. Dieu seul sait si le Rwanda est déjà engagé dans un quelconque processus de démocratisation. On se demande également si le Rwanda s'est déjà engagé dans le respect des droits de l'homme. Les différents massacres que l'armée rwandaise commet au Congo n'ont aucun sens pour l'Union Européenne. Tous les Hutu qu'on entasse dans des prisons rwandaises sans jugement sont une explication à l'aide de l'Union Européenne. Bien plus, l'Union Européenne dit que son aide va servir à la stabilité de la sous-région. Le Rwanda en agressant le Congo, assure cette stabilité de la région des Grands Lacs, à en croire les insinuations de l'Union Européenne. Dans cette guerre, tout est clair que les agresseurs de le Congo ont les faveurs de la Communauté internationale. On peut évoquer le cas de l'Ouganda que comblent le FMI et la BM. Pendant ce temps, les alliés du Congo ont droit à une propagande malveillante et le Congo elle-même, à des larmes de crocodile qui coulent difficilement à travers une aide humanitaire perfide et hypocrite.

- L'image du tribunal international pour le Rwanda

            Le problème des massacres interethniques au Rwanda, couplé avec la disparition éhontée et programmée des responsables politiques de la 1ère République, nous renvoie au problème de l’impunité qui a caractérisé le pays. En effet, il y a lieu de se demander toute une série de questions. Pourquoi les commanditeurs des massacres ethniques de 1973 n'ont jamais été interpellé par la justice? Pourquoi et comment a-t-on jugé les autorités de la 1ère république? Qui va juger tous les actes inhumains et barbares commis par la Garde Présidentielle et les milices en avril 1994? Qui va juger avec toute impartialité les crimes contre l'humanité commises par le FPR (Front Patriotique Rwandais) depuis le début de la guerre en 1990? Qui va rendre justice à plus de 300.000 hutu *, victimes des massacres du FPR depuis la prise de Kigali en juillet 1994 jusqu'en juillet 1995? Qui va s'occuper des disparitions perpétrées par le FPR depuis sa victoire jusqu'à ce jour? Qui va juger les envahisseurs d'un pays souverain (Rwanda) par une armée étrangère appuyée matériellement, moralement et surtout financièrement par un président d'un autre pays indépendant: Museveni?

 

            S’il est juste que les meneurs des massacres d'avril 1994 doivent être jugés, on voit mal par ailleurs comment un tribunal international pour le Rwanda contribuera, tel qu’il est conçu actuellement, à réconcilier les hutu et les tutsi. Presque tous les hutu, ont été à tort et à travers, considérés par le FPR et ses médiass occidentaux, comme seuls responsables du passé alors que le rôle de l'envahisseur dans ce conflit n'est jamais évoqué. Ainsi par exemple, plusieurs arrestations des hutu faites par le tribunal ne relèvent d'aucun acte d'accusation pour les soutenir. Les actes d'accusation sont confectionnés après les arrestations et encore sur proposition de l’autorité FPR. Une telle approche qui consiste à soutenir le FPR dans ses arrestations et détentions arbitraires procède de la pure injustice et ne vise qu'à nuire certains individus visés par le pouvoir minoritaire de Kigali. Ce tribunal est, du moins pour le moment, un instrument d’une partie et contribue à l’aggravation de la crise actuelle. Vox populi, vox Dei. Peu reste donc à attendre de ce tribunal international, dont le mandat a été trop restreint dans le temps et dans ses actions (ses actions ne couvriront que la dernière période de la guerre seulement, soit l'année 1994). Il ne pourra pas aborder ainsi le problème d'invasion du Rwanda par un pays voisin, ce qui est primordial dans le conflit rwandais. Voici ce qu'a écrit un éminent juriste américain John PHILLIPOT ** (Secrétaire Général de l'Association des Juristes Américains: organisme qui a un statut consultatif à l'ONU) à propos de ce tribunal: "il n'est ni indépendant, ni impartial, ni permanent. ... il ne reflète nullement un consensus international qui proviendrait d'un vote à l'Assemblée Générale de l'ONU. C'est un Tribunal du vainqueur créé par le Conseil de Sécurité à la demande de la partie victorieuse ....". C’est dans le même ordre d’idées que le rapport Carlsson, pourtant rédigé sur commande de l’ONU, a disqualifié le TPIR. Le TPIR a été créé par le conseil de sécurité de l’ONU. Pourtant, ce conseil n’a pas les compétences requises pour créer un tel tribunal. A notre avis, les jugements prononcés par ce tribunal devraient être pris avec plus de réserves. Dans l’optique d’une justice juste reconnu par tous, nous devons envisager dores et déjà la possibilité de leur révision.

 

            L'invasion (la guerre) du Rwanda a été préparée en Ouganda. Elle fut conduite sous la bannière des réfugiés avec la participation à peine voilée de l'armée ougandaise. Cela est en violation grave des principes du droit international liant les deux pays. Par ailleurs, selon l'art. III, paragraphe 2 de la Convention de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) de 1969 relative à la problématique des réfugiés en Afrique, les Etats membres se sont engagé "à prendre des dispositions afin d'empêcher aux réfugiés installés sur leurs territoires d'attaquer tout Etat membre ou de se livrer à des activités pouvant créer des tensions...". Ces dispositions ont été ignorées par le Conseil de Sécurité de l'ONU qui a parrainé la création de ce tribunal pénal pour le Rwanda. Pourtant, le droit international inclut les crimes de planification et la conduite des guerres d'agression dans le cadre du Tribunal de Nuremberg. Apparemment, un second tribunal ayant comme objectif de dévoiler tous les problèmes de fonds à la base de la tragédie rwandaise devra tôt ou tard être créé. Il se pencherait alors sur la responsabilité des divers acteurs dans la tragédie nationale. A titre d'exemple, on pourrait citer:

· Le MRND et l'Akazu*** :

            - La boulimie impudente du pouvoir

Cette soif a commencé en 1973 avec l'interdiction radicale du parti du peuple "le mouvement démocratique républicain PARMEHUTU (MDR Parmehutu)". Cette malheureuse interdiction suivie par la disparition éhontée de plusieurs personnalités politiques est l'une des causes de la tragédie qu'a vécue la grande masse paysanne HUTU après la victoire du FPR en 1994. Dans les faits, les hutu ne se reconnaissaient nulle part alors que les tutsi se reconnaissaient à travers les organisations des réfugiés. De plus, les rwandais ont été écarté de la politique. Seule la famille présidentielle et quelques acolytes dirigeaient le pays. Le massacre de responsables politiques de la première république, dont la plupart avaient pourtant lutté corps et âme pour l'indépendance nationale, fut un crime grave perpétré par Habyarimana et ses camarades du 5 Juillet*. Le problème de la succession de Habyarimana par un apolitique était alors indirectement posée. La lutte pour sa succession durant la courte période de la démocratisation des institutions nationales des années 1990 montre bien les faits. Sa succession après sa disparition par "un enfant rebelle de l'AKAZU" s'inscrit également en partie dans la même logique. En préparant l'attentat contre le président, le FPR avait bien exploité cette situation. Il savait bien que la réussite de cette opération l'amènerait à sa victoire militaire et donc à la succession de Habyarimana.

            - blocage volontaire du processus de démocratisation et des accords d'Arusha,     etc.

 · Les responsables des partis politiques dits "Force Démocratique pour le Changement"

            - mauvaise conduite et gestion de la situation de guerre (confusionnisme entre un conflit interne et externe);

            - manque ou peu de patriotisme entraînant une primauté des intérêts individuels avant les intérêts de la masse paysanne, et cela pendant la guerre, etc.

· Le Front Patriotique Rwandais

            - conduite d'une guerre meurtrière interminable comme option privilégiée et ses conséquences, etc.

C' est ce tribunal impartial qui devra mettre fin à l'impunité. Ce sera alors le début de la vraie reconstruction du pays et de la réconciliation nationale.

 

           

 

- Génocide des tutsi et/ou des hutu: interprétation malsaine des faits ou mauvaise foi des médias.

            Le déroulement de la guerre qui a secoué le Rwanda peut se subdiviser en plusieurs phases:

- la première phase date d'octobre 1990. Pendant cette phase, le Front Patriotique Rwandais (FPR - organisation militaire formée essentiellement par les tutsi en exil) soutenu par d’autres forces diaboliques dont la NRA (National Resistance Army - armée ougandaise) pensait mener une guerre éclaire. En même temps, il mena une propagande de sensibilisation de la population rwandaise à l'intérieur du pays à ses idéaux. Cette propagande fut un échec. C'est justement suite à cet échec de sensibilisation que les massacres des civils hutu innocents ont commencé. Tous ceux qui n'épousaient pas son idéologie étaient coupables. La phase se solda par un échec du FPR sur le front militaire. Cette attaque, qui coïncida avec le début de la démocratisation du pays, fut l'occasion pour le régime Habyarimana de se débarrasser des alliés du FPR. C'est ainsi que par exemple certains Bagogwe - tutsi considérés comme congénères du FPR, furent sauvagement maltraités. De même, certains hutu qui se réclamaient de la mouvance de l'opposition démocratique reçurent le même sort.

 

- la seconde phase date de février 1993 où le FPR a changé de tactique militaire par des bombardements massifs au catiousha ainsi que par l'assassinat des personnalités politiques rwandaises *. C'est pendant cette période que commença la vraie destruction du pays (bombardements des centrales hydroélectriques, etc.). Les massacres des populations civiles hutu s'intensifièrent. Suite à ces massacres commis par le FPR, il y eut un mouvement massif des déplacés de guerre dans les préfectures de Byumba et de Ruhengeri vers l'intérieur du pays (plus de 500.000). Ces déplacés arrivèrent aux portes de la capitale - Kigali (camp des déplacés de Nyacyonga).

 

- la troisième phase: c'est à partir du 6 avril 1994. La mort des présidents rwandais et burundais HABYARIMANA et NTARYAMIRA fut le détonateur des massacres dans tout le pays. La milice du parti du président tué Habyarimana (les interahamwe), soutenue par la garde présidentielle, s'en est pris aux tutsi mais aussi à tous les hutu jugés de conspirateurs dans cette guerre. En même temps, le FPR, qui semble être le vrai auteur de l'attentat qui a coûté la vie aux deux présidents, avait déjà alerté ses troupes. Chemin faisant, l'avancé de ses troupes vers Kigali directement après l'explosion de l'avion présidentiel s'est distingué par l'extermination de plusieurs milliers de civils hutu. A Kigali même, plusieurs familles hutu (hommes, femmes et enfants) furent exterminés[15] par les éléments du FPR. En attendant la proclamation officielle du nouveau gouvernement de transition, un contingent FPR fort de 600 personnes avait été installé officiellement dans le bâtiment du parlement (CND). Selon l'accord qui avait été signé entre le gouvernement rwandais et le FPR, ce bataillon était normalement chargé de garder les officiels du FPR venus à Kigali pour l'occasion.

 

             Il est à remarquer qu'après la victoire du FPR en juillet 1994, les massacres à grande échelle des hutu se sont poursuivis. Cette épuration ethnique intervenant sous couvert de l'émotion provoquée par les massacres des tutsi en avril 1994 a été passée sous silence par la communauté internationale qui n'a pas voulu mettre en place une commission d'enquête. Seul le rapport Gersony, sorti en septembre 1994, a voulu attirer l'attention internationale sur l'extermination de plusieurs civils hutu à l'intérieur du pays. Il a ouvertement accusé le FPR de génocide et de crimes contre l’humanité. Pourtant, ce rapport a été frappé par un embargo malgré que cette mission ait été menée sur recommandation de l'ONU. Sans parler du génocide des hutu opéré au Zaïre en 1996, les plus graves massacres survenus à l'intérieur du Rwanda sont ceux de Kibeho en avril 1995 où, pendant une opération sanguinaire programmée, plus de 4.000 hutu réfugiés (selon Médecins sans Frontières) furent froidement abattus par les soldats du FPR. Alors que sous l'ordre militaire du FPR, la plupart des corps des victimes avaient été cachés et/ou enterrés dans des fosses communes pendant plusieurs nuits, le président Bizimungu va lui-même dénombrer jusqu'à 338 tués, délaissés sur les lieux quelques jours après ce monstrueux carnage. L'image la plus terrifiante et la plus saisissante de Kibeho restera celle de cette malheureuse femme jetée dans la fosse commune avec son bébé sur le dos alors que plusieurs autres enfants, certainement grièvement blessés, se mouvaient au milieu des autres cadavres. 

 

            D'autres lieux resteront pour toujours dans la mémoire des rwandais. Il s'agit entre autres de Masaka (commune Kanombe), Gabiro, forêt du Groupe Scolaire de Butare, et de plusieurs autres lieux cachés et interdits aux civils et étrangers où le FPR brûlait les civils hutu et les enterrait dans des fosses communes. Les gens arrivaient vivants, on les faisait l'ingoyi (le ligotage des coudes dans le dos) et on les tuait de coups précis sur l'os frontal du crâne à l'aide d'un marteau, d'une massue ou d'une vieille houe[16]. Par ailleurs, plusieurs civils hutu sont morts, asphyxiés dans des containers hermétiquement fermés. Ces containers étaient volontairement exposés à la chaleur du soleil. Jusqu'à présent, cette méthode de torture des hutu est encore utilisée dans le pays. Pourtant, presque tous les médias et les autres défenseurs des droits de l'homme ont laissé passer cette situation sous silence, comme si l'homme hutu ne valait pas autant que son homologue tutsi. Ici, il y a lieu de se demander comment les experts d'Amnesty International, qui se sont donné le travail d'exhumer certains corps, ont pu distinguer si les os trouvés étaient hutu ou tutsi, et plus grave encore, si l'individu avait été tué par les interahamwe ou par le FPR. Ceci est d'autant plus important que les deux antagonistes utilisaient presque les mêmes moyens d'extermination. Il y a aussi et surtout  lieu de se demander le bien-fondé du silence inhabituel d'African Human Rigths, dont la présence sur le terrain a été toujours sans aucune restriction.

 

            C'est pourquoi, les gens qui connaissent le Rwanda ont parfaitement raison de se poser plusieurs questions.

-          Quelle est  la responsabilité (dans cette guerre) de celui qui a agressé et attaqué le Rwanda  en octobre 1990, alors réputé comme pays de paix?

-          Quelle est  la responsabilité des pays comme les USA, la Belgique, …. Dans ce conflit ?

- Qui a tué les deux présidents du Rwanda et du Burundi et à qui profitait ce crime ignoble?

- Pourquoi la communauté internationale a classé ce crime particulièrement odieux comme un crime normale? Elle semble déjà avoir clôturé cette affaire.

- Parmi les deux grands antagonistes dans ce conflit (hutu et tutsi), qui a perdu plus d'hommes (civils massacrés par les militaires) et pourquoi?

- Est-il objectif de décrier le génocide des tutsi seulement ou est-il plus logique de parler de génocide des hutu et des tutsi?

 

            De toutes les façons, s'il y a eu un génocide, il a touché toute la population. Sur ce, on peut même se demander comment peut-on être victime d'un génocide et gagner en même temps une guerre. Parler de génocide revient à affirmer, non seulement, l'existence des coupables, mais aussi des victimes. C'est pourquoi, une telle lecture des événements d'avril 1994 peut permettre non seulement d'identifier les martyrs, mais aussi et surtout les responsables. Or, les responsables et les victimes se trouvent des deux côtés. Ils sont hutu, mais aussi tutsi. La terreur a été bidirectionnelle pendant les massacres de 1994, d'où la raison à ceux qui pensent au double génocide. Elle est même devenue à sens unique après la victoire du FPR. En effet, l’équipe du rapporteur des Nations Unies sur les éxactions commises par le FPR au Zaïre, Roberto Garreton a dénombré entre vingt mille et cent mille cadavres des hutu tués. Pourtant, sa libre circulation sur le sol zaïrois avait été restreinte tellement qu’il a même dû quitter précipitamment ce pays. Sous la pression des USA, le terme génocide qui avait été utilisé pour qualifier cette sale besogne du FPR a été remplacé par « massacres »

 

            Concernant la mort des deux présidents rwandais et burundais, plusieurs spéculations circulent, souvent même dans le seul but de brouiller les pistes. C'est pourquoi, bien que je ne sois pas mieux placé pour répondre à cette question, rien ne m'empêche de donner une analyse, si petite ou incomplète, pour essayer d'éclairer le noeud du problème. Deux hypothèses les plus probables ont été avancées. L'une incrimine le "noyau dur" du pouvoir Habyarimana et l'autre met directement sur les sellettes le "FPR".

 

            Concernant la première hypothèse du noyau dur, les tenants de cette variante l'appuient en rappelant que le président Habyarimana et son entourage le plus dur (AKAZU) avaient bloqué la mise en place des institutions de transitions pour que les accords d'Arusha ne restent que lettre morte. Selon eux, comme Habyarimana risquait de mettre en oeuvre ces accords, il fallait à tout prix l'éliminer. De prime abord, le raisonnement semble cohérent. Mais, pour quelqu'un qui connaît les anciennes personnalités politiques rwandaises, de telles affirmations perdent vite leur sens. En effet, qui constituait ce noyau dur (AKAZU) qui a trahi le peuple rwandais et qui ne voulait absolument pas lâcher le pouvoir? Ceux qui ont vécu au Rwanda et qui connaissent l'AKAZU vous diront que les grands manitous* de l'AKAZU sont morts dans l'avion présidentiel en même temps que le Président Habyarimana. Les membres de l'AKAZU n'étaient pas aussi drôles jusqu'à se couper les bras et les jambes pour mieux affronter l'ennemi! Ainsi, la mort des grands leaders de l'AKAZU n'est certainement pas à mettre sur le dos des responsables proches du président tué, il faut chercher ailleurs. Cinq ans après le changement du pouvoir à Kigali, il y a lieu de se demander pourquoi les nouvelles autorités de Kigali ne veulent pas du tout entendre parler de l'enquête y relative. L'affaire a été classé sans suite malgré son importance dans l'éclaircissement du drame rwandais.

 

            Il faut se souvenir que ce n'est pas pour la première fois que le FPR commettait des meurtres politiques et que les comptes étaient portés aux autres acteurs politiques rwandais (cfr. mort de GATABAZI F. et de GAPYISI E.). En faisant un petit feed back relatif à la mort de cet ancien ministre des travaux publics (GATABAZI) et qui était également premier vice-président du parti PSD, on se rend compte qu'il a été abattu dans les mêmes conditions que le président Habyarimana. Sa mort, qui au début a été porté à tort et à travers sur le compte d'un autre parti politique, la CDR, a causé beaucoup de troubles dans le pays, entraînant même la mort du président de ce parti (BUCYANA). Actuellement, il semble de plus en plus clair que cet assassinat émanait du FPR. Les ressemblances de ces deux attentats font croire que ces actes odieux s'inscrivent dans la logique d'un même auteur.

 

            Il faut se rappeler également qu'avant la guerre de 1990, le Rwanda était l'un des pays africains les mieux côtés par la communauté internationale en ce qui concerne la bonne gestion du pays. Malgré cette côte, la guerre médiatique menée par le FPR déjà en 1991 faisait croire que le Rwanda était un démon. De telles manoeuvres, que le FPR opérait sous l'oeil des médias corrompus, lui sont propres et présentement n'étonnent plus personne. A moins que ceux qui avancent cet argument ne disent que le noyau dur du régime était constitué par d'autres éléments jusqu'à présent non connus, cette hypothèse semble de toute vraisemblance moins plausible.

 

            Quant à la seconde hypothèse qui incrimine le FPR, ses tenants partent du fait que le FPR avait crié haut et fort, même sur les ondes de sa radio Muhabura, que leur ennemi n° 1, c'était Habyarimana et qu'il fallait l'éliminer. Ceci est renforcé par le fait que Habyarimana était devenu, dans son empire dont il était le dictateur, comme le seul représentant politique valable du Rwanda et que sa disparition signifiait un vide politique que seule une victoire militaire pouvait combler. C'est ce qui s'est produit. Rappelons que cette victoire militaire était tant convoitée par le FPR. C'était son objectif numéro un. Le FPR avait donc tout intérêt à mettre ce plan en exécution d'autant plus que sa présence militaire dans Kigali, renforcée par des infiltrations massives et par un appui déguisé des Etats étrangers, lui accordait une suprématie militaire notoire. De plus, la présence de son armée tout près de l'aéroport où a été descendu l'avion présidentiel, augmente la probabilité de cette hypothèse.

 

            Le silence qui entoure la mort du président HABYARIMANA cache la réalité de la cause de la tragédie rwandaise. Plusieurs indices intéressants existent, mais personne ne veut aller plus loin (mort de casques bleus tués, leur nombre, avion belge équipé d'antimissiles qui a survolé l'aéroport avant l'attentat, propos de Willy Claes lors de sa dernière visite officielle au Rwanda en tant que ministre des affaires étrangères devant le président "il est minuit moins cinq", etc.). A ce propos, les détenus d'Arusha écrivent: "Le nombre de casques bleus tués à Kigali reste mystérieux malgré la commission parlementaire belge qui devait élucider ce problème. D'ailleurs, un représentant des familles des casques bleus tués a déclaré devant la commission sénatoriale: « Lorsque nous avons rencontré le premier ministre, il nous a expliqué que la recherche des responsabilités risquait d’engendrer des problèmes politiques qui pourraient aller jusqu’à faire tomber le gouvernement. Il ne pouvait pas aller si loin. » Ainsi plusieurs témoins oculaires avancent un nombre supérieur à dix, accréditant ainsi la thèse selon laquelle l’avion présidentiel a été descendu par les mercenaires complices du FPR[17]."

 

            Plusieurs enjeux dans cette guerre n'ont pas encore été bien élucidés. Le conflit n'était pas seulement hutu-tutsi (nous allons le voir dans les chapitres qui suivent), mais impliquait plusieurs nations étrangères avec des objectifs à peine camouflés. Malheureusement, plusieurs tutsi qui vivaient à l'intérieur du Rwanda et non ceux qui avaient attaqué le pays ainsi que les hutu en ont été victimes. Les hutu, même après la victoire du FPR, ont continué de vivre ce cauchemar. L'arrivée du FPR à Kigali avait laissé penser que les tutsi avaient gagné. Dans les faits, seuls quelques individus de la diaspora tutsi ont vu leur rêve tomber du ciel mais en réalité, les tutsi de l'intérieur et les hutu ont perdu cette guerre. C'est tout le peuple rwandais qui a perdu finalement et qui actuellement, est en train de payer.

Telles sont certaines des questions que les rwandais devraient éclaircir en vue d'une réconciliation sans faille.

 

La dénomination du drame rwandais et ses acteurs

            A la veille du début de la démonstration sanguinaire du 6 avril 1994, le schéma des acteurs de l'imbroglio socio-politique rwandais, qui s'est vite transformé en une confrontation armée des deux adversaires ethniques, était composé comme suit:

Le camp hutu, dans lequel on pouvait distinguer:

            - les membres du parti au pouvoir (MRND) avec sa milice interahamwe,

            - les factions des autres partis d'opposition démocratique qui s'étaient ralliés au    MRND.

Le camp tutsi, dans lequel il faut distinguer:

            - L'Ouganda.

            - le FPR avec toute la diaspora tutsi,

            - les tutsi qui vivaient à l'intérieur du pays avant la guerre,

            - les dissidents (hutu) des différents partis démocratiques d'opposition     sympathisants du FPR. Les étrangers les appellent à tort et à travers les "modérés".     

A ces deux camps à caractère purement ethnique, il faut ajouter un troisième camp relativement moins visible. C’est le camp des pays impérialistes , vecteurs du conflit rwandais.

            Pendant les massacres d'avril 1994, le camp hutu s'est montré farouche à ces deux dernières catégories du camp tutsi: les tutsi de l'intérieur et les dissidents des partis politiques d'opposition pro-FPR. Les tutsi de l'intérieur, alors que certains d'entre eux n'avaient rien à avoir avec le FPR, ont été massacré. D'une part, ils étaient considérés comme des conspirateurs par le camp hutu et de l'autre part, le FPR les a considérés comme un bouclier. En effet, par ses attaques, le FPR savait bien qu'il compromettait leur vie mais il le faisait malgré tout. Certains membres du FPR sont même arrivé à dire qu'on ne peut pas faire d'omelette sans casser d'oeufs. C'est ainsi que dans les tirs d'obus qui se sont abattus sur la capitale Kigali, le FPR en a délibérément lancés plusieurs sur les abris des tutsi (Eglise Sainte Famille). Cela se faisait dans le but de discréditer publiquement l'armée rwandaise et de la rendre responsable de tous les maux.

 

            C'est dans le même cadre que le FPR s'est rendu coupable en massacrant des milliers de hutu après la prise de l'Est du pays. En effet, alors que presque tous les hutu avaient traversé la frontière tanzanienne pour y trouver refuge et que le FPR était resté seul maître de toute la région, plusieurs corps qui flottaient sur la rivière AKAGERA et le lac Victoria ont été montrés aux médias étrangers. Le FPR et son principal allié l'Ouganda avançaient que ces corps avaient été tués par des interahamwe. Les interahamwe ne pouvaient pas massacrer ces personnes alors qu'ils n'étaient plus sur le territoire rwandais. La majorité de ces corps était liée les mains dans le dos, ce qui est une torture célèbre utilisée exclusivement par les inyenzi-inkotanyi. Pour détourner l'attention de la communauté internationale, le président ougandais Museveni, qui est le véritable génocidaire du peuple rwandais, s'est précipité à déclarer le lac Victoria comme zone sinistrée.

           

            Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que dans certaines régions du pays, c'est le FPR qui a commencé les massacres des tutsi. Bien sûr, le discours du gouvernement Kambanda n'était pas aussi pour la paix, mais grâce aux  infiltrations massives du FPR, ce discours belliqueux lui permettait directement de passer physiquement à l'action. Comme les soldats FPR étaient habillés comme des FAR (Forces Armées Rwandaises) et que l'un des buts de ces infiltrations était d'inciter la population civile à s'exterminer, les massacres devenaient si vite infernales qu'on ne pouvait absolument pas se rendre compte d'où venait ce courant meurtrier. Dans la préfecture de Butare par exemple, le discours belliqueux du gouvernement Kambanda a permis au FPR de commencer les massacres. Dans son plan diabolique, il devait inciter la population civile à s'entretuer et entretemps, sa milice, qui était stationnée de l'autre côté au Burundi, devait trouver l'alibi d'entrer calmement dans ces massacres. Curieusement, plusieurs intellectuels tutsi détenaient des armes que le FPR avait distribuées. Malheureusement après avoir attisé le feu, la réaction de la population hutu a été si brutale que la milice FPR du Burundi est arrivée trop tard. Les dégâts en vies humaines étaient innombrables. Qu'importe pour les inyenzi-inkotanyi! Quel que soit le nombre des victimes tutsi, le FPR voulait seulement le pouvoir. Les massacres dans tout le pays, couplés avec la perte du territoire par les FAR à son profit le rapprochait de la victoire finale. C'est pourquoi le massacre des tutsi de l'intérieur du Rwanda, encouragé par ailleurs discrètement par le FPR, lui facilitait la tache sur le terrain. De l'autre part, les médias occidentaux ne transmettaient que des scènes d'horreur données exclusivement par le FPR. L'objectivité du métier journalistique était totalement réduite à son infime valeur.

 

            Alors que le camp hutu s'en était pris aux tutsi de l'intérieur et aux hutu pro-FPR, le FPR lui, s'en est pris à toute la population rwandaise. Hormis quelques personnalités hutu de renom publique qu'il avait évacuées sur le territoire conquis (Byumba), tous les autres hutu qui ont eu la malchance d'être capturés par le FPR ont été massacrés. Pourtant, pour se vanter de sa bonne discipline et de sa sagesse dans cette guerre, le FPR-inkotanyi a exhibé ces hutu sous sa protection devant les médias étrangers. La guerre des douilles s'était véritablement transformée en une guerre des médias.

 

            Cinq ans après les événements malheureux de 1994, il semble de plus en plus évident que le sentiment de haine et de vengeance prédomine sur la réconciliation. Quand les journalistes ont demandé à une rescapée tutsi du génocide de 1994, si elle était prête à pardonner, sa réponse a été sans ambages. "Le pardon ne se donne pas comme on offre du chocolat aux enfants"*. Cette prise de position d'une ambassadrice officieuse du FPR en Belgique, mais réellement engagée, illustre bien l'attitude de son parti politique face à la question délicate de la réconciliation. Le problème qui se pose est de savoir: qui doit pardonner qui? Dès son attaque en 1990 jusque même après sa victoire, le FPR a massacré et continue de massacrer des civils hutu innocents. Lors du génocide de 1994, les hutu ont massacré les tutsi mais aussi des autres hutu. La responsabilité incombe à tous les camps. Tous devraient normalement se pardonner. Nous pensons qu'un regret sérieux accompagné d'un rejet sincère du mal vécu conduirait les hutu et les tutsi à vivre durablement ensemble. Un rwandais nouveau naîtrait ainsi, avec le seul but de porter pour son peuple l'étendard de la paix et non celui de la guerre.

 

            Ainsi, dans le cadre de la réconciliation, le camp hutu, qui regroupait presque la totalité des hutu, devrait reconnaitre sa part de responsabilité dans le drame rwandais. De fait, les hutu devraient comprendre qu'ils se sont laissée tomber dans le piège de l'ennemi - les inyenzi-inkotanyi. Ils devraient ainsi demander des excuses aux tutsi de l'intérieur qu'ils ont massacré alors que la plupart étaient des innocents. Ils devraient aussi se réconcilier avec les autres hutu et comprendre que la pluralité des idées et idéologies est une des richesses de la démocratie. Par ailleurs, malgré sa victoire militaire, le FPR devrait avoir la franchise de demander pardon à tout le peuple rwandais (hutu et tutsi). Il a causé une guerre meurtrière, massacré des hutu innocents et s'est servi des tutsi de l'intérieur comme un bouclier. Sans cette reconnaissance de la réalité rwandaise par les deux antagonistes, la réconciliation, tant prônée par les nations étrangères, ne sera que comme un bateau avec une voile mal attachée et qui d'un moment à l'autre est condamné à chavirer. Se réconcilier, c'est d'abord reconnaitre ses actes et surtout ses erreurs envers autrui. Ses quelques années de pouvoir FPR ne montrent rien dans ce sens.

 

            C'est pourquoi, le piège tendu par le FPR à la communauté internationale de reconnaître ces massacres comme un génocide constitue un grand projet historique, destructif et catastrophique pour les rwandais. Durant toute la guerre et cela des deux côtés des belligérants, il n'y a eu ni des bons ni des mauvais. Chacun avait l'objectif d'exterminer l'autre. En reconnaissant unilatéralement le génocide au Rwanda, la communauté internationale a signé pour une atteinte portée aux droits des tutsi seuls. Elle a ainsi rendu un mauvais service au peuple rwandais. En effet, les tutsi ont été considérés comme un peuple martyrisé quelque part au Rwanda. Cela a accentué la bipolarisation ethnique. C'est un frein réel à la réconciliation. Un génocide frappe la psychologie des survivants pendant longtemps. Il reste gravé dans leur mémoire. Il ne s'efface pas facilement et même l'histoire le cite en grandes lignes. Le malheur qui a fait que le génocide a été mis seulement sur le dos des hutu est lié à la fameuse question des minorités ethniques, mais aussi et surtout au fait que les hutu se sont laissés vaincre. Or, l'attaque du pays a été faite par le FPR. Ce dernier avait bien pesé toutes les conséquences. Si les allemands ont reconnu le génocide des juifs et qu'ils se sont même réconciliés, ce geste avait un sens. Ce sont eux qui se sont livrés à l'attaque et à la chasse des juifs. Dans le contexte rwandais, on veut paradoxalement faire croire au monde entier que celui qui a été agressé doit supporter tout le poids des malédictions de la guerre et présenter des excuses à son agresseur. Quelle logique de la communauté internationale!

 

            Même si l'histoire s'est caractérisé par plusieurs guerres, la guerre n'a jamais été un bon moyen pour arriver au pouvoir. Elle détruit plus qu'elle ne construit et l'agresseur devrait normalement assumer toutes ses responsabilités dans le drame. Malgré cela et quelles que soient ses atrocités, le vainqueur d'une guerre a malheureusement toujours raison. C'est ce qui s'est passé au Rwanda. La victoire du FPR en 1994 lui a conféré la légitimité. Toutefois, laisser une minorité quelconque évoluer dans des erreurs de gestion d'un pays sous prétexte de n'importe quelle bavure de son droit dans le passé est un acte démocratiquement irresponsable. Devant cette machination internationale, comment voulez-vous que la réconciliation soit facile? Perdre la partie a été une lâcheté pour les uns, mais les autres devraient reconnaître que la bataille n'a pas été perdue in aeternum. Ajoutons seulement que « qui vivra verra ».


III. La problématique générale du développement avant et après la guerre d’octobre 1990

 

2.1  Les différentes contraintes au développement national

            L’évolution de la population depuis les années 1930 jusque dans les années 1980 a montré qu’elle suivait une courbe exponentielle avec quelques exceptions, comme la période 1943-1944 caractérisée par la grande famine RUZAGAYURA qui a fait chuter l’effectif de la population. Hormis ces quelques rares cas, la population rwandaise a connu une croissance rapide et continue. Le peuplement de tout le pays a fait que, déjà dès l’arrivée des premiers européens à la fin du dix neuvième siècle- début 20° siècle, le Rwanda fut considéré comme surpeuplé. Les terres agricoles étaient pourtant largement disponibles. Cette vision malthusienne va constituer la principale idéologie en matière de croissance de la population rwandaise jusqu’à nos jours.

 

            La contrainte de la croissance démographique rapide surtout sa composante ethnique paraît assez préoccupante. Contrairement à plusieurs autres pays africains où on dénombre une multitude d’ethnies, le petit nombre (trois) d’ethnies ayant en commun une seule langue, bref une seule culture, devrait être un atout important et positif pour le développement du Rwanda. Ici, il faut prendre le développement  comme un résultat d'une évolution d'un processus complexe, aucours duquel chaque membre d'une collectivité (rwandais), sans discrimination aucune, aurait un rôle à jouer, qui ne serait jamais entièrement prédeterminé et dont l'impact dépendrait de la créativité et la capacité innovatrice de chacun. Malheureusement, la présence des situations conflictuelles entre les deux principales ethnies hutu et tutsi constitue un handicap majeur pour la réalisation de cet objectif dans cette région d'Afrique. Quiconque nierait ainsi l’importance et le rôle des ethnies dans le développement passé et futur du Rwanda ne ferait qu’une analyse tronquée  du problème.

 

            Le pays est complètement enclavé entre le Zaïre à l’Ouest, le Burundi au Sud, la Tanzanie à l’Est et l’Ouganda au Nord. La distance au port le plus proche, Mombassa, est de 1250 km.

           

            Les ressources naturelles sont limitées et l’essentiel de l’économie s’appuie sur l’agriculture qui occupe plus de 85 % de toute la population active. Le tableau suivant montre que les exportations du café représentent plus de 60 % du total des exportations. Considérés ensemble avec le thé, les deux cultures représentent plus de 80 % de toutes les exportations. Il est toutefois nécessaire de remarquer que les prix de ces produits sont fixés par le marché international et non par les pays producteurs, ce qui entraîne des fluctuations souvent catastrophiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                       Tableau n° 1                                                                                                     

 

      Evolution structurelle des exportations (en mios de FRW)

 

 

 

1987

1988

1989

1990

1991

Café

8350

7229

5176

6107

7929

Thé

1202

1365

1885

2031

3258

Cassitérite

47

-

381

295

316

Wolfram

13

-

38

38

115

Peaux

427

396

424

283

359

Autres exports

321

387

609

592

943

Total CIF

10486

9569

8655

9523

13274

Part  Café+Thé (%)

91

89,8

81,6

85,5

84,3

                               

                            

Source: République Rwandaise, Ministère du Plan: Evolution de la situation économique du Rwanda 1988-1991 et tendances 1992, Cahiers économiques du Rwanda, Kigali, 1992

 

 

            Les faiblesses de la base de production et une économie ouverte ont perpétué la dépendance du pays vis à vis de l’extérieur. C’est ainsi que la presque totalité des exportations nationales proviennent des recettes de deux cultures: le café et le thé. La baisse en volume de la production de ces cultures sans compter la conjoncture capricieuse sur les marchés internationaux aggravent les contraintes en ressources pour le développement.

 

            Parmi les contraintes environnementales qui influencent par ailleurs son agriculture, on peut citer l’érosion des sols. En effet, le Rwanda se caractérise par une succession de montagnes et de collines et du plateau à l’Est ce qui lui donne un relief assez mouvementé, souvent avec de fortes pentes allant même jusqu’à plus de 50 %. Du point de vue touristique, cette succession de montagnes et de collines lui a valu le nom de "Pays des Mille Collines".

 

            L’altitude minimum est de 900 m dans la plaine du Bugarama pour culminer jusqu’à plus de 2000 m dans les volcans au Nord du pays. La diversification du relief et des conditions climatiques a entraîné l’existence des différentes zones  géographiques et climatiques qui sont à la base du découpage du pays en douze régions agricoles.

 

            L’ensemble de toutes ces contraintes (démographiques, économiques, physiques, etc.) entraînent  le pays dans une dépendance financière  vis à vis de l’extérieur pour réaliser la plupart de ses projets de développement.

 

 

 

2.2 Evolution générale de la population rwandaise

            A l’arrivée du colonisateur, le Rwanda fut considéré comme surpeuplé alors que les terres agricoles étaient assez suffisantes. Cette vision se dessinait par rapport aux autres pays africains qui n’étaient pas alors aussi peuplé que le Rwanda. C’est ainsi que le pays va être considéré comme une véritable source de la main d’oeuvre et les migrations seront favorisées. En 1960, la population rwandaise était estimée à 3 millions et sera chiffrée à 4,8 millions en 1978. L’évolution la plus récente de la population au Rwanda est donnée par les deux derniers recensements de la population et de l’habitat (RGPH) de 1978 [18] et de 1991 [19].      

 

 

                                                                                                 Tableau n° 3

 

          Répartition et évolution de la population par préfecture et par commune

                                                      1978-1991

 

Préfecture

Nbre de commu-

nes

         Population

Taux d'accrois

sement

 (%)

Nombre de  communes avec +300 hab/km² en 1978

Nombre de  communes avec -300 hab/km² en 1991

 

 

1978

1991

 

 

 

Butare

20

602391

764795

2,0

13

18

Byumba

17

521842

779665

3,4

3

11

Cyangugu

11

333164

517135

3,7

6

9

Gikongoro

13

370577

466290

1,9

3

5

Gisenyi

12

468818

729855

3,8

5

12

Gitarama

17

606103

851145

2,9

7

16

Kibungo

11

361108

646555

5,0

0

2

Kibuye

9

336571

473920

2,9

2

6

Kigali

17

698178

917970

2,3

6

13

Kigali-Ville*

3

-

232770

-

-

3

Ruhengeri

16

531728

769115

3,1

10

16

Rwanda

145

4830480**

7149215

3,2

55

111

 

                                                                      

                        * La préfecture de Kigali-Ville  n’existait pas en 1978. Elle a été créée                  dans les années 1980. C’est ainsi que les communes sont passées de                        143 à 145. L'ancienne commune urbaine de NYARUGENGE a été                      scindé en trois communes ( NYARUGENGE, KICUKIRO et                              KACYIRU).

                        ** Le total ne comprend pas les non déterminés

 

            Au 15 août 1991, la population rwandaise fut chiffrée à 7.149.215 habitants. Le taux d’accroissement dépassait 3 % par an avec une fécondité élevée de 8 enfants par femme en moyenne ce qui laissait penser à un doublement de la population en une vingtaine d’années. Comme le montre le tableau ci-dessus et la carte n° 1 et 2 (annexe 5), la densité supérieure à 300 habitants par kilomètre carré se rencontrait seulement dans quelques communes en 1978. 55 communes sur 143 du pays avaient une telle densité (> 300 habitants au km²). En 1991, la situation avait complètement changé et  seules 34 communes restaient avec une densité de population inférieure à 300.

 

            Il faut remarquer que la structure par âge de la population rwandaise en 1991 était dominée par une population tout à fait jeune ce qui pouvait constituer en même temps un avantage et un inconvénient. En effet, sur une population totale de sept millions, la tranche d’âge jusqu’à 14 ans constitue un effectif de trois millions et demi. Si on admet que jusqu’à 14 ans, les enfants sont exceptionnellement pris en charge par leurs parents et que à plus de 65 ans on est considéré comme inactif, on arrive à un rapport de dépendance supérieur à 1 ( 1,03 ). La tranche d’âge de 0 à 9 ans constitue l’effectif le plus important de cette structure, soit 34,7 % de toute la population. Tout cela montre l’ampleur des charges de ces jeunes sur le reste de la société en général et particulièrement sur leurs parents qui doivent non seulement les nourrir, mais aussi supporter les divers frais relatifs à l’éducation, à la santé, etc. Les pyramides des âges de la population rwandaise en 1978, de même qu’en 1991 (annexe 6) se caractérisent par des bases assez élargies qui se terminent par un effilement aux âges avancés. Cette base élargie, due essentiellement à une fécondité élevée montre bien l’importance numérique de la jeunesse du pays par rapport à la population totale.

                      

                                                                                              Tableau n° 4                                 

 

             Structure de la population rwandaise par âge (1991 )

                                                               

Tranche d'âge

Effectif

0-4

1297225

5-9

1183060

10-14

923245

15-19

711050

20-24

585070

25-29

529435

30-34

481305

35-39

358200

40-44

244850

45-49

175750

50-54

173205

55-59

134170

60-64

126230

65-69

84070

70-74

73365

75 et +

68985

TOTAL

7149215

 

 Source: Recensement Général de la Population et de l’Habitat au 15 Août 1991

 

            La situation de la population après le dernier recensement de 1991 est devenue problématique, étant donné la guerre qui a tout perturbé. En effet, la première défaite essuyée en novembre 1990 par le Front Patriotique Rwandais (FPR) et  suivie par son repli en Ouganda laissait penser à une victoire de l’armée rwandaise. On était loin de la victoire car cette défaite a poussé le FPR à commencer une vraie guérilla par des attaques parfois éclaires entrecoupées par des moments d’accalmie. C’est justement après une accalmie relative qui avait permis de faire ce recensement, que la guerre a bel et bien repris en février 1992. Les victimes ont été assez nombreuses surtout dans les zones de combat situées dans les préfectures de Byumba et de Ruhengeri (les déplacés de guerre se chiffraient à plus de 250.000 et le nombre de disparus n’a jamais été connu). Après une nouvelle accalmie relative liée à l’accord de paix signé à Arusha en Tanzanie en 1993, la situation a été aggravé par la reprise des combats en avril 1994 et les massacres généralisées qui ont suivi.

 

            A l’heure actuelle, il est encore difficile de connaître les pertes en vies humaines causées par cette guerre. Certains avancent le chiffre d’un million, mais étant donné que même après l’arrêt des combats en juillet 1994, les disparitions et exécutions ont été nombreuses jusque même à ce jour, ce chiffre pourrait être revu à la hausse. Quel que soit le chiffre à avancer, il est clair que le planificateur pourra difficilement tabler sur les données du dernier recensement de 1991 pour faire ses prévisions. Ainsi, un nouveau recensement devrait être prévu dans les meilleurs délais pour éclaircir la situation. Malheureusement, les manoeuvres dilatoires du FPR n'ont pas facilité cette tâche malgré que les bailleurs de fonds étaient disponibles pour ce projet.

 

 

2.3 Dynamique général du peuplement rural

            Le milieu rural qui occupe 95 % de toute la population du pays, reçoit une pression considérable surtout en ce qui concerne la pression sur les terres arables. Selon que les terres agricoles n’étaient plus disponibles ou étaient usées, une partie de la population se déplaçait d’une région à une autre entraînant des migrations aussi bien internes qu’externes.

          a) Le mouvement  migratoire rwandais et la guerre des inyenzi-inkotanyi

            Pour mieux situer la migration dans la région, il faut rappeler que le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie actuelle faisaient partie de l’Afrique orientale sous domination allemande jusqu’en 1916. Jusqu'en 1885, le territoire rwandais dépassait les limites actuelles du pays et s’étendait à l’île Idjwi au Zaïre, au sud de l’Ouganda et avec une bonne partie de l’Ouest de la Tanzanie. C’est suite à la conférence de Berlin de 1885 que le Rwanda se vit amputé de ces territoires au profit de ses voisins. Les frontières actuelles du Rwanda, tracées arbitrairement par la colonisation venaient d'être décidées. Les rwandais qui vont rester sur ces territoires coupées de la patrie mère vont être peu à peu rejoints par leurs compatriotes à travers l’émigration. A partir de 1916, avec la défaite des allemands pendant la première guerre mondiale, les territoires de la Tanzanie et de l’Ouganda vont être confiées à l’Angleterre et le Rwanda sera confié à la Belgique.

 

             Encouragée par les autorités coloniales qui voyaient dans la politique de migration un gain de main d’oeuvre presque gratuite dans leurs domaines de plantations et de mines, l’émigration des rwandais dans les pays voisins jusqu’en 1959 va être ou bien temporaire ou bien définitive. C’est ainsi que selon Gatanazi cité par ONAPO [20], pour la période 1937-1959, on estimait une moyenne annuelle de 26.800 le nombre d’émigrés vers l’extérieur du pays dont 5.500 vont s’établir définitivement au Congo belge (Zaïre actuel) et 15.500 vont s’installer en  Afrique de l’Est.

 

            Le mouvement migratoire définitif va être déconseillé bien avant l’indépendance du pays, et l’émigration après l’indépendance sera constituée essentiellement par les réfugiés tutsi d’après la révolution sociale de 1959. Ils vont principalement s’installer dans les pays limitrophes et leur nombre sera estimé à quelques milliers, étant donné qu’il n y a jamais eu de recensement exact de ces réfugiés. Le problème des migrations après l’indépendance sera mal connu, mais les migrations surtout temporaires vont continuer et sont liées à la recherche d’emploi selon que tel ou tel autre pays est économiquement prospère. Le recensement fait au Zaïre en 1970 va dénombrer plus de 33.000 rwandais dans la région du Kivu [21].

 

            D’autres sources estiment que, de 1951 à 1955, l’émigration vers l’Ouganda se chiffrait par 279.711 entrées et 172.088 sorties ce qui donne un bilan d’émigration définitive de 107.623 personnes [22].

 

            Les chiffres[23] détenus par le Haut Commissariat pour les Réfugiés ( HCR ) en 1990 faisaient état de: - 13.000 réfugiés rwandais résidant sur le territoire du Zaïre,

                                - 266.000 réfugiés rwandais au Burundi,

                                - 22.000 réfugiés en Tanzanie et

                                - 82.000 réfugiés rwandais en Ouganda.

 

            Ces chiffres du HCR  montrent que les pays voisins du Rwanda abritaient à peu près 400.000 réfugiés. Même dans l’hypothèse revoyant ce chiffre à la hausse et dans laquelle on admettrait que certains de ces réfugiés n’étaient pas enregistré au HCR, leur nombre total ne dépasserait pas 600.000 personnes.

           

            Ainsi, les spéculations faites expressément autour de cet effectif, souvent avec un gonflement excessif (plus d’un million de réfugiés selon les chiffres du gouvernement [FPR] rwandais [24]), nous renvoient à nous poser certaines interrogations à propos de la diaspora rwandaise. En effet, il y a lieu de distinguer trois types de RWANDAIS qui étaient à l’extérieur du pays avant la guerre de 1990:

                                         a) la population qui se trouvait dans les limites du Rwanda avant la colonisation, c- à - d, avant le partage du pays entre les puissances coloniales. Ces colons s’étant partagé les territoires sans tenir compte des intérêts des populations locales, il y a eu un transfert de provinces d’un pays à un autre sans se préoccuper de la nationalité ou de l’avenir des populations transférées. C’est ainsi qu’une partie du Rwanda fut annexée au Congo, à la Tanzanie et à l’Ouganda.

                                         b) un deuxième type de RWANDAIS, ce sont ceux qui à la recherche d’emploi, ont émigré dans les pays voisins et parfois se sont installé définitivement. C’est ainsi qu’en 1959, avant le flux de réfugiés politiques, les RWANDAIS en Ouganda étaient recensés comme le sixième groupe ethnique avec près de 400.000 personnes [25]. Tous ces deux premiers groupes sont majoritairement hutu.

                                     c) un troisième type qu’on rencontrait dans les pays voisins était constitué par les réfugiés politiques suite à la révolution de 1959 et aux diverses troubles ethniques qui ont eu lieu après (1963, 1972). C’est ce troisième groupe, formé presque exclusivement par une seule ethnie tutsi qui était considéré comme réfugié, les autres étant devenu des habitants à part entière de ces pays.

Il est ainsi compréhensible que les RWANDAIS qui se trouvaient à l’extérieur du pays avant 1990 n’étaient pas tous des réfugiés ou seulement des tutsi. La plupart d'entre eux sont des hutu. C'est  précisément ce troisième groupe des réfugiés tutsi qui a réclamé son droit de revenir dans le pays, pris des armes et est rentré par la force.

 

            Depuis le déclenchement de la guerre en 1990, pour fuir les combats, il y a eu des mouvements migratoires d’abord internes et puis ils se sont généralisés vers les pays voisins en juillet 1994. C’est en 1992 que la plus grande partie des populations des préfectures de Byumba et de Ruhengeri a fui les combats pour s’installer dans les camps à l’intérieur du pays. Plus de 500.000 personnes étaient alors impliquées dans ces déplacements et certains camps étaient même installé aux alentours de la Capitale- Kigali. Les accords de Kinihira, signés en mai 1993, permirent à certains de ces déplacés de retourner dans la zone tampon alors démilitarisée. Avec la prise du pouvoir par les ex-réfugiés tutsi en juillet 1994, presque toute la population hutu du pays va fuir. On estimait à plus de 4 millions la population en exode dont une partie va s’établir dans les camps implantés dans la zone turquoise. Ces camps seront démantelés par le FPR au courant de l’année 1995. Plusieurs milliers de déplacés vont laisser la vie dans cette opération (cfr. massacre de KIBEHO en avril 1995).

 

            La victoire du Front Patriotique (FPR) a donc permis à une partie des anciens réfugiés tutsi de regagner le Rwanda, mais le problème des réfugiés rwandais s’est aggravé. En effet, avec un effectif d’environ 500.000 réfugiés tutsi qu’on dénombrait en 1990, le chiffre des réfugiés hutu en septembre 1994 * dépassait deux millions de réfugiés éparpillés surtout dans les pays limitrophes du Rwanda ( Zaïre avec un record de plus d’un million et demi ( 1.542.000 ), le Burundi: 210.000, Tanzanie: 460.000 et l’Ouganda: 10.500. Si à ce chiffre on ajoutait le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays ( 2.576.000 dont 1,3 million dans l’ancienne zone turquoise ) ainsi que le nombre de personnes tuées et évaluées à près d’un million, on arrive à conclure que 80 % de la population rwandaise ont fui la guerre pour se réfugier soit à l’intérieur du pays, soit à l’extérieur avec une partie importante qui a été tuée.

 

            C’est la révolution sociale de 1959 , dirigée par une élite des bahutu et par certains batutsi modernistes qui avait permis à la masse paysanne de se partager les grands domaines  jusqu’alors réservés à la pâture des troupeaux des batutsi. Malgré le départ de ces derniers dans les pays limitrophes,  la pression démographique va continuer à peser sur les terres agricoles. Selon l’enquête faite par les services du Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et des Forêts en 1984, près de 20 % des ménages rwandais disposaient de moins de 1 ha de terres pour leur subsistance. On peut alors se demander pourquoi les autorités n’ont pas mené une politique en faveur des migrations internationales alors que les pays voisins restent moins peuplés. Des tentatives d’émigration dans les pays africains ont été tentées ( pays limitrophes, Congo, Gabon, etc. ).

           

            Ces tentatives se sont heurtées au problème du sous-équipement dans ces pays. En effet, pour accueillir les émigrés, certains pays réclamaient que le Rwanda mette en place d’abord les infrastructures d’accueil (logements et autres ), ce que le Rwanda n’était pas à mesure de faire sans une aide de la communauté internationale. Il est à remarquer que presque tous les rwandais qui se trouvaient à l’extérieur s’étaient réellement fixé dans ces pays et c’est probablement avec cette vision que les autorités de la deuxième république ont essayé de les y retenir. Jusqu’en 1990, la plupart des réfugiés tutsi rwandais avaient obtenu la nationalité des pays qui les hébergeaient et donc étaient considérés comme des citoyens à part entière de ces pays.

 

            Notons également que dans le cadre de l’intégration régionale, la Communauté des Pays des Grands Lacs (CEPGL) qui regroupe le Burundi, le Rwanda et le Zaïre avait vu le jour en 1976. Un traité de libre circulation des biens et des personnes avait été signé par ces trois pays mais pour des raisons probablement politiques, cet accord n’a jamais été ratifié[26] et donc n’a pas pu être mis en exécution. Seul le Rwanda avait ratifié cet accord.

 

            Par ailleurs, l’émigration a été souvent stoppée par crainte des problèmes socio-politiques susceptibles d’être engendrés par la communauté rwandaise à l’étranger. On se rappellera qu’avant la guerre en 1990, plusieurs milliers de rwandais (plus de 70.000) vivant en Tanzanie ont été refoulés. Ils ont causé un problème grave de réinsertion dans leurs familles, étant donné qu’ils avaient vendu toutes leurs terres avant de partir. Ainsi, des négociations ont été menées à plusieurs reprises avec les pays voisins, mais sans grand succès.

 

            Comme nous venons de le voir ci-haut, les pays limitrophes sont peuplés par des rwandais depuis longtemps. Les autorités de ces pays ont toujours probablement craint une émigration complémentaire massive d’une population rwandaise avec un fort sentiment d’appartenance, ce qui pourrait conduire éventuellement à des revendications nationalistes susceptibles de semer les troubles. Des violences récemment enregistrées contre la communauté rwandaise (Ouganda: 1985, Zaïre: 1993), aussi bien de la part des autorités que de la population locale ont fait déjà des victimes. C'est dans ce même cadre qu'on peut situer la guerre menée par le Rwanda [coalition FPR-Abanyamurenge], l'Ouganda et le Burundi contre le Zaïre en 1996. En réalité, c'est une coalition des tutsi de ces trois pays, appelée à tort et à travers "abanyamurenge" qui ont voulu chasser les hutu (réfugiés ou non) du Zaïre et conquérir la zone EST de cet immense pays. C’est pourquoi, le problème des émigrés rwandais, comme d’ailleurs celui de plusieurs émigrés d’autres pays voisins du Rwanda, qui sont éparpillés dans cette région d’Afrique Centrale, devrait être examiné dans un contexte régional global.  

Tous ces problèmes ont fait que les migrations internationales ont été rendues quasi impossibles malgré l’évidence du problème de la rareté des terres au Rwanda.

 

            Comme l’a écrit Gasana [27], la guerre d’octobre 1990 ne peut être réduite à un problème d’exilés qui voulaient recouvrer le droit de rentrer dans leur pays. En effet, cette raison avancée pour justifier le bien-fondé de la guerre n’était plus crédible étant donné que dès 1989, le Rwanda venait d’accepter d’assumer ses responsabilités envers les réfugiés. C’est ainsi que pour trouver une solution à ce problème, des rencontres au niveau ministériel entre le Rwanda et l’Ouganda étaient en cours. Par ailleurs, le premier rapport de la Commission Spéciale sur les problèmes des émigrés rwandais (créée en 1989) venait de voir le jour et proposait trois solutions: le rapatriement volontaire, l’installation dans le pays d’accueil (pour ceux qui voudraient rester dans le pays d’accueil et garder la nationalité rwandaise) et l’installation définitive dans le pays d’accueil. La base de toutes ces trois options était le volontariat.

            De même, l'argument économique avancé pour justifier le bien fondé de la guerre n'était pas suffisant. En effet, malgré le peu de ressources du Rwanda par rapport à ses voisins, on peut d'ailleurs dire que le pays était largement nanti.

 

 

 

 

                                                                                                                      Tableau n° 4

 

 

       Situation socio-économique du Rwanda par rapport à ses voisins

 

Pays

IDH1970

IDH1980

IDH1990

IDH1991

IDH1992

IDH1994

PNB/tête 1988

 (US$)

 

PNB/tête1994

(US$)

Ouganda

0,213

0,215

0,354

0,204

0,272

0,328

280

190

Zaïre

0,235

0,286

0,294

0,299

0,341

0,381

170

-

Burundi

0,157

0,219

0,235

0,177

0,276

0,247

240

160

Tanzanie

0,211

0,282

0,413

0,266

0,306

0,357

160

140

Rwanda

0,215

0,244

0,304

0,213

0,274

0,187

320

80

 

 

            Concernant le PNB/tête, indicateur qui a été longtemps utilisé pour montrer le développement des différents pays, le Rwanda venait en tête en 1988, laissant tous ses voisins derrière (320 $). En 1994, c'est à dire après la victoire des inkotanyi, la situation s'était bouleversée et le Rwanda venait loin derrière tous ses voisins avec seulement 80 dollars par habitant. Quant à l'indice de développement humain de ces pays depuis 1970 jusqu'en 1992, on voit que le Rwanda était bien placé par rapport à ses voisins. Malheureusement, toute la région des Grands Lacs (y compris le Rwanda) se classait dans la catégorie des pays avec un faible développement. Cependant, les valeurs de cet indice pour le Rwanda dépassent même celles de l'Ouganda ou du Burundi en 1970, 1980 et 1991. L'agression du pays par les inyenzi-inkotanyi va à la longue inverser les tendances et en 1994, le Rwanda sera classé non seulement comme dernier pays dans la région selon cet indice, mais aussi comme l'avant dernier pays au monde tout juste avant la Sierra Leone. Ces quelques lignes montrent que même pendant les premières années de la guerre des inyenzi-inkotanyi, le Rwanda n'avait rien à envier à l'économie du principal* pays qui hébergeait ces combattants (inkotanyi): l'Ouganda, mais bien le contraire. L'argument de la démocratie n'était pas aussi valable, car une démocratie par des armes n'a pas un sens.

                                                                                     

            Il est à remarquer que dans tout ce processus de mise au point du règlement définitif de la question des réfugiés rwandais par ladite commission, participaient également les représentants du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) ainsi que ceux de l’Organisation de l'Unité Africaine (OUA). Tout cela montre qu’il y avait encore moyen d’éviter cette guerre, mais...  Ce conflit prend réellement ses racines dans la contradiction entre les exilés tutsi et la classe politique mis au pouvoir par la révolution sociale de 1959. C’est pourquoi, il semble logique de voir cette guerre dans le cadre de multiples tentatives de reconquête du pouvoir par les réfugiés depuis 1960.

 

            D’autre part, cette guerre doit être analysée dans le cadre de la crise politique,  économique et sociale de la seconde République, principalement avec l’insurrection des partis démocratiques d’opposition contre le gouvernement du parti unique (MRND: parti-Etat dit "mouvement révolutionnaire national pour le développement", transformé lors de la venue du multipartisme en "mouvement républicain national pour la démocratie et le développement") alors en place et que le Front Patriotique Rwandais (FPR) a su exploiter dans ses intérêts. Enfin, elle doit s’inscrire dans la logique d’une guerre imposée de l’extérieur avec une participation ferme et omniprésente mais non officiellement déclarée, d’un pays voisin: l’Ouganda.

 

            C’est ainsi que dans un climat économique d’exclusion et de marginalisation sociales qui régnait dans le pays, de violence des différentes milices soutenues par les différents partis politiques: la montée d'agressivité inter-ethniques paraît être liée à la faiblesse du rôle régulateur de la seconde république, de son incapacité d’orienter et de réaliser le consensus autour d’objectifs de développement durable du peuple rwandais, dans un courant fort de changements entraînés par un multipartisme en naissance.

 

                         b) Organisation du peuplement sur le territoire

 

            Les données des recensements les plus récents effectués dans le pays montrent que les densités de populations ont continué de s’accroître dans le monde rural et que les hautes densités observées allaient à plus de 600 habitants au kilomètre carré dans certaines régions du pays. Pourtant, elles n’ont pas eu un effet remarquable sur la naissance des villes et la dispersion de l’habitat s’est intensifiée. En effet, plusieurs agglomérations sont nés ici et là mais sans toutefois arriver à former des centres urbains. Cette dispersion de l’habitat s’est accompagnée d’une dispersion des différentes infrastructures socio-économiques, ce qui a fort handicapé et continue d’être le frein de l’urbanisation nationale. Ainsi, les densités fortes de population, couplées avec la dispersion de l’habitat, telles sont les caractéristiques organisationnelles de l’occupation de l’espace rwandais.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Tableau n° 5

 

 

              Caractéristiques démographiques du Rwanda selon les régions agricoles

 

 

Région agricole

Population

1978

Population

1991

Densité

1978

Densité

1991

Taux annuel

d'accr. de la

population

1978-1991

1. Imbo

50800

89508

228

402

4,4

2. Impala

195411

290747

359

534

3.1

3. Bords du lac Kivu

291770

422455

357

508

3.1

4. Terres des laves

297146

467016

391

614

3.5

5. CZN

614673

881366

236

338

2.7

6. Hautes terres

      du Buberuka              

452291

644603

312

444

2.8

7. Plateau central

1179515

1573846

313

421

2.2

8. Dorsale granitique

515051

706194

307

421

2.5

9. Mayaga

192561

279286

243

352

3.0

10. Bugesera

121201

245047

139

280

5.6

11. Plateau de l'Est

798103

1320420

213

352

3.9

12. Savane de l'Est

110764

235003

75

159

6.3

   RWANDA

4831486*

7155391

258

382

3.1

           *  Ce chiffre correspond aux résultats définitifs du RGPH 1978. Il ne correspond pas à la              somme des populations des régions agricoles de la colonne provenant, eux, des résultats   provisoires du RGPH 1978.

 

Source: Ministère du Plan, Impératif urbain, Novembre 1992

 

 

            Selon toujours ces deux recensements, les densités élevées (plus de 300 habitants par kilomètre carré ), qui ne concernaient que quelques communes en 1978 se sont généralisées sur toute l’étendue du pays. Seules quelques communes longeant le parc national de l’Akagera ainsi que quelques communes de la préfecture de Gikongoro autour de la forêt de Nyungwe n’avaient encore que des densités relativement faibles en 1991. Contrairement à ce qui se faisait dans le passé où les forts peuplements se rencontraient dans les zones où les facteurs de la vie étaient propices (moins de maladies, sols favorables à l’agriculture, etc.), l’expansion démographique actuelle semble se répercuter indépendamment de tous ces facteurs [28]. La densité brute d’une commune rwandaise en 1991 s’élevait à 271 habitants par kilomètre carré et la densité physiologique revenait à 382 habitants/km²*. L’augmentation élevée de la densité physiologique ne stimule pas l’utilisation des techniques agricoles modernes étant donné qu’on a pas besoin de beaucoup de capitaux pour valoriser ses terres et la main d’oeuvre reste largement disponible pour être utilisée d’une manière extensive.   

 

            Cet accroissement démographique forte a conduit à un morcellement excessif des exploitations agricoles familiales (EAF) dont la superficie moyenne actuelle est en dessous d’un hectare. Le nombre des EAF augmentant chaque année, leur surface continue de diminuer. Cela a conduit à l’utilisation des terres marginales et au déboisement des forêts naturelles ce qui, peu à peu, a conduit à la dégradation de l’environnement. L’interaction population agriculture a eu ainsi des effets négatifs sur le secteur de l’environnement.

 

            Le Rwanda est par ailleurs un pays où la population est dispersée sur toutes les collines. De là, on est souvent tenté de parler de l’équilibre  dans l’occupation du territoire de la population et des activités. Pourtant cette occupation pose bien de problèmes relatifs au développement du secteur agricole ainsi qu’à une meilleure répartition des infrastructures de développement. Peut on envisager que cette pression démographique pourra un jour constituer le vrai moteur du développement? C’est possible, mais il faut d’abord que les rwandais dépassent les clivages qui les divisent et se rendent compte que le développement du pays exige une conjugaison d’efforts de chacun d’eux.           

 

            Plusieurs tentatives d’organisation rationnelle de la population sur le territoire rwandais ont été essayées. Il s’agit des paysannats agricoles et des villages pilotes. Hormis ce caractère organisationnel, les paysannats avaient aussi un but économique de promouvoir les cultures d’exportation (café et thé). Quant aux villages pilotes, la philosophie consistait à décongestionner les sols à vocation agricole mais aussi à concentrer la population autour d’infrastructures mises à leur disposition par l’Etat (écoles, dispensaire, eau, etc.). Tous ces systèmes ne tardèrent pas à montrer leurs limites et ni les paysannats, ni les villages pilotes ne semblèrent comme cas exemplaire d’organisation rationnelle dans l’aménagement du territoire national.

 

             En effet, au fur et à mesure que la famille installée dans un paysannat s’agrandissait, les terres agricoles mises à sa disposition, qui s’évaluaient à quelques hectares seulement, devaient être partagés entre la descendance (les jeunes ménages). Ce partage des terres entre les générations a conduit à la miniaturisation des terres rendant ainsi le système non  viable. Quant aux villages pilotes, plusieurs raisons furent à la base de leur abandon. Les intéressés étant tous des agriculteurs, la nouvelle organisation d’habitat en village les éloignait de leurs champs agricoles ce qui engendrait les problèmes de transport et de la main d’oeuvre surtout en ce qui concerne le transport du fumier organique. Il en est de même du gardiennage des récoltes qui n’était pas assuré. Il faut également remarquer que les gens n’étaient pas tellement convaincus des objectifs de ce projet et il fallait procéder à une distribution d’incitations sous forme matérielle pour amener la population à adhérer au projet.

 

            Depuis 1988, les autorités minoritaires tutsi ont été confronté au problème de légitimité de l’occupation illégale du territoire nationale. C’est ainsi que pour mâter tout opposant à leur hégémonie, ils ont commencé de regrouper la population dans des camps dits « de regroupement (imidugudu) ». Ce regroupement forcé, qui s’est concrétisé par l’abandon forcé de tous les biens par la population, constitue en réalité une politique délibérée et déguisée des autorités tutsi à créer des camps de concentration. Le cas de leurs frères du Burundi illustre bien ces camps. Ce n’est donc pas une innovation en matière d’habitat, mais une pratique meurtrière qui est bien connue et utilisée par leurs voisins du sud. Plusieurs civils hutu y sont morts particulièrement dans les préfectures de Ruhengeri et Gisenyi. Les responsables du FPR devraient, tôt ou tard répondre de ces actes.

 

            En matière de production et d’augmentation de la production agricole, l’occupation nouvelle du territoire depuis 1994, c’est à dire après la prise du pouvoir par les réfugiés, ne va rien apporter de révolutionnaire, à part le changement de propriétaires des terres. C’est ainsi qu’une grande partie des préfectures ayant des frontières avec l’Ouganda, la Tanzanie et le Burundi, à savoir Byumba[29], Kibungo, Butare, Gitarama et Kigali vont être principalement occupée par les nouveaux venus tutsi. L’appropriation gratuite des biens d’autrui sans aucune intervention des dirigeants constitue un épineux  problème qui tôt ou tard va saper les efforts de la réconciliation. En effet, les responsables sortis vainqueurs ne se sont jamais inquiétés de la propriété privée et presque tous les biens laissés par ceux qui avaient fui les combats ont été vite saisis. Ce problème a été remarquable surtout dans les villes. Après avoir saisi les biens privés où tous les combattants n’ont pas pu probablement être servis, les biens de l’Etat ont été pillés au grand jour par ceux qui devaient les protéger. Cela a encore montré un manque de stratégie d'avenir de la part des nouveaux dirigeants qui avaient pris tout en main et qui étaient sensés orienter la destinée du Rwanda.

 

            L’apparition apparemment planifiée, de nouvelles régions formées essentiellement par une seule ethnie tutsi (ce que les historiens appellent la tutsification des régions ou la formation de tutsilands) semble être une nouvelle forme de peuplement et d’épuration ethnique sur l’espace national. Les données du recensement de la population au début de la guerre étant disponibles (RGPH 1991), elles permettront probablement dans le futur d’évaluer l’occupation de ces régions par les différents ménages rwandais et étrangers.

 

 

            2.4 Efforts de développement annihilés par la guerre du FPR

                        a) Les travaux communautaires de développement - UMUGANDA

            Dans le cadre de la promotion d’une meilleure utilisation des ressources humaines, les travaux communautaires de développement communément connus sous le nom « UMUGANDA  » avec comme objectif de valoriser et faire participer la main d’oeuvre disponible dans le pays aux différentes actions de développement, furent entamés dès 1973. C’est pour suppléer aux maigres moyens de l’Etat en mobilisant une force importante de la population pour développer son pays qu’une journée dans la semaine avait été choisie (samedi) et était consacrée à ces travaux physiques et communautaires de développement.

 

            Pendant le deuxième Plan de Développement Economique, Social et Culturel 1977-1981, cette structure était prévue principalement pour le milieu rural où les communes devaient s’organiser et faire travailler leurs populations. Dès le début, des difficultés liées à l’encadrement avaient surgi. En effet, ce travail communautaire ne pouvait se concevoir qu’à un prix d’un effort énorme, réservé à la formation d’encadreurs et des paysans d’une part, des infrastructures et des moyens  de démonstration de l’autre part. Par ailleurs, un manque de concertation entre les techniciens eux-mêmes d’une part qui étaient d’ailleurs insuffisants sur le terrain et avec la population provoquait des cloisonnements et des doubles emplois entre les différents services, ce qui rendait le travail inefficace. Pour le deuxième Plan, l’UMUGANDA devait fournir 5.5 % des investissements globaux prévus par le Plan, soit 5.5 milliards de francs rwandais sous forme d’investissement de travail [30] .

 

            Durant le troisième Plan, le principe de la mobilisation et de la sensibilisation de la population à une participation volontaire était retenu. A cet effet, des campagnes furent menées partout dans le pays, ce qui participa à créer un meilleur climat de rentabilisation des actions à mener. C’est pourquoi les chiffres prévus dans le second Plan ont été vu à la hausse pendant le IIIe Plan vu la généralisation de ces travaux sur l’ensemble du pays.

 

            Les priorités pour le troisième Plan avaient été choisies selon les problèmes urgents auxquels le pays était confronté parmi lesquelles il faut citer:

                        - la protection des sols par la lutte anti-érosive et le reboisement, la construction des écoles, des bureaux administratifs (communes et sous-préfectures), des centres de santé et des centres communaux de développement et de formation permanente.

                     - les adductions d’eau et l’entretien des sources dans le milieu rural                                                                                                                                                                      

                   - l’aménagement et l’entretien des routes, ce qui permit le désenclavement des régions et une amélioration des échanges entre elles. Les travaux communautaires de développement furent d’une grande importance qu’ils furent intégrés dans les projets de développement et parfois même, ces travaux communautaires constituaient une grande part de la contrepartie nationale dans ces projets.

           

            Les réalisations furent remarquables et évaluées à plusieurs milliards de FRW[31] dans les domaines de la construction de centres de santé, du désenclavement des communes et spécialement dans le domaine de la sauvegarde de l’environnement. Plus de  90 % des sols du territoire national avaient été aménagés et protégés contre l’érosion par la lutte anti-érosive sous forme de terrasses radicales et de fossés, la plantation de haies ainsi que le reboisement.

             

            Pourtant, plusieurs contraintes furent aussi affrontées. Il s’agit entre autre de:

               - une programmation technique et financière inadéquate. En effet, avec une meilleure programmation de ces travaux, un meilleur suivi et un appui logistique nécessaire (équipement et matériel), l’UMUGANDA pouvait constituer et même dans l’avenir, un moyen incontournable pour la réalisation de plusieurs actions de développement.

                - l’institutionnalisation de ces travaux sous l’égide du parti politique unique le MRND, va décourager plusieurs personnes et finalement ces travaux sont devenus comme obligatoires.

 

            A partir des années 1990, la démocratisation du pays avec la naissance de plusieurs partis politiques a fait que les travaux communautaires sous forme d’UMUGANDA se sont ralentis pour finalement être étouffés par la guerre. Une question alors se pose: étant donné les actions de développement réalisées grâce à ces travaux et vu l’importance que revêt la mobilisation de toute la population pour participer à son développement,  pourra-t-on penser mener de telles actions dans le futur? La réponse paraît sceptique car, afin de pouvoir discréditer l’ancien pouvoir, les responsables de l'opposition ainsi que le FPR, enseignaient à la population qu’il fallait se libérer de ces travaux qu’ils qualifiaient de forcés.

 

            D’ailleurs, les actions de développement qui, avant la guerre se faisaient grâce à ces travaux se trouvent actuellement en état de démolition. Là où on travaillait bénévolement, il faut de la main d’oeuvre salariée pour remplir les mêmes tâches. C’est ainsi que les routes qu’on entretenait à l’aide de l’UMUGANDA et elles étaient majoritaires, sont devenus actuellement impraticables. Il en est de même pour les écoles. Des lourdes pertes dans la conservation des sols ont été constatées suite à l’abandon de la lutte anti-érosive. En effet, l’expérience a montré que l’abandon des réalisations faites en matière de lutte anti-érosive sous le régime coloniale, a coûté plusieurs milliards de francs rwandais à l’Etat pour les rétablir sans compter la participation massive et gratuite de l’UMUGANDA. De plus, pour la restauration des sols seulement, les travaux avaient demandé plus d’une dizaine d’années pour arriver à protéger 90 % des terres agricoles.

 

            Il faut également remarquer que plusieurs milliers d’hectares de forêts, dont la plupart avaient été plantées par ces travaux communautaires, ont été brûlées pendant la guerre. A part que la disparition de ces forêts aura un impact négatif sur la disponibilité  de l’énergie de bois, qui constitue la principale source d’énergie dans le pays, on aura aussi à faire aux divers effets de la déforestation sur l’environnement.

 

            Pourtant, les spécialistes estiment qu’il faut un an pour rétablir les dégâts des pâturages et cinq ans pour restaurer le potentiel forestier. Par contre, il faut des centaines d’années pour réparer les dégâts causés par la dégradation des sols et un minimum de mille ans pour éliminer la pollution des nappes phréatiques [32]. Tout cela montre, ne fut ce que par le seul facteur de la pression démographique, le lourd danger que court l’environnement au Rwanda, si bien sûr l’attention reste braquée seulement sur l’achat des armes comme c’est le cas actuellement.

 

            Même si effectivement les travaux communautaires de développement se faisaient sous l’oeil vigilant du parti unique, le MRND, nous pensons qu’en dépit de son caractère coercitif, sa philosophie en tant qu’outil de développement, était positive. Elle valait la peine d’être soutenue et rénovée. D’ailleurs, les travaux communautaires pour les rwandais ne datent pas de la Deuxième République, car, dans la tradition, la population rwandaise était habituée à travailler ensemble pour lutter contre tel fléau ou pour arriver à tel ou tel autre but. C’est ce principe que les autorités avaient récupéré pour instaurer les mêmes travaux avec une dénomination différente: UMUSANZU sous la première République et UMUGANDA sous la seconde.

 

             

                     b) la planification du développement communal

            La décentralisation du processus de la planification du développement au Rwanda était connue sous l’appellation de « planification communale participante ». Ce type de planification du développement a débuté avec les années 1980 sous l’impulsion de la Coopération Suisse dans la préfecture de Kibuye, à l’ouest du pays. Elle a été vite récupéré par le Gouvernement, qui dans le souci de faire de la commune, la cellule de base du développement a soutenu ce type de planification et même voulait s’en inspirer pour élaborer la stratégie nationale de développement communal et régional.

 

            Au début de la guerre, toutes les neuf communes de Kibuye avaient presque terminé leurs plans de développement et la plupart étaient dans leurs phase d’exécution. La commune de Bwakira, qui avait été à l’origine de cette planification et donc avait confectionné et mise en exécution son premier plan de développement depuis 1987, avait déjà entamé l’élaboration de son deuxième plan. 

 

            Au niveau national, plus de trente communes s’étaient déjà investi dans ce travail de développement. Hormis les communes de Kibuye qui avaient presque toutes terminés, les travaux étaient avancés dans toutes les communes de la préfecture de Butare où la province du Loiret (France) avait formé les planificateurs communaux et s’intéressait vivement au financement de ces plans. D’autres communes ici et là dans tout le pays avaient démarré ou se préparaient à démarrer le processus de planification.

 

            L’enjeu était majeur. Il s’agissait d’impulser les communes de façon à arriver à ce que le personnel communal puisse élaborer le plan de développement. Ceci demandait que la population soit parfaitement associée à tous les étapes du plan. La démocratie en matière de planification devait ainsi guider ce processus. Finalement, dans le but de ne pas agir en ordre dispersé, on devait arriver à créer une harmonie entre le plan national et le plan communal, ce qui revenait à mettre en place les éléments nécessaires permettant une articulation entre la planification locale et les échelons supérieurs.

 

            La philosophie de ces plans communaux de développement consistait en ce que tous les acteurs de la commune étaient invité à participer dans l’exercice de mise en place de ces plans. Par acteurs, il faut comprendre tous les habitants de la commune (agriculteurs, éleveurs, commerçants, les artisans, les différents groupes sociaux: les femmes, les enseignants, les parents des élèves, les religieux, .....), etc. Cette participation de toutes les couches de la population  exigeait que dans les réunions de préparation, l’écoute soit privilégiée. Toutes leurs doléances, tous leurs problèmes devaient retenir l’attention particulière du planificateur communal qui devait tenir compte de cette longue liste pour élaborer le Plan. Ceci ne veut pas dire que le Plan Communal de développement était finalement une sommation des aspirations de ses habitants. Tout en se réclamant d’être maîtrisé collectivement, il devait être d’abord un plan communal avec une vision globale de l’organisation et du développement de tout le territoire communal. C’est ainsi que des mécanismes d’information, de formation, de restitution étaient nécessaires tout le long du processus du plan et facilitaient l’évaluation et la réorientation des diverses actions du plan.

 

            La participation de la population était donc réelle, même si elle pouvait et devait d’ailleurs être perfectionnée. Les groupes les plus dynamiques comme les artisans, les commerçants tiraient un grand profit de cette planification. Quant aux paysans, ils étaient toujours dépendants des mots d’ordre de l’administration centrale (les ministères), mais c’était une question de temps pour qu’ils se rendent compte que ces plans répondaient exactement à leurs besoins et devaient prendre une priorité dans leurs occupations quotidiennes. Par ailleurs, bien que le développement communal pouvait être le produit d’une synergie d’actions particulières créatrices de richesses, ces projets individuels devaient absolument s’entrecouper sur des intérêts communs, sinon le plan risquait de cesser d’être un plan communal, mais un plan de quelques individus.

 

            L’exécution de ces plans pour les communes pionniers était satisfaisante, malgré les diverses difficultés rencontrées dont les principales étaient liés au financement[33]. En effet, une plus grande part du plan devait être financé par les ressources extérieures, ce qui bloquait l’exécution normale des actions programmées étant donné que les bailleurs de fonds externes n’étaient pas habitués à travailler avec des entités décentralisées. Le problème se rencontrait aussi au niveau national, puisque la décentralisation n’était pas tout à fait effective et il se posait le problème de l’articulation du Plan national avec ces Plans Communaux. En fait, ce problème n’était pas si épineux, puisque depuis 1988, l’Etat rwandais s’était réellement engagé dans un processus de décentralisation. Cela voulait dire qu’il devait non seulement transférer aux communes les différentes charges, mais aussi les compétences et les moyens.

 

            Ce processus était en cours, et l’autonomie de la commune, qui lui est déjà officiellement reconnue, ne devait pas seulement se limiter sur l’autonomie juridique, mais aussi devait jouir de l’autonomie administrative et surtout financière. La commune était déjà libre en ce qui concerne sa politique locale et son administration.

 

            Plusieurs difficultés furent ainsi affrontées (manque aux communes de cadres compétents et d’expérience en matière de planification, insuffisance de financement, etc.). La réussite de cette politique de planification du développement local exigeait que la décentralisation soit menée à terme et que le personnel communal soit formé à cet effet. Par ailleurs, tous les acteurs devaient se remettre en cause surtout les responsables afin de mieux s’adapter à la logique du processus.

 

            La guerre de 1990 a ralenti les efforts de planification, d’abord dans les communes directement touchées, les problèmes de sécurité constituant d’abord la première préoccupation. Le processus a été complètement bloqué avec les événements du mois d’avril 1994 où la guerre a été généralisée. Avec la prise du pouvoir par les réfugiés tutsi au mois de juillet 1994, le pays s’est presque vidé de toute sa population. Les bourgmestres ainsi que leurs conseils communaux, qui étaient à la base de ce nouveau type de planification, ne sont plus là. Ils ont été remplacé par les nouveaux appuyés par les militaires. Ce sont ces derniers qui jouent un grand rôle dans l’administration de la Commune actuelle. Il leur faudra d’abord de s’imprégner de la méthodologie de planification communale participante afin de pouvoir relancer le processus! Les problèmes cités en haut, que la planification communale essayait de maîtriser, sont devenu insolubles (financement, personnel compétent, etc.). Le processus de décentralisation qui était en cours semble n’être plus d’actualité, or il constitue justement le fondement de la planification communale participante. Par ailleurs, le processus exige un peu de démocratie, puisqu’il faut être à l’écoute des desiderata de la population.

 

            Devant cette situation qui s’ajoute à la crise actuelle mondiale en matière de planification, il y a peu de chances que les communes rwandaises reviennent à leur tâche de planification du développement. La tâche sera difficile, car sans l’appui des autorités centrales (obnubilés particulièrement par la militarisation du pays) et sans une mobilisation de tous les habitants de la commune, ce type de planification du développement risque de perdre tout sens. En réalité, l'Etat FPR assure une représentation profondément biaisée des intérêts collectifs de la nation. Ce biais va même jusqu'au point où l'Etat n'est qu'un instrument de quelques individus d'une minorité tutsi qui, par volonté, constitue un obstacle au développement national. C'est pourquoi, même dans une optique de la réconciliatiation, l'Etat rwandais devrait être la principale institution chargée des intérêts de l'ensemble de la collectivité nationale.

 

                        c) Le développement du Rwanda et le surarmement

            Jusque dans les années 1980, le pays était relativement bien côté pour sa gestion de la chose publique. Cette gestion exemplaire* est considérée comme l'héritage du père fondateur de la révolution rwandaise: Grégoire Kayibanda. En effet, la politique de rigueur économique instaurée sous sa présidence du pays, avait été presque suivie par ses successeurs. Dès 1990, alors que le Rwanda était  plongé dans la pire crise économique et social, il s'est vu entraîner dans l’augmentation de ses dépenses d’armement, qui par leur envergure, représentent la continuation de la destruction et un danger sans précédant pour sa population. C’est la preuve irréfragable de l’irrationalité et du gaspillage inhérents à la crise prévisible du développement rwandais.

 

            Cela est en partie le résultat d’une situation qui a longtemps mûri dans certaines couches de la population. L’intolérance ethnique a été si forte que certains tutsi n’ont jamais accepté que les hutu les gouvernent (sous prétexte d’indignité et d’incapacité congénitale). A leur tour, certains hutu, se souvenant surtout de l’esclavage d’avant 1959, ont eu peur d’être remplacés au pouvoir par les tutsi. Cela a été aggravé par le fait que même au sein des hutu, le groupuscule au pouvoir ne voulait pas partager le pouvoir avec les autres hutu. Une telle situation de peur et d'égoïsme ne pouvait que générer des complexes psychologiques et des instincts de destruction. A ce propos, voici ce qu' écrit l’Abbé Rutumbu J.[34]: «C’est la peur de l’ennemi, .... qui empoisonne le plus la vie politique. En effet, l’homme (politique) tue pour diminuer ses raisons de craindre. Il tue par peur, car tout meurtre, qu’il soit commis par un particulier ou par l’Etat, est dicté par la peur ». Il semble que c’est cette peur de l’autre (ethnie) qui a été à la base de la guerre et qui continue actuellement de  guider le nouveau régime de Kigali en le poussant au réarmement allant à dépasser les capacités économiques et financières du pays. Cette peur continue de faire plusieurs victimes parmi les hutu et la situation ne s'améliorera probablement pas avant que la minorité tutsi n'arrive à son ultime objectif: "l'équilibre ethnique au Rwanda". C'est à craindre mais l'évolution du pays après la victoire des tutsi et leurs alliés a montré que tout était possible.

 

            L'invasion du Zaïre par l'armée rwandaise (le FPR) déguisée  en octobre 1996 a bien montré que cette peur reste le grand handicap de l'action gouvernemental en matière de développement. En effet, avec la levée de l'embargo sur les armes, le Rwanda a officiellement fait des commandes d'armes de plusieurs millions de dollars au détriment des autres actions de reconstruction du pays. Il fallait trouver dans cette invasion, attribuée à tort et à travers au tribu tutsi des abanyamurenge, une occasion militaire pour le gouvernement FPR installé à Kigali, de massacrer les réfugiés hutu et de chasser les survivants loin des frontières du Rwanda. Tout cela se faisait dans le but de s'assurer qu'ils ne pourront pas être facilement attaqués. En réalité, pour mener à bout son objectif militaire, le pouvoir hégémonique de Kigali (FPR) s'est servi de cette tribu tutsi des abanyamurenge, qui tôt ou tard risque de payer les dégâts.  La communauté internationale qui, pourtant suit de près ce qui se passe dans la région des Grands Lacs, a curieusement privilégié l'hypothèse de l'attaque par des abanyamurenge, dont l'effectif varie avec toute vraisemblance autour de quelques dizaines de personnes. Ce laisser-faire, dominé par une certaine complaisance de la communauté internationale, montre bien que les intérêts de certains peuples en développement diffèrent complètement de ceux qui actuellement se sont fait les maîtres du monde.

 

            Du point de vue économique, cette peur s’est ainsi traduite par un gonflement des dépenses militaires depuis le début de la guerre. Elles se sont trop accru en 1990 et ont dépassé les prévisions du budget du département de la Défense de 152,3 % [35]. De toute vraisemblance, ces chiffres n’ont plus connu la baisse. En effet, sur un budget prévu d'environ 40 milliards de francs rwandais prévu pour l'année 1996, le Ministère de la Défense Nationale avait un beau morceau de 13 milliards soit 32,6 % du budget total. Les dépenses militaires du régime Habyarimana ajoutées au prêts des rebelles aujourd’hui maîtres du pays, ont absolument aggravé la dette du Rwanda. Dans ces conditions, il est clair que l’investissement en actions de développement sera dominé par l’investissement en armement. Si avant la guerre de 1990, on comptabilisait un soldat pour environ 1200 habitants, avec un effectif de plus de 50.000 soldats en 1996, on compte un soldat rwandais pour 120 habitants. C'est un vrai record africain sinon mondial au moment ou les autres pays sont entrain de former des armées de métier avec un effectif assez réduit. Pour lier cela avec les autres secteurs, le pays ne disposait qu’un médecin pour plus de 25.000 habitants avant la guerre. Avec la guerre, cette situation s’est vraisemblablement empirée suite au manque du personnel dans tous les domaines.

 

            Par ailleurs, depuis l’invasion du Zaïre par les tutsi rwandaais en 1996, le Rwanda entretient une armée de plusieurs milliers d’hommes en dehors de ses frontières. Les experts estiment que l’entretien d’une telle armée sur un sol étranger coûte au Rwanda quelques millions de dollars par mois.  D’où vient tout cet argent? Est-ce que les rwandais de demain (la jeunesse) accepteront-ils de rembourser une dette qui a servi à tuer leurs parents ? 

 

            La réclamation de supprimer l’embargo sur les armes, faite et obtenue en 1995 par le gouvernement FPR devant les Nations Unies, a bien montré les préoccupations actuelles des nouveaux dirigeants. Même si le Rwanda voulait recouvrer sa souveraineté par rapport aux autres nations, nous pensons que faire de l’armement sa première préoccupation va à l’encontre de toute idée de développement du pays. Quel que soient les conditions, la force FPR continuera à se mesurer à la complaisance  des pays occidentaux ainsi qu'à la lâcheté des hutu.  

 

 

 - La démocratisation et la trahison du pays

                Tout comme la plupart des autres pays francophones africains, la tentative de démocratisation du Rwanda remonte du sommet franco-africain de La Baule tenu en juin 1990. Jusque là, le régime Habyarimana n'était pas ouvert aux changements démocratiques et va même continuer à s'opposer catégoriquement à la naissance d'autres partis politiques. Rappelons que c'est le seul parti unique - MRND (Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement), qui regroupait de fait toute la population rwandaise. Sous la pression du mouvement révolutionnaire interne et de la communauté internationale, le régime Habyarimana finira, tant bien que mal, par accepter le multipartisme. Une commission nationale chargée de définir l'avenir politique du pays fut mise en place en juillet 1990. Le rapport de cette commission aboutit à la promulgation d'une Constitution "révisée" du 10 juin 1991, qui autorisa la création de nouveaux partis politiques. Le parti MDR (Mouvement Démocratique Républicain) sera le premier parti d'opposition à voir le jour en juin 1991 et suivront le PSD (Parti Social Démocrate), le PDC (Parti Démocrate Chrétien) et le PL (Parti Libéral). Ces partis politiques seront les plus influents dans la population. Le Rwanda va connaître près d'une vingtaine de partis politiques jusqu'en 1994.

 

                        La naissance à la hâte de ces partis politiques et certainement aussi l'inexpérience de leurs leaders seront catastrophiques pour leur avenir et pour l'avenir du pays en particulier. En effet, plutôt que d'expliquer à la population leurs stratégies et leurs idéologies, les leaders des partis d'opposition vont directement se livrer à discréditer l'ancien parti unique (MRND) et surtout son président-fondateur Habyarimana. Ces jeunes leaders iront même à vouloir s'approprier le domaine de la sécurité nationale. C'est ce chaos politique que le FPR a profité pour intensifier la guerre au Rwanda. La cohésion de ces partis surtout avec le FPR va affaiblir le pouvoir du régime en place qui visiblement ne voulait aussi rien lâcher.

           

            Par ces attaques, le FPR a ressuscité les vieilles haines ethniques et a engendré de fait une bipolarisation politico-ethnique. En effet, les massacres systématiques perpétrés contre les populations civiles hutu dans les zones envahies par le FPR entraînaient sans aucune autre alternative les déplacements des populations rurales qui n'étaient en rien impliqués dans cette agression. Ces massacres n'étaient en aucun cas de bonne augure.

- Pour le gouvernement Habyarimana, il n'était pas facile d'entamer des négociations avec chaque fois des menaces de reprise de guerre. De l'autre côté, le FPR intensifiait l'infiltration militaire, recherchait un armement à la pointe, tout cela avec la complicité de certains pays étrangers. Cela ne pouvait jamais amener à une solution heureuse et négociée du conflit.

- Les deux grands antagonistes dans cette guerre (le MRND ainsi que le FPR) voulaient à tout prix une victoire militaire pour enfin s'assurer un pouvoir sans partage. Ils étaient ainsi tous les deux animés par une série de manoeuvres dilatoires afin de faire retarder sinon échouer les négociations de paix. Voilà ce qui a sapé les négociations d'Arusha et qui explique d'ailleurs la politique actuelle du FPR (il règne et gouverne seul, par la terreur et sans l'opposition). Les partis actuellement dits de l'opposition démocratique sont, bon gré mal gré, ses acolytes. Ils n'ont pas pu éviter ce guet-apens.

- En ce qui concerne les partis politiques de l'opposition démocratique, la soif du pouvoir et les intérêts égoïstes ont été à la base de la trahison révoltante du peuple rwandais par les leaders de ces partis. Ils devraient tôt ou tard faire un mea culpa au peuple rwandais. C'est suite à cette trahison bâtie sur l'inexpérience de ces jeunes leaders, sur la convoitise des postes hautement placés dans les grandes affaires du pays, sur le manque de projet de société à construire  dans leurs programmes, sur le manque de sagesse et de clairvoyance politiques, sur la collaboration contre nature avec le FPR, ...,  que ces mêmes leaders ont mené à l'éclatement de leur force politique qui les regroupait: FDC* (Forces Démocratiques de Changement). 

           

            C'est ainsi que le grand parti de tous les temps dans l'histoire politique du Rwanda moderne, le Mouvement Démocratique Républicain (MDR), qui était incontestablement soutenu par une grande partie de la population rwandaise, fut affaibli par ses faux leaders dont les ambitions étaient tout à fait personnelles. Vers la fin de la guerre en juillet 1993 et sous les erreurs des par ailleurs individus qui luttaient pour le poste de premier ministre, ce parti  va éclater en deux factions. La séparation de ces deux tendances au sein du MDR va se radicaliser dans la suite. Précisons ici que dès le début de la guerre et dans le cadre d'un rapprochement jugé nécessaire par l'opposition, certains partis politiques ou leurs factions s'étaient cachés derrière le paravent démocratique pour entretenir des relations plus ou moins officielles avec les inyenzi-inkotanyi (FPR). Ce jeu extrêmement dangereux, qui devait normalement être arbitré au niveau national (gouvernement), n'a jamais été arrêté.

           

            Dès la reprise de la guerre en avril 1994, les deux dissidents du MDR vont s'aligner du côté des 2 forces en confrontation: l'un (MDR Power) pour le MRND et l'autre (MDR de Twagiramungu) pour le FPR. Les hutu qui soutenaient la faction de Twagiramungu et donc pro-FPR seront considérés, à tort et à travers, comme modérés* . Les hutu du MDR Power seront eux considérés comme des durs du Parti: les hutu extrémistes. Le MRND qui redoutait le verdict des urnes en face du MDR ne demandait pas plus. L'affaiblissement du MDR l'arrangeait bien. Quant au FPR, qui ne voulait à tout prix qu'une victoire militaire, digérait mal une troisième force politique susceptible de l'amener à conclure un pacte de paix, rendant ainsi son ambition militaire irréalisable.

           

            De même, le PL (parti libéral), dont le fondateurs était un homme d'affaires hutu, va être vite récupéré par le FPR et tous les tutsi vont rallier ce parti politique. Quelques hutu (ils étaient assez minoritaires) membres du PL, dans le but de faire un front anti-tutsi, vont aussi se rallier au MRND. Pourtant, suite au manque de clairvoyance politique, les responsables du PL avaient toujours passé sous silence la monoethnicité des membres de leur parti. Tous les analystes s'étaient déjà demandé l'avenir d'un parti politique dont presque tous les membres étaient de l'ethnie minoritaire (tutsi) hormis son Président-fondateur et ses quelques acolytes. C'est ainsi qu'à la veille de la reprise de la guerre en 1994, la scission de ce parti avait déjà été presque officielle.

 

            Le troisième parti de l'opposition démocratique - le parti social démocrate (PSD), tout comme le PL, profitait des erreurs et faiblesses du parti MDR pour s'accaparer de ses membres. Devant cette situation, ce parti n'a jamais été plus clair. Réputé trop proche des milieux FPR, mais aussi avec quelques membres hutu qui jouaient le garde-fou, les leaders de ce parti vont se perdre dans cette mascarade politicienne qui divisa les rwandais au lieu de les unir. Voilà comment, au niveau national, sont né les deux fronts politiques antagonistes qui, après la mort de Habyarimana, vont conduire à la confrontation physique et quasi apocalyptique des deux ethnies.

 

            Du point de vue militaire, comment peut-on expliquer qu'un pays relativement bien organisé et dont l'armée avait pu repousser l'agresseur (inyenzi-nkotanyi), arrive à se désintégrer ainsi?

Tout d'abord, l'ancien parti unique n'avait pas fait grand chose pour l'unité des rwandais. Le sens  patriotique  et du bien commun faisait absolument défaut. Dès l'avènement de la seconde république en 1973, le régionalisme à peine voilé s'est concrétisé par un discours arrogant des nouveaux dirigeants (qui ne venaient que d'une seule région) ainsi que par une tendance à un matérialisme trop poussé. C'est ainsi que l'armée rwandaise, au lieu d'être formée par de bons citoyens de tout le pays et constituer une vraie force de défense nationale: "les forces armées rwandaises (FAR)", elle était presque formée par des éléments* de deux préfectures: Gisenyi et Ruhengeri. Ce qui devait être "les FAR" était en réalité devenu les "FARG (Forces armées de Ruhengeri et de Gisenyi)". Toutefois, il faut admettre que la mort du président Habyarimana (chef suprême de l'armée) ainsi que celle du chef de l'Etat major de l'armée rwandaise, survenues lors de l'attentat contre l'avion présidentiel ont constitué un coup dur dans la désorganisation de cette armée. D'un coup, le vide politique tant convoité par le FPR ,et qui allait conduire à la disparition de l'Etat est apparu.

 

            Il faut préciser que suite à ce fléau du régionalisme qui avait d'ailleurs endeuillé une partie importante de la population rwandaise après le putch militaire de 1973, le président Habyarimana et son entourage (AKAZU) tenaient absolument à rester au pouvoir. Il aurait déclaré qu'au lieu de céder le pouvoir aux hutu du sud (abanyenduga), il le donnerait purement et simplement aux tutsi. Pour Habyarimana et son AKAZU, l'ennemi politique numéro un était donc "les hutu du sud: abanyenduga" et en dernier lieu venaient les tutsi. Politiquement parlant, le Rwanda sous Habyarimana se caractérisait par trois forces politico-ethno-régionalistes antagonistes: AKAZU, les hutu du sud (abanyenduga), dont il n'a jamais eu une moindre confiance et les tutsi. Toutefois, ces deux dernières n'étaient pas officiellement reconnues. Cela montre à quel point les atrocités commises envers les leaders hutu de la première république (abanyenduga) par le pouvoir Habyarimana  le hantait encore. Ces quelques lignes montrent également comment le chemin de la victoire du FPR a été préparé, consciemment ou non, par Habyarimana et son entourage.

 

            A tout cela, sont venues se greffer les exigences de la Banque Mondiale et du FMI. Dans le cadre du programme d'ajustement structurel que le Rwanda venait de signer, la réduction du personnel de l'administration public était en pourparlers alors que les effectifs militaires devaient être absolument réduits. On avait probablement oublié que Timeo Danaos et dona ferentis. Cette démobilisation dans l'armée alors que le pays était en pleine guerre a été soutenue par les différents partis politiques d'opposition, non pas par ce qu'ils ne voyaient pas le risque, mais peut être aussi parce que le commandement des FAR constituait un danger potentiel à la démocratisation. Ce commendement soutenait sans réserve le régime Habyarimana. La démobilisation ainsi que le rapprochement de certains partis d'opposition avec le FPR ne pouvaient qu'abaisser le morale des troupes qui étaient déjà minées par des divisions régionales. Malheureusement, ce parti pris et ce manquement patriotique des chefs des FAR se retrouvent encore dans l'armée FPR. L'armée est monoethnique et de fait soutient, défend et représente l'autorité dictatorial tutsi de Kigali. C'est un vrai obstacle à toute tentative de démocratisation du pays.

 

            Il y a lieu de se demander encore ce qui se serait passé si les FAR avaient pu contenir les éléments du FPR après la mort du président Habyarimana. Si, comparativement à ce qui s'est passé après la victoire du FPR, on est d'accord que la victoire des FAR pouvait limiter les dégâts, presque tous les rwandais s'accordent à dire que ce scénario aurait été également décevant en ce qui concerne le respect des droits de l'homme. En effet, comme la garde présidentielle et les interahamwe étaient devenus incontrôlables, rien ne présage que le massacre des opposants hutu et des tutsi allait facilement s'arrêter. Aggravée et combinée avec le problème régional, la situation de la mort de Habyarimana risquait de rendre la population en provenance des régions du Sud du Rwanda encore plus malheureux que le coup d'état de 1973. Toutefois, suite à cette situation incontrôlable de la garde présidentielle et de la milice interahamwe, il serait aussi coquin d'affirmer que leur action était bien longtemps et soigneusement planifiée. Ceci ne vaut pas bien sûr le pardon pour les crimes qu'ils ont commis, mais une planification minutieuse et encore par une armée bien encadrée ne conduit jamais à une défaite imminente. Les tenants de la planification des massacres avancent que les listes des personnes à éliminer circulaient partout. Evidemment, la planification des massacres des opposants politiques, dont la majorité était d'ailleurs des hutu, datait de longtemps*. Mais, affirmer qu'il y a eu une planification des massacres systématiques des tutsi dans tout le pays, c'est un pure mensonge. Actuellement, plusieurs coupables des deux parties des belligérants qui ont exécuté des innocents circulent librement. Certains même occupent des postes de très haute responsabilité dans les affaires politiques du pays.

 

            Toutefois, en ce qui concerne les FAR et leurs alliés, il faut bien distinguer la planification et l'exécution des massacres. Pour un peu comprendre, il faut situer l'événement dans son contexte de guerre, avec des barrières partout dans Kigali. Dans une guerre où la tactique privilégiée de l'ennemi n'était que l'infiltration, il était plus que jamais nécessaire à la population civile d'organiser des rondes et des barrières. Par exemple, les habitants de Kigali qui habitaient un même quartier s'organisaient pour faire des rondes. Quant aux interahamwe, ils avaient mis des barrières sur des carrefours stratégiques. Malheureusement, les interahamwe ont été caractérisé par une indiscipline qui faisait passer par l'échafaud tous ceux qui n'épousaient pas leur action. L'ennemi a été confondu avec la population. Il est à noter que l'initiative des rondes est venue de la population des divers quartiers de la capitale bien avant 1994, étant donné l'insécurité qui sévissait dans Kigali. Malheureusement, la population en a été victime en 1994, vu que pendant la nuit, on se promenait avec une machette alors que l'ennemi utilisait des armes à feu. Etablir une liste de personnes selon tel ou tel autre critère n'était qu'une question de secondes. Il n'y avait donc pas d'état major pour centraliser ces listes qui n'étaient établies d'ailleurs que sur des barrières. Cette tactique s'étant généralisée dans tout le pays, il s'est avéré que certaines personnalités administratives ont participé à l'élaboration de ces listes. Pour ces personnes, la responsabilité dans cette affaire reste totalement personnelle. Certes, des coupables qui ont exécuté des massacres de 1994 existent , mais pas des planificateurs.

 

            Un essai de compréhension de cette situation amène à donner des éclaircissements suivants. Le 6 avril 1994, c'est l'attentat contre l'avion présidentiel avec la mort des deux présidents rwandais et burundais. Suite à cet événement tragique et en même temps, la garde présidentielle et les soldats FPR stationnés à Kigali commencent les massacres des populations civiles. Bien que ces massacres ne soient en aucun cas pardonnables, les premiers l’ont fait par fureur qu’ils n’ont pas pu contenir. Pour les seconds, c’était une suite logique de leur plan de cette guerre. La milice interahamwe renforça dès lors les barrages à travers toutes les rues de la capitale. Le 9 avril 1994, c'est la proclamation du gouvernement Kambanda. Ce gouvernement, qui devait être un gouvernement de crise fort a hérité une situation déplorable. Pour contrer l'avancé du FPR, les interahamwe ont été armé. Leur cible ne fut pas claire. Ils s'en prirent aux tutsi, aux opposants politiques hutu et même des règlements de compte terrorisèrent tout le pays. Des familles entières des hutu, même celles des officiers supérieurs* des FAR furent froidement abattues. Tout cela a rendu la situation de plus en plus incontrôlable. Si on y ajoute la boulimie de l'argent et des autres biens matériels, Kigali était devenu un véritable théatre chaotique improvisé. Le jeune gouvernement se trouvait devant des faits accomplis. S'il y a eu des planificateurs des massacres à grande échelle, ils ne pouvaient que se trouver du côté FPR, qui avait planifié à son aise la guerre et évalué toutes ses conséquences. Quant aux autres acteurs qui se trouvaient à l'intérieur du pays (gouvernement, FAR, partis politiques et leurs milices), leur responsabilité dans le massacre des tutsi réside dans l'exécution et non dans la planification. Cette responsabilité est en outre absolument individuelle.

 

             Tout ce qu'on peut reprocher aux responsables politiques du gouvernement hutu dirigé par Monsieur Kambanda* , ils n'ont pas pu et/ou voulu arrêter à temps les massacres ethniques. Ils ont par ailleurs armé les milices et par leur discours belliqueux, attisé les haines. Dans la suite, leur discours appelant au calme n'a rien donné. D'un côté, les interahamwe étaient devenus des maîtres absolus de la ville. L'autorité de l'Etat (gouvernement) était devenue inférieure à celle des interahamwe. De l'autre côté, le FPR avait aussi commencé son sale besogne de nettoyage ethnique. C'était un chaos sanglant.  Il était bien sûr très délicat à ce gouvernement de maîtriser la situation, étant donné qu'il ne contrôlait pas l'évolution militaire sur le terrain. C'est pourquoi, les reproches formulés par la communauté internationale à son encontre devraient être bien pesés. Cette communauté internationale connaît d'ailleurs les conditions difficiles de son investiture, puisqu'elle a participé activement à sa formation. Quoi qu'il en soit et quels que soient les motifs des massacres des populations civiles survenus sous ce régime et celui des inyenzi-inkotanyi, l'extermination de vies humaines n'est pas un mode de gestion digne d'une société du vingtième siècle. N'ayant pas été à même de se défendre correctement, les hutu ont même  payé cher après la victoire du FPR. Cette défaite, assimilable à tort ou à raison, à une lâcheté de la majorité  hutu est exploitée par certains médias de mauvaise foi, pour globaliser la criminalité dans cette guerre à toute une ethnie. Au lieu de porter un jugement sincère et sévère à tout le système du régime Habyarimana, qui a été d'ailleurs longtemps soutenu par les occidentaux, on est en train d'incriminer tout un peuple pourtant innocent. C'est pourquoi, la responsabilité devrait être individuelle et non collective. En même temps, si l’on veut mettre à nu la vérité rwandaise, il est absolument indispensable de déterminer la responsabilité du FPR qui, soutenu par les pays extérieurs, a fait même l’impensable aux hutu.

 

            Notons également que la communauté internationale s'est suffisamment rendue coupable dans tout ce qui s'est passé au Rwanda. Du côté des sympathisants du FPR, ils n'ont jamais voulu entendre parler du cessez-le-feu. Les USA ont même été catégoriques en refusant une force d'interposition entre les belligérants. La prise de position de cette communauté encourageait même l'intensification de la guerre. Du côté gouvernemental et cela datait de longtemps, il faut savoir qu'aucune politique ne pouvait être prise sans l'aval des puissantes ambassades étrangères accréditées à Kigali. Rappelons que ces ambassadeurs*, qui étaient averti de tout ce qui se passait au Rwanda, avaient participé à la mise en place de ce gouvernement de crise et sûrement qu'ils ont continué à le conseiller.

 

            Par ailleurs, malgré que le Rwanda était un des rares pays africains qui arrivaient encore à rémunérer son personnel de l'administration publique, la crise économique que traverse le monde n'avait pas épargné le pays. C'est ainsi qu'au lieu d'affronter l'ennemi, la plupart des soldats avaient quitté leurs positions pour aller piller. Kigali-la capitale (elle réunissait 69 % du commerce de gros et autant du commerce de détail implanté dans les villes; elle avait aussi 70 % des industries manufacturières implantées dans les villes et en 1991, elle concentrait aussi 66,3 % des dépôts bancaires du pays), qui concentrait 21,6 % des établissements[36] du tissu économique national, était ainsi devenue le centre des pilleurs et des bombardements FPR. Ainsi, presque tous les camps militaires des FAR s'étaient repliés** sur la capitale, laissant ainsi l'ennemi progresser librement sur le territoire national. Notons également qu'au lieu de créer des fronts réels de résistance à l'agresseur, les autorités du gouvernement Kambanda ont incité la population civile hutu à fuir l'avancée du FPR. Si tous les hutu morts au Zaïre, au lieu de fuir, avaient pris les armes (les armes sophistiquées n'étaient pas tellement nécessaires) et fait le maquis contre le FPR, la guerre au Rwanda aurait pris une autre tournure. Mourir en combattant l'ennemi aurait été mieux. Fuir est décidément un acte de lâcheté.

 

            Il faut également ajouter l'embargo sur les armes décrété par les Nations Unies contre les FAR en mai 1994. Apparemment, cet embargo ne faisait que venir aggraver une situation militaire presque irrécupérable*** sur le terrain. Ici, il y a toujours lieu de se demander si la communauté internationale voulait la paix dans la région des Grands Lacs. Pourquoi n'a t-elle pas imposé cet embargo à l'agresseur du Rwanda, même au début de cette guerre en 1990? Pourquoi cet embargo, décrété par le conseil de sécurité par sa résolution 918/1994 a été unilatéral alors qu'il était évident que la guerre imposée au Rwanda venait de l'extérieur? Y-a-t-il y eu un laisser-faire ou une complicité?

La raison du plus fort est toujours la meilleure.

Depuis que le FPR a pris Kigali par les armes en juillet 1994, cette victoire militaire a été admise par la communauté internationale comme une victoire sur tout un peuple. En effet, au lieu d'apaiser les esprits, le camp tutsi, alors qu'il était sorti vainqueur, s'est vu reconnaître par cette même communauté comme seul victime de la guerre. La bipolarisation hutu tutsi atteint ainsi son paroxysme. La suprématie tutsi, alors que ces derniers restent assez minoritaires, prit une telle ampleur que les hutu se sentirent menacés par le simple fait d'être hutu. Des exactions sommaires, des disparitions inexpliquées des hutu, bref des bavures des droits de l'homme à l'échelle nationale prirent place. La communauté internationale sembla cautionner ces faits. Le FPR, sans qu'il soit dénoncé, fut le seul interlocuteur officiciel et valable en ce qui concerne les problèmes de développement du Rwanda. Jusqu'en 1999, rares sont les voix qui ont osé dire la vérité sur l'Etat FPR. 

- Le mensonge et la désinformation

                Tout régime politique qui repose sur la non transparence est tôt ou tard voué à sa propre destruction. C'est le cas du régime Habyarimana qui cachait la réalité à la population. Cette situation s'est aggravée avec l'attaque du pays en 1991. En effet, l'attaque du Rwanda par l'Ouganda et par quelques éléments de la diaspora rwandaise a été toujours masqué sous la désinformation. Du côté du régime Habyarimana, on a pas voulu dénoncer haut et fort l'agresseur, croyant que la diplomatie rwandaise allait triompher. Le résultat fut décevant. Habyarimana a, à plusieurs reprises, rencontré officieusement le président Museveni. Leurs promesses, qui avaient pour objet de coincer les rebelles tutsi et mettre fin à la guerre n'ont pas été respectées. Habyarimana avait probablement oublié que le président Museveni était lui-même un tutsi (hima). Rien n'a été révélé au peuple rwandais à propos de ces rencontres.

 

            Du côté FPR, dès les premières heures d'agression du Rwanda, les attaquants criaient haut et fort qu'ils luttaient contre le régime antidémocratique de Habyarimana. Soutenu par les médias occidentaux qui avaient été corrompus, le FPR a caractérisé le régime du feu président par tous les maux. La radio FPR y joua un grand rôle. Quelques années à peine après la prise du pouvoir  par le FPR, force est de constater que son régime est décidément bâti sur le mensonge. Ses promesses (démocratiques et économiques) ne sont restées que lettre morte. Son régime risque fort de vivre le même sort que celui de son prédécesseur. Pourtant, quelques heures avant cette attaque, le régime Habyarimana était l'un des régimes africains les mieux cotés en Occident. D'où est venu alors ce revirement brutal des occidentaux à 180°? Certains avancent que le FPR avait corrompu les médias afin de discréditer le régime. Ah oui, les médias forment actuellement un quatrième pouvoir souvent utile mais aussi dangereux. Il est surtout très dangereux pour les pays progressistes qui veulent se libérer de la domination impérialiste actuelle. Les dirigeants qui veulent mettre en cause les rapports des anciens métropoles avec leurs pays sont ainsi assassinés dans l'anonymat total, pourtant sous les yeux de cette presse volontairement muette. C'est le cas de plusieurs présidents africains progressistes dont l'inoubliable président bourkinabé SANKARA. En ce qui concerne Habyarimana, il semble aussi que certains de ses sympathisants occidentaux en avaient marre de lui. Vingt ans de règne, c'était assez. Habyarimana était devenu un dictateur respectueux, qui arrivait même à contredire ses pères occidentaux. Il fallait en finir avec lui.

 

            Tout récemment encore, les occidentaux ont voulu étendre ce qu'ils ont appelé "syndrome Pinochet". En effet, profitant de la visite officielle que le président Kabila du Congo effectuait en Europe en novembre 1998, ils ont voulu l'inculper et l'arrêter. Ils avançaient que Kabila était un dictateur qui avait violé les droits de l'homme dans son pays. C'est vrai que Kabila a fait piétiner l'enquête sur les massacres des milliers de hutu au Zaïre. Il a chassé les enquêteurs onusiens. Mais, les occidentaux oublient que c'est l'armée FPR qui a fait ce génocide. De plus, cette armée était appuyée par ces mêmes occidentaux qui aujourd'hui, veulent brouiller les pistes en nommant Kabila comme seul responsable. Kabila était une marionnette mis à la tête de la rébellion, mais les vrais responsables sont du FPR. C'est justement quand Kabila a voulu s'imposer comme vrai maître du Congo et qu'il avait tourné le dos aux occidentaux, qu'il a encaissé tous les maux. Pourquoi alors ces occidentaux ne veulent pas être objectifs? Avec le syndrome Pinochet qui est actuellement à la mode, gare aux chefs d'Etat des pays en voie de développement qui voudront se libérer de la domination impérialiste des occidentaux. Ceci montre le point faible des démocraties occidentales. Avec leurs médias qui sont superpuissants, la justice revient toujours à celui qu'ils veulent  et non à celui qui la mérite. 

 

            Dans la région des grands lacs, après la tombée de Kigali en 1994, les pays occidentaux et leurs médias ont continué de soutenir de prétendus groupes de rebelles (soldats FPR et ougandais) qui ont attaqué le Zaïre, attisant ainsi le conflit ethnique dans la région. Pour cacher de véritables coupables, ils ont diffusé sur leurs ondes que la région est ravagée par une guerre civile. Ils ne pouvaient donc pas se mêler des  affaires internes des autres pays indépendants. Pourtant, ils n'ont jamais arrêté de fournir des armes, des munitions et des instructeurs à ces prétendus rebelles. Les américains ont même été sur le champ de bataille à côté des mercenaires de Kabila. Entre-temps, des milliers et des milliers de réfugiés rwandais mouraient. L'indifférence fut totale. Ayant déjà décrété que l'Afrique subsaharienne était trop surpeuplée, ils ont sûrement trouvé une politique démo-économique en leur faveur mais destructrice pour la région. Les médias internationaux y sont pour quelque chose. Ils nous désorientent souvent au lieu de nous informer. La responsabilité dans le drame rwandais a par exemple été attribué seulement aux hutu.

 

            A notre avis, l'Afrique peut gérer toute seule tous ces conflits. Elle n'est ni pauvre, ni  mal équipée comme les uns veulent le faire croire. Elle est manipulée par les puissances étrangères. Elle manque des dirigeants dignes de ce nom, capables de la libérer. Elle est mal gérée à cause surtout des intérêts impérialistes. C'est la vache à traire pour les puissances occidentales. C'est pourquoi la plupart des dirigeants africains sont investis au trône par ces puissances étrangères. Tout ce qui se passe aujourd'hui en Afrique est commandité de l'extérieur mais la responsabilité est rejetée, à tort ou à raison, sur les africains. 

 

            Après la prise du pouvoir par le FPR en 1994, ses idéologues ont essayé de transformer l'histoire du Rwanda. Contrairement aux croyances de leurs grands-pères, les jeunes de la diaspora tutsi nient l'existence des hutu, tutsi et twa en tant que entités sociales indépendantes les unes des autres. Tous les hutu ont été obligé, bon gré malgré, de s'imprégner de ces nouvelles pensées idéologiques. Cela se faisait dans le but de montrer qu'il n'y a pas de vrai problème hutu-tutsi. Sans vouloir nier qu'effectivement ce problème doit être dépassé, nous pensons qu'il faut d'abord reconnaître qu'il y a un problème et ensuite chercher sa solution. Chercher une solution d'un problème socio-politique qui n'est pas bien posé, ou qu'on masque volontairement dans le seul but de rester au trône, ne peut conduire qu'à un imbroglio social dont les conséquences risquent d'être désastreuses.

 

            Cette manière médiatique de gérer la crise rwandaise ne facilite pas l'aboutissement à une meilleure solution: la paix dans la région. Cinq ans après les événements regrettables du Rwanda, il est malheureux de remarquer que ces mêmes médias continuent d'attiser le feu en se posant de fausses questions relatives aux FAR (forces armées rwandaises). Pourtant, ils n'ont jamais voulu lever l'ambiguïté et dire à  ceux qui le souhaitent que les agresseurs du Rwanda venaient d'un autre pays bien connu: l'Ouganda, qui les soutenait en matériel et même en hommes. Pourquoi vouloir connaître la provenance des armes d'une armée qui était régulière (FAR) et ignorer expressément la provenance des armes des réfugiés tutsi dont l'acquisition et l'utilisation étaient d'ailleurs théoriquement interdites par la communauté internationale?  Etait-il possible que seuls les réfugiés tutsi (sans la complicité des pays traîtres), avec des moyens de survie qu'ils disposaient, eussent pu attaquer le Rwanda et le détruire complètement? Y aurait-il eu des massacres (que les uns appellent même génocide) si le FPR n'avait pas attaqué le Rwanda en 1990 et persisté dans une logique de guerre jusqu'à sa victoire? Que les spécialistes du Rwanda répondent objectivement.

 

Qu'on se détrompe.

                Plusieurs pays continuent d'avoir de bonnes relations avec le FPR. De telles relations sont surtout renforcées par les soi-disants spécialistes du Rwanda. Ils donnent des informations, vraies ou erronées, à leurs gouvernements respectifs, sur l'état actuel de la gouvernance FPR. Malheureusement, presque tous les touristes occidentaux ayant à peine mis leur pied au Rwanda se sont déclarés ou se sont vus attribuer le titre de "spécialiste du Rwanda". C'est ainsi que des hommes et des femmes qui, à peine connaissaient le pays avant la guerre, ont pris leurs plumes et écrivent des pages et des pages sur le pays des mille collines. Mais, de quelle valeur sont tous ces écrits?  Différente bien sûr, mais ... Pour éviter de scandaliser les uns et les autres, j'invite les amis qui ont connu le Rwanda d'hier et qui connaissent le Rwanda d'aujourd'hui, de les juger avec toute objectivité. La méconnaissance des réalités rwandaises avant et après la guerre constitue un vrai handicap pour une réaction valable de tous les occidentaux. Malheureusement, tous les contours de la solution au problème rwandais passent par eux. Les spécialistes du Rwanda ne sont pas nombreux. On peut même affirmer, à de rares exceptions près, que tous ceux qui se sont vus attribuer ce titre ne le sont réellement pas. Pourtant, ils sont nombreux. La preuve est que, si ces spécialistes existaient réellement, ils auraient pu, bien avant le mois d'avril 1994, élaborer des scénario probables sur l'agression que le Rwanda venait de vivre pendant plus de trois ans. Cela pouvait limiter les dégâts et actuellement, il y aurait de quoi se féliciter. Rien n'a été fait justement puisque personne ne comprenait rien et donc n'était spécialiste du Rwanda. Qu'on se détrompe alors. Actuellement, ces soi-disant spécialistes du Rwanda ou encore des Grands Lacs sont divisés eux-mêmes en plusieurs camps. Les uns chantent la bonne gouvernance du FPR et les autres, qui y voient peut-être plus clair, ont déjà lancé un appel de détresse. Effectivement, quand ils comparent le régime FPR avec le régime dictatorial de Habyarimana, ils ne trouvent presque pas de différence hormis le changement des figures au pouvoir. Les rwandais ne peuvent pas participer à la vie nationale et donc faire de la politique. Certains analystes disent même qu'entre les deux régimes, le premier serait le meilleur. C'est vrai que le pouvoir Habyarimana était dictatorial, mais au moins la liberté de presse, surtout de l'opposition, était manifeste. En plus, depuis que le Rwanda existe, même sous le régime des monarques tutsi les plus cruels que le Rwanda ait jamais connus, il n'y a jamais eu autant de disparitions inexpliquées de personnes de l'ethnie opposé à celui au pouvoir. Si le FPR continue de semer la tempête, il récoltera aussi la tempête. Les médias occidentaux pro-FPR ne devraient plus tromper personne. Le régime FPR doit et devra être jugé par ses actions. Plus d'illusions.

2.5 Situation du bien être de la population

            Dans son chemin de lutte pour le bien-être, la population rwandaise avait essayé de surmonter les obstacles rencontrés. C’est ainsi que, malgré la mauvaise conjoncture économique internationale de ces dernières années, elle avait essayé de s’adapter en appliquant les mesures de redressement et d’austérité prises en vue de juguler cette crise. Un effort particulier avait été consenti par la population en utilisant sa propre force physique en vue de réaliser plusieurs actions de développement (construction d’écoles et de centres de santé, protection des sols contre l’érosion, etc. ). Ainsi, l’aide venait pour appuyer les actions déjà entamées et l’objectif dans le moyen terme était de la rendre marginale. On ne peut pas penser au bien-être de la population rwandaise sans parler de l’agriculture. Cette branche occupe 90 % de toute la population et ses performances se répercutent directement sur la façon de vivre des gens.

 

                       a) Les principales tendances de l’économie

           

             Le but ultime visé par le développement au Rwanda avait été d’assurer le bien-être général à la population grâce à une amélioration de son niveau de vie. Tous les objectifs, qu’ils soient économiques, sociaux, culturels ou politiques devaient converger vers cet aspect du bien-être du citoyen. Malheureusement, les résultats de ces dernières années (avant la guerre) n’ont pas été brillants. On a même assisté à une tendance d’aggravation de la paupérisation de la population qui s’est traduit par un accroissement du nombre de personnes vivant dans la misère ainsi que de celles qui sont soumises en permanence à une vie à haut risque, chaque fois qu’il y avait un petit obstacle provoqué soit par les calamités naturelles ou par les perturbations socio-économiques.

 

            Le secteur agricole, dont la production à l’époque féodo-coloniale était liée aux travaux obligatoires et du fouet (AKAZI K’IBIBOKO), va se retrouver en baisse après l’indépendance. Le caractère coercitif des travaux réalisés à cette époque va être remplacé par un certain courant de liberté après l'indépendance. Les travaux de lutte anti-érosive seront en général abandonnés et certaines réalisations effectuées dans ce domaine seront même détruites. Il en sera de même pour la plantation des tubercules qui étaient destinées à lutter contre les famines ainsi que pour l’entretien des champs de café.

 

            Dans la suite, après une forte vulgarisation agricole, la production agricole va se redresser peu à peu, mais va se heurter surtout à une croissance forte de la population qui va entraîner une miniaturisation excessive des parcelles agricoles, ainsi qu’aux faibles ressources allouées à ce secteur pour être intensifié. De 1962 à 1981, les cultures de rapport ont reçu 33,71 % du financement total réservé aux projets agricoles et les cultures vivrières n’ont eu que 0,90 % de ce montant [37].

 

            La production agricole va ainsi connaître des hauts et des bas niveaux, mais suite à la forte croissance démographique dont le taux dépassait parfois celui du produit intérieur brut, elle n’a pas permis  une hausse du produit par habitant qui a eu même tendance à fléchir lentement ces dernières années.

 

            Cette situation économique a été aggravée en 1985, par la disparition de la seule société d’exploitation minière du Rwanda (SOMIRWA ), qui s’est vue fermée après la tombée en faillite de la société-mère (GEOMINES). Pourtant, les experts de la SOMIRWA-GEOMINES venaient de construire une fonderie moderne de cassitérite à Kigali et cette usine reste actuellement mal exploitée.  Précisons que la Somirwa utilisait près de 10.000 personnes dans les années 1980 [38].

 

            Il faut signaler que l’exploitation des mines par la SOMIRWA se faisait à ciel ouvert. Ne s’étant jamais soucié des problèmes environnementaux et donc de l’avenir de ces sites, des milliers d’hectares de terres destinés à cette exploitation sont très vite devenus inutilisables à d’autres activités. En effet, les cratères creusés à la recherche de minerais, l’éboulement actuel de terrains, la coupe des arbres sans aucun programme de reboisement, sont autant de caractéristiques qui font de ces sites, des régions agronomiquement irrécupérables.

 

            La trop forte dépendance de l’économie nationale à l’égard du café s’est fortement accentuée depuis l’effondrement du secteur minier si bien que la dégradation des cours des produits d’exportation ( café+thé ) a annihilé tous les efforts jusqu’alors fournis pour stabiliser l’économie. Cette crise [39] s’est traduite par une décroissance du PIB (- 1,7 % en 1990 ), par un déficit élevé des finances publiques, par un déséquilibre de la balance des paiements ( 3352 millions de FRW en 1990 contre 1344 millions en 1987 ), par l’aggravation de l’endettement du pays, etc.

           

            Pour faire face à ces difficultés, le Rwanda a été obligé de négocier avec la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International et un programme d’ajustement structurel à moyen terme pour la période 1990-1993 avait été mis en oeuvre. Citons cependant qu’au cours des années soixante-dix, le Rwanda avait enregistré des taux de croissance économiques élevés (5 % en moyenne).

           

            Le secteur primaire qui regroupe l’agriculture, les mines et les carrières a connu en 1991 une quasi-stagnation dans son ensemble. Le secteur secondaire, avec une baisse estimée à 3,5 % [40] de la valeur ajoutée, a accusé une forte contraction de ses activités dû essentiellement à la situation de guerre de 1990.

 

            L’industrie manufacturière au Rwanda a été toujours dominé par l’artisanat dont la branche la plus importante reste la production artisanale des bières de banane et de sorgho. Les IIe et IIIe Plans de Développement Economique et Social avaient prévu une croissance de ce secteur. Avant la guerre, on comptait environ une centaine d’entreprises modernes employant plus de trente personnes et cette fois-ci aussi, les transformations agro-alimentaires dominaient également. Ce type d’industrie, conçue au départ comme une industrie d’import substitution s’est révélé dans la suite grand importateur d’intrants à l’extérieur, ce qui coûtait cher en devises et participait au renforcement de la dépendance et de la désarticulation de l’économie nationale.

 

             L’épargne privée s’était orientée plus vers l’immobilier de rapport, le commerce et le transport. Un certain dynamisme d’accumulation avait émergé chez l’Etat et chez les privés, grâce surtout à la production des cultures d’exportation et vivrières. C’est grâce à ces cultures que l’Etat parvenait, si la conjoncture des prix sur le marché internationale était favorable, à équilibrer sa balance commerciale. Par ailleurs, le commerce a procuré assez de revenus aux privés. Ces revenus, qui passaient souvent dans les doigts des agriculteurs et qui s’expliquaient par d’énormes écarts de prix dans le temps et dans l’espace  rendaient le marché imparfait. En effet, il n’était pas rare de voir le prix d’une denrée alimentaire se multiplier par 2 fois quand on quittait une région à une autre. C’est ainsi que les commerçants ont pu s’enrichir en stockant souvent la production pendant la saison des récoltes et en spéculant sur la hausse des prix pendant la période de soudure.

 

            Il est à noter également que certains membres de l’appareil bureaucratique de l’Etat ont failli à leur devoir de veiller d’abord sur les intérêts généraux de la grande masse populaire. Les intérêts privés ont ainsi dominé les intérêts publics. Cela s’est traduit par une transformation de l’appareil étatique en un instrument d’une minorité cherchant et défendant  leurs propres intérêts au détriment de la grande masse paysanne. L'accumulation illicite, liée à l’accaparement du bien commun s’était développée ces dernières années. A tout malheur quelque chose est bon, la plupart de ces éléments avaient essayé d’investir à l’intérieur du pays et non à l’extérieur, créant ainsi quelques emplois productifs. 

 

            Apparemment, les responsables FPR ont hérité une économie essoufflée. La chute des prix des matières premières (café et thé) sur le marché international alors que ces deux cultures rapportaient au pays plus de 80 % des exportations totales du pays constitue un coup sévère pour l’économie nationale, et cette situation risque de perdurer. En effet, la situation d’insécurité que continue d'entretenir le régime FPR à l'intérieur du Rwanda, couplée avec les attaques de la rébellion hutu venant de l'extérieur, ne militent pas en faveur d’une quelconque augmentation de la production agricole. Plus particulièrement, la production des deux principales cultures de rapport risque de chuter étant donné qu'elles n’apportaient d’ailleurs aux agriculteurs que des gains marginaux.

 

            La politique prise par le nouveau gouvernement de remonter le prix du café passant de 135 francs rwandais/ kilo en 1993 à 300 francs est une politique incitative en faveur de l’augmentation de la production de cette denrée, mais il reste à voir si elle ne va pas buter sur la baisse des prix sur le marché international ainsi que sur la réticence des agriculteurs, préoccupés d’abord  par l’insécurité quotidienne que par l’augmentation de la production agricole.

 

            Par ailleurs, étant donné la gestion de la chose publique qui laisse déjà à désirer * (plusieurs témoignages font état de beaucoup de détournements dont le journal du gouvernement IMVAHO), il est regrettable de voir que les infrastructures de production (usines) dont les propriétaires ne sont pas encore revenus ont été confisquées par quelques individus. Après la prise de Kigali, certaines de ces infrastructures avaient déjà été pillées* vers l’Ouganda et les responsables politiques de l’opposition réclamaient que l’équipement des industries lourdes acheminé dans ce pays par le FPR et ses complices soit restitués au Rwanda au même titre que le patrimoine emporté par l’ancien gouvernement au Zaïre. L’économie risque donc d’être asphyxiée et de se concentrer dans les mains d’une petite minorité. Cette minorité ne se contente que de puiser le plus vite possible, les revenus provenant des infrastructures économiques trouvées sur place et considérées comme butin de guerre, tout en rendant aléatoire la rentrée des vraies propriétaires de ces biens.

 

            De plus, si malgré le peu de ressources qu’il dispose, le Rwanda était connu parmi les pays les moins endettés, il faut remarquer que le poids de la dette publique s’est trop vite alourdi à cause de la guerre. En effet, la dette publique, qui était estimée à 6.678 millions de francs rwandais en 1990 s’est vu doublée à moins de 2 ans allant jusqu’à 13.702 millions soit une augmentation de 105 %. Si le budget national s’était augmenté de 52 % pour la même période, le budget du département de la défense a presque triplé, passant de 3.155 millions en 1990 à 8.885 millions en 1992 [41] soit une augmentation de 181 %. Il est à noter qu’entre 1985 et 1989, le service de la dette occupait la seconde place parmi les différentes catégories de dépenses de l’Etat après le personnel et se réservait 48,9 % de ces dépenses. Pour autant que la paix ne sera pas revenu dans la région, l’armement du pays risque d’être la principale composante du budget national et la situation socio-économique ne continuera qu’à s’empirer. Les actions de développement seront ainsi considérées comme secondaires par rapport à la logique de la guerre.

 

            Comme le montre le tableau ci-après, le montant de la dette devient de plus en plus lourd au fur et à mesure qu’on avance dans le temps. Cela implique que les jeunes rwandais auront plus de dettes à rembourser malgré la conjoncture qui continue à se détériorer ce qui va jouer sur leur avenir ainsi que sur leur manière de vivre.

 

                                                                                                           Tableau n° 6

 

                             Dette publique extérieure au 31.12.1989

                                          ( en millions de FRW )

                   

Terme

Montant

Encours (%)

 

0 à 5 ans

593,6

1,07

6 à 10 ans

624,9

1,12

11 à 20 ans

8347,7

15,03

21 à 30 ans

11308,4

20,56

40 à 45 ans

3647,1

6,56

46 à 50 ans

31023,3

55,85

Total

55545,4

100 %

                       

          Source: République Rwandaise, Ministère du Plan, Bulletin statistique n° 17 , 1992             

            Tout rwandais devrait s’imprégner que le développement de son pays lui revient. Même si les aides continuent actuellement d’affluer vers le pays, il est grand temps de considérer l’aide à sa juste valeur. Jusqu’à présent, malgré la multiplicité des organismes d’aide et les organismes non gouvernementaux qui semblent d’ailleurs être plus intéressés par les crises que par les solutions y relatives, aucun pays ne s’est réellement développé à cause de l’aide. Certains d’ailleurs considèrent à juste titre l’aide comme un iceberg que les pays les moins développés sont tenté de prendre comme une planche de sauvetage alors que les conditions  environnantes ne permettent pas à cette planche de rester au dessus de l’eau.

 

            La crise de l’économique provoquée en partie par l’évolution des tendances de la crise du politique ne serait-elle pas à la base des différentes formes de crise sociale que le Rwanda est en train de vivre? La réponse semble être oui. Le développement du Rwanda est donc fortement hypothéqué, étant donné qu’un développement qui détruit les liens entre les diverses composantes sociales d’un pays ou qui y entretient constamment des relations conflictuelles ne peut conduire qu’à sa destruction. Il convient donc que tous les rwandais, surtout les responsables à tous les niveaux administratifs et politiques, prennent dès à présent conscience, que le problème rwandais n'est pas seulement de nature ethnique ou politique, mais que pendant ces dernières années, il a de plus en plus pris racine dans la vie économique (problèmes des jeunes sans terres et sans avenir, insécurité et manque d'emploi, enrichissement illicite des (ir)responsables du pays et paupérisation de la majorité de la population, ...). Les solutions relatives à la réconciliation et à la reconstruction du pays devraient toucher tous ces aspects.

 

            C'est pourquoi, toute hypothèse qui cherche à clarifier la réalité du conflit rwandais en le réduisant à une seule variable est tronquée. La réalité rwandaise semble avoir changée avec le temps. En effet, avant 1959, le problème rwandais pouvait se limiter à un conflit social. Aujourd'hui, elle est devenue politico-socio-économique. Etant donné que la faible économie rwandaise repose sur l'agriculture, une analyse même superficielle, du secteur agricole semble nécessaire afin de mieux comprendre toutes les facettes du problème rwandais.

.

 

 b) Problème de développement rwandais face à l’agriculture et à l’alimentation

              - Etat général du problème agricole et de la pauvreté

            La notion de développement et donc du bien être de la population est assez complexe pour être clairement définie ici. En effet, il semble que ce concept varie selon la géographie, la culture, la richesse relative du pays, etc.. Au Rwanda, comme l’économie du pays est essentiellement basée sur l’agriculture et que ce secteur occupe plus de 90 % de la population, le bien être de la majorité de la population semble être lié avec la bonne ou la mauvaise production agricole. Dans un Rwanda où les rapports marchands ne sont pas assez développés et où la production familiale est dominée par l’autoconsommation, le bien être de la population se confond avec la pauvreté qui elle aussi, est directement fonction de la production familiale agricole. Trois[42] points de vue sur le concept de la pauvreté ont été développés par le PNUD.

            - Du point de vue du revenu, une personne est pauvre si et seulement si son niveau de revenu est inférieur à un seuil de pauvreté prédéfini par l'Etat. Il peut ainsi varier d'un Etat à l'autre pour des fins de planification et est défini comme  le niveau de revenu en deçà duquel il n'est pas possible de se procurer une quantité de nourriture donnée.

            - Du point de vue des besoins essentiels, la pauvreté est caractérisée par un manque de moyens matériels permettant de satisfaire un minimum acceptable de besoins alimentaires, mais aussi de santé, d'éducation, d'emploi et d'autres services fournis par la communauté.

            - Du point de vue des capacités, la pauvreté représente l'absence de certaines capacités fonctionnelles élémentaires pouvant aller du domaine matériel, social ou du domaine de revenu et de produits de base.

 

            Afin de lever toute équivoque dans notre travail, nous considérons ici la pauvreté comme une impossibilité  de satisfaire au minimum des besoins humains les plus fondamentaux. Cette définition semble être relative aussi, étant donné que ces besoins élémentaires peuvent varier d’un individu à l’autre selon leurs habitudes de consommation,  d’un espace géographique à un autre, etc.... Ainsi, les années de bonne production agricole, sans risque de malnutrition quantitative et qualitative avec un surplus pouvant couvrir les besoins au delà de l’autoconsommation, sont considérées par la population au Rwanda comme des années de bonheur et de prospérité [43].

 

            Comme le montre le schéma ci-dessous, la pauvreté est source de malnutrition. Elle augmente la morbidité et la mortalité, jouant ainsi négativement sur l'effectif de la population. Pire encore, elle freine  les mécanismes du développement. Visiblement, la pauvreté et le développement ne vont pas de pair. Là où il y a le développement, la pauvreté est freinée et là où la pauvreté sévit, le développement est tout à fait compromis. Par ailleurs, le développement tout comme la pauvreté jouent sur l'environnement et vice versa. Il est à remarquer que le développement peut jouer sur l'environnement un rôle aussi bien positif que négatif. En effet, plusieurs technologies actuelles de production sont économiquement rentables, mais en même temps, ont un rôle assez négatif sur l'environnement. Certaines produisent même directement des déchets nocifs aux êtres vivants. Le terme "développement ", pris dans le cadre de la modernisation, devient ainsi insuffisant pour exprimer réellement le vrai outil du bien-être des populations. C'est pourquoi certains organismes ajoutent à ce terme un qualificatif: développement "durable" par exemple. 

 

            Bref, si on considère un système comme un ensemble d'éléments en interaction dynamique, les trois variables (population, développement, environnement) forment un système qui est constamment en évolution. Toutes choses étant égales par ailleurs, ce système se caractérise par une stabilité dynamique et semble être applicable à plusieurs régions de notre planète. Par ailleurs, l'interaction entre le développement et la pauvreté s'avère positive si les outils du développement sont utilisés pour lutter contre la pauvreté. Dans ce cas de figure, c'est le vrai bien-être de la population qui est déclenché. Au Rwanda, l'utilisation des fonds versés par les différents bailleurs continue de plonger la pays dans la pauvreté et la misère. Dans la tradition rwandaise, il est inconcevable de profiter des morts pour monter une quelconque spéculation pécuniaire. Pourtant, depuis 1994, le génocide est devenu un véritable fonds de commerce. Pire encore, ce fonds de commerce ne profite pas aux rescapés du génocide, mais à ceux qui ont déclenché ce génocide. Ce génocide sert donc à créer une certaine classe d’une poignée de personnes tutsi qui s’enrichissent au détriment des invalides et autres rescapés des massacres.

 

            En ce qui concerne toujours le Rwanda d'après 1994, le surarmement qui a été privilégié par les nouvelles autorités de Kigali reste le grand facteur de déséquilibre  du pauvre budget national. Non seulement ces armes sont acquis pour tuer les opposants du régime tutsi, mais aussi déstabilisent toute la région des Grands Lacs. Ce surarmement conduit ainsi le peuple rwandais à une paupérisation accrue. Il freine donc son développement. Parallèlement, il existerait un lien étroit entre la pauvreté de la population rwandaise et la production agricole étant donnée que l’essentiel du revenu des paysans est produit dans ce secteur. Particulièrement en milieu rural, la situation devient de plus en plus critique, car au fur et à mesure que les générations se succèdent, les terres agricoles au Rwanda deviennent de plus en plus rares et leur fertilité s’amoindrit d’une année à l’autre. C’est pourquoi nous pensons que la grandeur de l’exploitation agricole familiale joue un grand rôle et peut être considérée comme un facteur important dans la vie économique de la majorité de la population rwandaise.

 

            C'est en 1976 que fut signé un décret-loi réglementant l'achat ou la vente des terres. En cas de vente de ses terres, le vendeur était tenu à garder à sa disposition une superficie minimum de deux hectares. L'acheteur ne devrait pas aussi avoir une propriété supérieure à deux hectares et les terres non appropriées appartenaient à l'Etat. Il faut remarquer que même après l'indépendance, les autorités n'ont pas pu se libérer de la logique coutumière. La terre a été et est restée un bien inaliénable et ce constat a participé dans l'aggravation du processus de miniaturisation des parcelles agricoles. Pourtant, les spéculations financières sur les terres ne se sont arrêtées malgré les restrictions en vigueur. Plusieurs familles étaient parvenu ainsi à agrandir leurs propriétés au détriment des autres et les terres à vendre étaient devenues rares. Cette évolution tendait vers la situation des agriculteurs sans terre avec des conflits fonciers interminables. De tels conflits étaient d'ailleurs devenu assez fréquents avant la guerre tellement qu'on les rencontraient entre les parents eux-mêmes, entre un père et un fils, entre les frères, etc...  

 

 

                                                                                                              Tableau n° 7    

                Répartition des exploitations agricoles (%) selon les superficies (ha).

           

Taille

de l'exploitation

Exploitations

Superficie exploitée

      ha

     %

% cumulé

 %    

% cumulé

< 0,25 ha

7,4

7,4

1

1

0,26-0,5 ha

19,1

26,5

5,9

6,9

0,51-0,75 ha

16,5

43,0

8,4

15,3

0,76-1,0 ha

13,8

56,8

10,0

25,3

1,1-1,5 ha

15,6

72,4

15,7

41,0

1,6-2,0 ha

11,1

83,5

16,1

57,1

> 2 ha

16,5

100,0

42,9

100,0

 

           

Source: Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage, Service Enquête et Statistiques Agricoles, 1984

 

            Si la superficie moyenne par exploitation agricole oscille autour d’un hectare, la dispersion autour de cette moyenne est dans les limites assez variées, ce qui laisse posé le problème de la miniaturisation prononcée de plusieurs parcelles agricoles familiales. Le tableau ci-dessus montre que 19,1 % des exploitations agricoles familiales ont une superficie des terres inférieure à 0.5 ha pour leur autosuffisance alimentaire. Par ailleurs, la rapidité de la diminution des terres disponibles à l’échelle des exploitations agricoles pose d’une façon très aiguë le simple maintien du niveau nutritionnel actuel de la population, d’autant plus que bon nombre d’exploitations ne disposent déjà plus de la superficie minimale (110 ares) nécessaire à l’obtention de l’autosuffisance alimentaire [44].

 

            Cette situation est aggravé par l’accroissement continu du nombre de jeunes ménages qui selon la tradition rwandaise, doivent se partager les terres de leurs parents sous forme d’héritage (IMINANI). Ce partage constitue dores et déjà un grand handicap pour le développement du secteur agricole en général et pour le bien être de la majorité de la population paysanne. Il peut être considérer comme un des freins du développement du monde rural. La distribution par le Gouvernement FPR, de la réserve naturelle (parc national de l'Akagera) tout près de la frontière avec l'Ouganda entre les éleveurs tutsi, constitue une erreur monumentale pour l’environnement. Non seulement le problème de la pression démographique n'a pas été résolu, mais aussi ce site sera très vite impropre à l’agriculture et à l’élevage.

 

            L’agriculture rwandaise, qui est la source principale pour l’emploi, les revenus, les recettes en devises étrangères, etc., est caractérisée par des techniques de production traditionnelles et par un faible niveau de productivité. D’autre part, les tentatives de transformation de l’agriculture ont essentiellement concerné le secteur des cultures industrielles (exportation) au détriment des cultures vivrières et de l’alimentation de la grande masse paysanne.

 

            Toujours par rapport au problème foncier, la Commission Nationale d’Agriculture estimait à 26.5 % la population dite misérable [45], c-à-d celle qui avait moins de 1/2 ha. Néanmoins, les misérables ne se limitaient pas seulement là, puisque tous ceux qui n’avaient pas assez de terres étaient régulièrement frappés par la famine. A eux s’ajoutaient une partie non négligeable de ceux qui vivent en villes. En guise d’illustration, un dénombrement des familles indigentes a été fait par les services administratifs suite aux disettes de 1990 dans l’une des préfectures les plus pauvres du pays. Etaient considérés comme indigentes toutes les familles qui n’arrivaient pas à assurer leur subsistance et avaient des problèmes alimentaires graves. De ce dénombrement est ressorti que 25 % des ménages de la préfecture se classaient dans la catégorie des indigents. L’indigence est donc conçue en terme d’insécurité alimentaire.

 

            De plus, l’enquête menée par le PDAG [46] (Projet de Développement Agricole dans la préfecture de Gikongoro) sur la pauvreté a pu mettre en lumière les principales causes sous-jacentes à l’indigence dans le milieu rural. Il s’agit entre autre de: 1) des ménages indigents ont une superficie d’exploitation assez réduite. Ce critère s’est avéré particulièrement performant puisque plus de 90 % des indigents avaient moins de 50 ares. 2)  un nombre relativement élevé de membres par rapport aux autres familles. 3) le genre du chef de ménage est particulièrement important dans la détermination de la pauvreté: près de la moitié des ménages indigents avait une femme à leur tête. Ce facteur est assez important, car suite à la guerre, on estime qu’il y a eu plus de disparus de genre masculin que féminin. Cela va absolument augmenter le taux d’indigence particulièrement en milieu rural.

 

            D’autre part, une étude [47] faite par le Ministère du Plan (Direction Générale de la Planification) a mis au clair les revenus ruraux par commune et par habitant en 1990 (cfr. annexe 3). Cette étude a montré que le revenu moyen d’un habitant rural s’élevait en 1990 à 10.440 FRW (Un dollar était évalué à 120 FRW). Le revenu rural le plus élevé par habitant se trouvait dans la commune de Mugesera dans la préfecture de Kibungo et s’élevait à près de 26.000 FRW, quant au revenu le plus bas, il se chiffrait à près de 3.500 FRW. Plus de la moitié des communes était en dessous de cette moyenne. Cette grande dispersion du revenu du paysan autour de la moyenne montre la faiblesse des sources de revenu du monde rural. Le revenu le plus grand observé dans la commune de Mugesera en témoigne clairement. Ce revenu du paysan englobait l’autoconsommation qui était évaluée à plus de 50 %. Ainsi, une analyse même superficielle de ces chiffres montre que le revenu en milieu rural restait encore assez marginale pour couvrir tous les besoins du ménage ce qui hypothèque lourdement son avenir et particulièrement le développement du monde rural.

 

            Cela est corroboré par une étude faite dans la commune de Muganza avant l'ajustement structurel de 1990. Cette étude montre que le revenu annuel médiasn d’un ménage rural de Kirarambogo ne s'élevait qu’à  près de 27.000 FRW et 50 % n’atteignaient pas ce revenu. D’autre part en comparant le revenu moyen du ménage calculé par l’Enquête nationale Budget et Consommation des ménages effectuée en 1983, il semble qu’il y ait eu une baisse de revenu de 5.000 francs rwandais par an[48]. Ceci montre que le revenu du ménage rural dans cette commune a diminué avec le temps au lieu d’augmenter ce qui peut être d’ailleurs généralisé pour tout le pays. Cette situation faisait suite à la crise qui a frappé presque tous le pays dans les années 1980, crise qui s’est suivi par les programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque Mondiale. Il est malheureux de constater qu’au Rwanda comme dans la plupart des pays pauvres, au lieu d’améliorer les conditions de vie des populations, ces programmes ont agi dans le sens inverse.

 

            Avec un taux moyen de croissance annuelle du produit intérieur brut estimé à 2.5 % par an, le revenu par tête, qui était déjà l’un des plus faibles du monde, est passé de 300 dollars en 1987 à 270 en 1991. Hormis les effets de la guerre qui commençaient à se faire sentir, cela a été dû en partie à une forte pression démographique. Son taux d’accroissement naturel était supérieur à celui du PIB et était de 3,1 % par an. Les effets destructeurs de la guerre des inkotanyi ont fait chuter le PIB par tête jusqu'à 80 dollars en 1994. Cette chute spectaculaire du revenu par habitant, qui ne montre pas évidemment la réalité de la dispersion de cette variable a eu un impact négatif sur les groupes les plus vulnérables et sur les régions du pays habituellement moins nanties en production agricole.

            Les événements tragiques qu’a connus le pays ont ainsi conduit à des conséquences économiques malheureuses et la reprise des activités exigera une mobilisation énorme des ressources. A titre d’exemple, les pertes de revenus relatifs à l’exportation des cultures industrielles en 1994 [49] (seule source importante de devises), se sont réparties comme suit:

            5.900 tonnes de production de café commercialisé contre une moyenne habituelle de 36.000 tonnes,

            2.800 tonnes de thé contre 12.500 tonnes.

Les pertes dans le secteur de l’élevage ont été évaluées ainsi:

            75 % des bovins,

            90 % des caprins et des ovins et

            95 % des porcins et des volailles.

Par ailleurs, le seul Institut de Recherches Agronomiques du Rwanda (ISAR) a été pillé. Il est devenu un camp militaire depuis la victoire du FPR en 1994. C'est ça la conception du développement et de la recherche agricole par les rebelles tutsi.        

 

            Dans le cas de forte pression démographique du Rwanda , caractérisée par un taux d’accroissement démographique élevé, par une forte densité de population et un faible progrès technique, le rythme d’augmentation de la production risque dans l’avenir d’être inférieur à celui de la population. Cela s’est d’ailleurs passé pour la période 1988-1989 où l’augmentation de la production vivrière n’a pas pu rattraper l’augmentation démographique naturelle. A cela s'ajoute l'insécurité qui ne permet pas au paysan de travailler ses terres.

 

            Cette situation de la production devient préoccupante si l’on considère qu’ une partie de la population ne dispose pas assez de terres agricoles pour arriver à son autosuffisance alimentaire. Par ailleurs, les aléas climatiques sont devenus de plus en plus fréquents et sont très vite ressentis par tout le pays. C’est pourquoi, à moins que l’effort dans le domaine technologique ne soit entamé sans tarder pour augmenter la production agricole, le modèle néo-malthusien pur et dur risque d’être considéré comme la principale explication de la relation entre la population rwandaise et son environnement. La situation socio-politique actuelle aggravée par la guerre, semble renvoyer tout observateur à un pessimisme presque total en ce qui concerne le développement futur du Rwanda. Le paradigme dominant en matière de population rwandaise à savoir la version malthusienne semblera ainsi se justifier davantage.

 

            Pourtant, malgré la croissance démographique galopante, le monde rural qui est généralement agricole, avait pu s’adapter aux conditions de plus en plus difficiles caractérisées par un équilibre alimentaire de plus en plus précaire. Cette adaptation avait été rendue possible grâce à la paysannerie toujours prête à s’adapter aux nouvelles conditions de vie: introduction de nouvelles cultures à haute valeur nutritive, augmentation des superficies cultivées surtout par  l’aménagement des marais, les migrations internes vers les zones encore moins peuplées, etc. .

 

            Ce problème de forte pression sur les terres agricoles dans un contexte de technologie moins performante montre les limites de régulation qui jusqu’à présent avait pu maintenir les paysans dans le milieu rural. Le problème fondamental y relatif peut être défini comme une étroite interaction entre la pauvreté grandissante et les niveaux de productivité dérisoires suite aux insuffisances relatives des infrastructures économiques et sociales, notamment les équipements, la recherche, la technologie, etc. Il faut toutefois signaler que cette adaptation avait un effet négatif sur l’environnement ( déboisement, mise en valeur des terres marginales avec pour conséquence la dégradation des sols, etc. ).

 

 

                                                                                                         Tableau n° 8

 

 

                Evolution de la production des principales* cultures vivrières

                                           ( en milliers de tonnes )

 

Année

Production en %

 

1985

100,0

1986

90,2

1987

90,4

1988

85,9

1989

96,2

                                   

 * = (sorgho, maïs, pomme de terre, patate douce, manioc, petit pois, haricot et banane)                                                                                           

 

              Source: Tableau élaboré à partir des données du bulletin statistique n°17, Janvier 1990

 

            Dans la mesure où la production vivrière a une croissance presque médiocre, il est clair que la quantité des produits alimentaires par habitant diminue. Peut on voir dans cette croissance démographique rwandaise le maldéveloppement du pays? Certains n’hésitent pas à avancer que le grand remède  n’est que la limitation pure des naissances. D’autres, même avec des idées à prétention scientifique, vont jusqu’à proposer d’accroître la mortalité en limitant la propagation des techniques médicales et en considérant comme salutaires quelques « bonnes guerres ». La guerre imposée au Rwanda dès 1990, n’ayant jamais été condamnée par la communauté internationale, se situerait-elle dans ce contexte?

 

            Certains auteurs, bien que leur théorie soit réfutée par plusieurs hommes scientifiques, arrivent même à dire que la pression démographique peut conduire à de sérieuses régulations sociétales entraînant même l’autodestruction de la société. Selon le docteur King [50], plusieurs pays sous développés semblent être pris dans ce qu’il appelle «le piège démographique (demographic entrapment)». Cet état se caractériserait par une série de facteurs relatifs à une grande croissance de la population tel que: le dépassement de la capacité de surcharge d’une population sur son écosystème, une insécurité alimentaire irréversible qui n’est apaisée que par les aides extérieures, etc. Il étaye sa thèse en affirmant que si ces pays ne réduisent pas leurs taux de fécondité, leur avenir ne reposera que sur des aides perpétuelles et finalement la solution pour ces populations ne sera que mourir de faim ou de s’entre-tuer.

 

            En guise d’illustration, le docteur King se sert du cas du Rwanda pour expliquer la raison des massacres ethniques qui s’y sont déroulées en 1994. Ce docteur méconnaît certainement l’histoire du Rwanda. Il ne s’est probablement pas donné la peine de savoir que les tensions entre les deux ethnies du pays datent même avant l’idée de la pression démographique en Afrique. Par ailleurs, il oublie que la guerre qui a ravagé le Rwanda depuis 1990 et dont les massacres de 1994 ne constituent qu’une étape parmi tant d’autres était une guerre imposée au pays à partir de l’extérieur et non une guerre entre la population intérieure du pays.     

           

            Toutefois, il est vrai que la forte pression démographique peut constituer dans certains cas un facteur négatif pour le développement, mais elle ne constitue pas, elle seule, une condition sine quanun pour expliquer le processus de développement d’un pays. Notons ici que jusqu'à présent, la facette économique a été toujours considérée comme le moteur principal de la modernisation et donc de la prospérité des pays. Par ailleurs, les effets de la pression démographique à un moment précis ne sont pas éternels. Ces effets de la pression démographique sont en interaction constante avec d'autres facteurs. Ils peuvent donc évoluer à n’importe quel moment et dans n’importe quel sens*.

                        Dans les conditions socio-économiques actuelles du Rwanda, une mauvaise production alimentaire et donc un apport nutritionnel insuffisant couplé avec un nombre assez élevé de membres dans une famille (plus ou moins 6), risque d’entraîner des conséquences néfastes tel que la mortalité infantile élevée(suite à la malnutrition de la mère et de l’enfant), la diminution de l’espérance de vie, la morbidité élevée, la surexploitation des ressources environnementales (notamment les terres agricoles) etc. Pourtant, même dans de telles conditions où le développement du pays est momentanément compromis, nous pensons qu’on ne peut pas parler d’apocalypse démographique.

              

            Il est difficile de fixer avec précision les normes minimales d’une alimentation suffisante pour un individu, celle-ci variant avec les autres conditions matérielles et de travail. Les données statistiques sur la consommation sont donc incertaines et on peut les utiliser à titre indicatif. Ainsi, la Stratégie Alimentaire du Rwanda  estimait les besoins énergétiques à 2.100 cal par habitant et par jour alors que pour la FAO-OMS, ces besoins allaient jusqu’à 2.320 calories/hab./jr[51]. Même si la population a pu s’adapter jusqu’à présent et que la ration alimentaire en calories avait pu être satisfaisante, avec la pression démographique seulement, sans même compter que la situation sociale ne permet pas une augmentation de la production agricole, on risque de tomber en dessous du minimum nécessaire .

 

            L’accroissement de la production agricole après 1985 qui a eu tendance à stagner sinon à diminuer en témoigne beaucoup alors que le taux d’accroissement de la population s’est maintenu toujours à un niveau élevé ( 3,1 % ).  

 

            Selon des enquêtes citées par l’ONAPO [52] sur la consommation alimentaire et la situation nutritionnelle au Rwanda, les carences nutritives se sont particulièrement rencontrées chez les enfants et les femmes. On estimait alors que près d’un tiers de la population souffrait d’une malnutrition chronique ou aiguë (malnutrition, avitaminose, carences en sels minéraux, etc. ).

           

            Le faible poids observé alors chez les adultes (moyenne de 58 kilos chez les hommes et 54 kilos chez les femmes) témoignait de l’existence de mauvaises conditions de vie en général et alimentaires en particulier. Il y avait ainsi de quoi s’alarmer à propos de la situation nutritionnelle qui somme toute est restée assez précaire. Avec un taux de croissance démographique de 3,1 % enregistré ces dernières années, on risque d’arriver à une malnutrition endémique généralisée. Certes, il faut développer les programmes de développement de la production alimentaire, mais une politique claire en matière démographique s’impose aussi. Cette politique ne pourra être bénéfique que si elle est cohérente avec le développement des autres secteurs socio-économiques du Rwanda.

 

            C’est pourquoi il est logique et nécessaire de soutenir l’idée qui est ressorti de la conférence mondiale sur la population en 1974 selon laquelle le développement est la meilleur pilule contraceptive. Les pays dits développés sont là pour le montrer et certains n’ont jamais eu dans leur existence une politique démographique. Ainsi, parmi les caractéristiques structurelles qu’on peut considérer comme causes fondamentales du maldéveloppement rwandais, on peut citer: - une économie essentiellement de subsistance, une base de production étroite aussi bien en ce qui concerne le volume que la gamme de bien produits, l’ouverture et la dépendance prononcées vers l’extérieur, etc. Malheureusement, avec le dépeuplement du pays suite à la guerre, même cette base étroite de production risque fort de s’effondrer.

 

- La corruption dans la haute sphère politique de la 2nde République

            Le mécontentement de la population durant ces deux décennies de la seconde république a été aggravé par le fait que les responsables politiques mis au gouvernail du pays se sont vite désintéressés de la chose publique. Au lieu de s'occuper des problèmes réelles qui hantaient le peuple rwandais (pauvreté, sous-développement du secteur agricole qui occupe presque toute la population, ...), le pouvoir militaire s'est distingué par toute une série de malversations financières et d'autres actes contraires à la gestion d'un Etat digne de ce nom.

 

 

·      Détournements et autres enrichissements illicites

            Dans tous les pays capitalistes, il est difficile à un pauvre d'accéder au pouvoir politique. Cette maladie se transmet de plus en plus dans les pays en développement. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles les responsables politiques dans les pays  pauvres se caractérisent de plus en plus par une gestion malsaine des économies de leurs pays. Comme ils lâchent rarement le pouvoir politique, ils gèrent leurs économies comme des biens familiaux. Ils ne se préoccupent que d'eux-mêmes et de leur proche entourage.

 

            En effet, au moment où la dette de ces pays est devenu un vrai handicap de leur développement, les experts estiment que le solde de leurs comptes dans des banques occidentales apurerait facilement cette dette. Le Rwanda n'a pas échappé à la règle malgré qu'il était bien côté pour sa bonne gestion. C'est ainsi qu' a émergé une certaine classe bourgeoise autour du président de la République, caractérisée par une soif démesurée de la richesse fiscale. Certains* de ces barons, dont la totalité vient des familles paysannes et pauvres ont déjà même fêté la journée du milliard (jour où ils ont atteint un milliard de francs rwandais), au moment où la grande masse paysanne soufflait de tous les maux du sous développement. Ce sont ces mêmes barons qui, après s'être illicitement accaparé des richesses du pays, ont développé l'hypothèse selon laquelle le Rwanda était surpeuplé et ne pouvait accueillir aucun autre rwandais de la diaspora. Ils étaient devenus des intouchables conseillers du Chef de l'Etat. Cela n'a fait qu'aggraver les tensions entre les rwandais.

 

·      Culture du chanvre

            Tout juste avant la guerre de 1990, le pays a été accusé de produire et de vendre  ce type de stupéfiant. Organisée par le même noyau au pouvoir, la culture du chanvre se pratiquait dans la forêt naturelle de Nyungwe sous la surveillance hautement secrète de ces barons. Les rwandais n'ont jamais su ni le début de ce projet, ni sa phase de plein rendement. Les revenus de ce projet n'ont jamais profité au peuple rwandais, ni à l'Etat. Le commerce de ce produit était organisé en collaboration secrète avec la Direction de l'Office des Cultures Industrielles du Rwanda (OCIR-Café), qui emballait et expédiait le produit sous l'étiquette de "Café rwandais". Ce sont les pays étrangers qui auraient été à la base du démantèlement de ce trafic d'argent sale.

 

·      Organisation d'une tombola et vente des gorilles de montagne

            La loterie dans les pays où elle est suffisamment réglementée constitue un outil financier qui procure assez de ressources à ses organisateurs (dans la plupart des cas, c'est l'Etat). Alors que lors d'une réunion des cadres du Ministère du Plan, nous avions invoqué la possibilité de faire de la loterie nationale une source de revenus pour combler les caisses de l'Etat frappées par la crise économique des années 1980, cette possibilité a été écartée. Pourtant, elle a été vite récupérée par les spéculateurs de la famille Habyarimana, car son fils va organiser une tombola, mais les heureux gagnants des plus grands lots se verront accuser de tricherie et ne recevront jamais leurs prix. En réalité, les organisateurs avaient sciemment fabriqué plusieurs numéros pour les gros lots convoités, ce qui a laissé planer la vraisemblance des tricheries de la part de ceux qui avaient pu gagner. Ceux-ci ne recevront jamais leurs prix.

 

            Quant au commerce des gorilles de montagnes, il fut le résultat d'une conspiration entre les touristes étrangers et les autorités locales de la préfecture de Ruhengeri, ces derniers étant sous le commandement aussi des personnes de la famille présidentielle. C'est ainsi que la citoyenne américaine Diane Fossey alias Nyiramacibili, qui s'occupait de la protection de ces gorilles, fut assassiné dans le Parc des Volcans (là où vivent ces gorilles). Les investigations contre l'auteur de ce crime n'ont pas pu être approfondies et pour vite clôturer le procès, on attribua le meurtre à un paysan de la région sans toutefois vouloir connaître s'il y avait un commanditaire.  

 

  - Intervention des projets agricoles dans le développement

            Afin de stimuler la production agricole, dès les années d’après l’indépendance, les dirigeants ont essayé de doter toutes les régions du pays de projets de développement. Ce fut d’abord les projets de vulgarisation agricoles qui vont naître. Ces projets vont apprendre au paysan les nouvelles méthodes culturales et d’élevage intensif. Ils vont se heurter à une résistance plus ou moins forte des paysans et leurs résultats n’ont pas été visibles immédiatement. En effet, quelle que soit l’innovation apportée, il est partout et toujours difficile de changer subitement les habitudes et les mœurs des paysans. Le peu de ressources humaines qualifiées et d’autres moyens ont été d’abord affectés surtout dans la production des cultures d’exportation alors que les cultures vivrières qui faisaient vivre la majorité de la population n’attiraient l’attention de personne.

 

            C’est vers les années 1980 que vont venir les projets dits de développement rural intégré. La philosophie de ces projets était multiple. Ils dépendaient officiellement du département chargé de l’agriculture avec un volet agricole, mais ces projets s’occupaient également d’autres volets hors agricole tel que les infrastructures routières, les adductions d’eau, la création de coopératives, l’amélioration de l’habitat, etc.

            La multiplicité de ces projets fera que le Rwanda va être considéré comme un pays choyé par les aides. Je cite: le Rwanda «  devenu vitrine de l’aide internationale; va être bientôt couvert d’innombrables projets de développement (essentiellement ruraux): plus de 130 en 1985, ... soit un projet pour environ 40.000 habitants » [53]. Ce propos, rédigé apparemment sans arrière pensée, mérite une analyse qui nous a amené à conclure qu'il faut nécessairement y porter un regard double. En effet, il faut bien distinguer l'existence quantitative de ces projets d’une part et leur impact sur la vie des populations locales de l’autre part, tout en mettant en exergue leur efficacité et leur efficience. La présence des bailleurs de fonds étrangers dans une région, souvent même avec des fonds énormes, n’implique pas automatiquement l’élévation du niveau de vie de la population concernée. A ce sujet, J. P. Chrétien écrivait ceci à propos du Rwanda: « Aucun pays africain ne compte autant de coopérants, de volontaires et de missionnaires au km². ....., la coopération internationale inhibe les initiatives locales, infantilise les populations, alimente une mentalité d’assisté. Elle entretient l’idéologie du développement pour garantir le marché  » [54]. Les projets dits de développement dans les pays sous-développés seraient-ils un des moyen de lutte contre le chômage toujours en croissance dans les pays développés? La réalité est-elle que les coopérants se taillent la bonne part sur l'enveloppe financière de ces projets. Par ailleurs, l’évaluation de la plupart de ces projets de développement ruraux au Rwanda a montré qu’ils se sont soldés par des échecs. Le problème est de savoir alors "le pourquoi" de cette situation.

 

            Les projets de développement rural au Rwanda ont d’abord noyé le volet agricole dans les autres activités. Les réalisations du projet étaient souvent concrétisées presque seulement par les infrastructures non agricoles, le volet agricole étant plus difficile à exécuter convenablement. Il faut également souligner que l’échec de ces projets a été lié aussi bien à leur préparation qu’à leur exécution. En réalité, les études de tous ces projets avaient été faites par les bureaux d’études étrangers, souvent sans aucune participation du personnel national et les réalités locales étaient souvent négligées. En plus, les projets multisectoriels avaient beaucoup de financement (enveloppe budgétaire) tellement que la gestion des fonds laissait à désirer. Le pays n’avait pas également assez de cadres nationaux compétents pour diriger de tels projets, etc. Il est aussi à signaler que certains bailleurs de fonds, surtout les bilatéraux, se sont distingué par un manque de transparence dans la gestion (surtout financière) de tels projets.

 

            L’expérience malheureuse de ces projets multisectoriels a participé à la création d’une méfiance chez les dirigeants et les bailleurs de fonds et on se tourna vite vers les projets à une spéculation bien précise. C’est ainsi que sont né les projets comme: projet de la pomme de terre, projet maïs, projet manioc, etc. Apparemment, cette approche de projet a eu des effets positifs sur l’augmentation de la production puisque l’objectif était bien ciblé, mais aussi parce que les autres ressources étaient bien canalisées.

 

            Toutefois, quelles que soient les performances ou les lacunes enregistrées, tous ces projets se sont butés au problème de la miniaturisation des exploitations familiales. Malheureusement, ce problème n’a jamais été la principale préoccupation d’aucun projet. Cela relevait probablement du fait que la plupart de ces projets avaient été préparé à l’extérieur et le pays se trouvait financièrement mal placé pour refuser ou réorienter un projet d’un bailleur de fond considéré comme un don. A cela s’ajoutait le fait que le problème de la réforme agraire a été toujours considérée comme pouvant avoir des retombées graves et non souhaitées (dépossession de terres aux petits propriétaires terriens, apparition de nouvelles classes sociales, etc.) sur la société rwandaise et a été malheureusement laissée à la discrétion du gouvernement qui n’a pas lui aussi voulu se prononcer là-dessus.

 

            La volonté manifeste des nouvelles autorités de Kigali de garder le plus longtemps possible une partie assez importante de la population hutu à l’extérieur du pays, faisait-elle partie de la politique agraire du nouveau pouvoir tutsi? Cela paraissait probable, mais la présence de tant de hutu aux frontières menaçait aussi leur sécurité et c'est l’une des raisons pour lesquelles ils ont choisi de démanteler les camps des réfugiés en attaquant le Zaïre. Ceci  montre encore la préoccupation majeure des nouveaux maîtres de Kigali. D'abord, il fallait vaincre la peur rendue omniprésente à la fois par la présence des hutu réfugiés aux frontières du Rwanda et par une cohabitation involontaire mais sans choix des deux ethnies à l'intérieur du même territoire, et ensuite s'occuper des projets de développement. Le premier but étant un objectif à long terme, il bloque et même contrarie le second.

 

            D’une manière générale, et en dépit de tous ces projets, la production vivrière globale durant la dernière décennie a été plus ou moins stable à part quelques coupures dues à l’effet conjugué des conditions climatiques défavorables et au caractère extensif de l’agriculture. Ce constat s’est amélioré pour l’élevage où le développement de l’élevage bovin moderne avec la production du lait par exemple dans les laiteries était jugée satisfaisante. Les quatre principales laiteries du pays produisaient 3.6 millions de litres de lait en 1988 contre 3.1 en 1987 soit une augmentation de 17.7 % en une année[55].

 

            Pourtant, on ne peut pas non plus dire avec certitude que la situation plus ou moins stable de la production agricole est une conséquence inévitable d’une quelconque action gouvernementale en faveur du monde agricole. Les chiffres suivants montrent que tout reste à faire dans le domaine de l’intensification agricole. En effet, en 1985, le Rwanda était parmi les derniers pays du monde utilisant le moins d’engrais et encore ce peu d’engrais était principalement réservé aux cultures industrielles.

                Rwanda:      1,3 kg d’engrais minéraux par hectare de terre arable

                Ethiopie:      3,3 kg

                Sénégal:       4,7 kg

                Inde:          33,8 kg

                Kenya:       34,4 kg

                France:     298,4 kg

                Belgique:  490,2 kg

           

            De 1962 à 1981, les cultures de rapport ont accaparé 33,7 % du financement total réservé aux projets agricoles et les cultures vivrières n’ont eu que 0,90 % de ce montant [56]. Les maux de l’agriculture rwandaise semblent apparemment être connus, il reste une planification rigoureuse de la part des dirigeants et des bailleurs de fonds, qui devraient comprendre que l’achat d’un kilogramme d’engrais vaut mieux qu’un kilogramme d’explosifs. L’intérêt de la grande masse paysanne devrait ainsi passer avant leurs propres intérêts.

 

             De même, l’évolution du crédit bancaire par branche d’activité ainsi que la part réservée au secteur agricole dans le budget de développement  montrent que la politique poursuivie jusqu’à présent en matière agricole n’a jamais été assez encourageant pour un agriculteur.

 

                                                                                         

                                                                                        Tableau n° 9

 

 

                   Part de l’agriculture dans le crédit bancaire et le budget de développement

                                                              ( mios de FRW )

   

Année

                 Crédit bancaire

  Budget de développement

 

Total

Agriculture*

%

Total

Agriculture

%

1985

16.277,7

451,0

2,8

3128,5

409,8

13,1

1986

15.337,3

637,2

4,2

3288,2

557,9

17

1987

16.542,2

808,6

4,9

3640,1

655,3

18

1988

20.755,2

987,6

4,8

4303,9

675,4

15,7

1989

23.284,1

988,0

4,2

3704,8

611,2

16,5

1990

20.348,9

473,0

2,3

-

-

-

 

              * Agriculture comprend  l’élevage, la chasse, la pêche et la sylviculture mais sans l’agro-industrie

              Source: Tableau élaboré à partir des données du Ministère du Plan: Bulletins                                             statistiques, 1987 et 1990.

           

            Toujours est-il que dès 1987, le Rwanda a été confronté à de sérieuses difficultés économiques et financières liées essentiellement aux effets combinés de plusieurs facteurs dont la chute des cours mondiaux du café qui est le principal produit d’exportation, des conditions climatiques défavorables, etc. Suite à la baisse sensible du produit intérieur brut en termes réels par habitant, le bien-être de la population rwandaise a commencé ainsi à se dégrader [57]. Le secteur privé ne pouvait plus créer assez d’emplois pour compenser les défaillances apparues dans le secteur public et la production alimentaire par tête a chuté entraînant une insécurité alimentaire.                      

           

            Etant donné cette évolution de la situation agricole (miniaturisation des parcelles agricoles suite à la pression démographique, limites de l’adaptation de la population, augmentation de la pauvreté et du nombre de personnes frappées par la malnutrition, etc.) et dont les paramètres actuelles laissent un certain pessimisme, les tentatives de garantir à tous les rwandais quelque chose d’aussi essentiel que les aliments nécessaires afin qu’ils puissent épanouir leurs potentialités et jouir pleinement de la vie risque dans l’avenir d’être un voeux pieux. En août 1995, soit plus d’un an après la prise du pouvoir par les anciens réfugiés tutsi, les rwandais devaient encore s’aligner sur la queue afin de bénéficier de boîtes de conserves comme aide alimentaire.

 

            Si avant la guerre, la crise alimentaire frappait de temps en temps la population, certaines minorités proches du pouvoir faisaient pourtant une consommation effrénée et vivaient à l’occidentale. Dans un pays où la population ne mange pas à sa faim, cela constituait une contradiction et un scandale du développement. Au moment où l’inflation battait son record tout juste après la guerre, la même maladie se reproduisit dans la classe au pouvoir. En effet, après une montée raisonnable des prix en 1990 due au programme d’ajustement structurel, les prix des principales denrées alimentaires ont flambé suite à l’effet de la guerre surtout depuis 1994 (cfr. annexe 7). En comparaison avec 1990, ils se sont multiplié par plusieurs fois, rendant ces produits difficilement accessibles à une grande partie de la population (haricots: 196 %, sorgho: 286 %, lait en poudre: 347 %, riz: 186 %, viande: 250 % , pomme de terre: 333 %, patate douce: 150 %).

         

  

                                                                                                    Tableau n° 10

 

            Evolution des prix des principaux produits alimentaires

                                   ( RW/ kilo)

    

Année

1987

1990

1995*

1997*

Haricots

40

51

100

250

Sorgho

28

35

100

 

Lait (poudre)

250

375

1300

1500

Riz

98

118

300

300

Viande

180

240

600

1000

Pomme de terre

16

18

60

100

Patate douce

15

20

30

40

                                                             

                         * Prix sur le marché de Kigali

                    

            Dans les pays développés, la surface cultivable par agriculteur (fermier) constitue un indicateur de développement technique et a augmenté de 1965 à 1978 de moins de 6 hectares à 9 hectares. Au Rwanda, c'est le contraire. Elle continue de descendre jusque dans les limites de moins d'un hectare [58]. De  même, la mécanisation reste nulle. Si pour augmenter la production, l’Etat comptait sur l’aménagement  des terres qui constituaient les dernières réserves agricoles du pays (les marais par le drainage ou l’irrigation), ces espoirs se sont actuellement estompés. En effet, les études d’aménagement des grands marais du pays (Nyabarongo et les marais du Mutara) étaient avancées et on espérait dans le court terme avoir plus de trois récoltes par an dans ces marais. L’irrigation des vallées du Mutara, dont le financement extérieur était déjà acquis, devait démarrer avec l’année 1990.

 

            Avec le conflit ethnique qui continue de déchirer le pays ainsi que la désorientation de la paysannerie entre autre par une appropriation gratuite de ses biens, la modernisation de l’agriculture risque d’en être victime. Sans aucune organisation des structures socio-économiques internes et sans progrès technique et scientifique, l’échec dans le domaine agricole suivi par les famines seront prévisibles dans le court terme au Rwanda. Déjà, depuis juillet 1994, date à laquelle les inyenzi-inkotanyi ont pris le pouvoir, l'élimination presque systématique des hutu s'est répercutée sur la production agricole. En effet, la peur qui guette les agriculteurs hutu ne leur permet pas de travailler dans les champs. Dans certaines préfectures, plusieurs ménages hutu ont été décimés et remplacés par les nouveaux venus tutsi. C'est le cas de la préfecture de Kibungo, pourtant reconnue comme véritable grenier national en approvisionnement de bananes et qui maintenant, ne peut même pas satisfaire aux besoins familiaux. Les squatters tutsi ont laissé les bananeraies vieillir dans des brousses et la production a trop chuté. Actuellement, du point de vue alimentaire, le Rwanda est tout à fait tributaire de son voisin du nord, l'Ouganda. D'ailleurs, sur le plan économique, le Rwanda de Kagame fonctionne comme un territoire à part entière de l'Ouganda. C'est le rêve de Museveni qui s'est réalisé. Il a imposé au Rwanda une guerre qui a éliminé une partie importante de sa population et les survécus sont actuellement sous sa domination.

 

            Entre 1960 et 1991, la proportion de la population rurale est passée de presque 100 % à 95 %, mais en termes absolus, elle est passée de 3 millions à 6,8 millions d’individus. La pression de la densité physiologique est passée de quelques dizaines à 372 habitants par kilomètre carré en 1991. En admettant que la population décimée par la guerre a été remplacée par les anciens réfugiés tutsi qui sont rentrés, on arrive à l’an 2000 avec une population de 9.126.992 personnes*, avec une densité de 487 soit 115 personnes au kilomètre carré de plus qu’en 1991.

 

            Le massacre des populations rurales hutu qui s'est longtemps poursuivi après la victoire du FPR, le manque de confiance entre les nouvelles autorités et la population rurale à majorité hutu, l'accaparement des terres des hutu par les tutsi sans tenir compte du cadastre, la volonté manifeste des ex-réfugiés tutsi de vivre principalement dans les villes, la guerre du maquis que les hutu tenteront de mener, ..., tels sont les facteurs qui risquent de créer une crise socio-économique (dont la famine perpétuelle) sans précédent dans le pays.

 

            Du point de vue purement agricole, l’agriculture de subsistance avec les anciennes méthodes culturales, la miniaturisation des parcelles agricoles malgré une diminution déjà prévisible de l'effectif de la population, la surexploitation des sols, etc., tels sont quelques facteurs qui vont diminuer la production agricole et aggraver la situation alimentaire dans le pays.

   

            L’évolution de la population rwandaise selon les projections faites par l’Office National de la Population - ONAPO [59] (trois scénario furent envisagés: scénario 1: sans planning familial (PF), scénario 2: avec PF efficace, scénario 3: PF optimiste) montre que même dans l’hypothèse la plus optimiste, avec un planning familial très élevé, la population rwandaise allait pratiquement doubler entre 1981 et l’an 2.000. Les scénarios avec planning familial efficace ou sans planning familial donnaient aussi des effectifs plus élevés de la population, mais aucun scénario ne tenait compte de la guerre fratricide qui allait décimer presque tout le peuple rwandais. A cela s'ajoute l'expansion meurtrière du sida dont la transmission après la victoire du FPR a été soupçonnée comme une  nouvelle arme de guerre antiethnique.

 

            Dans l'hypothèse où presque tous les réfugiés hutu de 1994 allaient être tous rapatriés, où les disparus à cause de la guerre de 1994 allaient être remplacés par les réfugiés tutsi d’avant 1990, les projections de l’ONAPO pouvaient rester valables pour l’an 2.000. Si en 1978, seules quelques collines dépassaient les densités de 300 habitants, presque tout le pays dépassait cette densité en 1991 et dans plusieurs régions, on atteignait plus de 600 habitants par kilomètre carré. De même, si en 1984, on comptait une moyenne de 1 hectare par exploitation agricole familiale, il va de soi que cette superficie avait diminué en 1990 et il y a encore de quoi s’indigner quant à l’évolution future de cet indicateur. Toutefois, il faut reconnaître que les massacres à grande échelle de la population civile hutu n'ont jamais cessé depuis la prise du pouvoir par les tutsi. Cette situation fait croire que les projections démographiques antérieurement faites sont aujourd'hui caduques. La volonté apparente des nouvelles autorités de Kigali d'entretenir un climat d'insécurité dans le pays tout en diminuant en douce l'effectif des hutu, ferait-elle partie de la nouvelle politique démographique et agraire du FPR?

 

            La hausse probable de la fécondité après la guerre de 1994 couplée avec une mortalité élevée, surtout la mortalité infantile, laisse penser à une diminution des effectifs projetés çi-haut. Cela paraît vraisemblable dans la mesure ou toute l’économie du pays a été détruite et donc la hausse du niveau de vie de la population n’est pas envisageable dans le moyen terme.

 

 

            c)Efforts de développement en matière d’éducation et de santé

            -Etat général de l’éducation au Rwanda

            Dans le but de pouvoir réaliser ou maintenir le développement, il est nécessaire d’assurer l’éducation, la santé, le bien-être à la population afin que celle-ci puisse participer pleinement à ce processus. C’est ainsi que depuis l’indépendance, l’éducation a été toujours considérée comme un des secteurs clé nécessaire pour le développement du pays. Durant la première décennie après la révolution sociale de 1959, le secteur éducatif fut l’un des domaines auquel le gouvernement allouait plus de ressources financières. Le tableau ci-dessous, qui montre la répartition du budget ordinaire entre les principaux départements ministériels entre 1985 et 1988 est on ne peut plus clair.

 

 

                                                                                                       Tableau n° 11

   

                            Dépenses du budget ordinaire (mios FRW)

 

 

 

1985

1986

1987

1988

Présidence

942,6

1013,4

1196,5

554,4

Défense

2758,2

3081,0

2907,0

3115,4

Affaires étrangères

1161,0

1409,3

1158,1

832,3

Finances et Economie

2749,1

4368,6

5009,5

6091,2

Justice

1026,2

989,4

1029,9

1009,6

Santé

1256,0

1311,6

1399,4

910,1

Travaux Publics

1188,8

1557,6

1909,4

1470,4

Education

5036,2

5801,5

5977,7

5886,8

Reste

-

-

-

-

Total

18493,9

22076,9

23226,9

22580,5

Education/Total (%)

27,2

26,3

25,7

26,1

           

            * Education correspond au départements de l’Enseignement Primaire et Secondaire + celui de    l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique

 

            Source: Tableau élaboré à partir des données du Ministère du Plan, Direction       Généralede la Conjoncture Economique

 

            Ces chiffres, pris en considération sous le régime de la deuxième République, montrent bien l’importance accordée à l’éducation où ce secteur accaparait presque un tiers de tout le budget ordinaire. A ce budget du Ministère de l’Education, il faut ajouter les dépenses réservées à l’alphabétisation fonctionnelle qui, elles, dépendaient du département de l’Intérieur. C’ est dans cette optique que les dirigeants du pays espéraient qu’un bon niveau d’éducation devait permettre d’améliorer les conditions de vie de la population et avoir un impact favorable sur les différentes variables de la population tel que la mortalité infantile, etc. .  C'est le développement social qui était considéré comme la véritable locomotive de tout autre forme de progrès. Voilà une politique de développement qui, s'elle avait reçu tout l'appui nécessaire des dirigeants, pouvait conduire vers un vrai épanouissement du peuple rwandais.

 

            Bien qu’un effort louable ait été mené dans ce secteur, les autorités n’ont pas maximisé les avantages que le pays pouvait tirer du développement optimal de ce secteur. En effet, le Rwanda étant un pays dont l’économie est essentiellement basée sur l’agriculture, nous pensons qu’une stratégie bien élaborée en matière de formation tout azimut pouvait faire du pays un réservoir de main d’oeuvre qualifié aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Hormis que cette stratégie allait permettre d’augmenter les recettes venant de l’extérieur, elle pouvait influencer aussi la régulation de la population en favorisant certaines variables comme la migration.

 

            Suite au fort rajeunissement de la population rwandaise après l'indépendance, essentiellement dû à la baisse de la mortalité et à l’amélioration relative des conditions de vie, le problème d’éducation s’est fait sentir avec l’augmentation des charges éducatives pour la communauté et pour la famille. Les autorités ont alors pensé en 1979? à une entreprise à haut risque de réformer l’enseignement. Ceci faisait suite à ce que le pays n’était plus capable de trouver du travail pour les jeunes surtout ceux du milieu rural. Cette stratégie visait à les aider à acquérir une formation pratique capable de les aider à se débrouiller après l’école primaire. Malheureusement, le problème de l’intégration socioprofessionnelle des jeunes déscolarisés s’est soldé par un échec. Le système éducatif réformé a été longtemps décrié par les parents malgré le soutien ferme de certaines autorités à cette réforme. En réalité, cette réforme profitait à une minorité privilégiée et non à la population.

 

             Si les enfants de la masse paysanne étaient obligé de commencer l’école à 7 ans dans les institutions scolaires publiques et qu’ils terminaient le cycle du primaire à 15 ans, plusieurs enfants issus des classes privilégiées fréquentaient les écoles privées où l’âge et le programme scolaire correspondaient aux exigences de l’école en Occident. Pire encore, la construction dans tout le pays de milliers d’ateliers pour l’apprentissage des métiers techniques (CERAI) s’est accompagné par des détournements énormes au profit des initiateurs de cette réforme. Cela n'a fait que amplifier le mécontentement de la part des parents.

             

            Selon l’Office Nationale de la Population (ONAPO), le rythme de la demande sociale en matière de scolarisation et d’emploi pour les jeunes a augmenté plus vite que les autres ressources y relatives. C’est ainsi qu’en 1978, dans la ville de Kigali,  les besoins en terme d’infrastructures et de maîtres étaient loin d’être satisfaisants. Si on voulait scolariser tous les enfants, chaque classe devait contenir 93 élèves. Cette situation se remarquait aussi dans toutes les autres communes du pays [60].

 

            Si depuis 1962 à 1985, la population scolarisable oscillait autour de 20 à 23 % de la population totale, nous pensons que cette proportion dans la suite a aussi augmentée et que les efforts pour s’occuper de cette jeunesse se sont parallèlement accrus. La population effectivement scolarisée s’est multipliée par plus de 2.5 pour la même période et le taux de scolarisation est passé de 55 à 60 % (cfr. tableau n° 12). Concernant le nombre de maîtres d’écoles, il a triplé passant de 5104 à 14896 et celui des écoles et salles de classes a stagné tandis que celui des classes est passé de 8.861 à 20.151. C’est ainsi que le système de double vacation institué peu après l’indépendance, avec dans ses objectifs l’utilisation maximum des salles de classes a été d’une importance capitale en ce qui concerne la scolarisation des enfants.

 

            Depuis l’indépendance, l’enseignement primaire a été officiellement considéré comme gratuit et obligatoire. Ce caractère obligatoire de l’enseignement est pourtant resté dans les discours, car la pratique s’avérait autrement. En effet, les parents ont été amené à participer aux différents frais relatifs à la scolarisation de leurs enfants (achat d’uniformes obligatoires, achat de matériel scolaire, participation à la construction des écoles, etc. ).

 

            Avec le nombre d’enfants qui augmentait d’année en année et suite à la nationalisation du système de l’enseignement en 1966, les moyens de l’Etat sont devenu de plus en plus maigres. L’Etat n'a pas voulu directement libéraliser l’enseignement puisqu’il voulait absolument contrôler ce secteur. Dans les faits, l’Etat a peu à peu transféré les charges aux parents et les seuls frais restés à la charge de l’Etat étaient les salaires des enseignants. Cette situation est devenue grave dans les écoles secondaires malgré que l’effectif était encore moindre par rapport au niveau primaire.

 

            Les banques populaires, qui étaient la seule institution financière à travailler réellement avec la grande masse populaire, ont profité de la conjoncture pour mettre en place un système de crédit-école. C’est grâce à ce crédit, qui fonctionnait surtout à la rentrée des écoles, que les parents parvenaient à couvrir l’essentiel des frais scolaires de leurs enfants. Signalons qu’en général, presque chaque commune sur les 145 du pays avait au moins sa banque populaire* . On dénombrait 129 succursales des banques populaires en 1991. Est ce que ce réseau des banques populaires pourra un jour retrouver ses performances d'avant 1994? De même que pour les écoles secondaires privées, dont les membres fondateurs ne sont plus là, les membres fondateurs de cette coopérative n'ont plus aucun mot sur sa gestion. Cette institution risque fort de devenir un puits de fonds pour les vainqueurs. L'expérience de la TRAFIPRO devrait servir d'exemple.

 

            Malgré que l’épargne de la majorité des rwandais (les agriculteurs) restait faible, ces banques arrivaient à abriter un montant assez important arrivant dans les 5 milliards de francs rwandais [61] en 1992. Une partie non négligeable de ce montant était dans les succursales des banques populaires de la ville de Kigali où presque tous les fonctionnaires et les commerçants (petits et moyens) épargnaient leurs revenus. Ces banques pourront-elles se doter d'un statut privé les rendant ainsi autonomes de l'administration publique? Si la Coopérative TRAFIPRO a été la vache à traire pour les barons du régime Habyarimana et qu'elle a cessé de fonctionner avec l'arrivée au pouvoir des INKOTANYI, c'est par ce que l'Etat s'est immiscé trop dans les affaires des coopérateurs, jusqu'à dépasser ses limites dans une institution coopérative. La coopérative TRAFIPRO s'est confondue avec l'Etat d'où les représentants de l'Etat ont profité pour l'utiliser dans leurs profits. Si on veut laisser les banques populaires se développer, il faudra absolument tenir compte de cette expérience malheureuse de sa grande soeur: la TRAFIPRO. L'Etat devrait être mis hors de la gestion quotidienne de cette coopérative et dans l'avenir, la séparation de l'Etat et des coopératives devrait être comme une loi.

 

            Afin de pallier aux maigres moyens de l’Etat alloués à l’enseignement secondaire (seuls 10 % des élèves qui terminent le cycle du primaire parviennent à aller au secondaire après un examen officiel), les parents se sont vite organisés pour créer leurs propres écoles (écoles des parents). Avant la guerre, la majorité des communes avaient leurs écoles privées ou toutes les dépenses étaient couvertes par les parents. Les communes qui n’avaient pas d’écoles  secondaires privées s’associaient pour en créer. Cette situation avait été jugé de révolutionnaire et de positive car la création des écoles des parents compensait les défaillances de l’Etat en ce qui concerne le favoritisme de quelques individus ou familles en rapport avec quelques places disponibles au niveau du cycle secondaire. Les parents ne demandaient qu’à l’Etat de reconnaître officiellement leurs écoles. La croissance ainsi forte de la population a causé l’augmentation rapide des effectifs scolarisables entraînant une demande assez élevée de moyens en matière de scolarisation. L’Etat ne parvenant pas à satisfaire ces besoins, les parents ont été amené à adopter leur stratégie en matière d’enseignement qui finalement demandait d’être soutenu par les pouvoirs publics si ceux-ci tenaient à un développement équilibré de ce secteur. La deuxième république avait instauré un système de quota ethnique qui, même si elle est sujette à pas mal de critiques, permettait aux tutsi de fréquenter l’école à une proportion dépassant leur pourcentage par rapport à la population totale. Il est regrettable qu’à l’heure actuelle, l'école rwandaise souffre de tous les maux (manque d'enseignants, manque de matériél et de locaux, des considérations ethniques ne manquent pas surtout à l'école supérieure, ...). Cette situation allait être dépassée avec la révolution sociale de 1959. On est donc entrain de faire volte face.

 

 

                                                                                                  Tableau n° 12

 

        Quelques statistiques de la population et de l’enseignement primaire

 

 

1962

1972

1982

1985

1989

Population rwandaise (mios)

2,9

4,0

5,5

6,1

6,7

Taux de croissance (%)

3,2

3,2

3,5

-

3,1

Population scolarisable (mios)

0,58

0,83

1,3

1,4

-

Population scolarisée (mios)

0,32

0,40

0,75

0,84

1,0

Taux d'accr. de la pop. scolarisable (%)

2,2

6,4

3,8

-

-

Taux de scolarisation (%)

55

48

58

60

-

Nombre de maîtres

5104

7586

13590

14896

17921

Rapport élèves/maître

61

52

54

56

57

 

 

Source: Tableau élaboré à partir des données du MINEPRISEC, du MINIPLAN et de    l’ONAPO

            Ce tableau montre que le taux d’accroissement de la population est resté assez grand (plus de 3 %) depuis les années 1960-1990. Le taux d’accroissement de la population scolarisable s’est lui aussi accéléré et a même dépassé le taux d’accroissement de la population. Ceci implique une augmentation des ressources dans le secteur de l’enseignement (ressources matérielles, ressources humaines, moyens financiers, etc. ) et peut être considéré comme la raison principale qui explique la montée des dépenses allouées à ce secteur.

N. B. L'IMVAHO n° 1491 avril 2003 publie les chiffres suivants:  Pour l'année 2002

            -Nombre d'écoles secondaires: 393 dont 185 écoles secondaires de l'Etat ou libres subsidiées et
                                                                                  208 écoles libres
            - Nombre d'élèves: 157.210 élèves

           

            - Importance de la scolarisation dans le développement du Rwanda           

 

            Nul n’est sans doute sans ignorer que les sociétés traditionnelles ont été toujours caractérisé par un analphabétisme assez élevé. Le Rwanda n’a pas échappé à cette règle et c’est seulement au début de ce 20e siècle que les premiers missionnaires européens vont fonder les premières écoles dans le pays.

 

            Dans le domaine social, c’est grâce aux premiers lauréats de l’école que la dénonciation des injustices a été entamée et s’est soldée par la révolution sociale de 1959. Parmi les acquis indiscutables de cette révolution, la grande masse a eu l’occasion aussi de fréquenter l’école et l’alphabétisation fonctionnelle dans les communes rurales a été menée. Le chemin à faire reste encore long, car 50 à 60 % seulement de la population rwandaise savent actuellement lire et écrire.

           

            Mettre en exergue les effets de l’éducation sur le développement du Rwanda s’avère une tâche assez complexe. En effet, l’éducation tellement joue sur plusieurs activités socio-économiques que chaque activité mérite une recherche approfondie. Ainsi, plusieurs théoriciens s’accordent à dire et nous pensons que cela reste vrai aussi pour le Rwanda, que l’éducation joue beaucoup sur le marché du travail en tant que source de main d’oeuvre qualifiée. Par ailleurs, l’éducation jouerait un rôle assez important dans la diminution de la fécondité ainsi que dans l’urbanisation. A notre avis, étant donné que l’éducation n’est jamais neutre et qu’elle véhicule des valeurs parfois contradictoires avec les réalités locales, toutes ces relations (éducation avec les autres secteurs) méritent des études particulières pour chaque pays afin de pouvoir révéler les particularités éventuelles avant de les prendre comme des réalités à l’échelle plus large. Toutefois, il semble être universellement reconnu que l’éducation ou la formation en général est une composante du bien être de l’individu.

 

            Au Rwanda, l’augmentation rapide de la population s’est suivie d’un effectif assez élevé de la population à scolariser. Pour créer l’harmonie entre la croissance de la population et celle de la population scolarisable, il a fallu chaque fois s’adapter à la croissance des charges supplémentaires liées à l’éducation, mais les besoins n’ont pas pu être totalement couverts. Les données disponibles montrent que le pays n’a pas pu s’adapter à ce rythme et l’analphabétisme reste encore à combattre. Il faudra encore plus d’investissement dans ce secteur si nous voulons que tous les rwandais jouissent réellement des bienfaits de l’école. Malheureusement, avec l’insécurité qui règne dans le pays et qui est liée au problème ethnique, la population a du mal à envoyer leurs enfants à l’école.

 

            Toutefois, malgré des situations basses qu’a vécu le secteur de l’enseignement national, il faut reconnaître que le Rwanda avait connu beaucoup de progrès en la matière suite au soutien appréciable apporté au secteur par les divers gouvernements qui se sont succédé après l’indépendance. Le système s’est buté à une trop grande croissance démographique mais aussi à plusieurs autres éléments socio-économiques mal maîtrisés dont la prise en considération est actuellement nécessaire pendant la planification de ce secteur. Ces imprévus ont ainsi augmenté les charges( paupérisation accrue du monde rural, nombre insuffisant d’établissements scolaires surtout au niveau du cycle secondaire).

 

             Il faut également souligner la part de la femme dans la scolarisation et le développement du Rwanda. En effet, la femme rwandaise joue un rôle primordiale dans la vie socio-économique du ménage. C’est elle qui s’occupe plus de la moralisation des enfants, de la gestion journalière de l’économie de la famille, etc. . C’est pourquoi l’éducation de la femme rwandaise influence directement  l’état socio-économique de sa famille. En raison de multiples freins d’ordre sociologique ou religieux, l’éducation de la femme rwandaise avait été retardée peu après l’indépendance, et le rattrapage entre les deux sexes est actuellement en train de s’opérer malgré beaucoup de difficultés. Selon les chiffres cités par l’UNICEF [62] en 1990 le pourcentage d’analphabétisme s’élevait à 50 % pour les hommes alors que pour les femmes elle revenait à 52 %.

 

            Le problème de l’enseignement ou de la scolarisation de tous les enfants rwandais reste un problème assez préoccupant face aux problèmes identifiés çi-haut. Avec la crise de l’économie mondiale des années 1990 et l’avènement des programmes d’ajustement structurel, le revenu de la majorité des pays en développement s’est détérioré et déjà au Rwanda, on avait commencé de demander une participation accrue des parents dans la scolarisation de leurs enfants. Pourtant, les réalisations en matière de scolarisation restaient encore inférieures aux objectifs initialement attendus.

 

            La lutte contre l’analphabétisme initiée par un programme de l’UNICEF s’est soldé aussi par des résultats moins brillants. Avec la guerre lancée en 1990, presque tous les programmes en la matière ont tourné au ralenti et même dans les zones touchées, ils se sont arrêté. Les locaux scolaires ont été abîmés sinon détruits, le matériel scolaire a été saccagé, plusieurs élèves ainsi que leurs enseignants ont fui à l’extérieur du pays. L’UNICEF ainsi que les autres bailleurs de fonds ont essayé de donner l’essentiel pour que les enfants puissent s’occuper à l’école. Les places dans l’enseignement (enseignants) ont été vite récupérées par les nouveaux réfugiés sans tenir compte de leur qualification.

           

            Si même dans les conditions normales, les difficultés de changer un programme scolaire dans l’intérêt de ceux qui le suivent étaient énormes, les programmes ont été très vite revues. Certaines des écoles des parents ( privées ) dont la plupart étaient des écoles secondaires ont été transformé en casernes (camps militaires du FPR). Pourtant, ce sont ces écoles des parents qui avaient aidé l’Etat à augmenter l’effectif des élèves du secondaire qui ne parvenait pas à dépasser le cap de 10 % de tous les élèves fréquentant le primaire. C’est ça le résultat des trente années d’indépendance!

           

            Ces problèmes d’éducation se sont amplifié avec la guerre. L’insécurité qui continue de régner dans le pays et qui n'incite pas du tout les parents à envoyer leurs enfants à l’école; la pauvreté qui frappe actuellement la majeure partie de la population et qui entraîne les difficultés de payer le minerval des enfants; l’existence d’un nombre élevé d’orphelins; tels sont quelques défis que le Rwanda semblait être obligé d'affronter après la victoire des inyenzi-inkotanyi .

 

            Peut-on espérer, dans les conditions actuelles, une augmentation du budget de l’enseignement? Comme nous l’avons vu pour d’autres secteurs socio-économiques, la priorité actuelle semble être l’armement. A moins que les organismes internationaux n’interviennent intensivement en faveur de ce secteur, la contribution du gouvernement actuel dans la scolarisation des enfants rwandais risque de se limiter à une infime minorité privilégiée. L’élimination de l’élite nationale faite par les extrémistes des deux bords entraînera sans aucun doute un déséquilibre au niveau de sa reproduction aussi bien dans les écoles (qualité de l'enseignement) qu’au niveau de l’emploi sans oublier son effet sur la reproduction naturelle. D’ailleurs, dans les conditions socio-politiques et militaires actuelles du pays, l’ignorance et l’analphabétisme des rwandais favorisent l’emprise des nouvelles autorités FPR sur la population. C'est l'une des raisons pour lesquelles le massacre des intellectuels hutu n'a jamais cessé après la prise du pouvoir par les tutsi. Cet état de maintien de la population dans l'ignorance dont les superstitions ne peuvent que dominer, favorise naturellement son asservissement économique et politique[63]. Cela semble répondre aux ambitions des nouveaux dirigeants du pays. Voilà l’oreiller sur lequel reposent plusieurs régimes réactionnaires africains et le Rwanda est devenu un bel exemple.

             

            Ainsi, malgré les conditions de scolarisation des jeunes qui étaient plus ou moins favorables avant la guerre, le taux de scolarisation n’a jamais dépassé 60 % et cela malgré que l’école primaire était obligatoire et gratuite. Le rapport élève/maître de 1972 à 1989 au lieu de diminuer est passé de 52 à 57 alors que l’effectif des maîtres a plus que doublé passant de 7586 à 17921. De 1973/1974 à 1980/1981, en plus de l’effort de l’Etat, les parents ont construit en moyenne 400 salles de classes par an. Cet effort des parents s’est poursuivi jusqu’au début de la guerre. Cela montre que l’augmentation des effectifs scolarisés a été toujours supérieur à celle des maîtres ainsi qu’à d’autres infrastructures scolaires nécessaires.

 

            Si l’on s’en tient à la population scolarisable de 7 à 17 ans en 1990, les effectifs de la population en âge scolaire étaient estimés à 2.188.000 dont 550.000 étaient laissés en dehors du système scolaire. Pour atteindre les objectifs de sa planification en matière scolaire, le Rwanda devait multiplier par cinq les infrastructures déjà existantes [64].

 

            En l’absence du planning familial comme c’est le cas actuellement au Rwanda après la guerre, en admettant que l’effectif des jeunes à scolariser restera élevé à cause de la rentrée des réfugiés et en considérant les effets destructeurs de la guerre ( destruction des salles de classe, paupérisation de la population, beaucoup d’orphelins, ... ), il y a lieu de se demander si le pays pourra assurer l’éducation à des jeunes rwandais de demain. En effet, l’écart entre la population scolarisable et la population scolarisée risque de devenir trop élevé, ce qui va créer une population d’analphabètes. C’est la modernité sociale qui est en jeu et sans laquelle il sera difficile de prétendre au vrai développement du Rwanda.

 

 

- Situation en matière de santé

 

            L’état de santé d’une population est fonction de plusieurs facteurs. On peut citer la nutrition, l’habitat, l’hygiène, l’éducation ainsi que d’autres infrastructures nécessaires pour son bien-être entre autre les infrastructures sanitaires. La santé d’une population est ainsi influencée  par les facteurs économiques, sociaux et culturels. C’est dire donc qu’à travers ces facteurs, l’état de santé  d’une population peut s’améliorer ou s’empirer, ce qui influence sa dynamique et peut jouer aussi bien sur la mortalité, la fécondité que sur les migrations.

 

            Au Rwanda, la politique du gouvernement en matière de santé s’est longtemps appuyé sur la médecine de masse axée sur les groupes les plus vulnérables que sont les femmes, les enfants et les travailleurs. Dans le cadre de rapprocher la population des services sanitaires de base, l’Etat s’était engagé à doter toutes les communes administratives des infrastructures sanitaires nécessaires.

 

            C’est ainsi que dans ses objectifs, chaque commune devait au moins disposer de son centre de santé, les hôpitaux de l’Etat étant essentiellement situés dans les chefs-lieux des préfectures. En plus de ces hôpitaux étatiques, plusieurs infrastructures sanitaires ont été mises en place principalement par les organismes ecclésiastiques dont les principaux sont (par ordre décroissant ): les catholiques, les protestants et les adventistes du septième jour.

 

            Pour favoriser une médecine curative et préventive avec une éducation sanitaire poussée, on assista, après l'indépendance à une transformation des infrastructures médicales existantes, principalement les dispensaires en centres de santé. Ceux-ci passèrent de trois unités en 1966 à 182 en 1989. Si cette transformation a diminué les trajets faits par la population pour aller se faire soigner, elle a amplifié le besoin en personnel médical nécessaire pour la bonne gestion de ces infrastructures. Par ailleurs, l’équipement de ces centres de santé est resté insuffisant. L’annexe n° 8 donne les infrastructures sanitaires telles qu’elles se présentaient en 1991 par préfecture. Il faut remarquer que depuis l’indépendance en 1962 jusqu’à nos jours, la couverture nationale par les infrastructures sanitaires s’était beaucoup améliorée. Il ne restait qu’à revoir la qualité des services et pour cela, une programmation efficace du matériel, de l’équipement médical ainsi que celle du personnel était nécessaire. Cela est affirmé dans le rapport adressé à la Banque Mondiale en 1990, je cite «même si le nombre des infrastructures sanitaires semblait être plus ou moins satisfaisant et était bien réparti sur tout le territoire, les services rendus étaient affectés d’un manque aigu de personnel surtout qualifié et de médicaments» [65].

 

            Le bilan de la première République peut se résumer en ces chiffres:

de 1960 jusqu’en 1973: - le nombre d’hôpitaux est passé de  18 à 23

                                   - le nombre de dispensaires de 67 à152

                                   - le nombre de médecins de 31 à 76

Sous la deuxième République, c- à- d de 1973 jusqu’au début des années 1990

                                   - le nombre d’hôpitaux est passé de 23 à 32

                                   - le nombre de centres de santé est passé de 28 à plus de 180

                                   - le nombre de lits d’hospitalisation de 5973 à plus de 12358 en 1989

                                   - le nombre de médecins de 76 à 272 en 1989

           

            Selon toujours la volonté de mettre ces infrastructures tout près de la population, on a participé sciemment ou inconsciemment au saupoudrage des infrastructures. Cette politique n’était pas mauvaise en soi, étant donné qu’elle répondait aux besoins de la grande masse de la population, mais de l’autre côté, elle a participé au ralentissement de la naissance ou de l’agrandissement des villes. En même temps, on a assisté à une mauvaise programmation des ressources humaines nécessaires pour faire fonctionner ces infrastructures et le problème du personnel médical se faisait sentir partout.

 

 

 

 

                                                                                                     Tableau n° 13

 

                   Evolution de la couverture sanitaire au Rwanda

 

 

1962

1972

1982

1989

 

Nombre de consultations

5547289

8373278

9082421

-

Nombre de médecins

20

71

194

272

Hôpitaux

20

22

27

31

Centre de santé

-

4

121

182

Habitant/Médecin

140366

55360

27670

25494

Nombre d'habitants/lit

726

716

606

570

 

 

Source: Tableau élaboré à partir des données du Miniplan (bulletin statistique) et de                       l’ONAPO

            Malgré des progrès remarquables réalisés en matière sanitaire après l’indépendance, un effort énorme restait à faire. En effet, au moment où dans les pays développés, on compte un médecin pour quelques dizaines d’habitants, le rapport habitants par médecin au Rwanda battait son record avec un chiffre de plus de 25.000 avant la guerre (1989).

 

            Selon l’enquête menée par le Ministère du Plan (Direction des Stratégies de Développement Communal et Régional), 33 % de la population rurale, qui vivait sur plus de 42 % du territoire national semblait ne pas être impliquée du tout par les services sanitaires urbains et donc de haut niveau. Ils se contentaient des équipements implantés dans l’espace rural[66]. Le problème qui se pose actuellement est lié aux inyenzi-inkotanyi. Ils ont vaincu la guerre en 1994 et de fait, ils se sont établi principalement dans les villes. Penseront-ils à partager les maigres ressources qui restent avec les vaincus principalement concentrés dans le monde rural? Suite au manque du personnel et du matériel médical, certaines des infrastructures sanitaires dans le milieu rural risquent de fermer. Kigali risque d'être le seul centre où on peut avoir des soins médicaux nécessaires.

 

            C’est la croissance forte de la population et son mode d’habitat dispersé sur tout le territoire qui ont principalement joué dans la détermination ainsi que la localisation de ces infrastructures sanitaires. C’est pourquoi, dans une perspective national du développement durable, le choix d'une politique en matière de santé et donc la détermination de la relation population santé, fait intervenir plusieurs paramètres relatifs à la dynamique de la population et son habitat, mais également les autres facteurs du  développement économique du pays. Dans le cas du Rwanda, c’est le mode d’habitat et donc la dispersion de la population qui a été déterminant dans le choix des sites pour ces infrastructures.

           

            Au moment où le planificateur rwandais devait s’occuper du problème du personnel du secteur médical qui était insuffisant, la guerre imposée au pays à partir de l’extérieur a aggravé la situation. En effet, certaines infrastructures (hôpitaux, centres de santé, etc. ) situées surtout dans les zones de combats ont été abîmées sinon détruites. Le changement du pouvoir à Kigali en juillet 1994 a empiré la situation, étant donné que la majorité du personnel national a fui les combats pour se réfugier à l'extérieur du pays. Entre temps, les organismes non gouvernementaux étrangers ont trouvé le marché et ont occupé le terrain. Ils ont essayé, dans les limites de leurs moyens, de remplacer le personnel national. La situation fut comparable avec celle du temps d’après l’indépendance où le Rwanda souffrait énormément de carence du personnel dans tous les domaines. A ce point de vue, le pays a fait volte- face dans son chemin vers le développement.

 

            La crise économique que traverse le pays, couplée avec la crise sociale qui n’a cessé de s’amplifier permettra-t-elle de reconstruire le pays? Rien n’est sûr. Le manque de confiance d'une plus grande partie de la population de l’intérieur du pays envers ses dirigeants FPR constitue un grand handicap pour la reconstruction. Dans les conditions de crise économique habituelle, la population était normalement appelée à se mobiliser (travaux communautaires de développement) pour reconstruire son pays par ses propres moyens d'abord. C’est ainsi que, de son propre gré, elle arrivait à réparer les écoles, les centres de santé, les routes, etc.. Dans les conditions actuelles, il semble que cette possibilité est difficilement  envisageable.

 

            Depuis l’indépendance, le pays a hérité de la colonisation une insuffisance de cadres dans tous les domaines socio-économiques. En matière de santé, un effort louable avait été déployé et le nombre d’habitants par médecins était en régression passant de 140.000 à 25.500 respectivement en 1962 et 1989. Quant au nombre d’habitants par lit, il était passé respectivement de 726 à 570.

 

                        En collaboration avec l’OMS, le Rwanda avait lancé dans les années 1980 un programme « Santé pour tous en l’an 2000 » avec pour buts [67]:

            - un poste sanitaire tenu par un auxiliaire de santé dans chaque secteur administratif, soit 1.489 postes;

            - un centre de santé par commune avec 30 lits soit 143;

            - un hôpital préfectoral de 300 à 350 lits dans chaque préfecture ayant 22 médecins;

            - un hôpital national de référence à Kigali avec 500 à 600 lits et 57 médecins.

            Si les centres de santé et les hôpitaux étaient pratiquement en place, il en était autrement en ce qui concerne les postes sanitaires dans les secteurs administratifs et dont la totalité restait à créer. Par ailleurs, en ce qui concerne les centres de santé, si on avait presque un centre de santé par commune en 1989, soit une moyenne de 36.884 habitants par centre de santé, il faudrait avoir 247 centres de santé soit 65 centres de santé à construire en une dizaine d’années afin de garder les mêmes proportions en l’an 2.000. Toutefois, cette logique, qui reste essentiellement ruralisante est foncièrement à revoir. Il faudra d'abord renforcer les infrastructures existantes qui doivent d'ailleurs s'inscrire dans un réseau urbain bien déterminé.

 

            La guerre ayant détruit plusieurs de ces infrastructures, la conjoncture économique s’étant dégradée et le personnel médical qui était d’ailleurs insuffisant s’étant réduit d’une façon drastique (une partie du personnel se trouve encore à l’extérieur du pays), il y a lieu d’envisager, même dès à présent, une détérioration généralisée des conditions sanitaires dans tout le pays. Selon le rapport du Programme  des Nations Unies pour le Développement (PNUD): "Rapport sur le Développement dans le Monde 1977" sorti en 1997, déjà l'espérance de vie d'un rwandais a terriblement régressé depuis l'agression du pays par l'ennemi en 1990. En effet, cet indicateur est passé de 42,3 années en 1960 à 52 ans en 1990 et en 1994, il a reculé jusqu'à 23,1 ans. Le même rapport précise que la valeur de l'indicateur de la pauvreté humaine (IPH) au Rwanda s'élevait à 37,9 % en 1997. Cela signifie que la moyenne de 37,9 % de la population rwandaise étaient affectés par les différentes formes de la pauvreté ou de manques prises en compte par cet indicateur (IPH)* . 

 

            Après ce parcours de la situation socio-économique du pays jusqu'au moins avant la guerre de 1990, il y a lieu de se demander, même si la réponse reste  partielle,  comment un pays libre et indépendant est arrivé à sa propre destruction. A la veille de l'hécatombe qui a conduit le pays dans l'horreur, c-à-d le mois d'avril 1994, plusieurs conditions étaient déjà réunies pour faire basculer le pays au-delà du compréhensible. Nous citerons entre autre:

¨    côté politique: interdiction en 1973 du parti politique libérateur "le MDR PARMEHUTU" suivi par l'arrestation et la disparition de plusieurs de ses leaders. Dès lors, la majorité des rwandais étaient exclu de la politique qui devint un champs gardé de la famille Habyarimana et ses acolytes. Il n'y avait plus de force politique pour unir la majorité des rwandais.

¨    pauvreté généralisée dans tout le pays avec toutes ses conséquences et cela malgré une poignée de gens qui vivaient comme des tsars;

¨    jeunesse désoeuvrée, délaissée à elle-même et à la délinquance, qui sera plus tard malencontreusement récupérée par les partis politiques comme leurs milices;

¨    mauvaise gestion du patrimoine foncier délaissant un grand nombre de la population en dessous du seuil de survie, cette situation a été aggravée par une population élevée du Rwanda et toujours en forte croissance;

¨    la mauvaise conjoncture économique internationale couplée avec la chute des cours du café qui constituait plus de 80 % des exportations nationales;

¨    pression de la Banque Mondiale et du FMI pour que le Rwanda applique leur programme;

¨    incapacité du régime Habyarimana de faire face aux grands problèmes du peuple rwandais;

¨    démocratisation hâtive avec des partis politiques sans projet viable de société et qui ne faisaient qu'amplifier le désordre;

¨    la guerre imposée au Rwanda de l'extérieur, qui avait fait plusieurs morts et jeté à l'exil (à l'intérieur de leur pays) plus de 500.000 réfugiés hutu venus des préfectures d'où venaient les assaillants;

¨    une armée rwandaise indisciplinée, minée par le fléau du régionalisme;

¨    indifférence et apathie de la communauté internationale envers le peuple rwandais éprouvé par une guerre d'agression;

¨    les accords d'Arusha manifestement déséquilibrés en faveur d'une partie en conflit. Il faut remarquer qu'à un certain stade des négociations, le gouvernement rwandais formé par les différents partis politiques n'a pas pu avoir un consensus sur la mission à donner au négociateur. A maintes reprises, le ministre des affaires étrangères, qui représentait le pays dans les négociations d'Arusha, n'avançait que les idées de quelques personnalités au lieu de donner la position gouvernementale. Cela ne pouvait qu'aggraver ce déséquilibre.

¨    l'assassinat des présidents rwandais et burundais, qui fut le détonateur des massacres et pillages dans tout le pays.

A toutes ces conditions, s'ajoute la chute de l'Union Soviétique qui, qu'on le veuille ou non, constituait un équilibre des forces politico-militaires dans le monde et un contrepoids efficace de l'impérialisme toujours en expansion.

 

 

- La réalité du développement se trouve d'ailleurs

                Les indépendances nationales ont été saluées par les peuples africains comme une libération totale du continent. Pourtant, la politique impérialiste des anciens métropoles n'a pas du tout changé. Si l'indépendance politique était presque acquise, le volet économique continua d'échapper complètement  aux jeunes républiques. La politique du néocolonialisme se dessina à travers plusieurs activités nationales. Les anciens métropoles firent en sorte que rien ne puisse se faire sans leur aval (consentement). Certains pays du Sahel producteurs de pétrole (par exemple) ne peuvent pas vendre leur produit sans passer par la France. L'assistantialisme se développa plus que jamais. Une nouvelle forme de colonisation commença. C'est l'aide au développement.

 

            Le discours du développement vient souvent dans les propos tenus par tous les responsables politiques. Qu'ils soient du nord ou du sud, tout le monde veut se développer. Malheureusement, il n'y a ni de définition, ni de formule magique à attribuer au développement. La référence jusqu'à présent admise est la modernisation.  Avec ses hauts et ses imperfections, il est normal qu'on puisse mettre en cause la modernisation en tant que point de référence du développement. C'est pourquoi, il y a lieu de se demander: qui aide qui et qui développe qui? Presque toutes les matières premières utilisées par les pays dit développés viennent des pays dits "sous développés". On peut ainsi affirmer que les pays sous développés sont potentiellement riches, contrairement aux pays actuellement dits développés qui sont pauvres. Mais attention, ces pays "pauvres" ont de la matière grise et la malignité qui leur font des maîtres de ce monde. Les pays sous développés leur donnent leurs matières premières à des prix dérisoires. Ils les transforment et les produits manufacturés attirent les pays sous développés vers eux, leur mettant ainsi dans un cercle vicieux de leur domination et de leur dépendance. C'est ici que s'inscrit le problème insalubre de la dette des pays les moins rusés. Cette forme de coopération aide ainsi les anciennes puissances coloniales à piller les ressources des pays dits sous développés. Il est vrai qu'ils ont construit des aéroports, ils ont formé quelques cadres nationaux et mis en place plusieurs autres infrastructures. Cela n'est qu'un paravent de la réalité du progrès réel que devaient avoir des peuples "sous développés". En effet, c'est à travers ces aéroports que transite le trafic d'or, du diamant, du cuivre et d'autres matières premières sans aucun contrôle vers les pays dits développés. La complicité des cadres nationaux, souvent formés dans leur entourage n'est pas du tout neutre. L'université occidentale est devenue, pour la plupart des africains, un outil de formation du nouveau colon déguisé dans son propre pays. C'est par la formation et la culture que les impérialistes véhiculent leurs valeurs. Ce n'est pas sans arrière pensée qu'ils forment les cadres nationaux dans la ligne de leur idéologie. L'expérience de plusieurs pays africains a montré que les soi-disant intellectuels formés dans ce courant étaient et sont prêts à vendre leurs pays.

 

            Ainsi, une question se pose. Est ce que ce sont les pays dits "développés" qui participent au développement des pays les moins avancés ou ce sont ces derniers qui participent au développement des pays supposés développés? Si on s'en tient à la modernisation et qu'on est conscient que les économies des pays avancés utilisent la matière première des pays moins avancés, on tire la conclusion et à juste titre, que ce sont les pays moins développés qui participent au développement des autres pays.

 

            Actuellement les diverses formes d'assistantialisme sont à la mode. Dans les faits, elles permettent aux pays riches de maintenir leur domination et exploitation sur les pays moins avancés. C'est ce qu'on appelle la coopération entre pays du nord et du sud. Cette coopération, qui peut réellement être fructueuse et s'étendre sur plusieurs domaines de la vie socio-économique et culturelle des pays, s'embourbe actuellement dans l'aide sous ses diverses appellations (aide bilatérale et multilatérale, aide d'urgence, aide au développement, ...).  L'aide n'a jamais été neutre et unilatérale. Sans intérêt, les donneurs d'aides sont réticents. D'ailleurs, quand on pense combien la matière première des pays moins développés participe à la formation des PIB de ces pays et qu'on se rappelle que l'enveloppe financière globale de l'aide de ces pays ne dépasse jamais 1 % de leurs PIB, on comprend à quel point l'aide peut participer au développement. La philosophie de l'aide devrait être fondamentalement revue dans l'optique d'un développement durable des pays bénéficiaires.

 

            Par ailleurs, le concept "développement" doit inclure des notions comme démocratie, liberté, etc. Dans les pays avec les jeunes démocraties, les leçons de liberté et de démocratie sont dictées par les occidentaux. En effet, tous les partis politiques d'opposition sont directement ou indirectement soutenus par les ambassades étrangères. Cela fausse en partie le jeu de l'opposition démocratique qui n'est pas du tout indépendante dans ses manoeuvres et qui plus tard, si elle parvient au pouvoir, se trouve à la merci de ses anciens guides étrangers. Tout cela est en partie le résultat du fait que plusieurs pays moins avancés ne sont pas encore maîtres de leurs économies et donc de leur développement. C'est ainsi que les partis politiques d'opposition dans les pays moins avancés ont peu de moyens économiques pour survivre. Malgré le risque évident de perdre toute identité et toute indépendance et d'être des marionnettes des puissances étrangères, ils se laissent ainsi tomber dans le piège des aides étrangères. La conception du développement par ces partis politiques est alors faussé au départ, puisqu'ils doivent satisfaire d'abord les exigences du pays bienfaiteur-aidant. Malheureusement, dans la plupart des pays qui prétendent maîtriser la démocratie, la survie économique de plusieurs partis politiques est en grande partie liée aussi à la corruption. Apparemment, on ne peut pas être libre, indépendant ou démocrate si économiquement on dépend de quelqu'un d'autre.

 

            Depuis bien longtemps, le Rwanda était classé parmi les pays les plus pauvres du globe. Pourtant, même s'il en est ainsi, les pays supposés riches ne lui ont jamais laissé la liberté d'utiliser ses ressources propres dans sa lutte pour le développement. Le Rwanda n'a donc jamais été maître de sa destinée, de sa pauvreté. Presque toutes les grandes politiques économiques ont été prises en accord sinon dictées par les bailleurs de fonds. Rien donc d'original ne pouvait sortir de ces politiques, puisqu'elles étaient conçues pour compléter les politiques des métropoles. Or, le discours dominant dans ces pays occidentaux, qui isole l'économique comme une fin en soi et le fait passer avant toute autre chose, semble ne pas coller avec les réalités socio-économiques africaines. Nous pensons que l'économique doit venir au soutien du secteur social. Il devrait être absolument à son service. L'inverse nous est imposé d'ailleurs. Il ne peut servir qu'aux autres.

 

            C'est pourquoi, dans son parcours difficile vers le développement, et sans toutefois négliger le secteur économique, le Rwanda devrait d'abord s'occuper du secteur social, dont les performances jailliraient après sur les autres secteurs. Le centre de tout son progrès devrait ainsi être le développement social. Pourtant, le secteur social préoccupe peu sinon pas du tout les bailleurs de fonds. Sans parler des adultes, l'analphabétisme des jeunes reste un grand fléau et dépasse 50 %. La perte du rôle organisateur de l'Etat suite à la mondialisation de l'économie notamment par les privatisations* actuellement à la mode dans plusieurs pays rend le secteur social plus fragile. Il se trouve de plus en plus à la merci de quelques individus plus malins que les autres qui se sont enrichis illicitement et qui continuent de s'enrichir au grand mépris de la grande masse populaire. La mondialisation de l'économie nous oblige à nous adapter aux normes et lois dictées par les pays dits développés, même si elles ne nous conviennent pas. Bref, les pays moins avancés, dont le Rwanda,  sont loin d'être des responsables de leur destin actuel et de demain.

 

            Tout cela nous amène à nous poser un certain nombre de questions. Est ce que un pays complètement dominé économiquement et politiquement peut être responsable de sa destinée? Apparemment non. C'est pourquoi, tout ce qui s'est passé au Rwanda, dont les massacres de 1994, ne devrait pas être seulement mis sur le dos du peuple rwandais. Ce n'est qu'un couronnement d'une situation longtemps en gestation depuis 1990 et entretenue par les différents acteurs internes et externes du développement au Rwanda. Quand au début de la guerre, les rwandais disaient à haute voix que derrière elle, il se cachait un certain monstre ethnique, les spécialistes (entre parenthèses) du Rwanda ont nié catégoriquement cette réalité. Se sentent-ils maintenant coupables de leur position? Non seulement la responsabilité dans le drame rwandais de 1994 est partagée entre les hutu et les tutsi, mais aussi et surtout avec l'occident. Malheureusement, quand on est pas maître de « son chez-soi », on y est en même temps responsable de tout et de rien. C'est ça le malheur d'une grande partie du peuple rwandais.

 

 

2.6 Dynamique de croissance/développement urbain

 

            L’évolution générale de la population urbaine des années 1978 à 1991 donne respectivement 217.333 et 386.351 habitants, soit un taux d’accroissement de la population urbaine de 4,5 %. Ce taux est parmi les plus faibles d’Afrique. Cette population de 1991 était dominée par la population de la capitale Kigali qui s’élevait à 233.000 habitants, soit 60,3 % de toute la population urbaine et 3,2 % de la population totale du pays avec le plus grand taux d’accroissement de 5,4 % pour la même période.

 

            Cette faible croissance des villes rwandaises serait en partie liée à la dispersion  des activités et des établissements économiques partout sur les collines. En effet, le dénombrement des entreprises et des établissements réalisé en 1990 par le Ministère du Plan ( Direction Générale des Statistiques ) avait permis de dégager la place des activités économiques urbaines. C’est ainsi que l’économie urbaine avec près de 5.700 établissements industriels et de services, représentait 31 % des établissements totaux du pays, 69 % des établissements étant dispersés dans le monde rural[68].

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                Tableau n° 14

 

 

             Dynamique de la population et nombre d’établissements des villes rwandaises

 

Ville

   Population

Taux annuel mo-yen d'accr. cal-culé géomét. (%)                              

Nb d'entrep-rises  par ville (1990)

% du total des villes

 

1978

1991

 

 

 

Kigali

117749

232733

5,38

4008

69,8

Gitarama

8534

11679

2,44

261

4,5

Butare

21700

28645  

2,15

380

6,6

Gikongoro

5654

8129

2,83

70

1,2

Cyangugu

7042

8911

1,82

157

2,7

Kibuye

2764

4242

3,35

75

1,3

Gisenyi

12435

21918

4,45

166

2,9

Ruhengeri

16025

29578

4,82

213

3,7

Byumba

7078

11828

4,02

51

0,9

Kibungo

4081

6912

4,13

90

1,6

Nyabisindu

8587

14092

3,88

212

3,7

Rwamagana

5683

7684

2,34

61

1,0

Rwanda

217.332

386.351

4,52

57.744

-

 

 

            La ville de Kigali renfermait 69,8 % [69] des établissement économiques du tissu urbain national et 21,6 % de l’ensemble des activités du pays. Avec 150 établissements, elle réunissait 69 % du commerce de gros et la même proportion du commerce de détail implanté dans les villes. Au niveau des industries manufacturières, Kigali abritait 70 % des établissements industriels implantés dans les villes rwandaises et 26 % du tissu industriel national. Par ailleurs, le réseau des institutions financières était intensivement représenté dans la capitale où 66,3 % de tous les dépôts bancaires étaient concentrés malgré un bon réseau des banques populaires qui étaient dispersé presque dans toutes les communes du pays.

 

            Les événements tragiques de 1994 qui se sont soldé par le changement du pouvoir à Kigali ont fait que toutes les villes ont été presque totalement désertées. En effet, dans l’espérance d’éviter les combats, la population civile a laissé les villes aux belligérants pour se réfugier à la campagne ou à l’extérieur du pays. Avec la prise du pouvoir par le FPR, presque tous les réfugiés tutsi qui étaient à l’extérieur du pays se sont vite précipités dans les villes alors vides de sa population habituelle. La majorité de ces réfugiés se sont installés à Kigali où la protection et les infrastructures étaient disponibles. Ils ont alors pris comme butin de guerre tous les biens de la Capitale.

 

             En 1996, on estimait que Kigali était habité à plus de 80 % par les nouveaux venus tutsi et que leur effectif dépassait le nombre habituel des habitants de cette ville. Tous les logements étaient occupés et les prix des loyers avaient très vite grimpé. C’est ainsi que selon la loi du plus fort , on s’est approprié toutes les infrastructures économiques et sociales privées dans les villes ( immeubles de diverses fonctions toutes confondues, etc. ).

 

            Par ailleurs, le surpeuplement instantané de la ville de Kigali, surtout par les jeunes tutsi qui ne veulent pas vivre à la campagne et qui de ce fait veulent absolument profiter des richesses de la ville risque aussi de créer un climat d’insécurité. En effet, l’économie du pays ayant été étouffée par la guerre, il a été difficile de leur trouver des emplois, d’autant plus que la plupart d’entre eux n’ont pas de qualification précise. Cette situation ne peut conduire qu’à la naissance des quartiers insalubres et dangereux dans la ville avec toutes les conséquences prévisibles dans le domaine de l’environnement.

 

            D’autre part, il a été difficile au gouvernement FPR de satisfaire à la demande en logements de sa population. Les plus forts ayant déjà confisqué les maisons trouvées inoccupées, ils n'ont pas voulu aller loin dans la politique du logement. Dans le cadre de la reconstruction, ils auraient bien trouvé des fonds pour la construction des maisons à caractère social, mais le manque d'objectifs de développement des nouveaux dirigeants tutsi a fait que rien n'a été réalisé dans ce domaine. De plus, il régnait un  climat d’insécurité qui ne stimulait pas les privés à investir dans les actions de long terme. Par ailleurs, les réalisations socio-économiques trouvées sur place leur procuraient assez de revenus* tellement qu’ils évitaient les risques d'investir. Pire encore, la rentrée des anciens propriétaires supposait la libération (sinon la remise) des biens saisis. Etant donné qu'ils profitaient assez des biens des hutu, les tutsi digéraient mal leur retour* . Voilà la raison de la disparition de plusieurs hutu rentrés après la guerre.

           

            C’est ainsi que le problème des biens des hutu saisis par les nouveaux arrivés (tutsi) a été et constitue encore un grand danger pour les réfugiés. En effet, sous l’oeil passif  du gouvernement en place, tous les équipements de la ville avaient vite trouvé de nouveaux propriétaires sans que même ceux- ci soient frappés par une certaine taxe pour combler les caisses de l’Etat alors presque vides* . Rappelons que la ville de Kigali se taillait la part du lion dans la concentration des équipements économiques, soit 70 % de tout le tissu économique urbain et plus du cinquième (21,6 %)  de l’ensemble des activités du pays. La propriété publique ainsi que la propriété privée avaient perdu tout sens. C’est toute la révolution sociale de 1959 qui a été mise en cause avec tous ses acquis depuis l’indépendance jusque dans les années 1990.

 

            L'occupation arbitraire des biens des hutu a longtemps compromis le processus de la réconciliation nationale. En effet, les troubles qui ont secouées le pays dès 1990, bien qu’elles se soient vêtues principalement de l’étiquette ethnique, étaient également poussées par des mobiles économiques. La prise de Kigali par les anciens réfugiés tutsi a été considérée ainsi comme une double victoire: une victoire militaire d’une ethnie sur une autre d’abord et puis un exploit économique caractérisé par la boulimie d’occuper les biens du vaincu. Voilà pourquoi le problème de la restitution des biens saisis à leurs propriétaires reste une question d'actualité. Il rend complexe le processus de la réconciliation. Les occupants actuels, qui sont de droit illégaux, pourront-ils un jour se mettre en cause et restituer de bon coeur les biens saisis à leurs propriétaires? Au stade actuel, rien n’est sûr.

 

            La situation dans les autres villes du pays est presque la même que dans la ville de Kigali. Les biens mobiliers et immobiliers ont été saisis par les nouveaux venus. Les militaires, auxquels on a presque pas ordonné de regagner les casernes, se sont récompensé en se répartissant les villas ainsi que les autres biens matériels disponibles. Les derniers arrivants n’ont pas pu profiter du gâteau ce qui risque également de créer des tensions au sein de l'armée FPR. 

 

            En tenant compte que l’urbanisme est tributaire de la croissance ou de la stagnation économique et démographique, et que l’hypothèse de croissance économique a moins de chance de se réaliser dans un avenir proche, mais que par contre la croissance démographique dans les villes rwandaises est déjà perceptible, on peut alors s’imaginer vers quel type d’urbanisation tend le Rwanda. Cet accroissement de la population urbaine s'est fait malgré de nombreuses barrières instaurées par les autorités tutsi pour contrer les réfugiés hutu de revenir dans la capitale [plusieurs disparitions inexpliquées, changement des identités, ...]. En dépit de tout cela, la population actuelle de la capitale Kigali avoisine le double de ce qu'elle était en 1991.

 

            C’est ainsi que dans l’hypothèse d’agrandissement des villes rwandaises, la satisfaction des besoins en matière de nouvelles constructions d'immeubles et d’équipement impliquera la réservation des superficies énormes. L’espace nécessaire pour les villes tendra ainsi à doubler à moins de dix ans. Suite à une pression grandissante de la demande en logements, Kigali risque de dépasser en superficie les grandes capitales occidentales, à moins de privilégier les constructions en hauteur (cela n'est pas évident à cause des moyens financiers). Cela va bien sûr à l’encontre de l’utilisation rationnelle des terres.

 

            Devant cette situation, quelle sera l’image des villes rwandaises à l’aube de l’an 2.000? La destruction de toute l’économie du pays couplée avec l’envahissement de la capitale Kigali par un effectif d'une population tutsi qu’elle peut à peine contenir, rendent incertaine la croissance équilibrée des villes du pays. En effet, Kigali avait déjà plusieurs quartiers spontanés presque impénétrables et  qui posaient pas mal de problèmes aux planificateurs de la ville. Sous la pression du vainqueur tutsi, on a assisté à une croissance démesurée de la population de cette ville sans aucun plan prévisible de son installation. Kigali risque ainsi de devenir une capitale faite principalement des quartiers spontanés avec des problèmes inouïs pour l’environnement. Cette image est valable aussi pour les autres villes du pays.

 

 

 

 

  - Relations Ville-Campagne

 

            La victoire du Front Patriotique rwandais a entraîné des millions de personnes à l’exil. Depuis juin 1994, des milliers de déplacés de guerre à l’intérieur du pays se sont concentrés dans la zone turquoise* . Le gouvernement FPR a fermé ces camps durant l'année 1995. Cette opération, qui était conduite contre le gré de la population a été assez meurtrière (exemple: massacre dans le camp de Kibeho en avril 1995). Aux frontières du Rwanda, les pays  voisins regorgeaient encore de près de deux millions de réfugiés hutu jusqu'en juillet 1996. Malgré l’occupation des terres par quelques éleveurs venus de l’extérieur, la campagne rwandaise continuait d’être relativement vide dans la grande partie du pays ( par rapport à la situation d’avant la guerre ).

 

            Voici le témoignage d’un rwandais sur l’occupation de l’espace national au mois d’avril 1995 [70]:

               - les préfectures Gisenyi et Ruhengeri: la population présente est représentée à 90 % par sa population habituelle; 

               - les préfectures de Byumba et Kibungo: peu habitées et par une population quasi nouvelle. En effet, selon les chiffres donnés par la Banque Mondiale [71], si on avait dénombré une population de 335.122 habitants dans les 5 communes de la préfecture de Kibungo (Kayonza, Kabarondo, Kigarama, Rukara et Rusumo) en 1991, on arrivait à un chiffre de 146.500 seulement en 1994 dont presque la moitié (46,1 %) étaient constitué par les anciens réfugiés venus des pays limitrophes.

               - les préfectures de Kigali, Gitarama et Butare: à moitié vides;

               - la préfecture de la ville de Kigali: habitée à plus de 80 % par les nouveaux venus;

              - les préfectures de Gikongoro, Cyangugu et Kibuye: ancienne zone turquoise. Cette zone était alors pleine d’ambiguïtés avec des camps de réfugiés. Ces camps ont été démantelés au cours de l'année 1995 et la population a été obligé, manu militari, de regagner les collines.

 

            Devant cette situation, que pouvaient être les liens logiques entre le milieu urbain rwandais et la campagne? Les relations entre la campagne et les villes sont traditionnellement déterminées par plusieurs facteurs. On citera entre autre les relations liées aux fonctions que doit remplir la ville parmi lesquelles il est nécessaire d’identifier les fonction économiques ainsi que les fonctions administratives. Cependant, toutes ces fonctions ont été largement déterminé au Rwanda par le facteur « sécurité », facteur sans lequel le pays s’enfonce de plus en plus dans le chaos, entraînant une rupture entre la ville et la campagne.

 

            Concernant la fonction économique, il est nécessaire de souligner que la création de petites villes dans le milieu rural avec des éléments urbanisants tels que les infrastructures administratives, économiques et sociales devait participer à créer des opportunités capables d’engendrer un développement d’activités créatrices d’emplois et susceptibles de dynamiser le secteur urbain. Ces centres servant surtout de lieu d’échanges de la production du monde rurale, ils allaient servir de trait d’union entre la campagne et la ville. A tout malheur, quelque chose aurait été bon: la guerre aurait pu faciliter la création de ces centres au Rwanda, étant donné que le déplacement et l'installation de la population allaient se passer avec moins de réticences.

           

            C’est dans ce cadre qu’un grand projet dit « pôle rural de développement » était en cours d’étude avant la guerre. En raison des économies d’échelle que ces villes moyennes allaient entraîner, permettant même de redynamiser le secteur agricole qui allait se voir obligé d’accroître sa productivité pour répondre aux besoins de l’autosuffisance alimentaire aussi bien de la population agricole et non agricole rurales et celle de la ville, ce projet s’inscrivait dans les actions prioritaires à mener. 

 

            Actuellement, cette vision du développement semble être oubliée. Les responsables actuels sont d’abord préoccupé par leurs propres projets qui semblent d’ailleurs avoir peu de relations avec les intérêts de la population, d’où la tendance inévitable de s’armer d’abord  même si la majorité de cette population est menacée par de graves crises telles que la faim, les maladies, etc. Le grand danger actuel pour le développement du monde rural rwandais, c’est l’insécurité qui guette la campagne et qui empêche le paysan de travailler ses terres depuis le début de la guerre en 1990. En effet, dès 1990, les inyenzi-inkotanyi ont semé la panique surtout dans le nord du pays jusqu'à leur victoire en 1994. Ils avaient obligé des milliers et des milliers de paysans hutu d'abandonner leur seule richesse: la terre agricole. Depuis la victoire des inyenzi-inkotanyi en juillet 1994, le milieu rural rwandais a été toujours sous l'étau des militaires du nouveau régime. C'est un véritable réservoir pour les prisons mouroirs du FPR. De plus, il semble que les rebelles hutu sont entrain de s'organiser. Cette insécurité perpétuelle du paysan risque d’être la principale cause de la faim au Rwanda.

 

            En effet, dans de telles conditions, il est normal que le paysan ne peut pas travailler sa terre et l’agriculture d’autosubsistance risque d'être la grande caractéristique de l’économie familiale. Etant donné même que les cultures industrielles, qui étaient jusqu’à présent le pilier incontournable de la balance des paiements, sont des cultures pluriannuelles et que les paysans avaient déjà commencé à donner une préférence aux cultures vivrières, le pays risque de voir le secteur d’exportation s’effondrer complètement. Il est à remarquer que si le paysan laisse longtemps en jachère ses terres à cause de l'insécurité, la production de l'autosubsistance alimentaire peut être aussi utilisée comme une tactique de défense contre la guerre menée par le FPR. Si ce dernier a facilement pris le dessus pendant la guerre des kalachnikovs, il lui serait cette fois-çi difficile de gagner la bataille sur le front économique.

 

            Devant cette situation où l’économie de la campagne tend à se désolidariser du reste de l’économie nationale, il est clair que le fossé qui risque de séparer la ville et la campagne rwandaise sera de plus en plus grand. Afin de pouvoir soutenir l’économie, la culture obligatoire du café et du thé, à l’instar du temps colonial, risque d'être de rigueur. Cela ne fera qu’aggraver les tensions entre les responsables et la population. En tant que siège de l’administration, la ville rwandaise risque ainsi d’être une source de tensions et s’écarter de son rôle de catalyseur dans l’augmentation de la productivité du monde rural.

 

            Concernant ce rôle administratif de la ville, son caractère contraignant a été déjà mal vu par la population à majorité hutu concentrée principalement à la campagne. En effet, tout l'appareil de l'hiéarchie administrative en place est dirigé par les tutsi. Etant donné que  les tutsi se sont principalement regroupés dans les villes, le monde rural (campagne) est devenu le théâtre de toute une série de pressions administratives et surtout militaires. Tout cela se fait dans le but de réprimer toute idée de sensibilisation susceptible d'éveiller la conscience hutu et manifester ouvertement le mécontentement. Il faut signaler que dans le but d'avoir une main mise totale sur cette campagne, tous les dirigeants des communes administratives du pays (les bourgmestres) ont été tous de l'ethnie tutsi après la victoire FPR.

 

             Les relations entre la campagne et les villes rwandaises pouvaient, dès la victoire du FPR en 1994, être envisagées ainsi sous deux angles:

            a) maintenir le statu quo, c-à-d avec des villes habitées principalement par une seule ethnie tutsi,

            b) coexistence des deux ethnies sur le territoire avec une répartition spatiale équilibrée. Cette seconde variante a eu moins de probabilité de se réaliser et c'est le premier scénario qui est en application.

 

            A l’instar de ce qui s'est fait sur le terrain, la première variante a été ainsi prépondérante. Les villes rwandaises sont peuplées majoritairement par les tutsi. Ils ont d’ailleurs tous reçu des cartes d’identités urbaines au moment où les hutu qui vivent à Kigali sont souvent pourchassés par la police tutsi comme des sans papiers. Dans tous les cas, si démocratie il y avait, la capitale Kigali serait un bastion des tutsi. Le problème des urnes à Kigali est ainsi déjà un problème pour les démocrates. Comme leur effectif au niveau national reste inférieur, la majeure partie a été absorbée par la capitale Kigali qui dispose déjà de plusieurs infrastructures socio-économiques attrayantes. Les éleveurs tutsi eux, sont restés tout près des frontières avec les pays voisins. Certaines préfectures comme celles de l’Est et du N-E sont déjà peuplées par une nouvelle population à majorité tutsi (tutsiland). Une nouvelle préfecture  UMUTARA, a même été créée à cet effet. Le reste du pays est principalement peuplé par les hutu. Cette répartition spatiale à dominance ethnique est dangereuse pour le développement futur du pays, étant donné les tensions (ethniques) prévisibles entre les régions d’abord, et entre la ville et la campagne ensuite ( domination d’une partie sur une autre, concentration des emplois modernes dans les mains d’un seul groupe d'individus, l’insécurité, le repli de la ville ainsi que de la campagne sur elles mêmes, etc. ).

 

            Par ailleurs, si le désenclavement des régions de l’arrière-pays grâce surtout aux travaux communautaires de développement ( UMUGANDA ) avait permis une certaine symbiose entre la ville et la campagne et en particulier le désenclavement des régions agricoles les plus reculées, le mauvais entretien des routes a déjà coupé cette liaison, ce qui ne favorise pas ni la circulation des biens, ni celle des personnes. Cette détérioration des routes et pistes dont l’entretien dépendait de la population est actuellement remarquable. Plusieurs routes secondaires ne sont plus praticables. Pire encore, presque tous les opérateurs économiques privés, surtout ceux du monde rural qui, par leurs moyens de transport, facilitaient la communication et l’approvisionnement ville-campagne ne sont plus opérationnels.

 

            Si la ville est en même temps un centre d’échanges économiques et de rencontre de plusieurs cultures; un siège des pouvoirs ainsi que d’innovations et un lieu créateur d’emplois et de diffusion de nouvelles modes de vie: elle a en conséquence un pouvoir et un devoir attractifs élevés pour les populations polarisées. Dans le futur, si au lieu d’attirer la majorité de la population rwandaise (qui n'est que hutu), les villes rwandaises se manifestent avec un effet repoussant, elles risquent de ne jamais remplir ces fonctions. Quant à la campagne, elle risque de rester le centre traditionnel des activités agricoles et forestières qui occupent la majorité de la population du pays.

 Y aura-t-il dans le monde rural rwandais une politique de restructuration spatiale permettant: - une meilleur utilisation des terres agricoles en vue d’augmenter la production?

                  - d’éviter l’ethnisation des régions en réorganisant les tutsilands et hutulands déjà crées volontairement par le FPR après sa victoire. Si le fléau du régionalisme caractérisait les dirigeants de l'ancien régime Habyarimana et que le pays était presque divisé en deux parties: Nord et Sud, le Rwanda de demain risque d'être miné à la fois par le régionalisme et la lutte des ethnies. En effet, l'épuration ethnique dont le FPR s'est rendu responsable après la guerre et qui a permis aux tutsi d'occuper presque seuls une bonne partie de l'espace national, ne pourra conduire qu'à une telle catastrophe.   

           

            Ainsi, si le climat d’insécurité perdure au Rwanda, que l'apathie internationale à l'égard d'une partie du peuple rwandais (hutu) continue, qu'un Etat de droit n'est pas fondé, les tensions ethniques continueront de fermenter dans l’esprit des gens. On risque alors d’assister à une rupture entre la campagne habitée principalement par les hutu et les villes occupées majoritairement par les tutsi. Cette rupture probable ne fera qu’aggraver la situation économique qui était déjà alarmante et se répercutera sur le développement futur du pays.

 

 

 

 

2. 7 Le problème rwandais face à d’autres pays africains de même crise

 

            Bien que la crise rwandaise ne soit pas unique en son genre, elle a quand même des particularités en comparaison avec les crises qui ont eu lieu dans d’autres pays africains (Angola, Mozambique, Liberia, etc.). Le point commun observé dans tous ces pays semble être caractérisé par un chaos qui est né des forces politiques et/ou sociales antagonistes à l’intérieur de la plupart de ces pays. La particularité du chaos rwandais réside en ce que ce  problème est le résultat d’une situation de guerre, longtemps préparée et mûrie à l’extérieur du pays, avec des enjeux politiques qui dépassent vraisemblablement le seul cadre national. L'attaque et la conquête de l'ancien Zaïre aujourd'hui redevenu Congo est un exemple éloquent. Dans les autres pays africains, le problème principal de lutte pour le pouvoir s’était manifesté entre les différents clans, tribus ou sensibilités politiques oeuvrant ou résidant en général à l’intérieur de ces pays. La guerre imposée au Rwanda en 1990 était une guerre d’agression conduite de l’extérieur malgré la participation des anciens réfugiés rwandais. Le chaos créé par cette guerre avait comme principal mobile la lutte pour le pouvoir des soi-disants élites deux grands ethnies du Rwanda. Les agresseurs voulaient, comme ils l'affirmaient sur les ondes de leur radio, la chute du régime en place. Ce problème que le Rwanda et le Burundi partagent les mêmes origines et conséquences risque d'être un fléau cyclique pendant des siècles.       

 

- La présence et la contribution internationales dans le conflit

            On a parlé de conflit rwandais ou rwando-rwandais mais la réalité en était toute autre. La guerre a été déclenchée par les ex-réfugiés rwandais à partir de l'Ouganda. Elle a directement pris une ampleur internationale. L'une des grandes erreurs de la communauté internationale pendant cette guerre (qu'on peut qualifier d'ailleurs de conspiration) consiste en ce que les gens reconnus internationalement comme réfugiés ont pris des armes, attaqué un pays libre et indépendant, et devant cette situation, cette communauté est restée muette. Exactement au début de ce conflit en 1990, il était évident que les agresseurs étaient soutenu par des pays extérieurs, entre autre le pays hôte (Ouganda) qui les soutenait clairement en effectif, les équipait en matériel et en logistique.

 

            Repoussés au début, les agresseurs se repliaient dans leur pays d'origine, l'Ouganda qui les aidait à se reconstituer afin d'organiser de nouvelles attaques. Le Président de l'Ouganda, Museveni, a lui-même admis que les déserteurs de son armée étaient partis avec le matériel militaire pour appuyer le FPR. Par ailleurs, le FPR a continué de recruter au Burundi, en Ouganda sans parler du Rwanda. Cela faisait particulièrement monter les tensions ethniques. Nul n'a pris le courage, même les institutions internationales qui étaient chargé de trouver une solution de ces réfugiés, de condamner cette agression venue de l'extérieur et appuyée par l'Ouganda. Pourtant, au moindre déplacement des éléments de l'ex-armée régulière (les FAR), même les organisations humanitaires (notamment la MINUAR: mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda) lançaient immédiatement l'alerte. Cette prise de position ne pouvait que mettre en doute la crédibilité de la communauté internationale dans un tel conflit.

 

            De plus, le HCR et d'autres organisations à caractère philanthropique ont à maintes reprises utilisés l'arme humanitaire pour forcer les réfugiés rwandais à rentrer. En 1996, la communauté internationale a refusé d'intervenir militairement au Zaïre pour secourir les réfugiés rwandais, affamés et pris entre le feu du FPR et de l'armée zaïroise. Le HCR a seulement apprêté les camions sur la frontière des deux pays. Cela a conduit à une rentrée massive, obligée et suicidaire pour la plupart d'entre eux. Dans le même ordre d'idées, l'attaque menée par le triumvirat FPR-Burundi-Ouganda contre le Zaïre, était soutenue par les forces extérieures. C'est ainsi que certaines puissances occidentales, au lieu de protéger militairement les réfugiés, préconisaient des couloirs humanitaires pour permettre aux réfugiés de rentrer au Rwanda. Quelle pitié et logique humanitaires qui faisaient marcher les gens dans la direction d'où venaient leurs attaquants (l'ennemi)! Les rescapés des massacres qui s'y sont déroulés et qui ont pu finalement regagner le Rwanda peuvent en être témoins. Ceux d'entre eux qui sont restés sans être mis en tôles peuvent être comptés avec les doigts.

 

            Malgré que les réfugiés hutu stationnés au Zaïre étaient censés être sous la protection des Nations Unies, il n'y a eu presque pas de réaction ni des grandes puissances, ni des médias occidentaux pour désigner et condamner l'agresseur. Maintenant, on sait que cette agression était soutenue sans faille. Les réfugiés hutu ont été purement et simplement dispersés dans les collines du Zaïre dans le but de les laisser être massacrés par le FPR et ses alliés*. Pendant ce temps, les faibles mourraient de faim, et les autres des intempéries et des maladies connexes. A. Bourgui[72] écrivait à ce propos: "Faute d'avoir pesé de tout son poids pour réunir les conditions d'une réconciliation nationale au Rwanda comme au Burundi, la communauté internationale a favorisé dans l'ensemble des Grands Lacs une polarisation ethnique qui s'exacerbe de jour en jour".

 

            Face à cet immobilisme désastreux pour toute la région, cette communauté a continué à se réfugier derrière le paravent humanitaire, qui ne faisait que voiler un certain manque d'humanisme et d'humanité. On devrait normalement aider les vivants et non pas les morts. Cela devrait servir de leçon dans le futur, et l'aide de la communauté internationale devrait venir protéger les vivants et non soulager les victimes. La philosophie de l'aide d'urgence devrait être foncièrement revue. La communauté internationale, qui malheureusement tend à se limiter aujourd'hui aux grandes puissances occidentales, et donc à pratiquer une politique d'hégémonie impérialiste d'une seule puissance (les USA), devrait investir plus sur le plan humain, politique, économique et financier pour que l'aide humanitaire soit totalement remplacée par l'aide au développement.

 

            Une question importante qu'on peut se demander: d'où viennent toutes ces armes et munitions pour équiper ces soi-disant guérilleros? Tout le monde s'accorde à dire que dans les pays moins avancés, la pauvreté est devenue le pire des vis. Les gens ne parviennent même pas à manger à leur faim. Les jeunes, désoeuvrés sont parfois dévergondés et se livrent souvent à la délinquance. Cette situation de la misère parmi les jeunes explique pourquoi la rébellion n'a pas beaucoup de problèmes pour trouver les combattants, mais le problème qui reste est de savoir où ils tirent toutes ces armes. En premier lieu, ce sont les pays dits "développés" qui dans leur optique de sauvegarder ou d'avoir une main mise sur les intérêts directs ou indirects d'un pays, incitent et soutiennent ces guerres. C'est malheureusement cette politique impérialiste qu'a optée la plus grande puissance mondiale, les Etats Unis d'Amérique, envers les pays des Grands Lacs.

 

            Quand en octobre 1996, le groupe politico-militaire tutsi au pouvoir à Kigali, avec ses soldats qu'il a appelé "abanyamurenge", a attaqué le Zaïre, l'objectif à peine masqué était de chasser des milliers de rwandais hutu, réfugiés dans ce pays. Il était indirectement appuyé par les Etats Unis. Concernant les objectifs de cette attaque, le Général Kagame (chef du FPR), dans son interview accordée au Washington Post dans la première quinzaine du mois de juillet 1997, a été clair et sans aucune ambiguïté. L'objectif n° 1 était de chasser les réfugiés de leurs camps; le second était de démanteler les camps des Ex-Forces Armées Rwandaises et les Interahamwe et enfin tout cela s'inscrivait dans l'objectif global de chasser du pouvoir l'ancien président du Zaïre - Mobutu. En révélant que ses soldats avaient activement participé à la chute des villes zaïroises de KISANGANI, LUBUMBASHI et de la Capitale KINSHASA, il a officiellement reconnu que le Zaïre avait été agressé par un (des) pays tiers. L'agresseur était sans aucun doute connu dès le début de l'attaque. Pourtant, sous prétexte que les camps des réfugiés abritaient les éléments des FAR et milices hutu, certains pays et médias occidentaux ont trouvé l'alibi d'expliquer et de soutenir cette attaque. Ils ont vite oublié que la guerre imposée au Rwanda depuis 1990 et dont les massacres de 1994 ne constituaient qu'une de ses phases, est un chef-d'oeuvre du FPR. Se sont-ils laissé tomber dans le piège de ce dernier ou l'ont ils fait expressément?

 

            Toutefois, malgré des visées impérialistes des grandes puissances, des tentatives de recherche d'une solution négociée avaient été essayées. C'est ainsi que furent conclu en 1992 les accords de Kinihira. En juillet 1993, les accords d'Arusha furent signés sous les auspices des grandes puissances comme les USA, la France, l'Allemagne, la Belgique, les Nations Unies et l'OUA ainsi que les pays voisins du Rwanda avec en tête la Tanzanie qui abritait et organisait ces négociations. Pourtant, tous se sont miraculeusement abstenus à condamner l'agresseur. Pourquoi?

 

            L'identification de l'agresseur aurait bien permis de trouver un qualificatif à la guerre du Rwanda et peut-être sa solution, mais hélas, rien n'a été fait. Tout ce dont on chuchotait, c'est que l'agresseur venait d'Ouganda sous l'étiquette de défendre la cause des réfugiés rwandais. Ici, on ne peut plus être clair, le gouvernement de Habyarimana s'est embourbé dans de faux problèmes au lieu de poser clairement la question devant les instances internationales chargés des problèmes de sécurité entre Etats. Dans les faits, deux cas pouvaient être envisagés:

1.    dans le premier cas, les attaquants pouvaient être des réfugiés rwandais. Le fait de prendre des armes leur faisait perdre le statut de réfugiés et ils risquaient d'être expulsés du pays d'asile. Devant une telle situation, c'est l'ONU et plus précisément le HCR, qui avait participé à toutes les négociations relatives aux émigrés rwandais qui était mieux placé pour calmer la situation. Seulement, l'attaque était conduite par les hauts officiers de l'armée ougandaise dont son ex-chef d'Etat Major* , tué quelques heures après la première attaque. De connivence avec le président Museveni, la désertion du haut commandement de l'armée ougandaise pour attaquer le Rwanda ne pouvait pas laisser indifférent aucun pays épris de paix.

2.    La deuxième possibilité était celle où les agresseurs étaient composé de citoyens ougandais plus les réfugiés rwandais. L'attaque a été lancée par les officiers de la NRA (armée ougandaise). Or, pour être engagé dans cette armée, on doit avoir une nationalité ougandaise. Ainsi, tous les officiers du FPR avaient la nationalité ougandaise et donc ils ne pouvaient se réclamer de nationalité rwandaise. Ceci est d'autant plus vrai que la double nationalité n'était pas admise au Rwanda. Leur attaque contre un pays indépendant signifiait donc l'attaque par l'Ouganda.

           

            Or, la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, dans son chapitre I, article premier, point E est clair, je cite: "Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant droit et les obligations attachés à la nationalité de ce pays [73]. Dans ces conditions, les attaquants ne pouvaient pas se réclamer comme des réfugiés. En outre la Convention de l'OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, Art. 1, paragr. 4, pt. c dit: "La présente Convention cesse de s'appliquer à toute personne jouissant du statut de réfugié si elle a acquis une nouvelle nationalité et si elle jouit de la protection du pays dont elle a la nationalité[74]. Le fait que les agresseurs se repliaient en Ouganda sans être arrêtés prouve cette protection.

 

            Dans tous les cas, les attaques ont été menées par des officiers de l'armée ougandaise et ce pays les a soutenu clairement jusqu'à la victoire. Jusqu'à la preuve du contraire, c'est l'Ouganda et plus précisément son président Museveni qui est responsable de la destruction du Rwanda.

 

            L’appui militaire inconditionnel apporté aux réfugiés tutsi rwandais par le régime de  Museveni a donné la base aux suspicions sur l’existence d’un projet* d’hégémonie ethnique hamite dans la région des Grands Lacs ce qui a participé au renforcement des solidarités ethniques transfrontalières et donné à la crise rwandaise une dimension régionale. C’est dans ce cadre que l’armée burundaise, formée presque exclusivement par une seule ethnie tutsi, appuyait discrètement, mais fermement ce conflit. On peut citer notamment l’organisation de camps d’entraînement, les facilités de recrutement dans les écoles secondaires y compris sous la menace, etc. C’est également dans les camps militaires du Burundi qu’émettait la fameuse radio du Front Patriotique Rwandais (FPR) - Muhabura dont l’un des objectifs était d’appeler le peuple rwandais à la désobéissance au régime en place.

 

            Par ailleurs, la majorité des pays africains qui ont connu des guérilla se caractérisent par une absence d’insertion de ces mouvements dans la vie réelle de ces pays. C’est ce que Chaliand appelle « la révolution par l’exil »[75]. En effet, plusieurs stratégies, dont les opérations de commandos menées de l’extérieur du pays avant leur victoire, ainsi que des actes revanchards après leur victoire, impliquent ces mouvements dans la non insertion au sein de la population locale au nom de laquelle ils sont sensé lutter pour. C'est pourquoi, après la victoire miracle du FPR, toute la population hutu s'est sentie menacée. Le camp des vainqueurs tutsi s'est séparé du camp des vaincus hutu et l'épuration ethnique a repris avec vigueur. Vae victis.

 

            Si l’histoire africaine vient de montrer à plusieurs reprises qu’un mouvement armé extérieur au pays peut renverser les pouvoirs en place et les exemples sont présentement nombreux ( Tchad, Somalie, Ouganda, Zaïre, etc. ), la mise en place et la concrétisation  par les nouveaux dirigeants d’un vrai programme révolutionnaire de développement s’est révélé pratiquement impossible. Tous ces pays continuent de s’enfoncer dans un cercle vicieux de la guerre et la paupérisation de leurs populations ne cesse de s’aggraver. Le Rwanda n'a pas du tout échappé à cette règle. En effet , depuis les années 1980, presque tous les indicateurs socio-économiques étaient en état d’alerte. Il était alors dérisoire, après avoir donné le pouvoir aux guérilleros qui ne connaissent que des kalachnikov, de penser à une amélioration de la situation dans un proche avenir. La situation économique s'est ainsi complètement empirée avec les guerres que le Rwanda continue d'entretenir avec ses voisins. Tous ces pays partagent donc l’état de crise avec un service de la dette énorme, un produit intérieur brut (PIB) par habitant ainsi que l'espérance de vie qui sont en régression permanente, etc..

 

            En ce qui concerne le Rwanda, comme d’ailleurs cela est remarquable dans d’autres pays moins développés déchirés par la guerre, ce conflit avait un caractère international et paraissait plus qu’un simple conflit interethnique. En effet, la pauvreté, caractéristique pour la plupart des pays moins avancés, ne permettait pas au Rwanda et pire encore à ses antagonistes de se livrer une guerre d’envergure, qui a pu durer plus de quatre ans. Le FPR ne disposait ni de moyens matériels, ni de moyens humains. Pourtant, les guerres dans les pays sous développés sont devenu interminables avec des pertes humaines souvent élevées. Non plus, aucune guérilla, qui par définition ne s’appuie que sur une partie infime de la population, ne peut envisager de perdre au-delà de quelques milliers d’hommes. Il y a lieu de se demander alors: qui préfère donc armer ces pauvres pays en guerre et ces guérillas* et pour quels motifs, au lieu de financer les actions de développement?  

 

            Quand le FPR a attaqué le Rwanda en 1990, il était presque exclusivement composé de soldats de l'armée ougandaise, qui se réclamaient de l'identité rwandaise. Le recrutement du FPR s'est dans la suite fait au Rwanda, au Burundi, au Zaïre et en Tanzanie. Dans l'attaque qu'ils ont menée au Zaïre en octobre 1996 pour conquérir le Kivu et chasser les réfugiés hutu, les soldats du FPR se réclamaient de l'identité "banyamulenge" et de nationalité zaïroise. Etant donné que les frontières des pays africains ont été arbitrairement tracées par la colonisation, cette stratégie guerrière et expansionniste, masquée derrière la transnationalité, constitue un risque réel  pour tous les pays des Grands Lacs et même pour toute l'Afrique.

 

            La crise rwandaise présente donc les aspects d’une agression extérieure (l'Ouganda), d’une contre-révolution des réfugiés tutsi, d'un tremplin pour les américains afin d' occuper un pays potentiellement riche - le Zaïre, mais aussi d’une insurrection intérieure née avec la démocratisation des institutions nationales. C’est probablement cela qui a fait que la guerre a trop duré et que la solution définitive au conflit n’est pas dans le court terme [76]. Toutefois, il faut reconnaître que ces différentes causes de la crise rwandaise sont venues s’ajouter à l’impérialisme mondiale, qui a essayé de maintenir les différents rapports conflictuels (dont la dépendance et l’exploitation) entre les diverses composantes de la société rwandaise rendant impossible tout compromis dans le sens positif.

 

            Ainsi, les erreurs stratégiques commises par la communauté internationale dans le conflit rwandais peuvent se résumer comme suit:

                    - un pays libre et indépendant a été agressé de l'extérieur et la communauté internationale n'a pas voulu se prononcer et arrêter ce conflit. La solution privilégiée (la guerre) n'a jamais été un bon moyen pour résoudre les conflits (sociales, politiques, économiques, ...). Pourtant, les négociations entre les protagonistes étaient en cours et semblaient être soutenues par cette communauté mais personne n'a condamné cette guerre imposée de l'extérieur. La politique du silence menée par la communauté internationale a favorisé l'agresseur. La préférence d'une logique guerrière au détriment des négociations politiques (option souvent privilégiée par les puissances impérialistes) ne devraient laisser personne indifférente.

            - Au moment où la guerre atteignait son paroxysme, la communauté internationale n'a pas voulu au moins défendre la population civile. Elle s'est même volontairement retirée du Rwanda* . Pourtant, l'effectif de ses soldats était suffisant.

                     - Après la victoire du FPR, la communauté internationale s'est rangé du côté du vainqueur. C'est ainsi que les massacres des vaincus (hutu) n'ont jamais été décriés et des milliers de civils hutu ont été exterminés par le FPR sous couvert du silence de la communauté internationale et sans aucune forme de procès. Sous la demande du vainqueur (FPR), le conseil de sécurité des Nations Unies a institué un tribunal international pour le Rwanda afin de juger seulement les vaincus (hutu). Or, tout le monde s'accorde à dire que les crimes de guerre et contre l'humanité au Rwanda ont débuté avec le commencement de la guerre en 1990 et se sont poursuivis après la victoire du FPR en 1994. Pourquoi alors les actions de ce tribunal se limitent seulement sur l'année 1994? Pourquoi ce tribunal veut seulement juger un des protagonistes du conflit?

                         - La reconnaissance du génocide unilatéral des tutsi alors que ce sont ces mêmes tutsi qui sont à la base de tous les maux que vit le Rwanda après 1990. Ils ont attaqué le pays, tué les présidents du Rwanda et du Burundi et massacré, au même titre que leurs adversaires hutu, les populations civiles.

 

La communauté internationale

            Depuis l'événement du drame rwandais de 1994 et encore tout récemment du drame du Kosovo, plusieurs personnes se posent encore beaucoup de questions relatives à cette fameuse communauté. Cela est dû aux différentes décisions prises par elle, correctement ou d'une façon injustifiée ou injustifiable, face aux conflits qui continuent de déchirer notre globe. Ainsi, les questions suivantes sont d'actualité.

- Qui est réellement cette communauté internationale?

- A-t-elle une personnalité juridique? Si oui, où peut-on la traduire en justice?

- Cette communauté a-t-elle un règlement légal qui la régit et reconnu par tous, autrement dit, est-elle démocratique dans ses décisions?

C'est devant toutes ces questions et d'autres encore connexes aux premières que plusieurs personnes restent encore sans réponses. N'étant pas un spécialiste du droit internationale, je ne prétends pas répondre à ces questions. Je vais seulement essayer de les circonscrire afin de pouvoir mettre au clair les noeuds y relatifs. Cela va se faire dans le but de montrer que le monde s'engouffre de plus en plus vers une voie sans issu, en admettant de fait que la première puissance mondiale (les USA) est le seul gendarme de notre planète. Bien sûr, l'organisation des Nations Unies souffre de tous les maux: des problèmes financiers, fonctionnels etc., mais nous pensons qu'aucun pays ou organisation internationale ne peut, sous n'importe quel prétexte que ce soit, se substituer à elle.

 

            Qui est la communauté internationale? Normalement, nous sommes habitués à désigner la communauté internationale par l'Organisation des Nations Unies (ONU). Cette organisation, qui regroupe la totalité des pays de notre globe, mérite réellement ce nom. Ses organes de décisions sont: l'assemblée générale (formée par tous les pays) ainsi que le Conseil de Sécurité (formé par cinq membres permanents: USA, France, G.B., Chine, Russie ainsi qu'une dizaine de pays siégeant pour deux ans). Il existe d'autres organisations à caractère international tel que l'OTAN, l'OSCDE, etc., mais ces organisations sont effectivement plus régionales qu'internationales. En mars 1999, l'OTAN , défiant toute coopération avec l'ONU et ainsi son existence, a agressé la Yougoslavie. Rappelons que les vrais membres de cette organisation sont quelques pays de l'Europe occidentale plus les USA et le Canada. Ces pays s'étaient mis ensemble après la deuxième guerre mondiale pour s'opposer aux pays de l'Est qui formaient le pacte de Varsovie. Etant donné que le pacte de Varsovie n'existe plus et qu'ils sont devenus les principales puissances du globe, ils ont déclaré que c'est la communauté internationale qui est entrée en conflit dans le Kosovo. Or, ils n'avaient même pas déclaré la guerre à la Yougoslavie. Impuissante devant cette situation, l'ONU qui est la véritable communauté internationale est restée réduite à un simple observateur. La loi de la jungle avait anéanti sa légitimité. Ainsi, on assiste à une épreuve de force où le plus puissant attaque le plus faible mais sous couvert d'une appellation qui le protège en quelque sorte. Effectivement, durant tout ce conflit, l'OTAN s'est appropriée le nom de "communauté internationale". Malheureusement, les médias occidentaux ont adopté, malgré leur indépendance et leur liberté historique, ce langage. Qu'on se détrompe, la liberté de presse se mesure toujours à la force qu'on veut dénoncer. Les Etats membres devraient se réveiller pour que cette parodie ne se répète plus. L'ONU, c'est la seule organisation qui représente la communauté internationale. Les autres organisations internationales devraient comprendre qu'il n'y a pas d'équivoque.

 

            Si l'ONU est la seule organisation qui présentement peut représenter les intérêts de tout le monde, elle a des droits, mais aussi des devoirs. La défaillance de l'ONU devant ses devoirs devrait normalement la faire condamner. La question est de savoir où peut-on accuser cette communauté internationale? Un exemple dans le cas du Rwanda est celle où la communauté internationale a plié bagages, alors que les tueries atteignaient leur plus haute monstruosité. Dans la suite, cette communauté est curieusement revenue pour dire qu'il y a eu un génocide et qu'il faut punir les responsables. Qui est responsable de quoi? Il faudrait établir les responsabilités de tous les acteurs qui étaient sur le terrain en ce moment, et les juger en conséquence. Si cette communauté ne s'était pas désengagée pendant les moments durs, et elle avait les moyens, ces massacres se seraient-ils passés? Où peut-on alors l'accuser? Cette communauté ne devrait pas être juge seulement alors qu'elle était activement présent sur le terrain. Le problème de la souveraineté des puissances qui composent cette communauté s'intercale. C'est là que commence les grands dysfonctionnements de cet organisme. Son inculpation devient alors hypothétique.

 

            Quant aux lois qui régissent le fonctionnement de cette organisation, il ne serait pas superflu de dire qu'elles sont là, mais désuètes. En effet, il n'est pas rare de voir l'ONU prendre une résolution qui va rester longtemps lettre morte (apartheid en Afrique du Sud, résolution sur le retrait de l'Etat d'Israël sur les territoires occupés de la Palestine, etc.). Cela est le résultat délibéré des manoeuvres de certains Etats membres qui opposent régulièrement leur droit de veto sur les décisions prises. Les USA, comme une grande puissance sur cette planète, sont toujours des leaders pour opposer leur veto. Etant donné que le Conseil de Sécurité est formé principalement par les grandes puissances, il supplée parfois l'assemblée générale et prend des décisions importantes du ressort de cette assemblée. Il empiète donc sur ses droits. C'est pourquoi, vu les blocages dans le bon fonctionnement de cette organisation mondiale, il serait préférable que la composition du Conseil de Sécurité soit revue. On y inclurait les autres pays surtout les pays économiquement moins avancés. Il est à remarquer que la composition idéale du conseil de sécurité serait celle qui tiendrait en compte la représentativité équilibrée de tous les continents. Toutefois, l'assemblée générale devrait automatiquement être inculquer dans la prise des grandes décisions concernant la paix et la sécurité de notre planète. C'est dans cette optique que les divers Etats membres se sentiraient égaux devant l'ONU. Le schéma actuelle met au premier plan les grandes puissances qui, avec leur droit de veto, font passer leurs propres intérêts avant les intérêts des autres. Bref, la communauté internationale telle qu'elle agit maintenant, se confond avec les grandes puissances, ce qui s'avère vraiment injuste et injustifiable. L’ordre mondial actuel, à l’image de ses institutions (ONU, BM, FMI, ...) et leurs sponsors est fondé sur l’amoralité, l’absence de droit, de justice et de sagesse. Les valeurs prétendues de modernité et de civilisation (démocratie, bonne gouvernance, ...) sont des concepts verbalement idéales, mais instrumentalisés et appliqués à tort et à travers afin de perpétuer la suprématie d’exploitation des pays les plus forts sur les pays faibles. La vraie démocratie devrait caractériser cette organisation internationale. Le principe démocratique, "un pays - une voix", devrait être de rigueur à l’ONU.

 

 

 

- Les USA et leur projet hégémonique dans la région des Grands Lacs

            Depuis l'effondrement de l'Union Soviétique au début des années 1990, les USA se sont vu au dessus de tous et de tout. Alors que l'existence du système socialiste créait un certain équilibre au sein des forces qui dominent ce monde, sa disparition a engendré un certain vide et un déséquilibre dans le système socio-économique et militaire de notre planète. Jusque vers la fin de la guerre en 1994, les USA avaient fait semblant d'ignorer ce qui s'était passé au Rwanda depuis 1990, même pendant les grands massacres de 1994. Pourtant, la prise du pouvoir par le FPR à Kigali a été salutaire pour les autorités de ce grand pays. En effet, dans son projet hégémonique, les USA se sont toujours opposés à toute idée d'intervention militaire de la communauté internationale pour arrêter la guerre en 1994. Cela n'était pas neutre et sans arrière pensée. Dès juillet de cette même année, des troupes militaires américaines ont débarqué au Rwanda sous le paravent de la reconstruction de ce pays. Ayant depuis longtemps convoités la région du BUGESERA pour y mettre une base militaire (ce qui n'avait pas été possible durant le règne des républiques précédentes), les USA venaient de trouver une occasion, selon la presse internationale, pour s'implanter dans la région. Dans la suite, ce vieux projet a été mis en veilleuse. La conquête et l'occupation du Zaïre, avec ses immenses richesses économiques et sa position stratégique sur le continent noir ont été prépondérantes.

 

            Hormis les américains qui n'ont pas caché leur sympathie au nouveau régime de Kigali, les anglais vont leur emboîter le pas. La coopération avec les pays anglophones en général va vite se mettre en place. C'est l'hégémonie anglo-saxonne qui menaça la région. La langue anglaise, sans même que la Constitution soit remaniée, fut utilisée par les soldats ougando-rwandais comme une langue officielle* . Une campagne médiatique anglo-saxonne menée contre les hutu commença. Même les agents anglophones d'Amnesty International, qui étaient censé être neutres dans le conflit vont clairement avoir un parti pris.

 

            C'est ainsi que le physicien anglais Peter Hall, dont les connaissances en Physique ne sont pas pourtant à mettre en doute, va officiellement déclarer que tous les corps humains déterrés dans les fosses communes au Rwanda après 1994 étaient uniquement ceux des tutsi. Comment a-t-il pu distinguer les os d'un tutsi de ceux d'un hutu, d'autant plus que la responsabilité dans les massacres ethniques survenus au Rwanda en Avril 1994 était partagée entre les deux protagonistes?

           

            La coopération des américains avec le FPR va dans la suite se renforcer de telle façon que les américains ne voulaient même pas entendre une possibilité pour les hutu de retourner dans leur pays par la voie des armes. C'est ainsi que partout, ils chantaient que les camps des réfugiés hutu étaient devenus des bases d'entraînement. C'est suite à cette machination qu'ils ont armé et entraîné le FPR afin d'attaquer le Zaïre sous le nom des rebelles "abanyamurenge". Cette attaque des camps des réfugiés de l'ONU qui, dans les conditions normales, devait être condamnée par la communauté internationale a même été encouragée, puisque cette communauté voulait seulement leur laisser un couloir pour rentrer au Rwanda. Elle connaissait pourtant que les attaquants venaient du Rwanda et qu'ils étaient soutenu par ce même pays. Les USA, qui avaient armé les agresseurs du Zaïre jusqu'au dents se sont même opposés à la proposition d'envoi d'une force humanitaire internationale qui devait secourir ces réfugiés. Pour les américains, le problème des réfugiés rwandais  à ce moment-là était un problème de second ordre. Ce qui importait, c'était la conquête des richesses du Zaïre.

 

            La tactique utilisée par les pays occidentaux, particulièrement les USA, dans le chaos des pays des Grands Lacs peut ainsi se résumer en ces mots: pour mieux sauter, il faut reculer. En effet, le silence masqué qui a guidé ces pays face à l'agression du Rwanda par l'Ouganda en 1990, l'abandon* du peuple rwandais en désarroi lors des massacres respectivement en  avril 1994 et lors de la guerre au Zaïre en 1996, pour ne citer que ces deux exemples, ont montré que tout cela était le résultat d'une politique délibérée des grandes puissances occidentales qui se livraient une lutte voilée, mais assez criminelle pour les africains, afin de se succéder au fauteuil de domination dans les pays des Grands Lacs. C'est ainsi qu'après la chute du pouvoir de Mobutu, les Etats Unis ont admis qu'ils ont activement participé à cette chute en armant le FPR et en l'entraînant. Des soldats américains ont même été sur le sol zaïrois pour soutenir le FPR et les abanyamurenge. Bien avant même cette chute, des entreprises pillards américaines avaient déjà conclu avec KABILA des contrats d'exploitation des mines dans la riche province du Katanga alors occupée par les mercenaires de KABILA.

 

            Pourquoi les Etats Unis ont-ils préféré mener une guerre contre un général MOBUTU alors moribond? Son état de santé ne lui laissait à peine que quelques mois de survie. Pourquoi ont-ils conclu des accords d'exploitation des mines avec les rebelles alors que le gouvernement officiellement reconnu était encore en place? Pourquoi pendant les massacres au Rwanda de 1994, l'ambassadeur du Rwanda auprès des Nations Unies a été chassé par les américains. C'est vrai qu'il était hutu, mais les massacres ont eu lieu alors qu'il faisait sa carrière diplomatique aux USA. Tout cela montre que les pays dits "développés" et en particulier les Etats Unis, ont leur propre vision sur le monde. L'impérialisme américain ne voulait pas du tout rater l'occasion qui s'était présentée de remplacer les européens dans les pays des Grands Lacs. Avec la conquête du Rwanda qui a servie particulièrement de tremplin pour attaquer le Zaïre, les américains voyaient leur rêve de piller en maître le Zaïre prêt à se réaliser. Si actuellement, la guerre froide semble avoir terminée, les raisons profondes qui l'avaient poussée à être engagée persistent encore.

 

            Le comportement de l'Etat américain dans les conflits de ce monde pousse à se demander si certaines valeurs démocratiques sont standards et universelles. En effet, ce sont les USA qui essayent de donner plus de leçons aux autres Etats en ce qui concerne la démocratie. Or, l'histoire nous montre que dès la première guerre mondiale et même bien avant, les dirigeants de ce puissant pays soi-disant démocratique devaient, si justice il y avait, être traduits devant les tribunaux internationaux ayant la compétence de juger les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les génocides. A titre d'exemple, citons: la honteuse guerre du VIETNAM où les américains se sont distingués par une animosité sans semblable sous le prétexte de lutter contre le communisme, le génocide au CAMBODGE où Pol Pot était l'homme incontestable des américains, en ANGOLA où l'UNITA était l'outil de l'impérialisme américain, au SOUDAN où des milliers de personnes continuent de mourir suite à une sale guerre des religions soutenue par les USA ou encore au CHILI où le général Pinochet a été mis au pouvoir par les américains après un putch sanglant. Pinochet a dans la suite exterminé plusieurs chiliens sur simple consigne des américains. L'expérience tragique du Soudan devrait faire comprendre aux impérialistes américains que: qu'on soit animiste ou musulman, communiste ou capitaliste, le droit à la nourriture est un droit le plus élémentaire de l'être humain. Dans la recherche prospective visant son hégémonie sur le reste du Monde, l’Occident et en particulier les USA, base sa stratégie de développement sur la violence, le cynisme, le racisme, tout cela constituant une source de pillage des richesses du Tiers Monde. Le racisme des occidentaux, qui exclue automatiquement les africains, comme le définit D. Banota, est loin d’être une propriété de niveau individuel mais est défini par une nécessité économique de pillage configurée au niveau collectif en Occident. Toute cette stratégie relève d’une réflexion mûrie et à long terme d’un plan global visant à empêcher le continent noir à se développer d’une manière autonome et donc incontrôlée par l’Occident. La politique extérieure des USA en matière de mondialisation de la démocratie constitue ainsi une catastrophe humaine pour plusieurs peuples.

 

 

 

Un minimum de respect pour un Président* de la République.

            Alors que Habyarimana rentrait d'une réunion importante qui devait mettre en place les institutions de transition démocratique, son avion fut abattu à l'aéroport international Grégoire Kayibanda. Cet aéroport avait été l'objet de convoitise des différents contingents de la MINUAR stationnées à Kigali. Finalement, c'était le contingent belge qui avait obtenu gain de cause pour assurer la sécurité de cet aéroport. Au moment de la rédaction de ces lignes, c-à-d cinq ans après les événements tragiques du Rwanda, les Nations Unies n'ont jamais voulu montrer officiellement ce qui s'est produit cette nuit là. C'est une attitude inamicale et humiliante, non seulement envers feu les présidents (et les autres victimes de l'attentat), mais aussi et surtout envers le peuple rwandais qui a été directement entraîné dans les massacres. Dans une lettre officielle adressée aux hauts dirigeants de ce monde, les détenus d'Arusha écrivent: "le comportement inamical de certains pays traditionnellement amis du Rwanda s'est progressivement précisé et leur engagement au côté du FPR s'est avéré déterminent dans sa guerre de reconquête du pouvoir par les armes"[77]. Un pays comme la Belgique, dont les soldats campaient dans la zone où s'est produit l'accident, continue toujours de garder son silence. Pourtant, il était parmi les meilleurs amis du Rwanda.

           

            Ce n'était pas pour la première fois dans l'histoire qu'un attentat contre une haute personnalité politique d'un pays conduisait à des massacres. Il y a lieu d'évoquer la raison de la première guerre mondiale où l'attentat mortel contre un prince avait fait basculer toute l'humanité dans l'horreur. Faisant un peu allusion à l'histoire, il y avait donc lieu de prévenir ce qui allait se passer après la mort des deux présidents afin d'éviter le pire. C'est pourquoi, il y a lieu de croire que les auteurs de l'attentat s'attendaient à tout. Ils n'ont pas du tout été étonné outre mesure de la suite donnée à ce crime qu'ils avaient minutieusement préparé. Ils n'ont pas non plus été pris au dépourvu par la guerre qui allait s'intensifier, c'était le contraire. C'était le début de la réussite de leur plan. D'ailleurs, l'assassinat tragique du président NDADAYE du Burundi en 1993, tué également par les tutsi, montre bien à quel degré l'élimination des dirigeants hutu dans les pays des Grands Lacs était soigneusement préparée. Cet assassinat s'est lui aussi suivi par une monstrueuse élimination du peuple burundais. Décidément, la solidarité sanguinaire des dirigeants tutsi des pays des Grands Lacs continue d'échapper à la vigilance de la communauté internationale.

 

            Ceci étant, les deux présidents rwandais et burundais ont été abattus comme des oiseaux qui survolaient l'aéroport Grégoire Kayibanda. Pourtant, cet aéroport était supposé être gardé par des troupes assez expérimentés et bien équipés. Il est plus que normal de demander que ceux qui étaient chargé de garder l'aéroport mettent au clair ce qui s'est produit cette nuit là. Qu'ils expliquent aux peuples rwandais et burundais ce qu'ils ont fait pour protéger  l'aéroport. Pourtant, sous la pression des parents des 10 casques bleus tués à Kigali, une enquête parlementaire belge a été ouverte pour déterminer la cause de leur mort. Sans toutefois vouloir mettre en cause la nécessité et la pertinence de cette enquête, il y a lieu de se demander pourquoi on a élucidé le problème des soldats tués alors qu'ils gardaient l'aéroport et l'enquête de celui qui était sensé être gardé a été mise en oubliette. Cela devrait servir de leçon à certains dirigeants des pays en développement, qui trouvent encore en des armées étrangères stationnées sur leur territoire (même s'il y a eu des accords bilatéraux y relatifs), une force de  protection de leurs pays. Plus d'illusions!

 

 

 


 IV. Conséquences de la guerre imposée au Rwanda par des inyenzi-inkotanyi

 

            La guerre déclenchée par le FPR depuis 1990 est la plus meurtrière que le pays ait jamais connue. Avec un effectif probable dépassant de loin un million de disparus, elle a plongé le Rwanda dans une longue situation de détresse. On a même tendance à penser que derrière cette guerre se cachait une visée malthusienne ( pour les tenants de cette guerre ) selon laquelle le pays était trop surpeuplé et qu’il fallait trouver un moyen pour limiter cette surpopulation. Avec la rentrée massive des réfugiés hutu, il y avait lieu de penser que la diminution de l’effectif total ne sera pas assez visible, mais avec l'élimination programmée d'une partie de ces réfugiés qui continue, le contraire peut aussi être vrai. Par contre, les conditions socio-économiques s’étant visiblement détériorées, il y a lieu de s’attendre à des épidémies qui vont jouer sur l’évolution future de la population ( augmentation de la mortalité infantile, sida, etc. ).

 

            Concernant la sécurité dans le pays, force est de constater que le FPR a fait du Rwanda un pays où chacun a peur de son voisin. Si avant la guerre lancée en octobre 1990, le Rwanda était connu pou être un pays de paix, maintenant il est réputé comme un pays de la peur et de la terreur. Tous les rwandais de l'ethnie hutu ont été menacé depuis l'agression de 1990. Après les représailles des hutu contre  les tutsi en 1994, tous les hutu qui ont eu les moyens de fuir la terreur tutsi ont quitté le Rwanda. Ceux qui n'ont pas pu le faire ont été contraint de se soumettre à la volonté des nouveaux maîtres. Chaque jour, on compte des disparus. Est-ce que le pouvoir est derrière toutes ces disparitions quotidiennes? Difficile d'affirmer n'importe quoi. Dans tous les cas, un gouvernement qui n'est pas à même de protéger sa population n'est pas digne de ce nom et doit assumer toute sa responsabilité.

 

            Faisant toujours suite à cette guerre, le vieux démon ethnique a été ressuscité tellement que même l’enfant qui naît actuellement sait de quelle ethnie il fait partie. C’est pourquoi nous pensons que la seule suppression de la mention ethnique dans les pièces d’identité sans prendre d'autres mesures est un faux problème. Elle constitue une approche inappropriée pour résoudre le problème rwandais. Faire semblant d’oublier son identité sociale alors qu’on reste foncièrement tutsi ou hutu n’améliore en rien le problème. Le cas du voisin du sud: le Burundi, est là pour témoigner.

 

            A ce propos, voici ce que dit Pierre Erny [78]: « Vouloir biaiser une réalité biologique et sociale à partir de considérations morales est le meilleur moyen de tout embrouiller. Si l’on élimine artificiellement le paramètre racial au lieu de le traiter objectivement et sans passion, on le conduit inévitablement à resurgir dans l’irrationnel ». Dans le cas du Rwanda, il faut reconnaître sincèrement qu'il y a un problème de partage du pouvoir* entre les hutu et les tutsi qui date d'ailleurs des années de l'indépendance. A défaut de responsables politiques sincères et soucieux d’abord de l’intérêt du peuple rwandais, la jeunesse risque de grandir dans un climat de lutte interethnique masquée, tendant tôt ou tard à une nouvelle explosion. D'ailleurs, la façon dont Habyarimana a géré ce problème n'a qu'à servir d'exemple. Pour arriver au trône, il s'est servi du problème hutu tutsi pour éliminer les leaders hutu qui avaient pourtant lutté corps et âme pour l'indépendance du Rwanda. Tout en se considérant comme un fervent défenseur des droits des tutsi, il a masqué ce problème qui a resurgit en 1990 avec l'attaque du FPR. Comment peut-on comprendre que ce sont les tutsi qu'il a défendu et ce sont les mêmes qui ont été à la base de sa chute horrible? Ou il les a mal défendu, ou ils sont ingrats. D'ailleurs, en regardant de plus près, il est probable que ce soient les deux à la fois. De toutes les façons, le bilan de son régime sur cette question est aujourd'hui sombre. La communauté internationale s'était laissée encore une fois tomber dans le piège en sacralisant son régime.

 

            Les effets de la guerre sur l’agriculture sont assez variés et graves. En juillet 1994, une partie importante des agriculteurs se sont réfugiés à l’extérieur du pays. Le secteur agricole, qui est la base de l’économie nationale, s’est essoufflé. En effet, que ce soit pour les cultures vivrières ou d’exportation, ce sont les petits agriculteurs qui détenaient la presque totalité de la production. Pour les agriculteurs qui ont regagné leurs terroirs, le climat d’insécurité et le manque de confiance envers les nouveaux dirigeants ne militent pas en faveur d’une amélioration de la production. C’est ainsi que la production pour l’autosubsistance de la famille risque d’être amplement suffisante, ce qui va se répercuter sur la disponibilité alimentaire nationale, qui était d’ailleurs aussi presque à la limite du nécessaire.         

 

            Par ailleurs, l’abandon prolongé des champs de cultures depuis le mois d'avril 1994 s’est répercuté négativement sur l’économie du pays. Deux saisons culturales ont été complètement ratées. La production alimentaire a chuté de plus de la moitié. Les fermes pilotes, dont celle de l’Institut de Recherches Agronomiques du Rwanda ( ISAR ), qui constituaient l’espoir pour l’élevage moderne, ont été pillées. Les bâtiments de cet institut de recherches agronomiques ont été transformés en une caserne après la victoire du FPR. Bref, le secteur agricole qui intéressait 90 % de la population a été gravement atteint ce qui explique la faim qui sévit dans tout le pays. La faim et la pauvreté surtout dans le monde rural risquent de pousser les gens à émigrer vers les villes. Ce type de migration conduit tôt ou tard à une tension sociale et à des violences imprévisibles ainsi qu’à la dégradation de l’environnement urbain.

                                                                      

            De même, l’abandon des réalisations menées en matière de protection des sols ( fossés anti-érosives, terrasses radicales, haies anti-érosives, l’agroforesterie, etc. ), constitue un coup dur pour l’agriculture rwandaise particulièrement pour l’environnement. En effet, ces actions qui avaient été réalisées sous la sueur du peuple afin de pouvoir augmenter la production agricole et sauvegarder l’environnement sont maintenant délaissées alors qu’elles nécessitent une protection et un entretien réguliers. Les perspectives de ce secteur dans le court terme laissent planer un certain pessimisme relatif à l’augmentation de la production. Sa reprise dynamique sera conditionnée par la stabilisation de la population dans son terroir tout en veillant à sa sécurité, ce qui va engendrer une confiance aux producteurs pour la reprise des activités économiques.       

 

            Le long maintien des agriculteurs dans les limites hors du pays (avril 1994-1996), ce qui semblait d'ailleurs comme une nouvelle politique en matière de population des nouvelles autorités de Kigali, et donc un refus de leur rapatriement dans des conditions humaines, constituait un élément d’insécurité et déstabilisateur de toute la région des Grands Lacs. Plus ils tardaient à rentrer, plus il se créait un sentiment de retour par n’importe quel moyen et plus l’insécurité guettait le pays, rendant aléatoire toute idée de développement à l’initiative des nouveaux dirigeants. Cela ne faisait que renforcer les oppositions entre les rwandais (les hutu et les tutsi). De plus, l’entassement de plus de 100.000 hutu dans des prisons mouroirs *, sans aucun jugement (plusieurs sont innocents) ne milite pas en faveur de la réconciliation nationale, condition sans laquelle il sera difficile de penser au développement du pays.

 

            Du point de vue purement alimentaire, après près de cinq ans de pouvoir tutsi, le pays est totalement sinistré. L'approvisionnement en denrées alimentaires principales est assuré par l'Ouganda. Cela est particulièrement inquiétant pour la banane, dont la totalité vient de l'Ouganda alors que la préfecture de Kibungo était le véritable grenier du pays. Les habitants de Kibungo ayant été les victimes de la barbarie FPR après sa prise du pouvoir, la majorité d'entre eux a été massacré. Les squatters du FPR ne se sont jamais souciés de l'avenir des plantations de bananiers de Kibungo. Résultat: le Rwanda importe des bananes, ce qui est inconcevable pour toute personne qui connaît un peu le pays. Il en est de même pour la pomme de terre. Si avant la guerre, le ministère rwandais de l'agriculture pouvait se féliciter des résultats atteints en ce qui concerne la culture de la pomme de terre, il n'en était pas de même pour les autres cultures. En effet, l'introduction des variétés assez performantes de cette culture avait permis d'arriver à une production suffisante tellement que le pays pouvait se sentir autosuffisant. L'Institut des Sciences  Agronomiques au Rwanda (ISAR) avait réalisé des progrès énormes en ce qui concerne les quantités produites par cette culture.

 

            Les préfectures du Nord du Rwanda étaient particulièrement intéressantes à cet égard. Après la prise du pouvoir par le FPR, l'ISAR a été transformé en une caserne. La région du Nord du pays, dont la population était presque à cent pour cent hutu et dont les terres volcaniques sont assez riches, a été considérée comme une région avec une grande insécurité. La population a été massacrée et les survivants ont été obligés d'aller vivre dans les camps installés loin de leurs villages (IMIDUGUDU) et donc de leurs champs. C'est ainsi que le Rwanda FPR connaît une pénurie alimentaire grave. Pourtant cette pénurie peut être surmontée en peu de temps si les autorités avaient un sens du bien être de leur population. En juin 1999, les responsables du programme alimentaire mondial (PAM) ont sonné l'alarme pour venir en aide à la population du pays. Un habitant rwandais sur cinq n'avait pas assez de nourriture et était menacé par la faim. Ce bilan catastrophique ne peut pas trouver une solution dans le court terme que si les autorités rwandaises optaient pour des politiques de développement du secteur agricole en particulier. Comme aucun progrès durable ne peut être atteint dans un climat d'exclusion ethnique et d'insécurité, les responsables rwandais devraient comprendre que la guerre inhibe tous les efforts du développement. La cessation des guerres d'agression et la conclusion d'un pacte de paix avec les voisins constituera un pas important vers l'autosuffisance alimentaire des populations actuellement éprouvées. Par ailleurs, la clé du développement nationale passe d'abord par une solution juste, équilibrée au problème social interne qui malheureusement continue de miner les rwandais.

 

            Concernant la confiance de la population en ses dirigeants, même si les autorités de la seconde république étaient fermes en ce qui concerne la participation aux travaux communautaires de développement, les autorités actuelles risquent d’utiliser la force pour pousser les gens à participer à ces travaux. Les travaux forcés sous la colonisation ainsi que le joug féodal ne s’étant jamais effacés dans la mémoire des hutu, on risque de buter sur une opposition douce entraînant une situation qui finira par éclater.

 

            Sous le régime Habyarimana, la majorité des hutu a été obligé de suivre moutonnement le régime. C'est ainsi que, tout le monde était de fait membre du parti unique le MRND. Les travaux communautaires de développement (umuganda), dont la philosophie et le bilan ne sont pas à mettre en cause, étaient aussi coercitifs. Un exemple parmi tant d'autres est celui des médecins. Qu'on ait des malades à soigner en  urgence ou pas, un médecin devait aller faire les travaux communautaires le samedi. Les rwandais ne sont donc pas étrangers à de tels actes qui arrivent même à l'humiliation. Le comble de la tragédie du régime tutsi actuellement à Kigali est que derrière cette humiliation, il y a beaucoup de disparitions surtout des jeunes garçons et des intellectuels hutu. Les autres sont mis en prison ou enrôlés par force pour aller combattre au Congo voisin. Cette façon d'agir des nouvelles autorités de Kigali a ainsi créé un climat d'insécurité dans tout le pays. Malgré cela, les pays limitrophes, continuent de rapatrier manu militari des hutu qui avaient cherché un refuge chez eux. Cela se fait avec la complicité des dirigeants marionnettes hutu de Kigali. Décidément, le raisonnement de plusieurs rwandais avant la guerre d'octobre reste valable. Umuhutu w'icyitso arutwa n'inkotanyi autrement dit un inyenzi inkotanyi est mieux qu'un hutu conspirateur.

           

            A l’échelle régionale, les rwandais et les burundais étant des peuples frères où des minorités sont parvenus à dominer la majorité, les tutsi rwandais ont d'ores et déjà  coalisé militairemenr avec leurs frères burundais. Ils s'appuient sur des armées monoethniques afin de pouvoir exploiter et dominer longtemps les hutu. Cela constitue un facteur en plus d'aggravation de l’insécurité dans la région.

 

            Dans le souci d’un équilibre harmonieux entre la population et le développement, le gouvernement rwandais avait adopté en 1990, une politique de population dont l’objectif était de diminuer la fécondité en ramenant le nombre moyen d’enfants par femmes de 8 à 4 enfants à l’an 2000. Après une guerre fratricide qui a emporté plusieurs vies humaines et dans un climat de manque de confiance entre les administrés et l’administration, peut-on encore parler de limitation de naissances? Si avant la guerre, le planning familial avait du mal à être accepté, nous pensons que, quels que soient les termes à utiliser, il sera difficile à un tutsi de dire à un hutu de limiter sa procréation et vice versa. Pourtant, une politique démographique est nécessaire.

 

            Quant aux biens saisis et que les anciens réfugiés tutsi considèrent comme une récompense (butin) après quatre années de lutte, ces biens constituent à la longue une bombe à retardement qui tôt ou tard va sauter. En effet, quelque soit la durée que les propriétaires vont passer à l’extérieur, leur retour entraînera la réclamation de leurs biens. Nous pensons que c’est un mauvais antécédent pour la réconciliation des rwandais, étant donné que plusieurs tentatives de récupérations de ces biens se sont suivi par des enlèvements et des disparitions des propriétaires. Pourra-t-on encore penser aux investissements privés de développement quand la propriété privée est violée sans recours?                 

 

            En matière d’éducation et de santé, une partie importante du personnel médical et enseignant n’est plus dans le pays, la majorité se trouvant à l’extérieur. Les élèves aussi ont subi le sort de leurs parents. Si la conjoncture socio-économique avant la guerre avait été aggravée par le programme d’ajustement structurel qui n’était pas favorable au développement du secteur médical, notamment en ce qui concerne la disponibilité des médicaments dans toutes les infrastructures sanitaires en place, il y a lieu de se demander pas mal de questions sur l’équipement actuel et futur de ces infrastructures ainsi que sur la qualité des services rendus. La même question se pose pour le secteur de l’éducation.

 

            Tout comme plusieurs autres pays en voie de développement, le Rwanda reste classé parmi les régions sanitaires où les maladies endémiques n'ont pas été encore été éradiquées. Parmi les terribles maladies qui guettaient même le pays avant la guerre, il faut citer le sida dont les facteurs sont tout à fait réunis pour sa propagation.

On peut citer: -l'entassement des hutu dans des camps de réfugiés sous des conditions hygiéniques insupportables;

                      - les bavures contre les droits de l'homme commises par les deux parties en conflit dont la violation des femmes et des enfants;

                        - la rentrée massive au Rwanda des réfugiés tutsi venant d'un pays réputé en ce qui concerne cette maladie (Ouganda);

                        - l'utilisation d'un personnel médical insuffisant et non compétent; 

                        - le manque de moyens pour la prévention et la lutte de cette maladie et qui sait encore, la rancune ancrée dans l'esprit de certains individus mal intentionnés exerçant dans la profession médicale....; tout cela montre que la guerre aura une effet dévastatrice sur la population rwandaise dans les années à venir.

 

            La vie presque impossible menée par les hutu dans les camps au Zaïre a fait qu'un bon nombre y a laissé la vie. L'attaque menée par le FPR et les soi-disants " abanyamurenge" pour détruire ces camps a fait plusieurs victimes sur place. Une bonne partie de ceux qui ont pu rentrer au pays sont morts aussi chez-eux (les soins n'étaient pas suffisants pour des personnes ainsi affaiblies). En général, on peut dire que cette guerre aura un effet catastrophique sur l'évolution  de la population rwandaise sans distinction de classe d'âge, mais il est fort probable que la tranche d'âge des jeunes sera plus touchée.

 

            Concernant l’occupation de l’espace national, les villes ont été très vite occupées, mais la campagne n’a pas aussi été épargné. Quelques paysans tutsi se sont surtout installés avec leurs troupeaux dans les préfectures limitrophes avec l’Ouganda et le Burundi. Par ailleurs, certaines préfectures sont devenues des vraies tutsilands. Cette occupation de la campagne amène à se poser la question du partage des terres entre les agriculteurs. Y aura- t-il une réforme agraire conduite par le gouvernement ou le plus fort continuera à occuper autant de terres qu’il veut? Jusqu’à présent, aucune politique en la matière n’a été avancée. Les militaires les plus hauts gradés se sont partagés les plus bonnes terres. Si le problème de partage des terres n’est pas réglée officiellement, la population risquera de régler ce problème en utilisant la force, ce qui risque de causer un climat d’insécurité.

 

            Par ailleurs, pour résoudre le problème des personnes sans propriété, le gouvernement s’est proposé de distribuer l’espace du parc national de l’Akagera entre les agriculteurs-éleveurs[79]. La région de l’Akagera étant classée parmi les zones agricoles du pays à écosystème trop fragile, nous pensons qu’il a été trop imprudent et dangereux d’y installer les agriculteurs. La production agricole n’y est pas appropriée et est trop limitée dans le temps. L’élimination probable de la faune et de la flore du parc portera préjudice à l’environnement et on aura certainement des retombées non intéressantes sur la vie dans la région, sans minimiser des répercussions négatives éventuelles sur l’économie nationale (ce parc était l’un des rares sources de devises du pays). 

 

            Toujours à propos de l’occupation de l’espace, l’apparition des préfectures ou des zones habitées essentiellement par une seule ethnie (tutsiland et hutuland) constitue un antécédent malheureux pour le développement de ces régions. L’opposition presque automatique de la minorité de la population hutu de ces régions est dans le court terme une source d’insécurité et de violences probables. On risque aussi d’assister à une répartition inégale de l’investissement socio-économique dans ces zones, qui sera vraisemblablement assimilé aux ethnies avec des privilèges absolument inégales pour les uns et pour les autres.

           

            La guerre, qui a commencé en 1990 a détruit tout le pays. Une année après la victoire des tutsi sur les hutu, le problème de la rentrée des réfugiés, qui était à la base de ce conflit n’avait pas encore trouvé de solution et même l’acuité de la question avait prise une autre ampleur.  Le chiffre des réfugiés rwandais hutu s’était multiplié par plus de 3 fois par rapport à celui de 1990. La solution prise par le gouvernement tutsi de Kigali a été de les massacrer dans les camps, les rescapés étant obligé de regagner les prisons à l'intérieur du pays (cfr. guerre au Zaïre). A l’heure actuelle, aucun vrai programme de réconciliation n’a été envisagé. Pourtant, des propagandes diverses, même à l'extérieur du pays et non sans intérêt pour les uns ou pour les autres, continuent de diviser les rwandais au lieu de les unir (après la guerre en 1994, tout individu hutu, même dans les pays qui étaient censé connaître le problème rwandais, a été considéré comme génocidaire). A moins que les concernés ne se mettent autour d’une table pour régler leur différend, la guerre risque de reprendre et la fin de cette phase prochaine sera probablement décisive vers la reconstruction réelle du pays.

 

            En général, avec un programme officiel publié par le Front Patriotique Rwandais et auquel toute personne animée de bon sens pouvait parfaitement adhérer « unité national, institutions démocratiques, économie dynamique, efforts en vue de l’industrialisation, lutte contre la corruption, droit des réfugiés à rentrer au pays, droit à la sécurité, coopération interafricaine » [80] il est malheureux de remarquer qu’après plus de quatre années au pouvoir, de bonnes intentions et de promesses politiques du FPR ne sont devenues que des chimères. Du point de vue démocratique, il est malheureux de remarquer que la démocratie, tant souhaitée par la majorité des rwandais est restée lettre morte. Le FPR qui en faisait un outil de propagande contre le pouvoir de Habyarimana, reste actuellement muet sur ce sujet. Pourtant, le manque de démocratie du temps de Habyarimana est  l'une des causes qui a plongé le pays dans les pires massacres que le Rwanda ait jamais connus. Cinq ans après avoir pris le pouvoir à Kigali, les autorités FPR viennent de décréter qu'ils ne veulent pas mettre en jeu leur pouvoir par la voie des urnes. Pourtant ils s'étaient donné un délai de cinq ans pour accorder au peuple rwandais d'élire ses dirigeants. Tout cela montre encore que les gouvernants ne peuvent pas bien gouverner s'ils ont peur de leurs gouvernés. Aussi longtemps que les tutsi de Kigali auront peur des hutu, ils ne pourront jamais mettre en jeu le pouvoir qu'ils ont acquis par les armes, après quatre années meurtrières de combats. Ici encore, il y a lieu de se demander l'utilité de la communauté internationale. Elle continue de soutenir un régime oppressif qui du point de vue développement du pays reste totalement absent. Sur tous ces points cités, il faudra  probablement une succession de plusieurs républiques pour atteindre le niveau de développement que le Rwanda avait atteint avant la guerre. Curieusement, même en ce qui concerne le droit des réfugiés à rentrer, il est étonnant de remarquer que certains intellectuels tutsi ont profité des événements malheureux qui ont secoué le pays pour renforcer leur droit d’asile (nouvelles demandes d’asile, regroupement des familles élargies à l’extérieur du Rwanda, etc.).

 

            Dans les faits, les tutsi qui quittent actuellement le Rwanda sont des réfugiés économiques. Pourtant, ils se déclarent aussi comme des réfugiés politiques. Afin d'être accueillis sans problème par les pays occidentaux, ils se considèrent comme des victimes du régime tutsi de Kigali et donc comme des réfugiés politiques. C'est ainsi qu'ils annoncent officiellement qu'ils sont hutu. Les pays occidentaux devraient se demander pourquoi presque tous les rwandais qui arrivent chez eux, avec l'intention de demander l'asile, se déclarent tous comme des hutu. Pourtant, ils sont hutu mais aussi et tutsi. Décidément, la suppression de la mention tutsi dans les identités a déjà commencé de porter ses fruits. Ils se font passer pour des hutu alors qu'ils sont tutsi. D'ailleurs, parmi les candidats réfugiés rwandais après 1994, rares sont des tutsi qui ont déclaré correctement leur ethnie. Etre tutsi leur créerait-il un tort? Pourtant, ils sont nombreux à s'être présentés comme des hutu chassés par le pouvoir tutsi de Kigali.

 

            Sous le régime précédent, il n'y a jamais eu ou presque pas de réfugiés rwandais. Aussi longtemps que les hutu de l'intérieur du Rwanda se feront passer pour des tutsi (on a remarqué que certains hutu au pouvoir à Kigali se font passer pour des tutsi afin de rester à leurs postes) pour pouvoir survivre, et des tutsi pour des hutu pour des raisons diverses, le Rwanda ne pourra jamais vivre en paix. La communauté internationale qui est le principal bailleur des fonds des actions de développement du Rwanda, mais aussi, le principal bailleur des divers conflits, devrait comprendre que les pays moins avancés ne pourront jamais se développer tout en entretenant des guerres d'agression.

 

            Le régime minoritaire de Kigali, qui a peur de sa population, risque de ne jamais penser à la démocratisation des institutions du pays. En effet, l'organisation des élections libres et transparentes conduirait inévitablement à la chute de ce régime d'où les bavures actuelles des droits de l'homme (arrestations arbitraires, exécutions sommaires, etc.) qui visent essentiellement tous ceux qui sont potentiellement présumés capables de s'opposer à leur régime. Etant donné que tout cela se fait devant une communauté internationale qui semble cautionner cette situation, le pays risque fort de glisser vers le drame d'un totalitarisme militaire tutsi. Ainsi, la communauté internationale qui continue de soutenir un régime imposé à la majorité de la population par la force, devrait comprendre que la paix, condition nécessaire pour un développement durable n'est possible au Rwanda sans une solution juste du problème politico-ethnique rwandais.

 

            Du point de vue économique, force est de constater que la guerre des inyenzi-inkotanyi a plongé le Rwanda dans un gouffre que seule la communauté internationale peut combler. A l'instar des autres pays sortis de la guerre, le Rwanda devait bénéficier d'un plan spécial de sauvetage. Ce plan a été établi. L'utilisation des fonds alloués à ce projet de relance des actions de développement devaient normalement être minutieusement contrôlée par la communauté internationale. Hélas, ce ne fut malheureusement pas le cas. Au lieu de s'occuper de la reconstruction du pays, les nouvelles autorités de Kigali se sont cachée derrière le paravent du génocide de 1994 afin de privilégier l'achat des armes ainsi que des détournements des fonds publics. L'attaque par le Rwanda de son voisin de l'OUEST, avec une guerre qui vient de durer plus de deux ans, montre à quel point l'armement a été privilégié par rapport aux actions de développement. Les experts estiment que pendant un mois, le Rwanda dépense un million de dollars pour entretenir cette guerre. Pourtant, le pays n'a pas de tels moyens.

 

            D'où sont venus alors ces milliards de dollars? Apparemment, la communauté internationale y est pour quelque chose. Tous les fonds qui devaient servir à la reconstruction et au développement du  pays sont orientés dans la guerre. La communauté internationale ne devrait pas se poser des questions sur la provenance de ces fonds. Pourtant, elle a laissé faire et le F.M.I. continue de verser des prêts. Qui va payer ces millions de dollars versés pour massacrer les enfants du pays ainsi que leurs  voisins de l'ouest du Rwanda? A part le secteur militaire qui bat le record dans le recrutement des soldats à envoyer sur le front, les autres secteurs du pays sont paralysés. Les jeunes ne peuvent plus trouver du travail dans le pays. Même les tutsi qui voient plus loin ont commencé aussi de fuir le Rwanda. Malheureusement, ils gonflent l'effectif des réfugiés rwandais.

 

            Derrière cette agression du Congo suivi par l'occupation de sa partie de l'est, se cachent quelques réalités économiques tant convoitées aussi bien par les grandes puissances de ce globe que par les voisins immédiats du Congo. En fait, le but principal qui a poussé les tutsi rwandais à attaquer le Congo démocratique n'est ni de sécuriser ses frontières, ni de défendre leurs congénères: abanyamurenge. Ce sont principalement les richesses minières de ce pays qui ont réellement été à la base du conflit que continuent d'appuyer indirectement, mais d'une façon assurée, les divers pays impérialistes. Si, d'une façon régulière le Rwanda exportait quelques unités de kilo d'or et de cassitérite, il est frappant de remarquer que pour l'année 1998, il a exporté plusieurs dizaines de tonnes de diamants et d'or. Comment peut on expliquer qu'un pays dont le sous sol n'a pas de diamant, exporte de telles quantités? Le Rwanda ne pourra quand même pas continuer de piller éternellement le sous sol du Congo! Ce qui est pire encore, c'est que les recettes de ces exportations ne vont pas dans les caisses de l'Etat, mais servent à quelques individus seulement. C'est pourquoi, la guerre que le Rwanda continue de mener contre le Congo cache une certaine réalité économique. Ses victimes devraient tôt ou tard être demandées à  quelques individus malhonnêtes qui s'enrichissent illicitement au mépris des vies humaines des populations rwandaises et congolaises. La communauté internationale y est pour grand chose. Malgré la situation désastreuse de l'économie nationale, les responsables tutsi continuent de tromper le monde avec les fausses statistiques (ils affirment par exemple que la croissance nationale a été plus de 8 %, que l'Etat de droit a été réetabli, etc.).

 

            En ce qui concerne les relations entre le Rwanda FPR et les autres pays, il y a lieu de se demander  comment vont évoluer les relations du gouvernement tutsi de Kigali avec ses voisins directs. Si ce gouvernement a fait du génocide de 1994, un vrai fond de commerce, rares sont les pays qui ont pu ou voulu comprendre la réalité fondamentale du problème rwandais. Il est politico-économico-ethnique. Les autres tentatives d'explication ne sont que secondaires. Le génocide donc n'a été qu'une conséquence de la lutte pour le pouvoir. Il ne devrait donc en aucun cas servir d'alibi pour le pouvoir actuel afin de faire n'importe quoi dans le pays et à l'extérieur. Pourtant, plusieurs pays semblent être d'accord avec le projet FPR. Celui-ci continue de se considérer comme victime des massacres interethniques au Rwanda alors que c'est lui qui a été à la base de tous les maux que connaît le pays depuis octobre 1990. Si tout le monde voulait reconnaître la vérité sur la guerre de 1994 au Rwanda, quelle serait l'attitude du FPR? Quelle que soit la prise de position des divers pays à ce propos, le FPR a pu tromper l'opinion internationale, ce qui milite jusqu'à présent en sa faveur. Pourvu que ça dure. Tromper une fois tout le monde, c'est possible, mais tromper toujours tout le monde, c'est impossible. C'est là le piège qui attend les nouvelles autorités tutsi de Kigali. Si les pays commençaient à agir objectivement selon que tel acteur dans le conflit rwandais a été responsable de ceci ou de cela, la réalité leur serait apocalyptique. Confions tout à l'avenir. Peut-être, il nous le prouvera.

 

 

            La société rwandaise après la prise du pouvoir par les inyenzi-inkotanyi

            La prise du pouvoir par la minorité tutsi à Kigali en juillet 1994 a changé toute la monographie du Rwanda. Toutes les données relatives à la population ont complètement changé suite aux effets de la guerre d'une part et de l'autre part suite à un envahissement massif du territoire national par tous les étrangers qui avaient combattu du côté de cette minorité. Ainsi, les proportions ethniques dans l'occupation du territoire se sont vu brutalement modifiés et quelques préfectures sont purement devenu des chasse gardés des tutsi: des tutsilands (préfecture de Byumba, Kibungo, ...).

 

            La démocratie étant devenue ces dernières années une arme efficace et un facteur nécessaire exigé par les bailleurs de fonds, cette minorité installée à Kigali n'est pas sans le savoir. Même si les pays impérialistes, en l'occurrence les américains continuent de soutenir cette occupation d'après guerre, les tutsi au pouvoir connaissent qu'un jour ou l'autre le courant démocratique finira par souffler. La lutte sera rude et même catastrophique pour plusieurs vies humaines des hutu, mais la démocratie finira par s'imposer. Il faut reconnaître que la reconnaissance d'une armée rebelle tutsi par la communauté internationale comme une armée nationale a porté un coup dur au projet de la démocratisation du Rwanda. En effet, au moment où les rwandais se plaignaient que l'armée Habyarimana constituait un frein à la démocratisation, ils n'avaient jamais pensé que cette armée régionale sera remplacé par une armée monoethnique. Cette erreur de jugement n'est pas à mettre sur le dos du peuple rwandais, mais à ses dirigeants qui n'ont pas pu voir plus loin. Un pouvoir dictatorial tutsi, soutenu par une armée monoethnique tutsi, ne pourra être ébranlé que par l'emploi d'une certaine force. Un changement paisible de pouvoir au Rwanda ne devient ainsi qu'un rêve chimérique.

 

            Le retour à la démocratie inquiète toujours la minorité au pouvoir à Kigali. C'est pourquoi, après leur victoire, les tutsi essayent de massacrer le plus possible de hutu. L'objectif serait de réduire la population hutu à un taux avoisinant celui des tutsi, c'est-à-dire plus ou moins 15 %. Ils ont déjà commencé ce sale besogne avec la complaisance de certaines puissances occidentales. La mise en exécution de cet objectif a déjà trouvé sa démonstration dans la guerre que les pays voisins de l'ex-Zaïre ont lancé contre ce dernier en 1996. Les puissances qui dirigent les Nations Unies ont d'abord longtemps tergiversé sur la force internationale de secours des réfugiés. Ils ont finalement décidé qu'aucune mission n'était nécessaire. Pourtant, ils savaient bien que les réfugiés hutu avaient été attaqué par ceux qui les avaient chassé de leurs pays. Plusieurs hutu ont été tué dans cette opération virtuellement parrainée par les américains. Les survivants ont été obligé de retourner dans le pays. Est-ce que la communauté internationale s'est donné la peine de suivre leur sort? Le silence qui a caractérisé les médias dans les boucheries humaines de Goma, Bukavu, Tingitingi, Kisangani..., présagent déjà une complaisance notoire ainsi qu'un pessimisme de haute trahison quant à leur sort. Quel a été le sort des milliers d'autres restés dans le champ des tirs des rebelles rwando-zaïrois? N'allez pas loin pour trouver la solution.  

 

            Le Rwanda après 1994 rique de voir émerger une société multiculturelle. Si avant la guerre, les rwandais (hutu et tutsi) se communiquaient avec une seule langue maternelle (kinyarwanda) et avec une seule langue étrangère (le français) qui était d'ailleurs officielle, cette situation a changé. La provenance des réfugiés tutsi dans plusieurs pays a fait que les langues prolifèrent. Les langues officielles qui étaient normalement le kinyarwanda et le français se sont vu concurrencé par l'anglais. Dans le cercle de certains tutsi, les langues les plus usuelles sont celles des pays voisins. Ceux qui se bornaient sur l'argument culturel de la langue pour expliquer que les hutu et les tutsi sont les mêmes risquent d'être étonnés dans un proche avenir. En effet, avec l'arrivée au pouvoir des tutsi en 1994, on peut dire que le pays est peuplé par un mixing de populations en provenance de divers pays. La culture rwandaise risque d'ailleurs être de second plan.

           


Conclusions et Recommandations

 

            Trente trois années après le recouvrement de son indépendance, l’avenir du Rwanda, tout comme d’ailleurs celui de plusieurs autres pays en développement paraît assez sombre. La dépendance assez prononcée du Rwanda vis à vis de l’extérieur, l’ingérence des pays dits « développés » dans les affaires des pays sous développés, les dirigeants peu soucieux de l’intérêt de la grande masse paysanne et souvent corrompus, la puissance hégémonique dont rêvent la plupart des pays, sont autant de critères parmi tant d’autres qui enferment plusieurs pays dans le sous développement.

 

            La guerre imposée au Rwanda à partir de l’extérieur depuis 1990 a été assez meurtrière. Tout le pays a été détruit et la reconstruction ne se fera pas dans un jour. Malgré cette accalmie relative qui est dans le pays, les risques d’explosion sont éminentes. Cette malheureuse expérience a montré que la guerre ne peut pas résoudre les problèmes. Malgré qu’on admette que celui qui veut la paix prépare la guerre, les différents antagonistes de ce conflit devraient oeuvrer pour que cesse tout ambition qui conduirait à la reprise de la guerre. Tout devrait ainsi être fait pour arriver à une paix durable, seule capable de permettre la reconstruction du pays.

 

            Quant aux milliers de réfugiés qui étaient encore à l’extérieur du pays, nous pensions que la meilleure approche qui pouvait donner une solution durable au conflit rwandais, était de procéder paisiblement au rapatriement  de ces réfugiés. Hormis l’effet négatif que leur absence exerçait sur l’économie nationale, ils constituaient également une source potentielle d’insécurité aussi bien à l’intérieur du pays que pour toute la région. Cela n'a pas été fait d'une façon pacifique, puisque la guerre livrée contre le Zaïre pour chasser ces réfugiés a coûté la vie à une partie importante d'entre eux. Par ailleurs, nous pensions qu’il était grand temps de résoudre d’une façon pacifique et définitive le problème des réfugiés rwandais. Ceux qui justifient le bien fondé de cette guerre par la recherche d’une solution au problème des réfugiés devraient comprendre que la guerre n’a rien résolu, mais que par contre elle a accentué les divergences entre les rwandais. Elle a laissé les survécus dans une situation psychologique et économique grave que le pays n’a jamais probablement vécue.

 

            Le problème hutu tutsi est devenu une réalité évidente. Quiconque voudra ignorer cette problématique n'aura qu'une vision sociale erronée du Rwanda. Le défi lancé à chaque rwandais est de surmonter les limites sociales divisionnistes tout en reconnaissant son identité personnelle. Cela ne pourra pas se réaliser en un jour. Il faudra des années, des décennies ou même peut-être un siècle. L'important est d'y arriver. Ceux qui, volontairement ou pas, essayent de cacher ce problème rendent un mauvais service aux rwandais. La sagesse rwandaise nous répète que: IBUYE RYABONETSE NTILIBA LIKISHE ISUKA, ce qui peut littéralement se traduire par "quelle que soit la pierre qui se trouve dans votre champs, si elle est visible, elle ne peut pas abîmer votre houe".

 

            Dans le cadre d'un développement national durable, l’approche de solutions surtout du problème hutu-tutsi ne devrait pas normalement être passagère comme c'est le cas actuellement. Ceci demande une mobilisation de toutes les ressources humaines et économiques du pays mais aussi une grande franchise et une responsabilité patriotique de la part des dirigeants. L’intervention de la communauté internationale ne pourra que venir en appuie.

 

            Concernant la réconciliation, il faut dès maintenant savoir que c'est un travail de longue haleine. Contrairement à ce qu'a fait le FPR, la formation* de tout un peuple ne se fait jamais en deux mois. Des cours magistraux, quels que soient leur contenu et les individus qui les dispensent, ne peuvent en aucun cas servir pour former un homme nouveau, libre de toute vieille pensée désuète. Ce travail devrait être aussi bien planifié, non coercetif et concerner tous les rwandais, quelles que soient leurs origines.

 

            L’économie du pays a été complètement paralysée suite aux intérêts particuliers des belligérants. Tout un peuple a été mis en déroute. Sans aucune vision du développement qui donnerait une priorité à l’intérêt de la nation avant les intérêts particuliers, le pays court encore vers une catastrophe. Au lieu d'afficher une volonté ferme de s’armer pour lutter contre ses concitoyens, il est grand temps de restructurer le secteur agricole, qui occupe 90 % de toute la population et qui constitue la principale branche de l’économie nationale, de lutter contre les diverses épidémies et l’analphabétisme qui guettent le peuple rwandais. La relance du secteur agricole, en y injectant des moyens nécessaires et en essayant de lutter contre la miniaturisation des parcelles agricoles familiales par une politique agricole appropriée pourra être bénéfique pour la relance de toute l’économie. Le choix préféré par le régime FPR de s'enfermer dans une logique de guerre à gagner coûte que coûte ne conduit le pays qu'à sa nouvelle destruction.

 

                        Afin de lutter efficacement contre le fléau de la misère et de la pauvreté, un gouvernement soucieux des intérêts de la grande masse de la population rwandaise devrait être formé. Si la superficie d’une exploitation agricole familiale oscillait autour d’un hectare avant la guerre, l'évolution de cette situation dans un proche avenir n'est pas de bonne augure. Par ailleurs, le nombre d'enfants par femme continue d'être assez élevé. A cette fin, le gouvernement devrait vite adopter des politiques claires et appropriées en matière agricole, démographique et de l'habitat.

 

            Pour asseoir une vraie politique de développement, un climat de confiance entre la population et les responsables du pays devrait être vite instauré. Cette confiance ne peut se cultiver qu’à travers les outils de la démocratie, particulièrement les élections des dirigeants. Tout cela exige comme préalable la paix. Cette paix ne pourra se concevoir sans la participation des puissances étrangères qui n’ont pas hésité à participer sans réserve au côté de l’une ou de l’autre partie en conflit. Pourra-t-on attendre de l'Ouganda ou des Etats Unis d'Amérique un plan Marshall pour le Rwanda? Malheureusement, quand il s’agit de déstabiliser les régimes, les financements des armes sont très vite disponibles mais quand il s'agit des actions de développement, les fonds viennent au compte-gouttes. La guerre au Rwanda a été déclenché par les ex-réfugiés, mais elle a été soutenu financièrement, moralement et matériellement par les puissances étrangères. Aussi longtemps que ces puissances ne se seront jamais mis en cause, la guerre risque de s’éterniser. La mise en cause des politiques belligérantes et impérialistes  de ces pays constitue donc un pas important dans la reconstruction non seulement du Rwanda, mais de plusieurs pays du globe.

 

            La communauté internationale, qui avait pourtant soutenu les accords d'Arusha n'a pas exigé leur exécution. Les conséquences sont pourtant catastrophiques. Le Rwanda et le Burundi ne pourront jamais être démocratiques avec leurs armées monoethniques tutsi. Il faudra d'abord les détruire pour libérer ces pays étant donné que l'expérience politique malheureuse du Burundi a montré que la voie pacifique ne mène nul part. Le pouvoir n'est ni jamais offert si gentiment à son adversaire ni partagé comme certains veulent nous le faire croire, mais il est donné par le peuple ou est conquis par la force.

 

            Aussi longtemps que les vrais causes de la tragédie rwandaise n’auront pas été élucidées; aussi longtemps que les racines du conflit n’auront pas été secouées et aussi longtemps que les coupables des deux parties en conflit n'auront pas été punis, il sera toujours difficile de reconstruire le Rwanda. A mon avis, parallèlement aux actions du  tribunal pour le Rwanda, la communauté internationale qui est jusqu’à présent la seule à pouvoir rétablir l’ordre et la paix dans le pays, devrait exiger un programme de démocratisation profonde de la vie nationale. A l’instar du protocole d’accord sur l’intégration des forces armées des deux parties en conflit, qui avait été signé à Arusha le 3 août 1993, il faudrait revoir à fonds la mission ainsi que la composition ethnique de l’armée nationale dans ce processus. Ici, l'option de la suppression de l'armée nationale ne serait pas à exclure, (il y a des pays qui vivent sans armée). Par ailleurs, la solution au problème rwandais devra s'inscrire dans un cadre régional. C'est en rétablissant la paix dans les pays des Grands Lacs que chaque pays se sentira sécurisé individuellement.

 

            Etant donné le climat de peur et de méfiance qui continue de régner au Rwanda, principalement parmi ceux qui pilotent l'avenir du pays, l'armement dépasse plus que jamais toute autre initiative de développement. Pourtant, le rwandais n'a pas besoin ni de bombe, ni de kalachnikov, ni d'autres armes de destruction. Il a besoin de vivre, de la paix. Cette paix ne pourra être concevable que s'il y a des hommes et des femmes animés de bonne volonté (toutes ethnies confondues), capables de dépasser les haines actuelles et créer un Rwanda nouveau. Le développement du Rwanda ne peut se concevoir sans cette paix qui ne peut être durable que si tous les rwandais (différentes mouvances politiques et ethniques) acceptent de s’asseoir ensemble et débattre sincèrement  leurs problèmes. Un gouvernement imposé par la force, soit par les pays limitrophes ou par la communauté internationale, ne pourra en aucun cas résoudre ces problèmes. C'est pourquoi la création d’un Etat de droit et démocratique contribuerait à amener cette paix. C’est là que la communauté internationale devrait mettre tout son mieux pour épauler le pays dans son effort vers le développement.

 

            C'est dans ce cadre que seul un Etat de droit au Rwanda pourra considérer l'individu hutu et tutsi tels qu’ils sont, en respectant leurs valeurs individuelles mais également en tenant compte de leurs valeurs collectives. Nous restons ainsi convaincu que le principal moyen pour arriver à une paix durable et entamer un processus de développent, c’est de créer un Etat de droit. C’est en vivant dans un Etat réel de droit que les rwandais pourront cohabiter ensemble. Ethnologiquement parlant, les hutu et les tutsi pourront être fiers de ce qu’ils sont et ne nieront plus leurs identités. Cette diversité identitaire pourra être même enrichissante.

 

            L'histoire du Rwanda reflète la vie des rwandais dans leur dure et longue lutte pour le développement. Avec la guerre imposée au Rwanda par le FPR depuis 1990, cette histoire est passionnément transformée par tous ceux qui prétendent connaître la vérité des rwandais. Qu'ils soient professeurs, savants, experts ou que sais-je encore, personne ne peut connaître la réalité rwandaise plus que les rwandais eux-mêmes. Nous avons donc le devoir d'écrire notre histoire. Attendre que les autres le fassent pour nous, souvent avec passion, est un signe de manquement et de faiblesse des intellectuels du pays.

 

            Concernant les biens occupés et saisis, les autorités actuelles sont juridiquement sensés être responsables de tout ce qui se passe. Ils devraient éclaircir le mode de leur gestion en attendant que les propriétaires rentrent. Faute d’une gestion claire basée sur la loi, on peut s’attendre aux luttes éventuelles même entre les occupants actuels sans parler des vrais propriétaires qui ne peuvent jamais oublier les efforts investis pour profiter aux autres. Il en est de même en ce qui concerne l’occupation spatiale du pays. Les départements ministériels ayant l’aménagement du territoire dans leurs attributions devraient s’atteler à ce que l’accroissement des villes du pays soit planifié. Sans cette vision organisatrice de l’espace urbaine et rural, le Rwanda risque de sombrer dans des problèmes économiques et environnementales que nos générations futures ne pourront jamais nous pardonner. C’est dans ce sens qu’un large programme de création des pôles ruraux de développement avait été entamé sous l'ancien régime. Il devrait recevoir des autorités FPR le feu vert pour son exécution urgente.  

 

            Cette guerre a emporté plusieurs vies humaines. Les chiffres actuellement avancés par tous ceux qui s’intéressent, de loin ou de près, à l’avenir du Rwanda sont tout à fait sentimentaux. Afin de permettre aux planificateurs de la reconstruction de partir d’une base sûre, nous pensons que les bailleurs de fonds qui oeuvrent déjà dans le pays, devraient inclure dans leurs priorités, un recensement général de la population et de l’habitat qui lèverait le voile sur toutes ces ambiguïtés. Dans le même cadre, un inventaire des infrastructures existantes et détruites par la guerre faciliterait la tâche à la reconstruction.

 

            Par ailleurs, la situation du bien être de la population rwandaise s’est sensiblement détériorée. La campagne qui, il n y a pas longtemps, ne connaissait jamais de jachère, est restée longtemps relativement vide. L’offre en produits alimentaires a diminué, l’état sanitaire s’est empiré suite au manque de médicaments, du personnel médical mais aussi des frais relatifs aux soins de santé. Tout cela est en grande partie le résultat de la mauvaise gestion de la chose publique par le FPR. Le PNB par habitant a chuté de 320 dollars américains en 1988 à 60 dollars en 1997. Devant cette situation, l’école est fréquentée seulement par ceux qui ont encore les moyens. Tels sont les défis que le pays doit affronter à l’aube du vingt et unième siècle.  

 

            Dans le but de lutter contre le problème de l'impunité, de construire un nouveau Rwanda fondé sur une base solide, un tribunal national pénal, indépendant, impartial pour le Rwanda (sinon la restructuration du mandat du tribunal international actuel) est nécessaire.


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45.Rutumbu J., Le refus des différences et la christianisation au Rwanda in Dialogue     n° 179, nov-déc, 1992

46.Stephen S., Rwanda: enquête sur la terreur tutsie in Libération du 27 février 1996

47.Suret-Canale J., Mouchel J. C., La faim dans le monde, Editions Sociales, Paris,         1975

48.The Futures Group, Population et Environnement au Rwanda, Washington, D.C.,      1991, 33 p.

49.Tjoelker To, Clément, F., Gestion stratégique des territoires, L’Harmattan, 1992,        191 p.

50.Uwizeyimana L., Les difficultés d’intégrer population et développement à      l’exemple du Rwanda in Intégrer Population et Développement, sous la      direction de G. Hubert, Chaire Quetelet 1990, Académia, 1990.

51.Vidal C., La désinformation en histoire: données historiques sur les relations entre     Hutu, Tutsi et Twa durant la période précoloniale, in Dialogue n° 200,            Imprimerie Litt, Bruxelles, Septembre-Octobre 1997

52. Willame J. C., Aux sources de l’hécatombe rwandaise, cahiers africains n° 14,           L’Harmattan,1995

 

 


                                  Annexes

 

 

 

                                                                                        Annexe 1

NEUF MOIS DE TRAGEDIE A L’EST DU ZAIRE

MON JOURNAL (par l’Abbé NTIHABOSE Jean Berchmans)

 

 

Introduction

 

Qu’est ce que l’opinion internationale ?

Avant, quand j’étais encore petit, je croyais que l’Opinion Internationale était un ensemble d’opinions et des idées constructives qui défendent le droit de l’homme et qui luttent pour la paix entre les habitants du monde. Je me disais que l’Opinion Internationale était la voix des sans voix qui permettait aux grandes puissances d’intervenir militairement et humanitairement pour trancher les conflits ou pour sauver les faibles dont les droits étaient piétinés par les forces du mal. Ceci faisait l’ombre dans plusieurs têtes, croyant qu’elles sont protégées par cette opinion Internationale.

 

Au fur et à mesure que je grandissais, je me suis rendu compte que cette "Opinion Internationale" n'existait pas. Si elle existait, elle aurait sauvé beaucoup de Rwandais Tutsi qui ont été massacrés en 1994, ou les HUTU exterminés par l'Armée Patriotique Rwandaise dans les camps de KIBEHO (RWANDA en 1995, ou encore les HUTU massacrés par l'Armée Patriotique Rwandaise dans les camps des réfugiés à l'Est du Zaïre et en les poursuivant jusque dans la Forêt Equatoriale, à KISANGANI, en TANZANIE, au KENYA et ailleurs.

 

Cette pseudo-Opinion Internationale, qu'on ne me le chante plus! Elle n'a jamais existé et n'existera pas. Seuls existent et vivent les Américains qui ont le droit de tuer de protéger qui ils veulent, heureusement Dieu seul garde le pouvoir de sauver de ressusciter les morts. Il est étonnant de voir comment, depuis que la guerre a fait rage à l'Est du Zaïre, tant de malheurs ont frappé et continuent de frapper les réfugiés qui vivent dans ce pays, à l'ombre des caméras et des micros des journalistes de cette pseudo-opinion Internationale.

 

Les camps des réfugiés rwandais et burundais sont installés au Zaïre depuis 1194. Plusieurs signes précurseurs avaient montré que ces camps pouvaient faire l'objet d'attaque en provenance du Rwanda et du Burundi. Dans les camps de réfugiés du Nord et du Sud Kivu, de telles attaques s'étaient d'ailleurs concrétisées tout au long des années 1995 et 1996. Qu'a-t-elle fait cette Opinion pour interdire et condamner toutes ces provocations???

 

L'objectif notre écrit est d'attirer l'attention des hommes de bonne volonté sur les atrocités dont les réfugiés rwandais et burundais ont été et continuent à être victimes à l'Est de la République Démocratique du Congo.

 

Je suis prêtre rwandais, rescapé des exactions orchestrées par les militaires tutsi venus du Rwanda et du Burundi. (Ici, je ne suis pas autorisé d'utiliser le terme génocide, il est uniquement utilisé par les Américains et leurs alliés, les Tutsi du Rwanda, pas aux hutu qui subissent ce sort et en sont victimes. Je me contenterai du horrible terme "massacre". J'ai fait l'expérience de neuf mois dans la forêt contrôlée par les Tutsi, donc rien à cacher sur des choses que j'ai vues et vécues pendant ces mois de calvaire.

 

ATTAQUE AU CAMP INERA

C'était le 2 novembre 1996 à 5h00 du matin, quand les militaires qui étaient chargés de la sécurité au camp sont venus me réveiller m'apprenant que l'ennemi (i.e. les militaires TUTSI en provenance du RWANDA) progressait vers le camp. J'avais passé la nuit avec mon confrère l'abbé MATEGEKO Aimé qui vivait au camp de Nyakavogo (Bukavu-ville). Quand noua eûmes appris la nouvelle, nous avons donné la communion aux chrétiens qui étaient venus dans la messe. Nous les exhortions d'aller à la maison pour faire ce que les autres faisaient. Vers 9h00, nous apprenions que l'ennemi était maîtrisé à Miti à 5 km du camp. Les chrétiens qui étaient venus en retard nous demandèrent alors de leur dire la messe. Nous avions annoncé qu'elle soit dédiée au feu Mgr MUNZIHIRWA Christophe.

 

Juste nous commençâmes la messe et pendant la consécration, le bruit des coups de bombes et fusils individuels retentissent dans tous les coins du camp. La population commença à courir. Quand nous allions stopper la messe, un des fidèles, Paul ULIMUBENSHI, nous déclara: "Mes fils n'ayez pas peur, finissons la messe, Jésus est le grand combattant, il va nous protéger". A ces conseils, nous acceptâmes et accélérâmes la messe. Au moment de la communion, toute personne qui venait de communier sortait en toute hâte. Mon confrère et moi, nous restâmes seuls en train de finir la messe sous la détonation de l'arme automatique.

 

De plus en plus, les coups de tirs devenaient plus nourris. C'est ainsi que je pris la moto en direction de KAVUMU vers l'aéroport. Arrivé entre le camp KASHUSHA et le camp INERA, une bombe tomba devant moi dans la foule. J'ai trouvé beaucoup de personnes déchiquetées et j'ai vu une femme qui avait les jambes coupées, son mari lui ravit un enfant dans son dos. Quand je suis arrivé au centre de KAVUMU, je me suis arrêté pour attendre les autres, il n'était pas prudent de marcher seul. Quelques minutes plus tard, la grande foule arriva. Il y avait parmi eux des blessés innombrables poussant des crise désespoir. Je suis arrivé au camp de KALEHE sans problème. Le soir, une grande foule de piétons arriva fatiguée, épuisée et vaincue par le désespoir total.

 

Le jour suivant, le dimanche du 3 novembre 1996, nous trouvâmes d'autres personnes qui avaient pris la direction du Nord au Parc National de KAHUZI-BIEGA. Dans cette forêt, ils avaient rencontré des militaires tutsi et les jeunes Bashi qui les ont accueilli avec les balles et les coups de machettes. Le mouvement des fuyards qui prenaient toutes les directions nous inquiétaient et nous plongeaient dans la confusion totale. On ne savait ni où aller, ni où rester. Parmi tous ces gens, il y avait beaucoup de blessés sans soins. Quand la foule de gens des camps de KASHUSHA, INERA, ADI-KIVU et MUDAKA s'est déversée sur le camp de KALEHE et KABILA, ceux-ci ont été effrayé et obligé de fuir aussi plus loin, certains vers le centre de NYABIBWE et d'autres vers les hautes montagnes des environs.

 

Le grand camp de NYABIBWE, catastrophe humanitaire

NYABIBWE est un grand centre commercial qui est situé à 100km de Bukavu. C'est une ville mal placée dans les coins des versants des collines. Tous les réfugiés des camps de Nord Bukavu et de l'Ile Idjwi Nord et Sud s'étaient accumulés dans l'exiguïté de ce petit coin de Nyabibwe. Il n'y avait pas d'eau ni de toilette. Pour trouver un peu d'eau, il fallait faire deux kilomètres pour aller puiser le lac Kivu. D'autres, comme c'était un temps pluvieux, récupéraient l'eau des tuiles ou puisaient l'eau sale des sources intermittentes de la saison.

 

 Ce manque d'hygiène fut à la base de nombreuses maladies, de façon que plus de cinquante personnes rendaient leur âme chaque jour. Les prêtres étaient sollicités pour bénir et diriger les cérémonies d'enterrement de leurs fidèles. A cela, il fallait ajouter les victimes des accidents de roulage, des noyades de bateaux surchargés qui venaient de l'Ile Idjwi, des blessés non soignés, etc. le refrain du chant des journalistes: "catastrophe humanitaire" avait beaucoup de couples!

 

Après une semaine de bousculade et de promiscuité dans ce petit coin de Nyabibwe, on nous a obligés de monter vers SHANJI, une région habitée par les Rwandophones. C'est une région située au Nord-Ouest de Nyabibwe, à deux jours de marche à pied. Les gens obéirent désespérés et montèrent en se faufilant dans le forêt des bambous. La seconde étape du chemin de la croix commença. Des montées escarpées, la boue et les glissades ont éprouvé les gens, de façon qu'ils regrettaient d'être nés. En haut comme en bas du chemin, c'étaient des abris de fortune construites à la hâte pour loger les fatigués et les malades.

 

LE CAMP DE SHANJI

Après une semaine dans la région de Shanji, un grand nombre de réfugiés venait de s'installer et les activités quotidiennes commencèrent. L'espoir de la vie était favorable. L'accueil de la population locale, les nouvelles des radios qui parlaient de l'arrivée des forces ONUSIENNES pour protéger les réfugiés donnaient l'espoir d'un lendemain meilleur.

 

Shanji avait deux entrées: une des piétons qui piquait directement de Nyabibwe, une autre qui se greffait entre Nyabibwe et la paroisse de BOBANDANA et aboutissant dans un petit centre de Numbi à deux kilomètres de Shanji. Cette deuxième entrée est une route très peu fréquentée. Il a fallu l'intervention des caterpillars pour la réaménager, afin que les véhicules puissent passer. Le même jour qu'on l'avait inauguré, c'est alors que le camp a été sauvagement attaqué.

 

L'attaque du camp de Shanji

Les gens devenaient de plus en plus paisibles et attendaient avec impatience les sauveurs qui viendraient d'Europe et d'Amérique. Le proverbe rwandais dit bien: "Uwarose nabi burinda bucya" (Une fois qu'on a des cauchemars, ils durent toute la nuit).

 

Brusquement, le 21 novembre 1996 à 9h00 du matin, les coups de tir et de bombes commencèrent à se faire entendre, dans tous les coins, surtout dans les deux entrées. Ce fut là que beaucoup de gens se concentraient. La panique répandit de nouveau sur la foule totalement désespérée. Dans tous les chemins de sortie, il y avait des embuscades des militaires tutsi qui tirèrent quand la foule s'approchait. Ils n'avaient pas peur de tirer dans la foule. Cette fois-ci, chacun pour soi, Dieu pour les autres: chacun sauvait sa peau! Toutes les personnes qui ont suivi les chemins préexistants de sortie ont été, soit attaquées et sauvagement dépecées, soit forcées de retourner en arrière. La foule qui a forcé un chemin dans la forêt a pu passer sans peine.

 

Le groupe dont je faisais part a été barricadé par des militaires tutsi. La foule a foncé malgré les tirs automatiques, les bruits des jerricans et des casseroles et le jet des pierres effrayèrent les militaires qui fuirent. Les jeunes qui étaient dans le groupe ne les ont pas laissé partir, ils les ont suivi et les ont capturés vifs. Vous imaginez leur sort. Désespérément, après un jour de marche, éparpillés, nous nous retrouvâmes sur un même chemin vers KISANGANI.

 

La marche proprement dite

Shanji, comme les régions environnantes est un endroit qui n'est pas trop habité. Cette région a commencé à être peuplée à partir de l'an 1970. Les villages sont espacés et séparés par des champs arables et des forêts. Il n'y a pas de routes. Ces villages sont reliés par des sentiers.

 

Pendant la fuite, ces sentiers étaient agrandis et d'autres créés par la foule. Le drame devenait accablant quand nous arrivions sur un pont ou dans un mauvais endroit, pente laide et glissante et forêt dense. Dans ces endroits, nous étions obligés d'attendre plusieurs heures debout, fardeau sur la tête pour pouvoir passer. Quand quelqu'un était déjà engagé dans la chaîne, il était impossible d'y sortir. Devant, derrière et à côté, c'était bloqué, on se croirait dans une boîte de conserves. Chacun voulait partir ou franchir plus vite, mais les circonstances ne le permettaient pas. Je me souviens quand nous étions sur le fleuve NYABARONGO, le troisième jour après l'attaque de Shanji, j'ai passé la nuit debout sur le pont. Le quatrième jour, je me suis reposé toute une journée, car mes jambes étaient gonflées. Ce fut le jour où je me suis retrouvé avec Monseigneur Jean, car on s'était séparés lors de l'attaque du 21 novembre 1996 en haut de Shanji.

 

Cette torture de marche fatiguait les gens, de façon que beaucoup se décourageaient et construisaient des huttes en haut et en bas du chemin. L'étroitesse du chemin et la surpopulation dans ces chemins ne permettaient pas aux gens de marcher plus rapidement, on faisait moins d'un kilomètre par jour.

 

 

 

LA MANNA AU DESERT

D'aucuns se demanderont sans doute ce que mangeaient cette foule, ces pauvres réfugiés abandonnés à eux-mêmes depuis le mois d'octobre 1996. Ils avaient laissés même le peu qu'ils avaient dans las tentes à KASHUSHA et INERA lors de l'attaque du 2 novembre 1996 et à Shanji le 21 novembre 1996. Les plus jeunes allaient dans les environs acheter des vivres et les revendre, les autres ne craignaient pas de s'emparer des récoltes dans les champs des paysans et même dans les forêts. Heureusement que nous avions traversé une région fertile. Pour planter, il suffit de faire le défrichement, de brûler et de faire le bouturage de manioc ou de colocases. Après la récolte, le cycle continue de lui-même. Les tiges de manioc ou de colocase poussent très bien dans la forêt où les réfugiés font aussi la chasse au gibier.

 

Moi, j'avais honte d'aller piller les vivres avec les autres. Cependant, je n'avais pas la capacité de m'en procurer, étant donné que sans de nouveaux-zaïres, on n'acceptait pas les dollars. L'échange en nouveaux-zaïres était tellement difficile que pour échanger un billet de cent dollars américains, il fallait accepter de laisser 20 dollars à l'échangeur de commission. Je me contentais de quémander à tout le monde. Mes choralistes se portaient volontaires et par surprises m'apportaient des maniocs, bananes et colocases. Personne n'est mort de faim pendant la marche, mais on enregistrait des victimes de la malnutrition, car la variation de menu était impossible.

 

Le 1er décembre 1996, mon voyage s'est passé normalement jusqu'à BILIKO. Là mon vieux, Mgr Jean commençait à s'affaiblir. Il nous a obligés à prendre le repos de deux jours, pour qu'il puisse récupérer un peu d'énergie. pendant ce repos, j'ai aidé un ami du camp ADI-KIVU qui venait de perdre trois enfants à cause des maniocs qu'ils avaient mangés crus.

 

Le 4 décembre 1996, nous avons continué la marche. Le chemin était devenu plus impraticable qu'avant. Il pleuvait abondamment. C'était des montées et des descentes. Les plateformes n'existent pas. Dans cette région, il y a beaucoup de fleuves, les stationnements à la chaîne étaient revenus et mon fardeau pesait beaucoup plus lourd sur ma tête.

 

Le 7 décembre 1996, Monseigneur Jean ne pouvait pas marcher. Jean Baptiste et moi, avons fabriqué une civière en liane sur laquelle nous l'avons transporté, avec l'aide des chrétiens. Nous ne faisions pas beaucoup de kilomètres par jour.

 

Le 9 décembre 1996, nous sommes arrivés sur un grand centre du nom de MUSENGE, surnommé "JERUSALEM". C'est un centre développé, il y a des maisons en briques cuites et beaucoup d'usines d'extraction d'huile de palme. Nous avions pris un jour de repos, car Monseigneur Jean avait des jambes gonflées et souffrait aussi de la malaria.

 

Le 11 décembre 1996, Nous avons continué notre voyage avec notre malade. Nous sommes arrivés sur un petit centre à 8 heures de marche depuis Musenge, c'était à peu près 17h00. Beaucoup de gens revenaient en arrière traumatisés, disant que le pont de LOWA était occupé par des militaires tutsi. Ceux qui avaient essayé de traverser ce jour étaient tous tués par les balles, les couteaux ou noyés.

 

Le 12 décembre 1996, très tôt le matin, nous avons décidé de retourner en arrière sur le grand centre de J2RUSALEM. Le soir, les militaires venus de Bukavu et de Mugunga se sont concertés pour voir ensemble comment libérer le pont et protéger la population jusqu'à la zone de WALIKALE. Le soir même, ils sont partis.

 

Le 13 décembre 1996, toute la journée, nous restâmes à l'écoute de la nouvelle qui nous dirait que le pont était libéré. Le soir, les bruits circulaient comme quoi le pont était libéré que nos militaires n'avaient rencontré aucune résistance au pont et qu'ils avaient continué leur voyage. Sans hésitation, ce soir même, les fuyards se mirent en route.

 

Le 14 décembre 1996, le matin de bonne heure, quand j'allais aussi me mettre en route, l'Abbé Jean baptiste me suggéra une idée. En effet, la veille, nous avions attendu en vain un messager des militaires pour confirmer la libération du pont. Alors, il serait possible que, comme ils le disaient le pont serait libéré. Par contre, les militaires tutsi auraient vu un grand effectif de nos militaires et se seraient cachés. Après la colonne de nos militaires, ils seraient revenus attendre les réfugiés plus loin du pont que si je partais, je risquais d'être encerclé par les ennemis.

 

La meilleure stratégie était de manger d'abord et de partir vers 11h00 pour faire l'observation et revenir prendre les autres Je consentis et me suis mis en route vers 11h00, accompagné de mes deux sœurs. Le soir quand nous étions sur le point d'arriver sur le pont, nous croisâmes beaucoup de blessés. Une femme qui avait reçu une cartouche dans le ventre mourut la même nuit et un homme qui avait une main amputée criait toute la nuit. Nous passâmes la nuit en nous demandant ce que nous allions faire.

 

Le 15 décembre 1966 matin, j'ai rencontré un ami, nommé Ananie, l'ancien journaliste de la Radio-Rwanda. Nous avons échangé des idées et finalement avons opté pour retourner au grand centre de Jérusalem. Au moment même où nous pliions bagages, je vus des personnes en train de tomber, d'autres saigner et le bruit des armes automatiques me fit perdre la tête de façon que je n'ai pas su où est passé Ananie et André (l'ancien magasinier du camp INERA). J'ai pensé qu'ils ont pris la direction opposée de celle que moi et mes deux sœurs, ainsi que Bernard et ses trois fils avons prise. Arrivé au sommet de la deuxième montagne à partir du chemin, j’avais toujours envie d'aller voir Mgr Jean et l'Abbé Jean Baptiste. J'empruntai le chemin vers la troisième montagne, là on voyait bien le fameux centre. Quel catastrophe! On voyait s'échapper les fumées noires, les tirs aux rafales et aux bombes se faisaient entendre. Cette fois-ci c'était sérieux.

 

Nous nous enfonçâmes dans la forêt. L’idée qui nous venait en tête était de retourner en arrière. Nous pensions à venir vers SHANJI, milieu habité par nos congénères Hutu. Ils allaient nous cacher ou peut-être nous montrer un chemin des forêts nous menant à Bukavu. Une fois arrivé, la Croix-Rouge ou le HCR allait nous conduire au Rwanda.

 

C’était impossible de continuer vers WALIKALE. Il n’y avait aucun pont qu’on pouvait traverser ou même avec autres moyens si on parvenait à franchir le fleuve, la région était sous le contrôle des militaires tutsi, on risquait de tomber dans leur embuscade, ne sachant pas comment les déborder.

 

Aussitôt dit aussitôt fait, nous primes l’orientation vers SHANJI. La similitude des collines et la forêt dense nous désorientant énormément. Je me souviens qu’une fois on s’est retrouvé sur un même point de départ après deux jours de marche. Malgré cela, on était loin de se décourager car on était entre la vie et la mort. Pour lever ce défi, on devait prendre l’azimut (5H00 du matin on examinait par où levait le soleil). Quand nous étions au camp, le soleil venait de Cyangugu (Rwanda). Donc, si nous prenions la direction du soleil, il y avait moins de risques de se perdre. Encore, il ne fallait pas suivre les senties des chasseurs ; il fallait suivre le chemin droit, c’est à dire monter et descendre la montagne, prendre une autre et ainsi de suite. Beaucoup de gens m’avaient suivi, et respectaient mes consignes. Celui qui faisait la tête dure était chassé du groupe.

 

Le 19 décembre 1996, nous avions rencontré un groupe qui avait capturé un militaire blanc, lui aussi s’était égaré dans la forêt. Il parlait mal le français avec l’accent anglais. En répondant à l’interrogatoire disait qu’il est français qu’il est venu sauver les réfugiés et que par erreur il s’est séparé des autres. Mais malgré ses explications, son langage le trahissait. On le jugea comme un américain qui s’était séparé des militaires tutsi lors de l’attaque du 15 décembre 1996 à Musenge. La colère des traumatisés se déversa sur lui et il disparut.

 

Le 25 décembre 1996, nous somme tombés sur un autre groupe qui s’était découragé, qui avait préféré habiter la forêt et qui s’était confié à la providence. Parmi eux faisait parti Gikongoro, un grand commerçant du camp Kashusha avec toute sa famille que je connaissais. Nous avons échangé quelques nouvelles et nous nous sommes installé un peu plus loin d’eux. Ce soir, nous avons fêté la Noël par célébration de la parole, après, nous avons mangé les colocases grillés.

 

Le 26 décembre 1996, trois femmes enceintes de notre groupe mirent au monde deux garçons et une fille. Deux d’entre elles n’avaient pas de maris. Sur place on ne pouvait pas les laisser seules, le groupe décida d’attendre qu’elles se remettent pour deux jours.

Le 28 décembre 1996, le jour qu’on devrait prendre le voyage, à 5H50 derrière ma tente, j’entendis un coup de fusil suivi d’un cri : Mayi-Mayi. Brusquement, je n’eus pas le temps de prendre quelque chose que ce soit, j’ai pris la fuite. Une sœur qui me suivait, Sœur Madeleine de la Congrégation Deus-Caritas, reçut une balle dans le dos qui déchira toute sa poitrine. Elle m’appela une fois. Au moment où je la regardais, le sang coulait et j’eus peur. Je l’ai bénie et continuai ma course. Derrière, c’était des cris et des pleurs des personnes qu’on égorgeait à l’arme blanche et des tirs de rafale. Arrivé un peu loin, j’aperçus Sœur Basillusa BAMPIRE qui détachait son pagne pris dans les ronces, elle me suivit sans mot dire. Au fur et à mesure que nous avancions, nous rencontrions d’autres personnes terrorisées qui couraient sans savoir où aller. Depuis longtemps, j’avais été guide, même à ce moment, ils m’ont suivi.

 

Vers 15H00, on était devenu un grand groupe. Lorsque nous nous sommes assurés que nous étions très loin de l’ennemi, nous nous sommes reposés pour évaluer ceux qui étaient morts parmi nous : nous avons remarqué que les trois femmes et leurs bébés étaient morts, une des trois sœurs et beaucoup d’autres dont on n’a pas pu dénombrer.

 

Le matin, je ne pouvais pas marcher, j’avais une foulure du côté du pied gauche et la jambe était gonflée. Sœur Virginie MUKANTWALI, avait aussi une entorse au dos. Au moment de l’attaque, elle était tombée dans un trou et s’était fait mal au dos. Avec quelques amis, nous nous sommes reposés toute la journée. Pour calmer les douleurs, on s’est massé avec des herbes médicinales.

 

Le lendemain, l’aventure continua. Tous les chemins étaient barricadés par des émeutiers. Quand nous écoutions un coup de tir devant nous, nous devions dévier le chemin à 5 kilomètres. C’est pourquoi, il a fallu plusieurs jours pour sortir de la forêt.

 

Après l’attaque du 28 décembre 1996, nous n’avions plus rien, mon poste radio pour les informations, mes habits, casseroles, sheeting, … tout était perdu. On dormait à la belle étoile, quand on tombait sur les colocases et les bananes, nous les mangions grillés.

 

Dans toutes les circonstances, il faut garder le moral haut.

En chemin, la prudence était de rigueur, si bien qu’à moindre tir devant nous, nous devions changer de direction pour une distance de 5 kilomètres toujours. Vers le Nord, ceci nous a beaucoup égarés de façon que nous sommes tombés dans une forêt vierge, jamais fréquentée par ni chasseur ou ni cultivateur. A ce moment, la provision que nous avions s’épuisa. Il faut dire que nous n’en transportions pas beaucoup. Nous n’avions ni sacs, ni pagnes pour faire le fardeau si bien même que nous commencions à faiblir davantage. La faim s’empara de nous sérieusement. J’exhortais les autres en leur faisant espérer d’avoir de quoi manger le lendemain ! Du courage, leur disais-je ! Et comme c’était la parole de l’homme de Dieu, rien à craindre, se disaient-ils.

 

Je leur apprenais à manger la sève du phloeme et xylème du bois, les bourgeons de fougère et les feuilles non-amères. Je leur apprenais cela avec une dose d’humour et leur donnais une bibliographie inventée. Ils me croyaient, car j’étais le plus instruit du groupe, en plus de cela, j’étais considéré comme l’homme de Dieu.

 

Après sept jours de boulimie, nous sommes tombés dans une bananeraie. Nous avons été dirigés dans cet endroit par un jeune homme du nom de SAKINDI Célestin. Il avait découvert du haut d’un grand arbre quand il inspectait les lieux en bon éclaireur. Quelle fête. Sans attendre, nous nous sommes mis à récolter … un jeune homme est alors tombé sur un régime de bananes mûres, même si tout le monde n’a pas été servi, quand même ça a sauvé beaucoup de gens au bout de souffle. Chaque fois, nous prenions des précautions d’aller faire la cuisine loin du lieu d’approvisionnement pour éviter l’accrochage avec les propriétaires.

 

Il y avait longtemps que nous avions cessé d’employer l’allumette, la boite d’allumettes que nous avions était complètement mouillée. Par chance, nous aperçûmes une fumée un peu loin dans la forêt. Le groupe décida d’envoyer quatre hommes chercher du feu. J’étais du nombre. Nous pensions qu’il s’agissait d’autres fuyards, mais au contraire , c’était un chasseur qui préparait son repas. Quelle scène : lorsqu’il nous aperçut, il s’est sauvé en toute hâte. Nous avions l’apparence des sauvages. Quant à nous, au lieu de chercher le feu, nous nous sommes précipités sur la pâte de manioc qui était dans sa casserole et la mangions gloutonnement. Pourtant, nous avons eu peur de prendre sur la viande qui était dans sa soupière. Par après, nous avons pris du feu et la casserole. Nous avions tellement besoin de cette dernière pour chauffer l’eau avec laquelle désinfecter les blessures et masser les enflures. Dans notre groupe, il y avait une fille dont la main gauche était blessée par balle. Les larves sortaient de sa blessure infectée. Puisque nos souliers étaient tellement usés et jetés dans la forêt, ceux qui n’étaient pas habitués à marcher pieds nus avaient les pieds et d’autres parties du corps écorchés par les épines. Alors, pour les soigner et prévenir les infections éventuelles, le seul remède qui nous restait était d’utiliser l’eau chaude. Imaginez-vous que dans un groupe de cent personnes, nous n’avions aucune casserole ! A vous de juger si l’histoire de la casserole volée est un péché. Dieu seul sait !

 

Même la mort nous a refusé ses faveurs, alors que nous la courtisions.

Quand nous venions d’être sauvé de la faim de sept jours et après un repos raisonnable d’une journée, nous avons repris le voyage. Deux jours après, nous sommes arrivés sur un grand fleuve. C’était celui que lors du départ nous avions traversé après BILIKO. Ce fleuve avait un débit terrible et était profond. C’était impossible de le traverser à pied. Nous l’avions longé vers le Nord en cherchant un endroit passable.

 

Brusquement, nous sommes arrivés sur un pont d’un seul arbre. Au moment où nous nous apprêtions pour franchir, un groupe de Mayi-Mayi nous encercla. La seule issue pour fuir menait dans le fleuve. Aussi était-il inutile, car un autre groupe nous attendait de l’autre rive. J’étais au devant de la colonne. Tous chantaient en swahili en nous intimidant : « Mushimame (arrêtez-vous) munafuka (vous mourrez), Banyarwanda ba genosidere (Rwandais génocidaires).

 

L’idée de me jeter dans le fleuve m’est venu en tête, mais j’eus peur. Surtout, je craignais les tortures de ces rebelles sauvages. Après leurs chants de moquerie, ils nous obligèrent à enlever tous les habits. Pantalons, chemises, pagnes, blouses, etc. et de nous éloigner de dix mètres. Quand ils terminèrent la fouille des habits, ils nous appelèrent pour les reprendre. Imaginez-vous la honte et la peur nous regardant nus les uns des autres ! Quand mon tour arriva, ils m’appelèrent. Si contents qu’ils étaient, me demandèrent ce que pouvaient acheter 1.800 USD qu’ils avaient découverts dans la ceinture de mon pantalon. Voici la conversation :

- Cet argent peut acheter deux camionnettes, leur dis-je.

- Quelle fonction faisais-tu au Rwanda ?

- J’étais commerçant.

- N’as-tu pas exercé une fonction militaire ?

- Non.

- Y’a-t-il des INTERAHAMWE ou ex-FAR dans votre groupe ?

- Non.

Après toute cette torture morale et questions saugrenues, le grand chef nous obligea à nous agenouiller mains en l’air et à prier pour la dernière fois. Ses sujets se mirent sur leurs gardes pour empêcher toute fuite possible. Les femmes et les enfants commencèrent à pleurer. Je ne sais pas d’où m’est venu la force de supplier ce grand chef en ces termes : « Excellence, vous voyez vous-même que nous sommes des malheureux du monde. Vous nous avez fouillé partout, vous n’avez trouvé aucune arme et nous n’avons montré aucune insoumission. Pourquoi voulez-vous nous tuer ? Je vous vois âgé, vous pourriez avoir des enfants comme ceux-là qui pleurent, pourquoi voulez-vous vous salir par le sang de ces innocents ? » L’homme me regarda et hocha la tête, après un petit moment me répondit : « Heureusement que vous aviez l’argent et que vous nous avez obéi, sinon nous allions vous tuer. Maintenant, voilà ce que vous allez faire : ne continuez pas à errer dans la forêt, partout nous y avons des positions des militaires. Dans quelques mètres, vous pouvez tomber sur un autre groupe qui ne vous laisserait pas la vie sauve. Donc je vous donne deux militaires qui vont vous accompagner jusqu’au chemin qui conduit à l’endroit d’où vous êtes venus, comme ça, il y aura moins de risques de vous tromper. Quand vous serez dans ce chemin, n’allez ni à gauche ni à droite, sinon vous risquez votre vie. »

 

Un militaire se mit devant nous et un autre derrière. Nous marchions au rythme de ces militaires, les plaies que nous avions aux pieds, la fatigue et la faiblesse que nous avions à ce moment-là, nous ne les sentions pas. Arrivés tout près de ce fameux chemin, ces militaires nous dirent au revoir et nous souhaitèrent bonne chance.

 

LE CHEMIN DE LAMORT

Quand nous arrivâmes sur le grand chemin, celui que nous avions suivi en allant vers KISANGANI, nous fûmes empris par le chagrin. Tout au long du chemin, à gauche et à droite, c’étaient jonchés de cadavres nus, qui commençaient à se décomposer. Sur le chemin coulait le lymphe produit par les cadavres pourris. Parmi les morts, on trouvait ceux qui avaient les jambes ou les bras amputés , d’autres qui avaient reçu les coups de machettes dans la tête et ceux qui avaient encore des bâtons pointus plantés dans leurs corps. Nous avons fait trois jours et trois nuits dans ce chemin horrible entrain de marcher sur les cadavres. La piste était devenu un véritable chemin de mort. Personne n’y passait, on voyait les chiens  les chacals et les vautours qui venaient dévorer les morts.

Durant ces trois jours, nous mangions les provisions qu’avaient laissées ces morts. A quelques mètres de là, nous avions trouvé des sacs roulés où il y avait des maniocs et des colocases qui commençaient à germer. Rien n’était tabou à ce moment : on mangeait sans penser à quoi que ce soit. Vers 15H00, nous nous retirions de la forêt pour faire la cuisine et prendre un petit repos et vers 18H00, c’était encore le départ. La nuit pour nous était plus paisible que le jour. Dans la forêt, les nuits sont très calmes. On ne rencontre personne. Une fois pendant la journée, nous avons vu deux BATEMBO qui déshabillaient les cadavres et prenaient leurs habits.

 

Ce sentier de Maccabées se terminait à un petit centre de MIHANDA. Tous les gens tués avaient été objet des attaques perpétrées des colonnes sur l’itinéraire partant de SHANJI. C’était surtout les fatigués, les malades et leurs gardes, les vieux, les vieilles et les enfants qui ont été la première cible quand les militaires tutsi avaient pris la décision de poursuivre les réfugiés vers KISANGANI.

 

Au moment où nous sommes arrivés à MIHANDA, nous avons commencé à respirer l’air normal. Là au moins, la population avait enterré les dépouilles. Beaucoup de personnes venaient nous voir et s’étonnaient de notre état, puisque nous ressemblions à des sauvages. D’un coup un autre groupe de Mayi-Mayi mêlés de quelques tutsi nous tomba dessus et commença à nous terroriser. Ils commençaient à choisir les femmes dont ils allaient s’approprier. c’est alors qu’un Pasteur protestant (pentecôtiste) du nom d’Ezechias MUSAMBI intervint et les traita de voyous. Le roi CHABANGO des Batembo, venait de faire un circulaire interdisant aux Mayi-Mayi de tuer encore les réfugiés. Il leur ordonnait plutôt de guider ces réfugiés vers les chemins qui conduisent chez eux. Ezechias MUSAMBI nous amena chez-lui. C'est là que nous avons passé la nuit. Durant cette nuit, il nous raconta des histoires des réfugiés mais aussi des autochtones massacrés. Ces derniers étaient assassinés, car ils avaient été jugé coupables de cacher les réfugiés.

 

Il nous disait :  nous « mes chers amis, la vie actuelle n’a plus en, ni de valeur, il faut la prendre seulement comme un combat. Au cours de ces événements, j’étais comme TOBIE qui, au moment où il enterrait les morts fut éprouvé par l’Ange Raphaël (Tob. 2). Avec mes chrétiens, nous avons enterré tous les morts qui étaient jonchés sur le terrain. Il faut voir mes chers amis, avec quels risques encourrions-nous quand faisions cette bonne action ».

 

Le lendemain matin, il nous accompagna et nous montra le chemin. Au loin, à une distance de deux jours de marche, il nous signala qu’il y avait une région habitée par les Hutu. Là aussi, il fallait être prudent, on ne sait pas si les tutsi ne leur ont pas interdit de loger les réfugiés. Après ces conseils, nous lui temoignâmes notre reconnaissance et il prit congé de nous. La soi-disant distance de deux jours, nous l’avions parcourue en quatre jours. On s’étonnait de voir que toutes les maisons étaient désertes. Avant que nous n’arrivions dans la région des Hutu, nous sommes allés loger dans un village et nous nous sommes partagés les maisons. C’est un bon souvenir (…)

 

L’arrivée sur la terre des vivants

Depuis le 28 décembre1996, nous avions perdu la notion du temps. Mon petit peste récepteur et ma montre étaient perdus. Les jours se ressemblaient alors qu’ils se suivaient, ils étaient tous caractérisés par la pluie. Le lundi, le dimanche, …, n’existaient pas chez nous. A notre grand étonnement, nous étions arrivés dans la région hutu sans le savoir. Tous ces derniers jours, nous avions l’habitude de voyager la nuit. Cette fois-ci, il avait plu à mi-nuit et le voyage s’interrompit. c’était une pluie torrentielle. Nous suivions le chemin alors boueux et glissant. Ces obstacles nous empêchèrent de continuer et nous nous camouflions dans une brousse qui était à côté d’une maison habitée.

 

C’était très tôt le matin que nous avons écouté une voix féminine en train de parler le kinyarwanda. Lorsque nous nous demandions encore comment nous allons nous présenter, un enfant qui allait puiser de l’eau nous surprit-il retourna à la maison en criant au secours en ces termes : « j’ai vu des hommes et des femmes couchés là tout près de la maison ». jean Baptiste HABINEZA et Célestin SAKINDI se levèrent et se dirigèrent vers la maison. Le propriétaire de la maison s’appelait GATABAZI SEKARAGWENYEZA. Aux cris de son enfant, il se leva. En apercevant ces hommes, la peur le saisit. Il hésita à leur donner la main. Ils étaient comme de véritables animaux sauvages. Ils le supplièrent et finalement, il acquiesça à parler avec eux. Après un certain temps, ils nous appelèrent. Il fut pris de pitié en voyant les mamans en guenilles et les enfants tremblotant, les hommes en haillons, leurs barbes et leurs cheveux pleins de poux.

 

GATABAZI était Mushamuka (Chef coutumier) du village. Nous lui racontâmes notre aventure. Après, il nous persuada que nous ne pouvions pas aller plus loin que de là. Les Tutsi avaient envahi cette région. Après avoir chassé les réfugiés qui étaient à Shanji, ils étaient maintenant occupés à tuer les grandes personnalités de Shanji. Là-bas les gens ne se déplacent plus vers l’Est. il nous disait qu’avant de rentrer chez nous, il fallait attendre que la situation se normalise un peu. Tous ceux qui avaient tenté de rentrer ont été tués avant qu’ils n’aient pu atteindre les bureaux du HCR ou de l Croix-Rouge. Il nous informa que nous étions encerclés par les positions des militaires tutsi : Shanji, Numbi, Ngungu, Nyabibwe, Bunyakili,et Karehe. Et malheureusement, les bureaux de rapatriement se trouvaient aussi dans ces centres. Il témoignait que les réfugiés qui s’aventurent vers ces centres sont exécutés avant d’y accéder. Il nous raconta ce qui suit :

Au moment où vous étiez encore sur le chemin de Kisangani, il y avait une famille avec trois enfants qui, à cause de la maladie ne pouvaient pas suivre les autres. Ils avaient dressé leur sheeting en bas du chemin. Un jour, quand j’y suis passé, j’ai eu pitié de ces enfants qui tremblotaient et je leur ai proposé de venir s’abriter chez moi. Ils ont accepté et sont venus. Après un certain temps, la femme s’est remise et l’homme a souhaité de rentrer avec sa famille. Je les ai accompagné jusqu’à Nyabibwe. Au moment où nous descendions la colline de Nyabibwe pour entrer dans le centre, deux militaires sont sortis brusquement de la brousse. Ils commencèrent à nous interroger. Je fus prudent et fis semblant de ne pas comprendre ce qu’ils disaient. Je leur parlai en swahili. Ils demandèrent à l’homme d’où ils venaient et où ils allaient. Après s’être expliqué, ils commencèrent à les torturer avec une baïonnette qu’ils lui piquaient partout sur le corps. C’était la première fois que je voyais un militaire tutsi. Quand l’homme et le femme commencèrent à crier, je me sauvais en courant.

 

Après cette histoire horrible, l’homme nous conseilla de ne pas oser nous aventurer, mais plutôt d’attendre la normalisation de la situation. Mieux valait d’être tué par les maladies ou la faim de ce milieu que d’être tué par les couteaux qu’il avait vus à Nyabibwe. Il n’y avait pas de sécurité là aussi, car les Tutsi venaient piller les vaches, tuaient les bergers et toutes les personnes qu’ils rencontraient. Jusqu’à ce moment-là, la forêt était notre meilleur refuge. Quand ils arrivaient, nous nous cachions dedans et sortions après le passage de ces sanguinaires. Considérant tous ces conseils du sage témoin oculaire, ceux qui avaient l’intention d’aller au Rwanda commencèrent à changer d’avis. Les voisins de GATABAZI qui nous avaient vu fourmiller chez lui, étaient venu se rendre compte eux-mêmes de ce qui s’était passé. Chacun à son tour donnait le témoignage de ce qu’il avait vu ou entendu des exactions Tutsi. Finalement, ils prirent soin de nous et nous logèrent. Quant à mes deux sœurs et moi, nous fûmes amenés par une femme adventiste. Son mari était guérisseur traditionnel.  Ils nous ont nourris et soignés pendant un mois. Dans la suite, nous avons commencé à nous prendre en charge nous-mêmes.

 

La vie à la campagne

Le 19 janvier 1997 à 6H00 du matin, nous étions satisfaits de cette région favorable et compréhensible à nos problèmes. Il fallait changer la vision de la vie et accepter la souffrance. Trois mois d’errance, de fatigue morale et de faim nous avaient marqués. J’avais perdu plus de 15 kg. Pour retrouver la vie normale, le guérisseur nous a obligé de prendre les médicaments, afin de vomir et dégager les saletés qui étaient dans nos ventres. Ce fut après qu’il commença les soins des plaies couvrant tout le corps. Mon pied droit avait une grande et profonde plaie. Il y versa une sève des feuilles pétries, ceci me fit sentir une grande douleur. Sœur Virginie souffrait de l’enflure au dos et elle bénéficiait d’un traitement différent du mien. Ces traitements étaient tellement efficaces qu’un mois plus tard, nous avons commencé à travailler les champs et aussitôt j’ai eu la force de me construire une hutte à trois chambres. La vie a repris petit à petit, dans la peur et l’incertitude. Chaque fois, nous entendions les nouvelles des assassinats, des disparitions et des attaques à mains armées. Quand les militaires tutsi venaient dans notre région, nous nous retirions dans la forêt.

 

Le 28 février 1997, les militaires tutsi ont attaqué à RUMBISHI chez un pasteur protestant, ils le tuèrent avec sa femme et ses quatre enfants par balles, ainsi que deux femmes réfugiées et leurs enfants par baïonnettes. Les autochtones avaient le privilège d’être tués par balles, tandis que les réfugiés étaient tués par baïonnettes et souvent restaient à moitié morts.

 

Le 31 avril 1997, ils ont attaqué au marché de CYAMBOMBO, trente personnes furent tuées et beaucoup d’autres blessées.

 

Le 15 mai 1997, ils ont attaqué le centre de DUSUNGUTI, ils brûlèrent  un village de Batembo. Il y eut beaucoup de morts et de blessés. C’était les camps militaires de NGUNGU, NUMBI, SHANJE et BUNYAKILI qui s’étaient déversés sur la région. Ils cherchaient les Mayi-Mayi et les réfugiés, mais ils n’ont tué que les autochtones.

Après la prise du pouvoir par KABILA, les tutsi se sont éparpillés dans la population pour y chercher les rebelles. Mais au juste, ils cherchaient les réfugiés. Ils savaient bien où étaient les positions des rebelles Mayi-Mayi et n’y allaient pas.

 

Le 24 mai 1997, il y eut l’assassinat de HAKIZIMANA Justin et son fils muet surpris dans la cachette. Ils habitaient Mpanama-Ziralo.

 

Le 25 mai 1997, un groupe de 15 réfugiés fut massacrés par les Tutsi à BIRUMBI, alors qu’ils se dirigeaient vers le Rwanda . nous entendions des cas d’assassinat souvent ici et là, ceci pour dire que le règne des Tutsi dans la région qui m’hébergeait a été marqué par le sang. « TUER » était leur devise.

 

Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour

Il faut dire qu’à part l’insécurité qui est devenu monnaie courante, nous étions bien intégrés dans la population locale. Pour manger, il fallait suer. La nourriture qu’on trouvait sur place consistait en colocases, maniocs et bananes. Notre pain, mes deux sœurs et moi, nous le gagnions en terme de 30 kg de manioc qu’on obtenait après trois jours de travail de champ. Ce panier nous aidait pendant quatre jours. Quant aux bananes, nous les quémandions. Les habitants de Ziralo ne savaient pas manger les bananes dont on tire la bière. Quand nous allions les demander, ils nous les donnaient avec un bon cœur. Ils s’étonnaient d’ailleurs de comment nous allions manger ces bananes amères. Mais, plus on a faim, moins on distingue les goûts (Haryoha inzara », dit-on en kinyarwanda).

 

Au début le travail des champs m’a un peu gêné, mais par après, j’ai acquis l’expérience. Les gens avec qui nous vivions ensemble nous exhortaient aussi à cultiver pour nous-mêmes. Notre patron nous avait alloué une parcelle où nous avions planté les pommes de terre et les patates douces, je suis parti après avoir récolté seulement les pommes de terre.

 

Pour varier la nourriture, j’allais à RUMBISHI travailler aux champs des paysans, afin de recevoir en retour sept kilo de sorgho après deux jours de travail, un kilo et demi de haricot après une journée. Les gens de RUMBISHI sont forts et robustes. Ils commencent le travail à 8H00 pour rentrer à 17H00. il faut être bien entraîné pour pouvoir suivre ce rythme. Je consacrais trois jours par mois de travail pour les haricots et le sorgho, mes sœurs avaient renoncé à ce genre de boulot ! Je me suis rendu à RUMBISHI pour la première fois le 25 mars 1997. Pour égayer mon patron, je devais lui montrer que je maîtrisais ce métier. Après trois jours, je suis rentré fatigué et malade. J’ai chauffé de l’eau pour me masser tout le corps. Cependant, le mois suivant, je ne me suis pas découragé, j’ai persisté.

 

L’argent

ZIRALO est une région non développée. Sa population pratique encore le troc. Les marchés n’existent pas. Les écoles non plus, sauf quelques sectes qui essaient de faire le culte samedi et dimanche. Il n’y a pas de projets de développement, car évidemment, cette région est nouvellement habitée. La première maison a été construite en 1980. Dans ce coin, on ne peut pas trouver de l’argent à moins d’aller vendre des colocases ou du manioc au marché de GATSIRO, RUMBISHI  et CYAMBOMBO. Je n’y allais pas, étant donné la distance et le temps qu'il fallait attendre avant l'écoulement difficile de telles marchandises.

 

J’avais plutôt découvert un moyen de gagner un peu d’argent, afin d’acheter du savon et du sel. Un voisin m’avait avancé 100.000 Nouveaux Zaïres (NZ). J’ai acheté un jerrican et j’allais vendre le vin de banane dans le marché le plus proche de RUMBISHI, qui était à trois heures de marche à pied. Je pouvais gagner entre 40.000 et 50.000 NZ par jerrican, nécessaire pour n’acheter que du sel et du savon. Je n’ai jamais vu un travail aussi fatiguant que celui de porter un fardeau sur la tête ! Pour la première fois, j’avais pensé que c’était facile. C’est ainsi que je mis un jerrican de 32 kg et suivis les autres, mais après 45 minutes, la tête se chauffa, le coup commença à me faire remarquer la surcharge que j’endurais. La sueur mêlée aux larmes survinrent. C’est à ce moment que je me suis demandé pourquoi Dieu ne m’avait pas épargné de cette peine en me laissant mourir comme les autres. De toutes les façons, j’ai repris courage et je continuais.

 

A mes côtés, il y avait un jeune du mouvement charismatique du camp INERA. Il se nommait NSENGIMANA Innocent. Il m’assistait. L’argent que nous gagnions était soigneusement gardé et ne devait pas être dépensé n’importe comment. Malgré les haillons que nous portions, on ne devait pas dépenser ou prendre de cet argent pour acheter de nouveaux habits et personne n’en était complexé.

 

LA PASTORALE

Au début de mon installation à ZIRALO, j’avais interdit à ceux qui me connaissaient de dire à quiconque que j’étais prêtre. Le prêtre dans cette région contrôlée par les rebelles était une personne recherchée et indésirable, parce qu’il était leader de l’opinion du peuple, il osait dire la vérité et jouait un rôle prépondérant de guide du peuple de Dieu. Mais cette interdiction n’a pas tenu longtemps. Au troisième jour, les gens curieux étaient venus voir un prêtre qui avait fait le tour de la forêt pieds-nus !

 

J’étais devenu un objet de curiosité. Beaucoup n’avaient jamais vu un prêtre, puisqu’avant moi, aucun autre n’avait été là. Eux qui avaient voyagé jusqu’à Goma ou Bukavu savaient qu’ils n’existaient que des Pères Blancs ! ils s’étonnaient d’entendre parler d’un prêtre noir, de ma taille encore. C’étaient des réfugiés que nous rencontrions qui répandaient la nouvelle. Ils avaient retrouvé le Padri (Père) qui était aussi malheureux qu’eux. Tout le monde voulait me voir !

 

Les samedis, je recevais beaucoup de visites, car c’était le jour chômé pour tout le monde. Ceux qui voulaient les conseils, ceux qui cherchaient des leurs, … en quelques mois je continuais à les aider spirituellement. Les dimanches, nous nous réunissions avec les réfugiés qui restaient tout près pour faire la célébration de la parole et citer le rosaire. Un groupe de légionnaires de Mpanama m’invitait souvent pour la confession… Nous faisions tout ça clandestinement pour ne pas nous causer des ennuis des sectes qui sont très jaloux de l’église catholique. Sans aucune protection, nous avions peur aussi d’être détectés par les Tutsi qui étaient aux environs.

 

PRETRE PARTOUT ET POUR TOUJOURS

C’est vrai qu’un prêtre ne passe pas inaperçu, le fait d’avoir été devant beaucoup de fidèles pendant la messe, le rend toujours et partout identifiable. Et, surtout dans la société africaine, c’est une personnalité très considérée. Dans ce petit coin où je me cachais, la nouvelle d’un prêtre qui vit avec deux sœurs s’est répandue progressivement dans toute la région, même jusqu’à Shanje, le grand camp militaire tutsi. Ils croyaient peut-être que c’était un grand politicien qui organisait je ne sais quelles révoltes.

 

Vers fin mai 1997, le 23 mai 1997, un jeune Tutsi habillé en civile est venu espionner ce fameux prêtre. Il arriva chez moi à 9H00 du matin et me posa ces questions auxquelles je répondis :

            - Toi, où est le prêtre qui vit ici ?

            - Il y a une semaine qu’il est parti      

            - Où ?

            - Au Rwanda.

- Ses deux sœurs aussi sont partis avec lui ?

            - Bien sûr ! comment pouvait-il les laisser ici ?

- Toi aussi tu es réfugié ?

            - Non. Je suis ici seulement depuis deux ans, mais je ne suis pas réfugié.

A mon tour maintenant de lui poser ces questions.

            - Ce prêtre dont tu parles, où est-ce que tu le connais ?

            - Il est de chez nous, moi aussi je suis réfugié

            - Vous êtes de quelle commune au Rwanda ?

- Commune de Kivumu.

C’était l’heure du petit déjeuner, nous partageâmes avec lui un repas composé de colocases, après quoi i s’en alla. Après son départ, les voisins sont venus me confirmer qu’il était Tutsi. Ils m’ont conseillé de quitter  les lieux pour leur épargner des ennuis. Je refusai. Durant toute la semaine, je ne sentais pas trop de peur en moi-même.

 

Un autre Tutsi est venu du Rwanda. Il s’appelait RUTEKELI. Avant la guerre, il habitait RUMBISHI et s’était réfugié au Rwanda pendant la guerre de Laurent Kabila. Un jour, quand il partageait un verre avec las Hutu de RUMBISHI, il leur annonça qu’il y avait un prêtre avec deux religieuses dans la région, que les militaires allaient arrêter. Heureusement, j’étais bien connu à Rumbishi, car j’y allais souvent pour vendre la bière de banane et chercher du travail.

 

Le 30 mai 1997, j’ai trouvé un messager m’avertissant que ma vie était en danger et que je devais quitter les lieux le plus vite possible. Le soir même, nous avons plié bagages et nous nous dirigeâmes vers Bukavu. Mon intention était d’aller au Rwanda, au lieu d’être tué dans la forêt. Mieux valait être tué au Rwanda, là au moins je pouvais être enterré par quelques rescapés de ma famille.

 

De Ziralo à Goma, il y avait un trajet de deux à trois jours de marche à pied. De Ziralo à Bukavu, il faut faire cinq jours à pied. J’ai préféré emprunter la voie de Bukavu, car les nouvelles disaient que les militaires orchestraient beaucoup d’atrocités en jetant les hommes au Lac Vert. Ce n’était que les femmes seulement qui pouvaient arriver au Rwanda. En plus de la sécurité qui était à Bukavu, j’y avais aussi beaucoup d’amis. Avant de traverser la frontière, je pensais pouvoir recueillir des informations sur la stratégie à adopter de l’autre côté de la Rusizi. D’autre part, les gens pouvaient me déconseiller de rentrer au Rwanda et allaient me cacher ou m’aider à sortir de la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) et aller ailleurs.

 

Aussitôt dit aussitôt fait ! Nous escaladâmes les montagnes jusqu’à CYAMBOMBO où nous sommes allés loger chez un catéchiste catholique. Il nous forma que dans la forêt de KABUNGA, il y avait des militaires tutsi qui faisaient la chasse aux vaches. Etant donné que quelques éleveurs avaient caché leur bovin dans la forêt. C’était pour cela que le pillage s’était déplacé de ce côté là. Il nous proposa d’attendre une semaine chez lui. Après, il n’y avait pas beaucoup d’insécurité, nous avons décidé de sortir de cette forêt qu’il fallait traverser pendant deux jours. Notre hôte nous donna un guide pour nous accompagner jusqu’à KABAMBA (le grand marché qui est sur la route Bukavu-Goma). L’itinéraire que nous devions suivre était : Gitindiro, Mudugudu, Nyamugali, Mwami w’Idjwi, Nyabarongo, Kayitoreya, Bushaku, Remera et Kabamba.

 

Le 8 juin 1997, nous nous mîmes en route avec notre brave accompagnateur, Monsieur BIGENZI. Heureusement, nous n’avions rencontré aucun obstacle jusqu’à Bushaku. Ce dernier est une collectivité située dans les hauteurs de Kalehe. Il était dangereux de descendre jusqu’à la grande route. La semaine avant notre rivée, les militaires du centre de Bushaku avaient exécuté sommairement 18 réfugiés au centre de Nyabarongo et 28 dans la forêt de Kadasomwa. Ces premiers faisaient comme nous le trajet ZIRALO-RWANDA. Ces massacre avaient provoqué une grande panique dans la région de telle façon que personne ne pouvait quitter Bushaku vers Kabamba. Cette direction avait effrayé les gens, car elle était devenue pour eux un abattoir des réfugiés. Le bureau de rapatriement annoncé à la radio n’y avait jamais été, les réfugiés qui suivaient aveuglement ces nouvelles de la radio tombaient dans l’embuscade et étaient directement massacrés au grand jour. Un pasteur adventiste du nom de SAFARI, avait renoncé à accompagner les réfugiés, le dernier groupe qu’il avait guidé avait été tué devant ses propres yeux le 2 juin 1997 à Kabamba.

 

Considérant toutes ces informations, un chef coutumier nous montra une forêt dans laquelle nous devions construire une hutte, en attendant que la situation se normalisât. Il ne pouvait pas nous prêter une maison, parce qu’il fut un temps où les tutsi venaient fouiller les maisons à la recherche des réfugiés. Quand ils en attrapaient un, c’était la peine capitale pour toute la famille qui l’hébergeait. Il nous cita l’exemple de SEBANAGE de NYABIZIGURO qui fut victime avec sa femme, ses cinq enfants et deux jeunes réfugiés sous prétexte qu’il logeait les Interahamwe. Nous installâmes notre hutte et partageâmes la vie avec les singes de cette jungle jusqu’au 24 juillet 1997.

 

RUSHAKU est habité par les Zaïrois qui parlent Mashi et Kinyarwanda. On y trouve les mêmes activités qu’à Ziralo. Pendant le petit temps que j’y suis resté, le problème d’intégration ne s’est pas posé. J’étais habitué aux deux peuples. La présence des militaires ne me faisait pas peur. Nous avions l’habitude de passer la nuit dans la forêt lors de la tempête et nous restions vigilants quand la chasse à l’homme commençait. Pendant mon séjour, l’insécurité était caractérisée par le vol des vaches à mains armées.

 

Le 1er juillet 1997, un groupe de Mayi-Mayi a raflé 200 vaches de la population.

 

Le 7 juillet, un autre groupe de militaires tutsi de Kalehe escalada les collines qui surplombent Kalehe, pilla les 70 vaches de Bushaku et tua un berger.

 

Le 15 juillet 1997, les attaques des Mayi-Mayi et des tutsi continuèrent. Les mayi-Mayi à leur tour prirent 50 vaches à Bushaku, 70 à Nyabarongo et rentrèrent chez eux à Bunyakili.

 

Jusqu’au 24 juillet 1997, la situation ne s’améliorait pas. Les amis Bashi sont venus me prendre. Ils me conseillèrent de laisser mes sœurs avec un confrère qui m’avait rejoint là bas. Il ne fallait pas risquer quatre personnes à la fois, car le réfugié qui est attrapé est vite tué ! Après la réussite de la première opération ça sera leur tour… Je logeais dans leurs familles jusqu’à ce qu’ils aient pu m’aider à quitter le Zaïre. L’endroit où je passais la nuit était différent de là où je restais la journée. L’idée de rentrer au Rwanda s’était estompée. Aucune personne ne me conseillait d’y aller.

 

En vue de me préparer psychologiquement au voyage de départ de la République Démocratique du Congo, mes amis m’ont conseillé de me promener dans la ville pour me familiariser aux visages tutsi. Le passage qu’on devrait prendre pour sortir était plein de barrières. Un jour quand je me promenais dans la ville, j’ai croisé un militaire tutsi au feu rouge. Il avait un fusil sur l’épaule et dans la foule nous étions très serrée l’un de l’autre de façon que personne ne pouvait éviter l’autre.

 

-          Qui était-il au juste ?

Angelbert, mon ancien choraliste dans la paroisse de KIBI NGO, Diocèse de Nyundo. Il me salua avec enthousiasme et étonnement. Il ne pensait pas que j’étais encore vivant. Effrayé, moi aussi je fis le malin de le saluer avec émotions. Nous échangeâmes des nouvelles d’il y a longtemps. J’eus le courage de lui demander s’il n’allait pas me tuer. Très gentiment, il me rappela la fille d’un enseignant MUGEMANGANGO Justin de Kibingo que j’ai sauvé lors des massacres et que j’avais remis aux militaires français de l’Opération Turquoise en 1994. Il me rassura qu’il ne pouvait pas faire ce péché. Je lui ai proposé d’aller prendre un verre avec moi et il accepta.

 

Au cours de notre conversation, je lui ai exprimé mon désir de rentrer au Rwanda, il me conseilla d’attendre un peu. « Au Rwanda, il y a trop de violences », m’a-t-il dit. Si tu rentres, ajouta-t-il, saches que tu seras directement mis en prison. Malheureusement, nous n’avions pas beaucoup de temps pour discuter. Après cette rencontre, il m’a demandé l’endroit où je logeais, disant qu’il allait venir me rendre visite un jour. Je regrette de lui avoir menti, car on est jamais sûr avec les Tutsi d’aujourd’hui !

 

Même au moment où j’étais dans la ville de Bukavu, la chasse aux Hutu n’avait pas encore cessé. Après la destruction des camps de réfugiés de Bukavu, les réfugiés attrapés étaient triés, les plus forts étaient abattus et les autres renvoyés au Rwanda. Par après, ceux qu’on attrapaient étaient emprisonnés dans le camp militaire de SAYO et tués après beaucoup de tortures. Des fois, quand la Croix Rouge apprenait qu’il y avait un réfugié emprisonné, elle allait le faire libérer et l’extradait au Rwanda. Ce fut le cas de Monsieur TEMAHAGALI Justin, ancien ambassadeur rwandais à Kinshasa et de Monsieur KAYOGORA, ancien Directeur du Lycée de Kigali. Malheureusement, la Croix Rouge est intervenue quand l’œil de TEMAHAGALI avait été déjà arraché. Les militaires tutsi n’étaient pas contents de ce que faisait la Croix-Rouge, c’est pourquoi en ce moment là, celui qu’ils attrapaient était tué sur le champ. Et c’est ce qui se fait actuellement.

 

Les militaires tutsi utilisaient et utilisent les voyous de la ville dans la recherche des réfugiés cachés de part et d’autre de la ville. Ces voyous recevaient et reçoivent 60 USD par tête. A KADUTU et à ESSENCE, le 29 et le 30 juillet 1997, ils ont tué plus de cinq personnes livrés par ces bandits. Comme toujours, je dormais sans l’espoir de me réveiller le lendemain et quand je me réveillais, c’était sans espoir de voir le coucher du soleil. Heureusement, le 18 août 1997, mon Dieu d’amour infini m’enveloppa dans son manteau et me fit sortir de ce pays des sanguinaires.

 

Grandes grâces à Yahvé sur mes lèvres, louanges à lui parmi la multitude, car il se tient à la droite du pauvre pour sauver de ses juges son âme (Ps 109, 30-31).

 

Conclusion

Un massacre atomique de Hutu, nouvelle formule a eu lieu. L’Opinion Internationale, si l’opinion il y a, a péché par défaut et par omission et par complicité. Elle a montré ce dont elle est capable de faire : « rien ou accepter l’inacceptable ou cautionner le mal ».

 

Les hommes de bonne volonté ont submergé la surface des maux de l’humanité par leur vrai visage. Ceux qui se targuent de cette idéale incommensurable et qui ont complicité pour se détraumatiser en regardant les bouchers conduire à l’abattoir une population sans défense ont souillé, tué et sacrifié la philosophie humaniste.

 

Ceux qui se sont obstinés à refuser les démagogies politiciennes et se sont abîmés dans la recherche d’une trêve pour les réfugiés oubliés et laissés aux bêtes féroces dont les loups étaient plus exterminateurs pendant le calvaire forcé semé d’embûches et d’épines sordides, ceux-là, Dieu seul les remerciera, je pense spécialement à Madame Emma Bonino.

 

Le cauchemar d’une vie enviable vécue, la nausée nauséabonde d’une traversée jonchée de cadavres martyrisés par la pesée kagamienne, kabilienne, kagutienne et clintonienne, déchiquetés par les oiseaux voraces de cette forêt impénétrable équatoriale semée d’épines qui nous pénétraient dans les pieds jusqu’à l’os, le souvenir ineffaçable qui nous hante devant la présence de ceux qu’on appelait jadis les puissances du monde, est une maladie incurable épidémique, pour ceux-là qui nous ont précédés à gagner la tombe que nous regagnerons au bout de notre atteinte chronique que les médias ont marginalisé aux calendes grecques.

 

Ce dont nous sommes témoins vivants dépasse le cadre humain et l’humanitaire était seul capable de lui trouver une solution. Nous ne saurions le décrire par le langage humain. Les événements qui se sont suivis allaient le macabre, le dérisoire, le rare et le monstrueux.

 

Le macabre, parce que pendant la tragédie, comme si le monde était à l’envers, seules les condamnations d’un peuple sans défense ont été entendues et la boucherie ne s’est pas arrêtée.

LE dérisoire, parce que la mort dans l’âme au fur du voyage en enfer, certains acceptaient de mourir décapités que mourir de la faim.

Le rare, parce que dans ce désert de faim, de maladies, de massacres, d’abattue, des oasis, de pauvres zaïrois ont sauvé la vie de ceux pour lesquels ils ont eu un cœur attendri par leur souffrance. Qu’ils soient comblés de grâces, ceux-là qui ont au moins pensé à eux !

Le monstrueux, parce qu’au delà des discours, démagogies humanistes et politiques mensongères, un plan d’élimination systématique par balle, starvation, fatigue et suicide a été mis en détonation avec des moyens très sophistiqués. L’ambassadeur des Etats Unis d’Amérique à KIGALI en est témoin.

 

A dire vrai, c’est très amusant à l’instar des spectacles des gladiateurs romains où Néron incendiant Rome de voir ces caravanes HUTU au SAHARA AQUATORIAL sans pain ni vain de vie. C’est très amusant de voir ces traînées de gens, cet amas touffus fatigués, diminués petit à petit, bon parce qu’elles combattaient l’ennemi commun pour sa survie, mais parce qu’elles se laissaient faire à cause d’une condamnation universelle, mais que dis-je d’une bouc-émissarisation engagé à condition de ne pas faire partie de cette foule désespérée.

 

Au demeurant, l’aventure ambiguë, dilemnatique et dangereuse continue pour certains oubliés de la forêt de le république Démocratique du Congo, Dieu seul les protège, le monde entier s’en fout, malheureusement, l’Eglise aussi.

 

En mon humble qualité de prêtre et témoin oculaire incontesté, j’ose demander à bon entendeur ce qui suit :

 

1.      Les politiciens du monde entier sont malades de la peste, seuls les Hutu pauvres et les Tutsi pauvres doivent payer le forfait comme la gazelle de chez la Fontaine. Que tous les opiniâtres qui se sont abîmés dans les condamnations injustifiées contre les HUTU disent « mea culpa » et demandent pardon aux HUTU, à la communauté internationale pour enfin s’en remettre à Dieu.

2.      Une enquête internationale devrait s’ouvrir pour élucider et officialiser les auteurs et les complices de l’holocauste planifié et systématiquement accompli contre les réfugiés hutu jetés en pâturage aux aléas de la forêt Equatoriale de la République Démocratique du Congo d’un côté ou conduits à la mort dans l’âme vers leurs égorgeurs du Gouvernement de Kigali de l’autre.

A l’instar de la Révolution Française et l’Indépendance américaine, les africains doivent se lever comme un seul homme pour chasser au trône le démon qui saccage les africains et installe le règne de la terreur au profit de ses appétits insatiables. Le sang des martyrs doit générer la liberté et la paix.

 

 

 

 

 

 

 

 

                        SIGLES ET ABREVIATIONS UTILISEES

 

A.P.R. : Armée patriotique Rwandaise, branche armée du FPR devenue armée nationale depuis 1994

 

ECHO : Office humanitaire de la communauté européenne

 

F.P.R. : Front patriotique Rwandais

 

MINIREISO : Ministère de la réhabilitation et de l’intégration sociale

 

UNHCR :  Haut commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés

 

RGP 91 : recensement général de la population rwandaise au 15 août 1991

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexe 2

 

                          LIBERATION  

 

                          RWANDA: enquête sur la terreur tutsie

             Plus de 100.000 Hutus auraient été tués depuis avril 1994

                                                

            En s’appuyant sur des listes de victimes et en recoupant des témoignages, «Libération» est en mesure d’avancer que le Front Patriotique Rwandais (FPR), l’ancien mouvement rebelle tutsi au pouvoir à Kigali depuis juillet 1994, est responsable de la mort de plus de 100.000 Hutus depuis 22 mois. Ces massacres ont débuté en avril 1994 alors que les milices hutues entamaient le génocide de 800.000 Tutsis. Pour Gérard Prunier, chercheur au CNRS, les extrémistes tutsis imposent une politique de domination ethnique totale au Rwanda. 

 

                                                Mardi 27 FEVRIER 1996

                                                   EVENEMENT

 

Le nouveau régime de Kigali serait responsable de plus de 100.000 morts

 

RWANDA: EXECUTIONS MASSIVES DE HUTUS DANS L’OMBRE DU GENOCIDE DES TUTSIS

 

         Selon des témoignages recueillis par Libération, corroborés par des recoupements effectués à partir de listes de victimes, le Front Patriotique Rwandais (FPR), émanation de l’ethnie minoritaire tutsie, a toléré, voire organisé, le massacre d’au moins plusieurs dizaines de milliers de civils hutus au fur et à mesure de son avancée et depuis sa prise de pouvoir en juillet 1994. Ces tueries, intervenant sous couvert de l’émotion provoquée par le génocide de 800.000 tutsis entre avril et juillet 1994, ont été passées sous silence par la communauté internationale, qui tarde à mettre en place une commission d’enquête.

 

L

e Front Patriotique Rwandais (FPR), l’ancien mouvement rebelle tutsi au pouvoir à Kigali depuis juillet 1994, est responsable de massacres de très grande ampleur qui, selon une estimation prudente, ont coûté la vie à plus de 100.000 Hutus. D’importantes tueries, à caractère systématique, ont eu lieu entre avril et septembre 1994 lorsque, au fur et à mesure de son avancée militaire, le FPR a liquidé des centaines de milliers de civils hutus en même temps qu’il a mis fin au génocide des Tutsis, dont 800.000 - sur 930.000 vivant au Rwanda - venaient d’être exterminés. Se poursuivant après le génocide par des massacres ponctuels de moindre ampleur, les représailles du FPR n’ont eu ni le caractère spontané ni la nature vengeresse d’une réaction «à chaud». Au cours des vingt-deux derniers mois, à l’ombre du génocide des tutsis, le FPR a érigé au Rwanda une nouvelle dictature.

            En novembre dernier, l’ancien chef du gouvernement d’union nationale à Kigali, Faustin Twagiramungu, limogé trois mois plus tôt et, depuis, exilé à Bruxelles, a évalué le nombre des hutus tués par le FPR à «au moins 250.000». Mais il est resté redevable des « preuves irréfutables » qu’il avait prétendu détenir. L’un de ses proches, Sixbert Musangamfura, chef des renseignements généraux à Kigali jusqu’en août 1995, s’est ensuite discrédité en avançant, en décembre, une autre accusation chiffrée: « autour de 312.726 Hutus massacrés »...

En réalité, aucune enquête sérieuse permettant de dresser un bilan chiffré n’a jusqu’à présent été menée. Cependant, Libération a pu examiner et recouper des listes nominatives de victimes dressées en avril 1995 pour onze des dix sept communes de la préfecture de Gitarama, au centre du Rwanda, au niveau des «cellules», unités administratives de base regroupant chacune une cinquantaine de familles.

            Précisant la filiation parentale et la date de disparition, ces listes révèlent que le gros de la répression antihutue s’est produit dans les premiers mois suivant l’occupation des lieux par le FPR en l’occurrence fin mai à septembre 1994, et dans une moindre mesure en février-mars 1995. Sans tenir copte des parents morts dans les mêmes circonstances mais dont les noms ne sont pas spécifiés, le bilan s’élève à plus de 17.000 victimes. Ce qui recoupe le décompte d’un second jeu de listes, établi indépendamment au niveau des paroisses et faisant état, pour la même période et pour l’ensemble de la préfecture, de 25.000 morts hutus.

            A l’échelle du Rwanda, ce bilan accréditerait un ordre de grandeur de 150.000 victimes. Mais en supposant - au mépris des faits - que l’intensité des représailles du FPR et la proportion des hutus restés sur place lors de son avancée aient été partout les mêmes, ce calcul n’a d’autre valeur que celle d’engager clairement la responsabilité des nouveaux dirigeants: même «à chaud», en réaction au génocide, l’armée du FPR n’a pas pu commettre des exactions d’une telle ampleur en multipliant simplement des actes individuels de vengeance ou des «bavures». D’ou la multiplication des appels à l’envoi d’une commission d’enquête internationale pour établir précisément les faits, remonter la chaîne de commandement au sein du FPR et, ce faisant, pour couper l’herbe sous les pieds des propagandistes du «double génocide», les extrémistes hutus qui se prétendent victimes d’un second génocide pour faire oublier le premier.

                                                                                        STEPHEN SMITH   

 

 

 

                                              EVENEMENT

 

                    « Au camp de Gabiro, les corps étaient brûlés

                              et les restes enterrés au bulldozer »

                   Récit d’un témoin hutu sur les massacres organisés par le FPR.

 

E

xpurgé de ce qui permettrait d’en identifier l’auteur, ce témoignage émane d’un Hutu enrôlé par le Front Patriotique Rwandais (FPR) en juillet 1994. Les précisions entre parenthèses ont été rajoutées par la rédaction. «Libération a recueilli d’autres témoignages corroborant les faits rapportés ici.

            « Le 7 avril 1994, tôt le matin, nous avons appris que, la veille au soir, l’avion du président Habyarimana avait été abattu. C’était l’arrêt total de la vie sur toute l’étendue du pays. Seulement les militaires et les miliciens Interahamwe (« ceux qui travaillent ensemble », la milice de l’ancien parti unique) pouvaient circuler dans les quartiers de Kigali, et, directement, a commencé la chasse aux tutsis et aux hutus membres des partis d’opposition. Moi et ma famille, nous craignions le pire. Nous n’avions jamais milité pour la cause hutue et, dans notre quartier, certains savaient qu’un proche de la famille avait rejoint le FPR. Pour les miliciens, nous étions donc des « Hutu douteux ». A plusieurs reprises, ils sont venus fouiller la maison. Ils nous ont battus et, une nuit, ils ont enlevé ma petite soeur. Le lendemain, grâce à l’intervention d’un voisin, elle est revenue à la maison. Je suis sûr qu’elle avait été violée, mais elle n’en a jamais parlée.

            Notre misère a duré trois mois. Ce n’est que dans la nuit du 3 au 4 juillet que les militaires et les miliciens ont quitté notre quartier. Nous nous sommes alors cachés, enfermés dans notre maison, parce que la population était censée les suivre et, si on nous avait découvert, on nous aurait sûrement tués. Mais tout s’est bien passé. Le matin, vers 9 heures, les premiers soldats du FPR sont arrivés. Ma mère leur a signalé notre présence. Nous avons été rapidement évacués du quartier et, après une simple fouille, nous nous sommes retrouvés avec d’autres dans un lieu de rassemblement, un orphelinat. C’est là que, le lendemain, ont commencé les interrogatoire pour identification. On a beaucoup insisté sur l’ethnie, l’adhésion à un parti politique. J’ai dit que j’avais un parent au FPR. Finalement, en raison de ma formation sanitaire, le lieutenant Kabera du DMI (Directorate of Military Intelligence, le renseignement militaire) m’a demandé de me mettre à la disposition de leur service médical. J’étais réticent, parce que j’avais peur de la guerre, mais il a insisté en me menaçant. Alors j’ai accepté et on m’a transféré vers un autre lieu de rassemblement.

            Là-bas, les interrogatoires ont continué. On voulait savoir l’ethnie du père, de la mère, des gens qui nous avaient sauvés. J’étais environ avec 150 jeunes, dont je connaissais la plupart parce qu’ils étaient de mon quartier. Tous les jours , il en disparaissait. On faisait le tri, et ceux qui ne réussissaient pas leur interrogatoire étaient mis dans un autre bâtiment. J’ai pris peur. Mais une semaine plus tard, on m’a transféré à Masaka, commune de Kanombe. Dans les locaux du projet Kigali-Est, le FPR avait installé un dispensaire pour les blessés légers, les cas les plus graves étant traités à l’hôpital du camp militaire de Kanombe. Moi, je faisais partie de l’équipe médicale. Mais d’autres recrues étaient réquisitionnées pour ce qu’on appelait le manpower (main-d’oeuvre). Ils allaient à un endroit près de l’orphelinat Saint-Agathe, où ils procédaient à la mise à mort de personnes ramassées dans les quartiers de Kigali. C’était ceux qui avaient raté leurs interrogatoires.

            D’abord, je ne voulais pas le croire. Mais les recrues avec lesquelles je passais la nuit me quémandaient des décharges médicales pour ne pas avoir à retourner là-bas. Ils racontaient tous la même chose. Puis, j’avais un ami d’enfance, un tutsi qui a fait des études et à qui je faisais vraiment confiance. Lui aussi m’a supplié de lui inventer une maladie. « Il disait qu’en cinq jours, il avait compté plusieurs milliers de cadavres. Les gens arrivaient vivants, on leur faisait l’ingoyi (le ligotage des coudes dans le dos) et plus on les tuait d’un coup précis sur l’os frontal du crâne  à l’aide d’un marteau, d’une houe ou d’une massue. De ce travail était chargé une unité spécial du DMI. Après, il fallait brûler et enterrer les cadavres. Des camions et des citernes, avec des plaques d’immatriculation ougandaises, apportaient du bois et de l’essence.

            Ca a duré trois semaines. Un matin, début août, le lieutenant-colonel Rwahama nous a rassemblé pour nous remercier de notre aide au « dur travail que nous avons accompli ici ». Tout le monde savait de quoi il était question. Pour « formation militaire approfondie », j’ai été alors envoyé à Gabiro, dans le parc naturel de l’Akagera. c’est un domaine de chasse, dont les bâtiments ont été transformés en camp d’entraînement. Par moment, nous y étions 8.000, par régiment de 450 hommes. On nous apprenait le maniement des armes, des grenades, de l’artillerie pour certains, et les tactiques militaires. Il n’y avait que très peu de hutus, la plupart des recrues étaient des tutsis du Zaïre, de l’Ouganda, du Burundi et du Rwanda. Les interrogations n’y ont jamais cessé et, le matin, des Hutu manquaient toujours à l’appel. L’instructeur donnait alors pour explication: «Il est au camp CDR, où il a rejoint les siens». Nous savions tous ce que cela voulait dire, d’autant qu’on menaçait du même sort ceux tentés par la désertion.

            Le camp CDR (Coalition pour la défense de la République, le parti extrémiste hutu créé à la fin de l’ancien régime Habyarimana) se trouvait à environ cinq kilomètres en retraite de la grande route Kigali-Kampala, avec un chemin de desserte qui passait juste au dessus de notre camp. En fait, c’était une base militaire de l’ancien régime. Dans la journée, on entendait le bruit des bulldozers et on voyait passer des camions-remorques et des citernes. Le soir, aux heures du crépuscule, on voyait du feu et, parfois, nous étions envahi par une fumée intense. Ca sentait la chair brûlée, c’était écoeurant. Ceux qui allaient faire du manpower là-bas étaient sélectionnés, tous des tutsis. Le DMI vivait en permanence dans ce camp et, un jour, un officier est passé chez nous prendre de l’eau. Quand il m’a vu, il a dit: «Il y a donc toujours un Hutu dans ce pays ». J’étais terrorisé et je me suis vite mêlé à mes camarades.

            Ceux qui travaillaient au camp CDR disaient que c’était la même chose qu’à Masaka. Ils aidaient à brûler les corps, dont les restes étaient enterrés par les bulldozers. Beaucoup ont craqué nerveusement mais ceux qui succombaient à la folie ou à la dépression ont été eux-mêmes tués au camp CDR. Pour moi, ça duré neuf mois. Je ne sais pas si c’est à cause de mon travail médical, de mon parent au FPR ou par simple chance que j’en suis sorti vivant.

                                                                                               Recueilli par S. Sm.

 

 

                              EDITORIAL par Jacques AMALRIC

 

                                    Vengeance et justice

            C’est le mois prochain ou au début d’avril, à en croire le gouvernement de Kigali, que devraient commencer les procès de dizaines de milliers de Hutus accusés d’avoir participés au massacre de huit cent mille tutsis, vivant alors au Rwanda (sur un total de moins d’ un million). La démesure de l’abomination commise entre avril et juillet 1994 n’incite pas à la pitié à l’égard des inculpés. Le climat et les conditions dans lesquels ces lampistes vont être déférés devant une magistrature improbable interdisent cependant d’espérer que justice va être faite. A quelques exceptions près, ce ne sont pas les responsables du génocide qui croupissent depuis des mois dans les prisons de Kigali et d’ailleurs. Les vrais massacreurs ont quitté le Rwanda depuis longtemps, avec la plupart de leurs légions d’assassins. Ils forment les plus gros bataillons des réfugiés entassés dans les camps da Zaïre et de Tanzanie, où ils préparent leur revanche contre les tutsis de l’extérieur, ceux du Front Patriotique Rwandais (FPR), qui règnent aujourd’hui en maîtres dans le pays.

            Les procès qui se préparent promettent d’être les plus expéditifs. Par la force des choses, le Rwanda n’a pratiquement plus de magistrats, d’avocats, d’enquêteurs de police. Plus grave: les autorités du FPR ont mis longtemps à accepter vraiment la création par le Conseil de sécurité, en novembre 1994, d’un tribunal pénal chargé de juger les auteurs du génocide. Elles craignent sans doute qu’il ne constitue une échappatoire pour les assassins mais, surtout, qu’il ne symbolise une mise sous tutelle de ce malheureux pays, dont bien peu de ressortissants encore en vie peuvent s’affirmer totalement innocents. La parodie de justice qui se prépare relève donc, avant tout, de la vengeance et de la dissuasion. Une vengeance qui ne se conçoit que comme collective, et une dissuasion qui vise à convaincre les réfugiés hutus de ne surtout pas refranchir la frontière. Plusieurs massacres de Hutus, commis par les forces du FPR tout de suite après le génocide, mais aussi bien plus tard, relèvent assurément du même calcul. Faute d’avoir su arrêter cet holocauste africain, et au lieu de se voiler la face, la sacro-sainte communauté internationale aurait été bien inspirée d’assumer ses responsabilités dans le désert juridique, politique et économique que constitue le Rwanda d’aujourd’hui. C’est tout le contraire qu’elle a choisi de faire, en feignant de croire qu’il s’agit de presque d’un pays comme un autre, avec un sérieux problème de réfugiés. Tout est ainsi en place pour que le drame continue.

 

 

 

 

 

 

                                           MARDI 27 FEVRIER 1996

                                    EVENEMENT

 

Giti, à l’écart du génocide mais pas des représailles

Dans la commune, la majorité des victimes sont hutues.

 

Giti, envoyé spécial

S

’étirant le long d’une petite piste en latérite, à flanc de collines, la commune de Giti ressemble à beaucoup d’autres: des maisons dispersées au milieu des bananeraies, des champs de maïs en pente, des choux et des pommes de terre cultivés dans la vallée d’une rivière et , sur un sommet, la mairie, l’église et le dispensaire. Pourtant, Giti est une exception. Ici, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Kigali, le génocide n’a pas eu lieu. Alors que, partout ailleurs, les tutsis se firent massacrer dans les jours suivant l’attentat meurtrier contre l’avion de l’ex-président Habyarimana, le 6 avril 1994, l’ancien maître de Giti, Edouard Sebushunga, parvint à maintenir l’ordre dans sa commune de 45.271 âmes. Même s’il y eut quelques morts et s’il fallut que les gendarmes du village ouvrent le feu sur des miliciens venant des collines alentour pour provoquer l’hécatombe.

            Giti, terre d’espoir au pays des fosses communes? Certainement comparé à Murambi, non loin, où la maître extrémiste Jean Baptiste Gatete orchestrait le génocide qui a fait, dans cette seule commune et en cinq jours, plus de 15.000 victimes. Lorsque le Front Patriotique Rwandais (FPR) s’est emparé de Murambi le 13 avril 1994, il a tué à son tour près de 10.000 civils hutus. Cependant, quoique nombreux, ces morts pèsent moins lourd sur l’avenir que ceux qu’il y a eu, en l’absence du génocide, à Giti. Combien? «Beaucoup, dit un habitant hutu, beaucoup trop.» Originaire de Giti, un réfugié du camp de Kibumba, dans l’est du Zaïre, avance - sans preuve - le chiffre de 2.000. On ne connaîtra peut-être jamais le nombre exact. Mais lorsqu’en juin dernier le préfet de Byumba, Déogratias Kayumba, est venu à Giti pour une cérémonie d’inhumation des victimes du génocide, il savait comme tout le monde qu’il consacrait une terre abritant plus de hutus que de tutsis.

            Depuis dix-neuf mois, le «nouveau Rwanda», celui du FPR et de la diaspora tutsie revenue, se construit dans le souvenir omniprésent du génocide. Mais la mémoire est tronquée. A la vérité de l’éradication de 800.000 tutsis se mêlent des mensonges intéressés, la raison d’un Etat accaparé par une armée victorieuse: celle des tutsis venus de l’Ouganda, du Burundi, du Zaïre et d’ailleurs. Cette armée a tué des civils hutus, massivement. A Kayonza, dans la préfecture de Kibungo, où, lors de la première «réunion de pacification» en mai 1994, sucre et sel ont été distribués. Le lendemain, lorsque l’affluence fut plus grande, hommes, femmes et enfants ont été fauchés. A Ngoma, dans la commune de Mbogo, des civils ont été enfermés dans une école primaire puis déchiquetés à la grenade. A Butamwa, également dans la préfecture de Kigali rural, une centaine de civils rassemblés ont été fusillés. Lorsque la mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar) a enquêté sur ce «crime contre l’humanité», elle n’a pas trouvé de témoins jusqu’à ce que, finalement, le directeur du centre scolaire, Alexis Rubandabaliyo, se décide à parler. Arrêté et affreusement torturé, il est mort en novembre dernier.

            «Au début, j’ai cru à des dérapages et, si l’armée avait cessé de tuer à l’automne 1994, j’aurais admis la colère», explique l’ancien procureur de Kigali, François-Xavier Nsanzuwera, réfugié à Bruxelles depuis mars 1995. «Mais le génocide est devenu une sorte d’industrie, une carte de visite, une justification pour les violations actuelles des libertés fondamentales. Il y a volonté délibérée de tuer les hutus.» Dans le pays, personne n’oserait l’affirmer au grand jour. Mais quand les habitants de la commune de Muyira se réunissent dans le secret pour rédiger un «appel au secours» à Amnesty International, ils dénoncent des faits précis, imputés à «l’escadron antihutu dirigé par le bourgmestre Pierre-Céléstin Kayihura». Leur conclusion: «La non-poursuite de telles actions signifierait qu’il n’y a pas de faute à tuer un Hutu.» Or, en la matière, l’impunité est la règle. «Ces femmes et ces enfants étaient-ils armés?», a demandé un observateur des droits de l’homme des Nations unies au sergent de l’armée patriotique rwandaise ‘APR) ayant fusillé, il y a un an, au moins treize civils dans la forêt de Nyungwe. «Non. - Alors, vous les avez froidement abattus? - Oui.» Le sergent, de même que le colonel commandant le secteur militaire, sévissent toujours.

            En janvier 1995, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a lancé un «cri d’alarme» au sujet du surpeuplement des prisons. A l’époque, six mois après la fin du génocide, 19.000 présumés coupables avaient été arrêtés. Depuis, au rythme constant de 700 nouvelles arrestations par semaine, plus de 250 «cachots» et 14 prisons se sont remplis de 66.000 détenus. La réaction de la communauté internationale? Elle s’est mise à construire des « camps de détention provisoire ». Cinq sont en cours d’aménagement et l’un, à Nsinda, à 60 kilomètres à l’est de Kigali, abrite déjà 5.100 détenus, sa capacité prévue. Curieusement, les prisonniers s’y entassent dans les lits en bas sans toucher à la rangée en haut. « C’est pour ceux qui vont venir », explique l’un d’eux. Sage précaution. Lors d’une réunion avec les Nations unies, le gouvernement rwandais a déjà annoncé qu’en cas de retour massif des réfugiés du Zaïre, du Burundi et de la Tanzanie, il fallait s’attendre à «plus de 200.000 détenus». Or, même dans les conditions inhumaines qui y règnent actuellement, les prisons et les camps ne pourront enfermer que 112.000 personnes. Aussi, le PNUD propose-t-il aux bailleurs de fonds du Rwanda, pour 30 millions de dollars, un «programme accéléré de construction de prisons».

            Quand tous ces «génocideurs» présumés seront-ils jugés? « Tant que l’épuration ethnique de la magistrature ne sera pas terminée, il n’y aura pas de jugement », a estimé, début janvier, Francois-Xavier Nsanzuwera. Il y a un an, l’ancien procureur de Kigali avait voulu ouvrir le procès de centaines de coupables, passés aux aveux. mais le FPR s’était opposé. Depuis, en trois cours accélérés de huit semaines, quelque 300 magistrats ont été formés, de même que 90 procureurs et 250 inspecteurs de la police judiciaire. En même temps, des magistrats confirmés tous hutus - ont été arrêtés ou limogés, le dernier en date, Silas Munyagishali, substitut du procureur de Kigali, le 13 février. Trois jours plus tard, le gouvernement rwandais a annoncé l’ouverture des premiers procès pour « fin mars début avril »,à la veille du second anniversaire du début du génocide.

            «Rendre la justice n’a été une priorité absolue qu’aux yeux du monde extérieur, estime un magistrat à Kigali. Pour le FPR, c’est un enjeu politique qu’il fallait maîtriser. » Dans un carton, l’homme qui travaille toujours dans un bureau aux vitres cassées a collectionné des coupures de la presse internationale décrivant « l’appareil judiciaire massacré » ou « une justice de bouts de chandelle ». S’il est vrai que la justice a été anéantie par le génocide, sa « réhabilitation » a été délibérément retardée. Selon les chiffres que le ministère rwandais de la Justice vient de publier, sur 9,2 millions de dollars mis à disposition par les bailleurs de fonds étrangers, seulement 5,4 - soit à peine plus de la moitié - ont été employés.

            A présent, la justice se met en marche. En fonction du degré de leur culpabilité d’exécutant, d’organisateur ou de commanditaire du génocide, les prévenus seront « triés» et, pour les moins compromis d’entre eux, pourront «négocier» leur peine en échange d’aveux «complets et sincères». Pour les autres, passibles de la peine de mort, ils devront comparaître devant un jury populaire. Une justice équitable pourra-t-elle être administrée? Il faut se rappeler, explique un magistrat étranger, que la justice allemande, pourtant équipée du nécessaire, n’a jugée depuis cinquante ans qu’environ 12.500 personnes impliquées dans l’Holocauste. Peut-être le gouvernement allemand manquait-il de volonté, mais il en faudrait beaucoup pour vider ici les prisons.»

            Titanesque, la tâche n’effraierait pas si le silence gêné de la communauté internationale et la terreur du nouveau régime n’avait pas entamé ce qu’un prêtre catholique appelle «la pureté du génocide». Le Mal n’est plus absolu. Lorsque, dans une paroisse de Kigali, un Hutu a été arrêté comme «génocideur», un rescapé tutsi est allé se confesser. «Mon père, cet homme m’a sauvé du génocide. - Pourquoi ne le dis-tu pas pour le sauver? - Parce qu’il m’a sauvé, moi le tutsi, n’est-ce pas la preuve que j’étais complice d’un hutu «génocideur»? Alors, ils vont me tuer moi aussi.»·

         STEPHEN SMITH             

 

Des orphelins hutus dont les parents ont été massacrés le 22 avril 1995 au camp de Kibeho. Ce jour-là, dans le but de vider ce camp de quelque 90.000 «déplacés» hutus, dans le sud-ouest du Rwanda, l’armée du FPR a ouvert le feu. Bilan: 338 victimes selon le gouvernement rwandais, «environ 2.000» selon les Nations unies, «plus de 3.000» selon le Haut Commissariat au droits de l’homme, «plus de 4.000» selon Médecins sans frontières (MSF), à l’époque témoin sur place et, depuis décembre, l’une des 43 ONG expulsées.    

 

 

 

                                  Les extrémistes

                  Gérard Prunier, l’un des meilleurs

 

C

hercheur au CNRS, spécialiste de la corne de l’Afrique et expert au sein de la cellule de crise du ministère français de la Défense pendant l’opération Turquoise de l’été 1994, Gérard Prunier, 53 ans, vient de publier (en anglais) une histoire du génocide au Rwanda (1). Une provocation de la part d’un auteur qui explique l’engagement massif de la France aux côtés de l’ancien régime rwandais par une «peur paranoïaque des Anglo-Saxons». Et qui, pour sa part peu suspect de souffrir du «complexe de Fachoda» (2), n’en juge pas moins sévèrement le nouveau régime au Rwanda. Entretien.

            Dans votre livre, vous expliquez que l’indiscipline a gagné les rangs du FPR quand il a fallu recruter massivement pour conquérir l’ensemble du pays. Est-ce l’explication pour les exactions commises par le FPR pendant la guerre, puis après sa victoire en juillet 1994?

            Pour le passé, oui, pour la période actuelle, non. Fin 1992, le FPR, jusque-là un petit groupe de guérilla de moins de 2.500 hommes, commence à recruter à l’intérieur du Rwanda et dans la diaspora tutsie notamment du Burundi. Il n’y a alors plus de critères de sélection, et des dizaines de milliers de recrues, en découvrant au fur et à mesure le massacre de leurs parents, se livrent à des actes de vengeance. Je suis absolument convaincu que des massacres du FPR ont eu lieu, les premiers autour de Byumba, directement au printemps 1993 sur des groupes de déplacés (hutus, ndrl). J’ai également des preuves pour des tueries dans la préfecture de Kibungo, où il y a eu 1.500 morts sur une colline, dans la préfecture de Gitarama, où le FPR a tué quelque 800 personnes revenues du Burundi, et dans l’arboretum de Butare, où au moins 1.200 personnes ont été massacrées à froid, bien après la fin des combats.  

 

 

 

 

                                  CHRONOLOGIE DES FAITS

                                           Quatre ans de conflit

 

1er octobre 1990: Le Front Patriotique Rwandais (FPR), issu de la diaspora tutsie, attaque le Rwanda, à majorité hutue (85 % de la population).

10 juin 1991: instauration du multipartisme au Rwanda

Juillet 1992: ouverture des négociations de paix à Arusha (Tanzanie).

4 août 1993: signature des accords d’Arusha prévoyant le partage du pouvoir en attendant des élections.

5 octobre 1993: l’ONU décide le déploiement de Casques bleus (Mission d’assistance des Nations Unies au Rwanda, Minuar).

15 décembre 1993: fin de l’opération Noroît.

6 avril 1994: attentat meurtrier contre l’avion du président Habyarimana.

7 avril 1994: début des massacres des tutsi et d’opposants hutus.

22 avril 1994: Conseil de sécurité réduit les effectifs de la Minuar de 2.600 à 270 personnes, dont 120 civils.

5 juin 1994: Massacre par le FPR à Gakurazo de 3 évêques catholiques et de 9 prêtres

23 juin 1994: intervention militaro-humanitaire de la France, mandatée par l’ONU (opération turquoise).

4 juillet 1994: prise de Kigali par le FPR.

19 juillet 1994: prise de fonction du Premier ministre, Faustin Twagiramungu, à la tête d’un gouvernement formé par le FPR et des opposants à l’ancien régime.

2 août 1994: fin de l’opération Turquoise, la Minuar 2 prend de la relève.

8 novembre 1994: création, par le Conseil de sécurité, du tribunal pénal pour le Rwanda (TPR).

22 avril 1995: à Kibeho, dans le sud-ouest du Rwanda au moins 2.000 « déplacés » hutus sont tués par l’armée du FPR.

29 août 1995: limogeage du Premier ministre Twagiramungu et de quatre membres de son gouvernement, dont les ministres de l’Intérieur et de la Justice.

11 septembre 1995: massacre de 118 civils à Kanama par l’armée FPR.

6 décembre 1995: le gouvernement rwandais expulse 43 ONG.

12 décembre 1995: prolongation, pour un ultime mandat jusqu’au 8 mars 1996, de la Minuar 2 dont les effectifs passent à 1.200 Casques bleus.      


                                                                                                                                             Annexe 4

LE MANIFESTE DES BAHUTU du 24 mars 1957

Note sur l’aspect social du problème racial indigène au Rwanda

24 mars 1957

 

Des rumeurs seront déjà parvenues à l’autorité du Gouvernement par la presse et peut-être aussi par la parole au sujet de la situation actuelle des relations muhutu-mututsi au Rwanda. Inconscientes ou non, elles touchent un problème qui nous paraît grave, problème qui pourrait déparer on peut-être même un jour torpiller l’œuvre si grandiose que la Belgique réalise au Rwanda. Le problème racial indigène est sans doute d’ordre intérieur, mais qu’est-ce qui reste intérieur ou local à l’âge ou le monde en arrive ! Comment peut-il rester caché au moment où les complications politiques indigènes et européennes semblent s’affronter ? Aux complications politiques, sociales et économiques s’ajoute l’élément race dont l’aigreur semble s’accentuer de plus en plus. En effet, par le canal de la culture, les avantages de la civilisation actuelle semblent se diriger carrément d’un côté, - le côté mututsi – préparant ainsi plus de difficultés dans l’avenir que ce qu’on se plaît à appeler aujourd’hui « les problèmes qui divisent ». Il ne servirait en effet à rien de durable de solutionner le problème mututsi-belge si l’on laisse le problème fondamental mututsi-muhutu.

                C’est à ce problème que nous voulons contribuer à apporter quelques éclaircissements. Il nous a paru constructif d’en montrer en quelques mots les réalités angoissantes à l’Autorité Tutélaire qui est ici pour toute la population et non pour une caste qui représente à peine 14% des habitants. ------------------------------------------- crée par l’ancienne structure politico-sociale du Rwanda, en particulier le buhake, et de l’application à fond et généralisée de l’administration indirecte, ainsi que la disparition de certaines institutions sociales anciennes qui ont été effacées sans qu’on ait permis à des institutions modernes, occidentales correspondantes de s’établir et de compenser. Aussi, serions –nous heureux de voir s’établir rapidement le syndicalisme, aider et encourager la formation d’une classe moyenne forte. La peur, le complexe d’infériorité et le besoin « atavique » d’un tuteur, attribués à l’essence du Muhutu, si tant est vrai qu’ils sont une réalité, sont des séquelles du système féodal. A supposer leur réalité, la civilisation qu’apportent les Belges n’aurait réalisé grand’chose, s’il n’était fait des efforts positifs pour lever effectivement ces obstacles à l’émancipation du Rwanda intégral.

 

1. –Objections prétextées contre la promotion muhutu

                Contre l’ascension du Muhutu, nombreuses sont les objections qu’on présente. Sans ignorer les déficiences du Muhutu, nous pensons que chaque race et chaque classe a les siennes et nous voudrions une action qui les corrige au lieu de refouler systématiquement les Bahutu dans une situation éternellement inférieure. On prétexte spécialement :

a) «Que les Bahutu furent chefs dans le pays.» Anachronisme raffiné que le présent ne peut confirmer suffisamment.

b) « Les vertus sociales du Mututsi qui le présenteraient comme natus ad imperium ! » - La même vertu peut être présentée autrement par un Italien que par un Allemand, par un Anglais que par un Japonais, par un Flamand que par un Wallon.

c) « Qu’on fait les Bahutu évolués pour l’ascension de leurs congénères ? ? » - C’est une question d’atmosphère et du buhake particulièrement qui a souvent influencé le système des nominations. Ensuite, le manque de liberté suffisante d’initiative dans une structure absolutiste, l’infériorité économique imposée au Muhutu par les structures sociales, les fonctions systématiquement subalternes où ils sont tenus, handicapent tout essai du muhutu pour ses congénères.

d) « Que diable ils présentent leurs candidatures ou attendent que le complexe d’infériorité soit liquidé ». – Les candidatures supposent un sens démocratique, ou alors il faut ignorer ce que ce prétexte peut laisser entendre de tendance au buhake que les gens ont abandonné (sans pour cela abandonner le respect de l’autorité).

                A ce sujet, il faudrait rappeler la réflexion d’un hamite notable : «Il ne faudrait pas que les Bahutu soient élevés par les soins du blanc, mais par la méthode traditionnelle du Mututsi » Nous ne pensons pas que l’ancien ennoblissement soit une pratique à ressusciter dans la rencontre Europe-Afrique.

e) « Et les foules suivront. » - L’interaction élite-masse est indéniable, mais il conditionne que l’élite soit de la masse. Au fond du problème il s’agit d’un colonialisme à deux étages : le Muhutu devant supporter le hamite et sa domination et l’Européen et ses lois passant systématiquement par le canal mututsi (leta mbirigi et leta ntutsi) ! La méthode de la remorque « blanc-hamite-muhutu » est à exclure. Des exemples ont pu montrer que « les foules » ne suivent pas automatiquement toujours.

f) « L’union, condition de front commun et unique pour l’indépendance du pays, doit faire taire toutes les revendications bahutu.» - il est fort douteux que l’union de cette manière, le parti unique, soit vraiment nécessaire si en fait l’émancipation est fruit mûri – Ajoutons que la section de la population que le départ de l’européen pourrait réduire dans une servitude pire que la première aurait tout au moins le droit de s’abstenir de coopérer à l’indépendance autrement que par des efforts de travail acharné et de manifestations des différences qu'il lui semble nécessaire de soigner d’abord.

 

                                               II. En quoi consiste le problème racial indigène ?

D’aucuns se sont demandés s’il s’agit là d’un conflit social ou d’un conflit racial. Nous pensons que c’est de la littérature. Dans la réalité des choses et dans les réflexions des gens, il est l’un et l’autre. On pourrait cependant le préciser : le problème est avant tout un problème de monopole politique dont dispose une race, le mututsi ; monopole politique qui, étant donné l’ensemble des structures actuelles, devient un monopole économique et social ; monopole politique, économique et social qui, vu les sélections de facto dans l’enseignement, parvient à être un monopole culturel, au grand désespoir des Bahutu qui se voient condamner à rester d’éternels manœuvres subalternes, et pis encore, après une indépendance éventuelle qu’ils auront aidé à conquérir sans savoir ce qu’ils font. Le buhake est sans doute supprimé, mais il est mieux remplacé par ce monopole total qui , en grande partie, occasionne les abus dont la population se plaint.

                -Monopole politique. –Les prétendus anciens chefs bahutu ne furent que des exceptions, pour confirmer la règle ! Et les occasions qui permettaient même ces exceptions n’existent plus : il ne s’agit évidemment pas de rétablir la vieille coutume de l’ennoblissement des Bahutu. Quant aux fameux métissages ou « mutations » de bahutu en hamites, la statistique, une généalogie bien établie et peut-être aussi les médecins, peuvent seuls donner des précisions objectives et assez solides pour réfuter le sens commun auquel on se réfère pourtant pour bien d’autres choses.

                Monopole économique et social. – Les privilèges de son frère qui commande la colline ont toujours concouru à rehausser le mututsi privé. Certaines fonctions sociales furent même « réservées » à la noblesse et la civilisation actuelle, par l’administration indirecte, n’a fait que renforcer et quasi généraliser cette réserve. Le récent partage des vaches a bien montré la faiblesse de la propriété en fait de bétail au moins. La terre elle-même dans plus de la moitié du Rwanda – les régions les plus hamitisées – est à peine une vraie propriété pour l’occupant. Cette occupation en fait précaire n’encourage guère le travail et en conséquence les gens qui n’ont que leurs bras pour s’enrichir en sont désavantagés. NOUS LAISSONS SOUS SSILENCE LE SYST7ME DE TOUT GENRE DE CORV2ES ? SEUL MONOPOLE DU Muhutu, le Mututsi ayant ainsi toutes les avances pour promouvoir les finances à la maison.

Monopole culturel. – Encore une fois on pourrait contester la qualité des vrais hamites à quelques numéros ; mais la sélection de fait (opérée par le hasard ?) que présentent actuellement les établissements secondaires, crève les yeux. Des arguments ne manquent pas alors pour démontrer que le Muhutu est inapte, qu’il est pauvre, qu’il ne sait pas se présenter. L’inaptitude est à prouver ; la pauvreté et son lot dans le système social actuel ; quant aux manières, une plus grande largeur d’esprit serait à souhaiter. Demain on réclamera les diplômes et ce sera juste, et les diplômes ne seront en général que d’un côté, le Muhutu ne saura même pas le sens de ce mot. Et si par hasard (la Providence nous en garde) une autre force intervenait qui sache opposer le nombre, l’aigreur et le désespoir aux diplômes ! L’élément racial compliquerait tout et il n’aura plus besoin de se poser le problème : conflit racial ou conflit social.

Nous croyons que ce monopole total est à la base des abus de tous genres dont les populations se plaignent.

Quelques faits et courants actuels peuvent faire entrevoir l’état réel d’aujourd’hui :

1) La jeunesse muhutu (quelques éléments batutsi complètement déchus ont aussi le même sort) qui a pour devise « In itineribus semper » à l’intérieur du pays ou à l’extérieur, fuyant le travail-corvée, non plus adapté à l’état et à la psychologie d’aujourd’hui, n’accepte plus ou à peine la discipline de la contrainte qui donne d’ailleurs occasion aux abus que les autorités semblent ignorer.

2) Des pères de familles qui nourrissent leurs familles à peine ; en politique une sorte de propagande, peut-être inconsciente, les pousse à l’antipathie à l’égard de l’Européen ;bon nombre ne sont pas sas penser que le Gouvernement Belge est lié à la noblesse pour leur complète exploitation.

3) D’autre part cependant, la réflexion comme celle-ci est encore courante : « Sans l’Européen nous serions voués à une exploitation plus inhumaine qu’autrefois, à la destruction totale. C’est même malheureux que ce ne soit pas l’Européen qui devienne chef, sous-chef ou juge. « Non pas qu’ils croient l’Européen parfait, mais parce que des deux maux il faut choisir le moindre. La résistance passive à plusieurs des ordres des sous-chefs n’est que la conséquence de ce déséquilibre et de ce malaise.

4) Le regret des Bahutu de voir comment les leurs sont refoulés quasi systématiquement à des places subalternes. Toute politique employée à ce refoulement n’échappe plus qu’à quelques-uns. De tout cela, à la guerre civile « froide » et à la xénophobie il n’y a qu’un pas. De là à la popularité des idées communisantes, il n’y a qu’un pas.

 

                               III. Proposition de solutions immédiates

Quelques solutions peuvent être présentées et dont l’efficacité n’est possible que si le système politique et social du pays change profondément et assez rapidement.

1) La première solution est u   « esprit ». Qu’on abandonne la pensée que les élites rwandaises ne se trouvent que dans les rangs hamites (méthode chérie en fait par l’Administration dans nos pays et qu’on appelle par abus de terme « Umuco w’Igihugu », le respect de la culture et de la coutume du pays »).

2) Aux points de vue économique et social. Nous voulons que des institutions soient créées pour aider les efforts de la population muhutu handicapés par, une administration indigène, qui semble vouloir voir le Muhutu rester dans l'indigence et donc dans l'impossibilité de réclamer l’exercice effectif de ses droits dans son pays. Nous proposons :

1° La suppression des corvées. – Les forçats seraient remplacés par un service de Travaux publics (public ou parastatal) engageant les ouvriers vraiment volontaires, qui seraient défendus par la législation sociale, dont le progrès actuel est considérable. Ce service pourrait se concevoir et se concrétiser comme la Regideso, pour autant que nous la connaissions. La suppression des corvées donnerait aux populations un minimum de liberté pour entreprendre des initiatives utiles. Des paresseux – il en est même dans les castes d’élites – seraient surveillés par un système plus humain.

La reconnaissance légale de la propriété foncière individuelle dans le sens occidental du mot, chacun ayant une superficie suffisante pour culture et élevage, et les bikingi (pâturages) de la bourgeoisie seraient supprimés du moins dans le sens ou la coutume les entend et les protège. Pour cette législation il faudrait qu’un service compétent détermine quelle superficie peut suffire à une famille de 6 à 8 enfants étant données les possibilités productives du sol du Rwanda-Urundi. Tous ceux qui disposeraient effectivement de cette superficie à l’heure actuelle seraient enregistrés par la sous-chefferie comme vrais propriétaires dans le sens occidental ; et le reste se fera peu à peu, aidé par le mouvement de déplacement qui s’amorce dans certaines régions du pays.

Au sujet de la propriété foncière, il ne faudra pas que les mesures soient prises trop rapidement, même sur proposition du Conseil du Pays, dont bon nombre des membres seraient tentés de voir le problème d’une façon unilatérale ou sans tenir compte des difficultés ou des aspirations concrètes des roturiers de métier.

Un Fonds de crédit rural. Il aurait pour but de promouvoir les initiatives rurales: agriculture rationnelle et métiers divers. Ce fonds prêterait au manant qui veut s'établir comme agriculteur ou comme artisan. Les conditions d'accession à ce fonds devraient cependant être telles qu'il soit abordable au Muhutu ordinaire.

L’union économique de l’Afrique belge et de la métropole. – cette union devrait se faire selon des normes à préciser et à proposer d’abord au public et aux responsables avant qu’elle ne soit sanctionnée.

5° La liberté d’expression. – L’on a parlé des effets dissolvants d’une certaine Presse locale, indigène ou européenne ou même métropolitaine, tendant à diviser les races. Nous pensons quant à nous que certaines exagérations ont pu avoir lieu comme dans tout journalisme, surtout à l’âge où en sont les pays considérés. Nous croyons aussi que certaines expressions ont pu blesser certains gens non habitués à être contrariés pour faire à l’ombre tout ce qu’il leur plaît avec les petits et les faibles. Cela a pu heurter un système à peine sortant de la féodalité. Nous croyons également que devant la liberté d’expression en Afrique belge et sur les problèmes concrets concernant les populations, ne datant pas sérieusement de plus de trois ans, certaines autorités non habituées à la démocratie et qui, peut-être, ne la souhaitaient guère, se soient émotionnées. Mais nous pensons aussi qu’il ne faut pas, sous prétexte de ne pas « diviser », taire les situations qui existent ou qui tendent à exister au préjudice d’un grand nombre et pour le monopole abusif en fait d’une minorité. Nous sommes convaincus que ce n’est pas la justice belge ni le Gouvernement belge qui accepteraient une union réalisée sur des cadavres d’une population qui veut disposer de l’atmosphère et des conditions nécessaires pour mieux travailler et se développer. Avant de demander la perfection à la presse, ne faudrait-il pas l’exiger des tribunaux indigènes, de l’administration qui sont de loin plus importants et qui ne donnent que trop d’occasions aux critiques de la presse ? La liberté bien entendue d’expression n’est-elle pas l’une des bases d’une vraie démocratisation ?

3) Au point de vue politique. Si nous sommes d’accord que l’administration mututsi actuelle participe de plus en plus au gouvernement du pays, nous pensons pourtant mettre en garde contre une méthode qui tout en tendant à la suppression du colonialisme blanc-noir, laisserait un colonialisme pire du hamite sur le Muhutu. Il faut à la base aplanir les difficultés qui pourraient provenir du monopole hamite sur les autres races habitant, plus nombreuses et plus anciennement, dans le pays. Nous désirons à cet effet :

1° Que lois et coutumes soient codifiées. Il est certain qu’il y a certaines coutumes qu’on ne peut pas supprimer d’un trait de plume, mais nous croyons qu’un respect presque superstitieux du fétiche « coutume » handicape le progrès intégral et solide des populations. Aussi, pour plus de clarté, d’égalité devant la loi, pour moins de confusion et d’abus, nous demandons que les lois portées par l’Autorité belge et les coutumes ayant encore vigueur utile, raisonnables et non imperméables à la démocratisation du pays soient recensées en un Code qui pourrait être régulièrement révisé et modifié suivant le degré d’évolution. Les travaux déjà réalisés par les savants et les législateurs dans l’une ou l’autre matière, facilitent la rapidité d’un travail si urgent. Les tribunaux et l’administration indigènes et européens, l’essor de l’initiative privée en tout domaine ont besoin d’un tel guide. Le brandissement du glaive de la coutume du pays (umuco w’igihugu) par les intérêts monopolistes, n’est pas de nature à favoriser la confiance nécessaire, ni établir la justice et la paix en face des aspirations actuelles de la population. Il faut recenser et codifier pour se rendre compte des déficiences réelles et les corriger pour favoriser d’avantage l’initiative privée qui se bute souvent aux absolutismes et aux interprétations locales dépourvues du sens social.

2° Que soit réalisé effectivement la promotion des Bahutu aux fonctions publiques (chefferies, sous-chefferies, juges). Et concrètement nous pensons qu’il est temps que les conseils respectifs ou les contribuables élisent désormais leurs sous-chefs, leurs chefs, leurs juges. Dans certaines localités jugées encore trop arriérées, le pouvoir pourrait proposer aux électeurs deux ou trois candidats parmi lesquels ils choisiraient leur guide.

3° Que les fonctions publiques indigènes puissent avoir une période, passée laquelle, les gens pourraient élire un autre ou réélire le sortant s’il a donné satisfaction. Un tel système, sans être raciste, donnerait plus de chances au Muhutu et ferait leçon aux abus d’un monopole à vie.

4° Le retrait des chefs de province des conseils de chefferie.

5° La composition du Conseil du pays par les députations de chefferie : chaque chefferie déléguant un nombre proportionnel à celui de ses contribuables, sans exclure les Européens qui auraient fixé définitivement leur demeure dans la chefferie. Nous ne croyons pas simpliste d’accepter les Européens, fixés définitivement dans la circonscription ; c’est, qu’établis de cette manière, ils ont des intérêts définitifs à défendre ; c’est que la législation doit devenir de plus en plus élargie et moins discriminatoire, et que les Européens sont tout au moins aussi utiles qu’un Mututsi établi dans la région.

Des mesures comme celles que nous proposons nous semblent essentielles si le Gouvernement veut baser une œuvre à venir et sans favoritisme. Nous pouvons comprendre que l’on parle de prudence mais nous croyons que l’expérience des fameux neuf cent ans de la domination tutsi et 56 années de tutelle européenne suffit largement et qu’attendre risque de compromettre ce que l’on édifie sans ces bases.

4)Au point de vue instruction. – Demain on réclamera les diplômes et ce sera de juste. Or jusqu’ici la sélection de fait au stade secondaire et supérieur crève les yeux. Les prétextes ne manquent pas bien entendu, et certains ne sont pas dépourvus de tout fondement: ils profitent d'un système favorisant systématiquement l’avancement politique et économique du hamite.

1°Nous voulons que l’enseignement soit particulièrement surveillé. Que l’on soit plus réaliste et plus moderne en abandonnant la sélection dont on peut constater les résultats dans le secondaire. Que ce souci soit dès les premières années, de façon que l’on ait pas à choisir parmi presque les seuls Batutsi en cinquième année. Il n’y a peut-être pas de volonté positive de sélection, mais le fait est plus important et souvent il est provoqué par l’ensemble de ce système de remorquage dont nous parlions plus haut. Il faudra que pour éviter la sélection de fait, caeteris aequalibus, s’il n’y a pas de places suffisantes, l’on se rapporte aux mentions de livrets d’identité pour respecter les proportions. Non pas qu’il faille tomber dans le défaut contraire en bantouisant là où l’on a hamitisé. Que les positions sociales actuelles n’influencent en rien l’admission aux écoles.

2° Que l’octroi des bourses d’études (dont une bonne partie est de provenance des impôts de la population en grande partie muhutu) soit surveillé par le Gouvernement tutélaire, de façon que là non plus les Bahutu ne soient pas le tremplin d’un monopole qui les tienne éternellement dans une infériorité sociale et politique insupportable.

3° Quant à l’enseignement supérieur, nous pensons que les Etablissements se trouvant dans l’Afrique belge suffisent, mais qu’il faut y faire admettre le plus grand nombre possible, sans s’opposer toutefois à ce qu’il y ait des éléments – très capables qui suivent des spécialités – dans les universités métropolitaines.

Quant à l’université au Rwanda, il faudrait ne pas dilapider un budget que l’on dit déficitaire et monter d’abord l’enseignement professionnel et technique dont le Pays n’a pratiquement rien, alors que cet enseignement est à la base de l’émancipation économique. Il ne faut pas seulement obstruer systématiquement l'entrée dans les universités d'Europe à des candidats triés sur le volet et envisageant des spécialités immédiatement utiles au pays.

                4° Que l’enseignement artisanal, professionnel et technique sur place soit, pour la période qui s’annonce, le premier souci du budget. Que cet enseignement soit le plus vite possible généralisé. Cet enseignement doit cependant être autant que possible à peu de frais pour permettre aux fils du peuple d’y accéder. Nous remarquons en effet que les quelques essais d’installations artisanales semblent destinés à recevoir le trop-plein de la jeunesse mututsi qui n'a pas de places ou capacités pour entrer dans le secondaire.

                Nous souhaitons qu’incessamment et tant qu’on se prépare à la mise en marche de l’appareil professionnel et technique, chaque chefferie soit munie d’un centre élémentaire de formation rurale d’au moins deux ans où l’on prolonge l’enseignement primaire (appliqué à la vie) et surtout où l’on exerce à un métier manuel les enfants n’accédant pas au stade secondaire. C’est pour nous, au point de vue enseignement, l’objectif principal que nous assignerions aux C.A.C. qui sont, somme toute, alimentées par les impôts en grande provenance muhutu. Les crédits aux Biru (tambourineurs des Cours) et aux danses qui recruteront normalement parmi la Noblesse, n’ont pas l’air de prouver que « c’est l’argent qui manque ».

                5° Que les foyers sociaux populaires soient instaurés et multipliés à l’adresse des jeunes femmes et jeunes filles du milieu rural qui, vu les finances réduites, ne peuvent accéder aux aristocratiques écoles ménagères ou de monitrices. L’équilibre de l’évolution familiale du pays exige la généralisation de cette éducation de base.

                En résumé, nous voulons la promotion intégrale et collective du Muhutu ; les intéressés y travaillent déjà, dans les délais qui peuvent leur laisser les corvées diverses. Mais nous réclamons aussi une action d’en haut positive et plus décidée. La Belgique a fait beaucoup plus dans ce sens, il faut le reconnaître, mais il ne faut pas que son humanité s’arrête sur la route. Ce n’est pas que nous veuillions un piétinement sur place : nous sommes d’accord que le Conseil Supérieur Tutsi puisse participer progressivement et plus effectivement aux affaires du pays ; mais plus fortement encore, nous réclamons du Gouvernement tutélaire  et de l’Administration  tutsi qu’une action plus positive et sans tergiversations soit menée pour l’émancipation économique et politique du Muhutu de la remorque hamite traditionnelle.

                Dans l’ensemble, nous demandons à la Belgique de renoncer à obliger en fait le Muhutu à devoir se mettre toujours à la remorque du Mututsi. Que par exemple dans les relations sociales, on abandonne d’exiger (tacitement : bien entendu) du Muhutu pour être « acceptable »de se régler sur le comportent mututsi. Puisqu’on dit respecter les cultures, il faudrait tenir compte aussi des différenciations de la culture rwandaise. Le hamite peut en avoir une pratique qui plaise bien à l’un ou à l’autre égard, mais nous n’avons pas encore entendu que tous les autres noirs doivent d’abord passer par une hamitisation pour pouvoir tirer de l’occidental de quoi accéder à la civilisation. Il est difficile de démontrer la nécessité de remorquer perpétuellement le muhutu au hamite, la nécessité de la médiation perpétuelle de cette remorque politique, sociale, économique, culturelle.

                Les gens ne sont d’ailleurs pas sans s’être rendu compte de l’appui de l’administration indirecte au monopole tutsi. Aussi pour mieux surveiller ce monopole de race, nous nous opposons énergiquement, du moins pour le moment, à la suppression dans les pièces d’identité officielles ou privées des mentions « muhutu », « mututsi ». Leur suppression risque encore davantage la sélection en le voilant et en empêchant la loi statistique de pouvoir établir la vérité des faits. Personne n’a dit d’ailleurs que c’est le nom qui ennuie le Muhutu : ce sont les privilèges d’un monopole favorisé, lequel risque de réduire la majorité de la population dans une infériorité systématique et une sous-existence immédiate.

                C’est une volonté constructive et un sain désir de collaboration qui nous a poussés à projeter une lumière de plus sur un problème si grave devant les yeux de qui aime authentiquement ce pays ; problème dans lequel les responsabilités de la tutrice Belgique ne sont que trop engagées. Ce n’est pas du tout en révolutionnaires (dans le mauvais sens du mot) mais en collaborateurs conscients de notre devoir social que nous avons tenu à mettre en garde les autorités contre les dangers que présentera sûrement tôt ou tard le maintien en fait – même simplement d’une façon négative – d’un monopole raciste sur le Rwanda. Quelques voix du peuple ont déjà signalé cette anomalie ; la résistance passive, encore dans l’attente de l’intervention du Blanc tuteur, risque de s’approfondir devant les abus d’un monopole qui n’est plus accepté ; qu’elle serve d’ores et déjà d’un signe.

                Les autorités voudront donc voir dans cette brève note, en quelques sortes systématisés, les contrats d’idées et les désirs concrets d’un peuple auquel nous appartenons, avec lequel nous partageons la vie et les refoulements opérés par une atmosphère rendant à obstruer la voie à une véritable démocratisation du pays ; celle-ci, envisagée par la généreuse Belgique est vivement souhaitée par la population avide d’une atmosphère politico-sociale viable et favorable à l’initiative et au travail pour un mieux-être et pour la promotion intégrale et collective du peuple.

 

 

Maximilien NIYONZIMA                               Godefroid SENTAMA

Grégoire KAYIBANDA                                 Silvestre MUNYAMBONERA

Claver NDAHAYO                                        Joseph SIBOMANA

Isidore NZEYIMANA                                    Joseph HABYARIMANA

Calliopé MULINDAHABI

…..

 

                                                 Tiré de :      

Assemblée Nationale Française, Enquête sur la tragédie rwandaise (1990-1994), T. 2

(les mots qui manquent dans le paragraphe 2 de ce document n’étaient pas lisibles dans le document de l’enquête Þ source : OVERDULVE C. M., RWANDA, Un peuple avec une histoire, Paris, L’Harmattan, 1997))

           

 



*  Voir annexe 1 : Neuf mois de tragédie à l’Est du Zaïre : Journal de l’Abbé NTIHABOSE Jean Berchmans, Naïrobi, 14 octobre 1997

** Les données publiées dans le Rapport sur Le Développement Humain 1997 (PNUD) montrent que l'espérance de vie des rwandais est passée d'une cinquantaine en 1990 à 23,1 ans en 1994.

* FPR: Organisation des réfugiés qui ont attaqué le Rwanda en octobre 1990. Cette organisation était presque exclusivement constituée par des éléments d'une seule ethnie (tutsi). On les appelle aussi FPR-Inkotanyi ou Inkotanyi ou Inyenzi-Inkotanyi ou encore Inyenzi tout court.

[1] Stephen Smith: Rwanda: enquête sur la terreur tutsi in Libération du 27 février 1996  (voir annexe 2)

** Toutes les plus hautes autorités issues de la diaspora tutsi se sont récompensées en occupant les infrastructures économiques ainsi que les logements trouvés sur place.

[2] Baudouin Paternoste de la Mairieu, Le Rwanda son effort de développement, Editions de Boeck, Bruxelles,1972

[3] Pendant le 19ème siècle, les rois tutsis ont renforcé leur domination. Au moment où le clan royal des Nyiginya dominait tout le pays, les tutsis, éparpillés entre les hutus, furent incorporés aux unités militaires du pouvoir central du clan royal, même s'ils ne faisaient pas partie de l'aristocratie. Ainsi, il s'est créé une sorte de caste militaire hiérarchisée qui comprenait tous les

tutsis et excluait les hutus. Il se dessinait une cassure qui se développerait au siècle suivant. La structure socio-économique qui s'était créée au 19ème siècle était totalement hiérarchisée. Les meilleures positions étaient occupées par les tutsis, avec seulement quelques exceptions pour les hutus, mais dans des positions inférieures. Tout au bas de la pyramide, il y avait les hutus, les twas et quelques tutsis restants. Vers la fin du 19ème s., une profonde scission séparait les riches et puissants des pauvres et des faibles. La dépendance des pauvres par rapport aux riches prenait diverses formes; deux structures de pouvoir se détachaient surtout: l'ubuhake et l'uburetwa. L'ubuhake, originairement des alliances avec des droits et des devoirs entre familles de la noblesse tutsi pour protéger leurs intérêts, avait converti cette aristocratie militaire en aristocratie terrienne d'éleveurs. En vertu de l'ubuhake, les paysans hutus devaient payer la moitié de leur récolte à l'umwami (le roi). Ceci contribua à l'appauvrissement de la population et accentua la scission entre le peuple hutu et la noblesse tutsi bénéficiaire de ce nouveau système économique.

Sur l'uburetwa, C.M. Overdulve dit littéralement: «L'immense majorité du peuple hutu était soumis à l'uburetwa, qui consistait en l'obligation pour chaque homme de travailler deux jours par semaine (et la semaine traditionnelle était seulement de cinq jours) au service du chef tutsi

et ceci sans être rémunéré. C'est l'umwami tutsi Kigeri IV Rwabugiri (1865-1895) qui l'aurait instauré et imposé aux cultivateurs hutus. En général, les tutsis étaient exempts de l'uburetwa, même s'ils n'appartenaient pas à la noblesse. Ainsi, ils ont acquis un statut de privilégiés par rapport à la grande majorité hutu. L'uburetwa était la manifestation la plus humiliante et la plus étendue de la soumission du peuple. Le poids de cette charge a été un obstacle énorme pour les hommes, interdits de travailler régulièrement et suffisamment leurs propres champs. Ce travail, donc, retombait en grande partie sur les femmes qui avaient déjà la lourde charge de la maison et des enfants. En outre, elles pouvaient également être appelées pour certains travaux à la maison du chef tutsi. Tout cela provoquait une situation de misère sans précédent ; ils avaient beaucoup de difficultés pour nourrir la famille et ils vivaient sous la menace constante de la faim.» Mais dans les familles et les ménages hutu, le soir autour du feu de bois, pendant le repas de haricots, le grand-père ou le père racontait une autre histoire, la chronique familiale, qui remontait à plusieurs générations, transmise de père en fils. C'est l'histoire qui dit comment, peu à peu, le lignage perdait son autonomie et sa dignité, une histoire d'humiliation et d'oppression croissantes de la part des seigneurs et maîtres, les Tutsi de toutes les couches, de haut en bas. Cette tradition orale explique les sentiments profondément enracinés de frustration et d'humiliation des Hutu envers les Tutsi. Ces sentiments se sont accumulés au cours des siècles, bouillon de culture d'une haine inconsciente mais toujours en veilleuse, qui fait partie de l'inconscient collectif du Hutu, transmise, chaque fois renforcée, de génération en génération. Les Tutsi, eux, ne connaissent bien sûr pas ces sentiments de frustration et d'humiliation. Ils ont un inconscient collectif formé par des siècles de pouvoir et de supériorité. lls n'ont aucune idée de ce qui vit dans l'âme des Hutu. On peut d'ailleurs se demander si l'Européen ne s'est pas reconnu dans une certaine mesure dans cet état d'esprit des Tutsi, ce qui expliquerait que l'Européen moyen éprouve un sentiment spontané de sympathie pour eux. Il est pour le moins

frappant que presque tous les mariages mixtes soient des mariages entre Européens et Tutsi et très rarement entre Européens et Hutu.» " Texte tiré de l'article sur Internet"L'Afrique des Grands Lacs: Dix ans de souffrance, de déstruction et de mort" par Joan Casoliva, Joan Manresi, Majorque, Janvier 2000

 

 

[4] Erny P., Le Rwanda 1994, clés pour comprendre le calvaire d’un peuple, L’Harmattan, 1994

* Les premières années de la première République se sont caractérisées par des attaques meurtrières des tutsi-inyenzi. La région de Ruhengeri et Gisenyi (NORD) étant naturellement habitée par des hutu seulement, le président Kayibanda avait jugé bon de recruter la majorité des militaires dans cette région des bahutu. Le reste du pays était habité par des couples avec une identité ethnique plus ou moins mixte. Ce recrutement massif d'une armée nationale dans une seule région habitée par des hutu se faisait dans l'idée de renforcer la sécurité nationale menacée par des inyenzi. En créant une armée formée majoritairement par des hutu, il avait ainsi l'espoir de bien mâter ces tutsi-inyenzi. Après quelques années, la garde nationale était presque formée par les officiers du NORD seulement. C'est ainsi qu'a commencé la menace d'un coup d'Etat. Ces officiers voulaient aussi s'approprier le pouvoir politique. Ayant remarqué ce danger, le pouvoir essaya de fondre la Police Nationale dans la Garde Nationale. La police nationale était formée par des éléments de tout le pays, ce qui permit d'équilibrer les effectifs du point de vue  régionale. Mais c'était trop tard. Les officiers du NORD étaient décidé à faire ce coup d'Etat. Kayibanda essaya même de disperser ces officiers à la campagne en les nommant aux postes de directeur des usines à thé, ou directeur des établissements d'enseignement secondaires, mais ce fut en vain. Ils étaient fort tellement que la menace était plus que réelle. C'est pourquoi, les occidentaux qui accusent le Président Kayibanda de n'avoir rien fait lors des massacres des étudiants par exemple à Kabgayi en 1973 alors qu'il était chez lui, ou encore que ce putsch a été bien accueilli par la population, n'ont rien compris ou ne veulent rien comprendre. En cautionnant une "Garde Nationale hutu" plutôt régionaliste, Kayibanda avait créé un danger insurmontable qui allait coûte que coûte se retourner contre lui. Il est à noter que c'est son chef des renseignements (Kanyarengwe A.) qui fut le cerveau  de ce coup d'Etat. Par ailleurs, certains accusent le président Kayibanda d'avoir mis dans son dernier gouvernement six ministres de sa préfecture Gitarama. Cela constituait évidemment un acte politique de frustration des autres régions du pays, mais ce n'était pas suffisant pour déclencher un coup d'Etat aussi sanglant que les rwandais l'ont connu. D'ailleurs, sous le régime qui a suivi, la répartition des postes politiques et administratives selon les préfectures s'est empirée. A un certain moment du régime Habyarimana, la préfecture de Ruhengeri avait 7 ministres. Cette raison n'était donc pas valable pour arriver à un putsch.

*  Kanyarengwe A., il est sorti dernier de la première promotion de l'école des officiers rwandais (EO) dont le major était Habyarimana. Il fut ensuite parachuté au grade de colonel des FAR (forces armées rwandaises) et donc dignitaire du régime Habyarimana. Il a combattu des inyenzi (FPR des années 60) et c'est pourquoi les rwandais le reconnaissait comme quelqu'un qui avait participé à sauver plusieurs vies de ses semblables hutu. Etant devenu prématurémént chauve, il se vantait que c'est à cause des tirs des inyenzi que ses cheveux étaient disparus et que de son vivant, il ne composera jamais avec les tutsi. Pourtant, lors d'une réunion avec les dignitaires du régime tutsi dans le village URUGWIRO, sous pretexte qu'il serait UMUNYIGINYA, il nia formellement son identité hutu. Originaire de la préfecture de Ruhengeri, il est considéré comme le principal auteur du putch qui a porté Habyarimana au pouvoir. Accusé de conspiration par ce régime, il fuit le Rwanda en 1981. Récupéré soudainement par le FPR dans les années 90, il sera malicieusement utilisé comme le chairman (figurant) de ce parti, mais le vrai chef était KAGAME. Malgré son âge avancé et en récompense de ses actes de confession,  les tutsi lui donnèrent en second mariage leur fille (tutsi) qu'il épousa en 1996. Après ce mariage, il fut vite écarté de la sphère d'influence du FPR.

[5]  Voir texte intégral, annexe 4

[6]  Chrétien J. P., Le défi de l’intégrisme ethnique dans l’historiographie africaine, Le cas du Rwanda et du Burundi, in Politique Africaine, 1992

[7]  Lugan B., Afrique Bilan de la décolonisation, Collection Variétés et Légendes, Perrin , 1996

[8] Peemans J. P., Notes du cours SPED 3220: Méthodologie intégrée et comparative des processus et problèmes de développement en rapport avec la population et l'environnement, Université Catholique de Louvain, Louvain La Neuve, 1995 

[9] Higiro J.M.V., Distorsions et omissions dans l'ouvrage "Rwanda. Les médias du génocide" in Dialogue n° 190, Avril-Mai, 1996

*  SINDIBONA fut l'un de ces victimes hutu dont les organes génitaux servirent à orner ce tambour (Kalinga). Quelle horreur!

* Ce sont ses semblables hutu qui, voyant ses conditions économiques s'améliorer comme celles des dirigeants tutsi, considéraient qu'un hutu était arrivé à un autre stade de vie: celui des tutsi. Dans la sphère des tutsi, malgré qu'il était devenu riche comme eux, il restait foncièrement hutu.

 

* * Le 17 mai 1958,  en réponse au Manifeste des BAHUTU, les dignitaires TUTSI de la cour rédigèrent un écrit dont les extraits sont ci-après:

«L'ancêtre des BANYIGINYA est KIGWA arrivée à RWANDA (rwa GASABO) avec son frère nommé MUTUTSI et leur sœur NYAMPUNDU....»

«Le pays était occupé par les BAZIGABA qui avaient pour roi le nommé KABEJA...»

«Les relations entre les sujets de KABEJA et la famille KIGWA furent tellement fortes que ces derniers abandonnèrent leur premier maître et se firent serviteurs de KIGWA.»

«L'affaire en étant ainsi jusqu'alors, l'on peut se demander comment les Bahutu réclament maintenant leurs droits au partage du patrimoine commun. Ceux qui réclament le partage du patrimoine commun sont ceux qui ont entre eux des liens de fraternité. Or les relations entre nous (Batutsi et eux (Bahutu) ont été de tous temps jusqu'à présent basées sur le servage; il n'y a donc entre eux et nous aucun fondement de fraternité. En effet, quelles relations existent entre Batutsi, Bahutu et Batwa?»

«Les Bahutu prétendent que Batutsi, Bahutu et Batwa sont fils de KANYARWANDA, leur père commun. Peuvent-ils dire avec qui Kanyarwanda les a engendrés; quel est le nom de leur mère et de quelle famille elle est?»

«Les Bahutu ont prétendu que Kanyarwanda est notre père commun, le «Ralliant» de toutes les familles, Batutsi, Bahutu et Batwa: or Kanyarwanda est fils de Gihanga, de Kazi, de Merano, de Randa, de Kobo, de Gisa, de Kijuru, de Kimanuka, de Kigwa. Ce Kigwa a trouvé les Bahutu dans le Rwanda. Constatez donc, s'il vous plaît, de quelle façon nous, Batutsi, pouvons être frères des Bahutu au sein de Kanyarwanda, notre grand-père.»

«L'histoire dit que RUGANZU a tué beaucoup de «Bahinza» (roitelets). Lui et les autres de nos rois ont tué des Bahinza et ont ainsi conquis les pays des Bahutu dont ces Bahinza étaient rois. On en trouve le détail dans «l'Inganji Kalinga». Puisque donc nos rois ont conquis les pays des Bahutu en tuant leurs roitelets et ont ainsi asservi les Bahutu, comment maintenant ceux-ci peuvent-ils prétendre être nos frères?»
                                                                   Signé :

    KAYIJUKA
         SERUKAMBA
                 RUKEMAMPUNZI
  MAZINA
RWESA
       SEBAGANJI
         RUZAGIRIZA
     NDAMAGE
    SEZIBERA
    SEKABWA
             NKERAMIHETO
        SHAMUKIGA

 

 

[10]  Erny P., Le Rwanda 1994, clés pour comprendre le calvaire d’un peuple, L’Harmattan, 1994

[11] Vidal C, La désinformation en histoire: Données historiques sur les relations entre hutu, tutsi et twa durant la période précoloniale, in DIALOGUE, n° 200, Imprimerie Litt, Bruxelles, Septembre-Octobre 1997

[12] Vidal C, La désinformation en histoire: Données historiques sur les relations entre hutu, tutsi et twa durant la période précoloniale, in DIALOGUE, n° 200, Imprimerie Litt, Bruxelles, Septembre-Octobre 1997

[13] Ibidem

[14] Higiro J. M. V., Génocide au Rwanda: Responsabilité individuelle ou collective? In Dialogue n° 200, sept.- oct. 1997

*  Chiffre publié par le quotidien flamand "De standard" du 8/11/1995 selon l'interview de l'ex-premier ministre Faustin Twagiramungu sur la tragédie rwandaise

**  PHILLIPOT J. , Les irrégularités du tribunal pénal international pour le Rwanda in La Tribune du réfugié rwandais, n° 04/5 novembre-décembre 1995

*** Akazu: petit cercle formé par des (ir)responsables politiques et militaires issus essentiellement de la famille présidentielle de Habyarimana et de son proche entourage

* Un groupe d'officiers qui a signé le coup d'état militaire du 5 Juillet 1973 se nomma dans la suite: "camarades du 5 juillet". Ils étaient dix.

[15] La mesquinerie qui a caractérisée cette guerre montre encore son caractère ethnique. En effet, au moment où des innocents tombaient sous les balles des deux antagonistes, plusieurs personnes, toutes ethnies confondues, avaient pu trouver refuge ou à l'Hôtel des Mille Collines ou au stade national AMAHORO à Remera. Malheureusement, les deux camps en ont profité pour montrer leur barbarie. C'est ainsi que les hutu qui s'étaient réfugié à Remera furent pris comme des otages du FPR. Les tutsi qui étaient à l'Hôtel des Mille Collines reçurent le même sort du côté des interahamwe. Ce n'est que vers la fin de la guerre, grâce à la médiation des Nations Unies, que les otages furent relâchés et reconduits successivement: les tutsi dans la zone alors occupée par le FPR (zone tutsi !) et les hutu dans la zone encore libre des combats (zone hutu !). Plusieurs disparitions furent déplorées des deux côtés.

[16] Libération du 28 février 1996

* Parmi les chefs de l'AKAZU (noyau dur du pouvoir) morts dans l'attentat contre l'avion présidentiel, on peut citer entre autre la major Bagaragaza: officier-gorille du président, le docteur Uwimana: médecin personnel du président; le colonel Sagatwa: beau-frère et secrétaire particulier du regretté président, etc.

[17]  Lettre des détenus d’Arusha adressée aux hauts responsables de ce monde, Arusha, janvier 2000, annexe I, p. 15

* Mukagasana Interview télévisée par la RTBF

[18] République Rwandaise, Recensement Général de la Population et de l’Habitat, Kigali, 1978

[19] République Rwandaise, Recensement Général de la Population et de l’Habitat, Kigali, 1991

[20] Office National de la Population  (ONAPO ), Le problème démographique au Rwanda et le cadre de sa solution, vol. 1, Kigali, 1990

[21]  Mafikiri Tsongo, A, La problèmatique fonçière au Kivu montagneux (Zaïre), cahiers du CIDEP 21, Academia, l’Harmattan, septembre 1994.

[22] Mukamanzi M., Politique d’émigration et croissance démographique du Rwanda, UCL, Département de démographie, Louvan-la-Neuve, 1982, 164 p.

[23] Chiffres donnés par Guichaoua A. et repris par F. Reyjeints in l'Afrique des Grands Lacs en crise, Karthala, 1992

[24]  République Rwandaise, Ministère de la Réhabilitation et de l’intégration Sociale, Problèmes du rapatriement et de la réinstallation des réfugiés rwandais- propositions de solutions, 1994

[25]  Reyjeints F., L’Afrique des Grands Lacs en crise, Karthala, 1992

* Chiffres donnés par USAID et repris dans IJAMBO: L’Afrique des Grands Lacs en feu, n° spécial, mai 1995

[26] Jusqu’en 1990, seul le Rwanda avait ratifié cet accord. Lors de la réunion de cette ratification, les tutsi burundais s’étaient particulièrement montrés insolents à l’égard des Zaïrois, ce qui a empêché la ratification. Actuellement, on comprend mieux le pourquoi de cette insolence. Les tutsi burundais craignaient la libre circulation entre le Rwanda et le Zaïre (à majorité bantou). Maintenant que les tutsi du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda ont attaqué le Zaïre, ils vont probablement créer une nouvelle  CEPGL et ratifier le traité entre eux (tutsi). A suivre.

[27]  Gasana K.J., La guerre, la paix et la démocratie au Rwanda in Les crises politiques au Burundi et au Rwanda, sous la direction de Guichaoua A., Université de Lille I, 1995

* L'Ouganda n'est pas le premier pays en effectif qui hébergeait les réfugiés tutsi, mais par contre, c'est lui qui hébergeait la totalité des combattants au début de la guerre. C'est de là que les inyenzi-inkotanyi ont lancé la première attaque sur le poste de douane de GATUNA en octobre 1990.

[28]  Nzisabira J.: Accumulation du peuplement rural et ajustements agro-pastoraux au Rwanda, cahiers du cidep, n° 1, Louvain-la-Neuve, juin 1989

* Actuellement, ces chiffres sont à prendre avec quelques réserves, étant donné que la guerre déclenchée en 1990 et qui a atteint son paroxysme de destruction du pays en 1994 a emporté plusieurs vies humaines. Sans aucun recensement préalable, ces chiffres ne seraient considérés qu’à titre indicatif. On estime à plus d’un million de personnes tuées par cette guerre.

[29] Une nouvelle sous-préfecture de NYAGATARE dont la quasi-totalité de la population est venue de l'Ouganda  et donc formée par les tutsi ougandais, a été créée  en 1976. La préfecture UMUTARA a été créée aussi dans le même cadre.

[30] République Rwandaise, Ministère du Plan, IIIe Plan de Développement Economique Social et Culturel, Kigali ,  1991

[31]  Ibidem

[32]  The Futures Groups, Population et Environnement au Rwanda, Washington, Août 1991

[33]  F. Clément, To Tjolker, Gestion stratégique des territoires, l’Harmattan, 1992

* Le président Kayibanda considérait la chose publique à sa juste valeur. Il lui arrivait de prendre une VW (la coccinelle) pour effectuer ses voyages à l'intérieur du pays.

[34] Rutumbu J., Le refus des différences et la christianisation au Rwanda in Dialogue n° 179, 1994

[35]  République Rwandaise, Ministère du Plan, Bulletin statistique n° 19, sepembre 1991

* Le FDC (Forces Démocratiques de Changement): organisation qui regroupait les partis politiques MDR, PL et PSD

* En réalité, le terme hutu moderé utilisé par les occidentaux ne veut rien dire. En effet, derrière le terme hutu ne se cache aucune forme d'idéologie. Peut-être que les enfants nés des parents hutu et tutsi peuvent se réclamer de moderés à cause de leur croisement ethnico-parental (abahutsi), mais ici aussi, leur modération serait plutôt biologique qu'idéologique. Elle n'aurait pas de place dans le cas qui nous préoccupe. Les étrangers devraient donc comprendre qu'on est hutu, tutsi ou twa le plus souvent par parenté. Donc, on est hutu ou on ne l'est pas.

* La quasi totalité des officiers des forces armées rwandaises était formée exclusivement par les militaires issus des deux préfectures: Gisenyi et Ruhengeri. Interrogé à ce propos par les journalistes, le président Habyarimana avait d'ailleurs répondu que les militants des autres préfectures ne semblaient pas  aptes à ce métier. Ainsi, selon les privilèges qu'on leur accordait, certains officiers et sous-officiers n'avaient jamais été sur le champ de bataille. Pourtant, la guerre faisait rage dans le Nord du pays depuis trois ans. Cette situation des privilégiés du régime se rencontrait aussi dans l'administration publique. Un cas parmi tant d'autres est celui de la diplomatie rwandaise, où la représentation de ces deux mêmes préfectures était assurée à presque 100 %, la préfecture de Ruhengeri se taillant la part du lion. Face à la guerre médiatique que les inyenzi avaient engagée en parallèle avec la guerre des canons, il a fallu que le peuple rwandais s'élève et dénonce fermement la médiocrité de la diplomatie rwandaise pour que le président Habyarimana reconnaisse cette situation.

*  Cette planification s'explique d'ailleurs par des massacres des opposants politiques directement après l'assassinat du président Habyarimana. C'est justement après avoir massacré ces opposants politiques, dont la presque totalité était d'ailleurs des hutu, que le vent mortuaire s'est abattu sur la population tutsi.

* Les massacres ont touché tout le monde comme une tempête dans un océan. A un certain stade des massacres, les interahamwe, qui étaient dans plusieurs quartiers, considéraient les gens qui fuyaient la ville comme des déserteurs. Ils se considéraient eux-mêmes comme des résistants.

* Après l'attentat contre l'avion de Habyarimana, la garde présidentielle ainsi que les inyenzi-inkotanyi ont commencé de massacrer les gens. Monsieur Kambanda, tout comme plusieurs autres hutu qui habitaient le quartier où était cantonné le contingent FPR et ses environs, avait trouvé refuge dans le camp de la gendarmerie de Kacyiru. Quand les militaires sont venus le chercher pour assumer la fonction de premier ministre, il semble qu'il a dit ses adieux à ses proches et depuis lors, tout le monde le croyait disparu pour de bon. Jusqu'à sa nomination officielle à ce poste, il suivait donc peureusement les massacres comme tous ses voisins. Sans toutefois vouloir être l'avocat du diable, cela diminue irrémissiblement la probabilité de sa participation dans la programmation du génocide.

*  La commission d'enquête parlementaire belge sur le Rwanda a révélé que la Belgique était bien informée, heure par heure, sur tout ce qui se passait dans le pays. Presque tous les agents belges affectés à la coopération au Rwanda jouaient aussi le rôle d’informateurs officiels du gouvernement belge.

[36] Articulation de l'Impératif Urbain avec le Développement Régional, H. B. CHAABANE, CYIZA P. et al., Miniplan, Kigali, Novembre 1992

**  On a difficilement compris et digéré, comment dans un délai de moins d'un mois après la reprise des combats d'avril 1994, toutes les casernes des FAR situées à GABIRO, RWAMAGANA, HUYE (Kibungo), GAKO, ..., avaient été occupées par le FPR et apparemment sans aucune moindre résistance.

***  L'embargo des armes contre le gouvernement Kambanda a été décrété unilatéralement par le Conseil de Sécurité de l'ONU dans la première moitié du mois de mai 1994. Le FPR occupait déjà une bonne partie du pays. Par ailleurs, il faut reconnaître que l'embargo des Nations-Unies n'a jamais inquiété aucun pays bien organisé. Même la Somalie qui, militairement avait directement à faire face aux américains a pu majestueusement se tirer d'affaire. Il y avait donc lieu de contourner cet embargo si les autorités militaires et civiles avaient été réellement responsables dans cette guerre.

[37]  Bézy F., Rwanda, Bilan socio-économique d’un régime 1962-1989, Etudes et Documents, Louvain la Neuve, 1990

[38]  Ibidem

[39]  République Rwandaise, Ministère du Plan, Cahiers économiques du Rwanda n° 4, Evolution de la situation économique du Rwanda 1988-1991 et tendances 1992, Kigali, 1992

[40]  Ibidem

*  Plusieurs témoignages dont ceux de l’ex-premier ministre Twagiramungu F. et de l’ordonateur-trésorier font état de la situation de gaspillage et de détournement des fonds publiques et cela tout juste après la prise du pouvoir par le FPR:

- réclamation par le Président d’un avion privé tout juste après la guerre alors que les caisses étaient presque vides;

- portraits du président de la République pour 160. 000 $ commandés en Ouganda sans passer par le marché public et cela dans le but de satisfaire à leurs alliés de guerre;

- soins de son épouse en Belgique pour 100. 000 $ et en Angleterre pour se faire soigner le dos pour 50.000 $;

- embellissement et extension de l’ancien résidence du président de la république pour 900.000.000 frw; achat de meubles en Afrique du Sud pour 100.000 $ alors que les mêmes meubles pouvaient être fabriqués localement;

- Prélèvements en devises effectués régulièrement sur le trésor public sur ordre du Ministère de la Défense et sans pièces justificatives (l'un d'eux en 1996 se chiffrait à 3.000.000 $ US dont le Ministère des Finances ignorait la destination); ...

Par ailleurs, le journal "Le Tribun du Peuple" n° 97 et 99 respectivement d'août et d'octobre 1997 accuse le gouvernement FPR de tous les maux: la corruption, le vol, la concussion, le népotisme, le favoritisme, l'appât du gain, l'esprit de cour, ...

* Plusieurs usines ont été démontées et transportées en Ouganda: usine à thé de Mulindi, SORWACI, etc...

[41]  Reyntjens, F., La crise dans le Région des Grands Lacs, l’Harmattan, 1994

[42] PNUD, Rapport Mondial sur le Développement Humain 1997

[43]  Ntavyohanyuma  P., Rapport sur la pauvreté au Rwanda, Centre IWACU, 1990

[44]  République Rwandaise, Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et des Forêts, Service Enquêtes et Statistiques Agricoles, Kigali, 1984

[45]  Lebrun O., Evaluation du projet PDAG-Gikongoro, 1990

[46]  Ibidem

[47]  République Rwandaise, Ministère du Plan, Ben Chaabane H., Cyiza P., Méthodologie d’élaboration de données sur le revenu rural des communes rwandaises, août 1992.

[48]  Marysse S., Ndayambaje E. et alii., Revenus ruraux au Rwanda avant l’ajustement structurel, Cas de Kirarambogo. Cahiers du CIDEP n° 19, Louvain-La-Neuve, 1994.

[49]  Mission de la Banque Mondiale sur la réintégration des réfugiés, avril 1994

[50]  King M., Elliot C.: Caïro: damp squib or roman candle? in The Lancet, vol. 344, 1994

* A titre d'exemple (tiré du cours SPED 3210 de Tabutin D.: Environnement-Développement-Population: problématique générale et perspectives d'intégration, UCL, LLN, 1995), les démographes  nous apprennent que dans le passé lointain, les hommes étaient relativement concentrés sur toute la planète avec des spécificités régionales évidentes. En 1600, l'Afrique était presque aussi peuplée que la Chine ou l'Inde (plus ou moins 100 millions d'habitants). Au fil du temps, la population africaine va régresser. Elle représentait 20 % de la population mondiale vers 1650, 12 % en 1750 et 6 % en 1900. Cette régression de la population africaine est due aux effets de la traite (25 millions de personnes) et de la colonisation (importation de maladies et d'épidémies, travaux forcés, ...). Le 19e et le 20e siècle vont marquer les changements majeurs dans l'histoire démographique de l'humanité. La situation en Afrique va se renverser au 20e siècle. L'homme va consciemment intervenir sur sa mortalité, sa fécondité et sur sa reproduction. C'est ce qu'on va appeler "modèle général ou théorie de la transition démographique". Ce concept de transition démographique désigne le passage d'un régime primitif d'équilibre à fortes fécondités et mortalités à un autre régime d'équilibre final, à faibles mortalités, fécondité et croissance. C'est le reflet des transformations sociales, économiques et culturelles de la population d'un pays, d'une région ou d'un continent dans le processus de la modernisation. Selon ce modèle (théorie de la transition démographique), toute société passe ou passera, par quelques 5 grandes étapes suivantes dans son histoire démographique:

- phase 1: le régime ancien ou pré-transitoire dans lequel la natalité et la fécondité sont élevées conduisant à une lente croissance de la population;

- phase 2: le début de la période de transition avec le déclin de la mortalité grâce à l'augmentation du niveau de vie avec toutes ses conséquences;

- phase 3: période de ralentissement de la croissance démographique suite au déclin de la natalité;

- phase 4: période post-transitoire où la natalité et la mortalité sont basses et voisines. La croissance naturelle est faible. C'est la situation actuelle de la grande partie des pays occidentaux;

- phase 5: phase finale où la natalité, qui est basse, oscillerait autour de la mortalité, conduisant à des accroissements tantôt légèrement positifs, tantôt négatifs.

La transition démographique paraît donc comme un processus universel, mais qui peut prendre bien des chemins selon les pays.

[51]  République Rwandaise, Office Nationale de la Population (ONAPO), Le problème démographique au Rwanda et le cadre de sa solution, vol. 1, Kigali, 1990

[52]  Ibidem

*  L'ex-ministre de Habyarimana, NZIRORERA Joseph ainsi que l'ancien colonel des FAR, NSEKALIJE Aloys tous deux reconnus pour leur mauvaise gestion de la chose publique, ont organisé des fêtes pour commémorer le milliardième franc de leur patrimoine.

[53]  Willame J. C., Aux sources de l’hécatombe rwandaise, cahiers africains n° 14, L’harmattan, 1995

[54]  Chrétien J-P., La crise politique rwandaise, in Génève-Afrique, vol. XXX, n° 2, 1992

[55] République Rwandaise, Ministère du Plan, Evolution de la situation économique du Rwanda 1988-1991 et tendance 1992, Kigali, 1992

[56]  Bézy F., Rwanda. Bilan socio-économique d’un régime 1962- 1985, Etudes et Documents, Louvain-La-neuve, 1990

[57]  République Rwandaise, Programme d’ajustement structurel, Document cadre de politique «économique et finançière à moyen terme (1990 - 1993), septembre 1990.

[58]  Castro F., La crise mondiale, Nouvelle société des éditions Encre, 1983

* Effectif calculé selon la formule Pt=Po*(1+r)^t. Cet effectif ne tient pas compte des massacres à grande échelle de la population civile hutu, perpétrés par le FPR après sa victoire.

[59]  République Rwandaise, Office National de la Population, Le problème démographique au Rwanda et le cadre de sa solution, vol. 1, Kigali, 1990

[60]  République Rwandaise, Office National  de la Population (ONAPO), Le problème démographique au Rwanda et le cadre de sa solution, Kigali, Mai 1991

* Banque Populaire: sorte de coopérative bancaire implantée dans tout le pays et fort soutenue par la Suisse avant la guerre. Au niveau administratif le plus haut, les banques populaires étaient gérées par un Conseil d’Administration. Chaque succursale avait son siège, ses agents et une liberté relative dans l’octroi du crédit à ses membres. Les banques populaires étaient solidaires entre elles et suivaient les règlements de la Banque Nationale du Rwanda (BNR).

[61]  République Rwandaise, Ministère du Plan, Banques de données communales et régionales

[62]  UNICEF, La situation des femmes et des enfants au Rwanda, Kigali, 1990

[63] Mouchel J. C. , Suret-Canale J. , La faim dans le monde, Editions sociales, Paris, 1975

[64] Uwizeyimana L., Les difficultés d’intégrer population et développement à partir de l’exemple du Rwanda in : Intégrer Population et Développement sous la direction de H. Gérard, Chaire Quetelet, L’Harmattan 1990

[65]  République Rwandaise: Programme d’ajustement structurel, Document cadre de politique économique et finançière à moyen terme, septembre 1990.

[66]  République Rwandaise, Ministère du Plan,  L’impératif urbain, Kigali, Novembre 1992

[67]  Uwizeyimana L., Les difficultés d’intégrer population et développement à partir de l’exemple du Rwanda in: Intégrer Population et Développement sous la direction de H. Gérard, Chaire Quetelet, L’Harmattan 1990

*  L'indicateur de la pauvreté humaine (IPH)  est un indicateur composite de la pauvreté qui tente d'appréhender la dégradation de la qualité de la vie sous ses différents aspects, afin de fournir un instrument homogène d'évaluation de la pauvreté dans une communauté donnée. Tout comme l'indicateur de développement humain (IDH) s'occupe du manque observé dans les trois domaines  essentiels  de l'existence humaine (Espérance de vie, alphabétisation, PNB), l'IPH s'attache aux déficits rencontrés dans trois domaines, eux-mêmes pris en compte par l'IDH:

            1° la durée de vie, caractérisée par les déficits en termes de longévité est représentée par le pourcentage d'individus  risquant de mourir avant l'âge de quarante ans.

            2° l'instruction est mesurée à travers le pourcentage d'adultes analphabètes et

            3° les conditions de vie. Il s'agit d'un sous-indicateur composite lui-même et comprend: l'accès aux services de santé, l'accès à l'eau potable et le pourcentage d'enfants de moins de quatre ans victimes de la malnutrition.

*  Les privatisations hâtives entreprises par les nouvelles autorités du FPR après la prise du pouvoir à Kigali semblent aller à l'encontre des intérêts de la grande masse paysanne rwandaise. En effet, il semble que les fonds recueillis, s'ils ne servent pas à remplir les poches de quelques individus, vont seulement dans le secteur de l'armement. Malgré l'insistance des institutions de Breton Wood d'accélérer les réformes, les dossiers des entreprises à privatiser devraient d'abord être mûris. Il reste que normalement, vous ne pouvez privatiser que ce qui vous appartient, ce qui n'est absolument pas le cas pour le FPR-inkotanyi.

[68]  République Rwandaise, Ministère du Plan, Articulation de l’Impératif Urbain avec le Développement Régional, B. H. Chaabane, Cyiza P. et alii, Kigali, 1992.

[69]  Ibidem

* Un exemple éloquent est celui d'un officier soi-disant supérieur du FPR qui a donné l'exemple en s'appropriant une imprimerie (PRINTER SET) ainsi qu'un très grand immeuble de rapport appartenant à un membre du MDR emprisonné et puis tué.

* La rentrée obligée des réfugiés hutu en 1996 a fait disparaître un bon nombre d'entre eux au Rwanda justement à cause de leurs biens et non pas à cause des massacres des tutsi qu'ils étaient présumé avoir commis. Cela a fait qu'un grand nombre des hutu qui avaient des biens à Kigali ont préféré rester à la campagne au lieu d'aller s'attirer des ennuies dans leurs biens de la Capitale.

* Déjà en 1995,, on avait procédé au recensement des occupants des biens de la Capitale, sans toutefois prendre d’autres mesures susceptibles de permettre aux anciens propriétaires de venir récupérer leurs biens.

* La zone turquoise s'étendait sur une partie (quelques communes) des préfectures de Kibuye, Gikongoro et Cyangugu. Sous l'initiative de la France, cette zone avait été créée par les Nations Unies après un débat controversé entre la mouvance qui voulait absolument la victoire militaire du FPR et celle qui était préoccupée par le sort des populations civiles. Sans toutefois vouloir nier que cette opération pouvait être bénéfique pour les FAR, il faut reconnaître qu'elle a été très utile pour la population de cette zone et c'est ça qui était important. Ceux qui soutenaient le FPR voyaient dans cette zone une barrière pour l'avancé de leurs troupes. Pourtant, il n'en était rien puisque les FAR étaient tout à fait désorganisés. Ils auraient sinon profité de cette zone pour créer des poches de résistance dans les montagnes de l'Ouest. Malheureusement, même après la guerre, le FPR et ses sympathisants continuent de regretter la création de cette zone qui a temporairement épargné les massacres FPR dans cette région. Il faut seulement retenir que cette zone a sauvé plusieurs vies humaines, aussi bien des hutu que des tutsi. L'avancé du FPR ayant été stoppée, la population hutu qui était dans cette zone a freiné l'exode vers l'extérieur. Bien que le sort des hutu réfugiés dans la zone turquoise était difficile à envier, celui des hutu partis à l'extérieur était pire. Il n'a jamais été éclairci et ne le sera peut être jamais (génocide par la faim, les maladies et l'agafuni). La critique de la France d'avoir été l'initiateur de ce projet ou encore d'être intervenue tardivement montre encore une fois que les spécialistes du Rwanda ou bien sont mal intentionné ou ne sont pas nombreux. Même pour sauver une seule vie humaine, mieux vaut tard que jamais.  Il faut savoir que bien avant le déclenchement des hostilités du 6 avril 1994, les miltaires français avaient quitté le Rwanda sur demande officielle des tutsi-FPR et de leurs sympathisants (des tutsi de l'intérieur du Rwanda ainsi que des hutu des différentes factions des partis politiques pro-FPR). La question est de savoir pourquoi les autres pays ne sont pas intervenu avant la France alors que la situation était d'urgence. Incriminer la France dans cette intervention revient à innocenter la communauté internationale dans le drame rwandais, ce qui ne peut être fait que par les faux spécialistes du Rwanda. Ayant été considérée comme indésirable par une partie des rwandais (les tutsi), ce qui a d'ailleurs poussé ses militaires à quitter le Rwanda en 1993, La France devait prendre un peu de recul avant d'intervenir.

[70]  Ntezimana Laurien, Appeler les rwandais à la des-inversion, in Dialogue, n° 182, Bruxelles,avril 1995

[71]  Mission de la Banque Mondiale au Rwanda, Aide-mémoire, Avril 1994

* L'enquête internationale sur les massacres des réfugiés hutu aux Zaïre commandée par l'ONU après la victoire de la coalition internationale (armées monoethniques du FPR et du Burundi ainsi que l'Ouganda) de Kabila en 1997 a trop longtemps piétiné. Elle risque fort de rester lettre morte étant donné que les prétendus massacreurs (alliance de Kabila) étaient non seulement sous le commandement du FPR, mais aussi des américains. Ces derniers ont avoué qu'ils ont entraîné le FPR et les rebelles de Kabila dans cette sale aventure. Le rapport des enquêteurs onusiens sorti en juillet 1998 recommandait de traduire en justice les responsables de ces massacres devant un tribunal international. Comme on pouvait s'y attendre, le Conseil de sécurité, avec à la tête les USA, a directement recommandé que les responsables devront être jugés par les pays impliqués directement dans ces massacres c-à-d le Rwanda du FPR et le Congo de Kabila. Incroyable justice! Peut-on être présumé coupable d'un crime et être en même temps juge de ce crime? Quelle (ir)responsabilité des USA avec leur Conseil de Sécurité de l'ONU!

[72] Bourgui A., Une impuissance coupable, in Jeune Afrique n° 1870, 6 au 12 novembre 1996

*  L'identité de réfugié rwandais en Ouganda sous le régime Museveni est devenue comme une question de volonté. Comme Museveni lui-même est d'origine rwandaise, il pouvait bien se réclamer de nationalité rwandaise. Seulement, les privilèges de la fonction présidentielle ont fait qu'il a du choisir la nationalité ougandaise.

[73]  Nations Unies, Recueil des traités, vol. 189

[74]  Ibidem

*  Cinq ans après la victoire de l'Ouganda sur le Rwanda, MUSEVENI a révélé l'ampleur de son projet hégémonique en 1998. Il a émis le souhait de former un super-Etat dont certains départements ministériels comme celui de la défense seraient centralisés. Ce projet intégrerait l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie et le Kenya. Le Congo de Kabila a été volontairement omis, vu ses relations conflictuelles qui existaient entre le Rwanda et l'Ouganda en ce moment.

[75] Buijtenhuips R., Guerre de guérilla et révolution en Afrique noire: les leçons du Tchad, suivi d’une réponse de G. Chaliand in: Politique Africane I (1), Janvier 1981.

*  Plusieurs bailleurs de fonds ont financé le projet du FPR pour envahir le Rwanda. L’ex-premier ministre Faustin Twagiramungu dans le livre expliquant la fondation du parti « FRD », cite une institution finançière belge à qui le FPR a remboursé une bagatelle d’argent malgré le désaccord du Ministère Rwandais des Finances.

[76]  Gasana K. J., La guerre, la paix et la démocratie au Rwanda, in les crises politiques au Burundi et au Rwanda sous la direction de Guichaoua A., Université de Lille I, 1995

* Le retrait de la communauté internationale a été accentué par le départ des soldats belges qui assuraient la logistique de tout le contingent de la MINUAR. Cela faisait suite au massacre des dix soldats belges tués à Kigali le 8 avril 1994 alors qu'ils escortaient le premier ministre Agathe Uwilingiyimana , elle aussi tuée. Cette situation de haine anti-belge datait du début de la guerre en 1990. En effet, dès l'attaque du Rwanda par les inyenzi en 1990, le roi Bauduin, qui connaissait bien le problème rwandais, et qui, s'il était encore vivant en avril 1994, aurait probablement pu empêcher le génocide rwandais, avait directement dépêché des soldats belges à Kigali. Suite au conflit interne entre les partis politiques et surtout à la méconnaissance des réalités rwandaises par la nouvelle génération des dirigeants belges, il fut ensuite décidé le retrait de ces troupes alors que le FPR progressait dans le nord du pays. Ce fut un mauvais antécédent dans les relations belgo-rwandaises, surtout au niveau des habitants de KIGALI  qui ont jugé ce départ d'intelligence avec l'ennemi et donc comme une conspiration. Ce sentiment anti-belge va s'accroître quand le FPR va réclamer les belges pour faire partie des soldats de la MINUAR alors que pour signer les accords d'Arusha, il exigeait catégoriquement le départ du Rwanda des soldats français. L'attitude ambiguë de la Belgique dans le conflit rwandais s'explique ainsi par la non existence d'une politique belge en Afrique. Lors du débat du parlement sur l' intervention belge au Rwanda de 1994, l'ex-président du parti libéral J. Gol proposait trois options de politiques africaines à adopter: - être comme la France et développer la coopération tout en maintenant des soldats en permanence en Afrique, - abandonner la coopération en Afrique (ce qui est utopique) et enfin intervenir uniquement dans des actions de développement, laissant de côté tout ce qui pourrait s'immiscer dans la politique intérieure des pays africains. Jusqu'à la minute, aucune politique claire entre ces différentes options n'a été privilégiée. 

* Le Major Kagame , lors de sa première prestation de serment comme premier Vice Président dans l'histoire de la république rwandaise, a parlé uniquement en anglais.

* Tout le personnel des missions diplomatiques et consulaires accrédités à Kigali ainsi qu'une grande partie de la MINUAR [mission militaire des Nations Unies pour le Rwanda], ont plié bagage au moment des massacres de 1994. Puisqu'on savait qu'ils ne partaient pas définitivement, voulaient-ils partir pour ne trouver qu'un pays vide au retour?

 

* Par Président de la République, je veux dire un président élu démocratiquement par la majorité de la population. Les différentes manoeuvres politiciennes destinées à mettre au trône tel ou tel autre personne sont à prohiber (suffrage indirect, consensus entre les diverses forces politiques ou militaires, etc.). Nous considérons que des présidents arrivés au pouvoir de cette façon ne représentent que des forces qui les ont mis au pouvoir et ne peuvent jamais représenter leurs peuples. De tels chefs ne devraient régner que dans des situations extraordinaires de transition et pour une durée assez limitée ne dépassant pas toutefois une année. D'ailleurs, même pour les présidents élus démocratiquement, leur mandat devrait se limiter à une période bien précis et directement non renouvelable. Tout ceci se ferait dans le souci de préserver les grands principes de la démocratie.

[77]  Lettre des détenus d'Arusha  adressée aux hauts responsables de ce monde, Arusha, janvier 2000

[78]  Erny P., Rwanda 1994, Clés pour comprendre le calvaire d’un peuple, L’Harmattan, 1994

*  Ce problème existait aussi entre les régions précisément entre le Nord qui a accaparé tout après le coup d'Etat de 1973 et le Sud du pays. Toutefois, il faut reconnaître que dans un régime démocratique qui est le régime idéal à atteindre, le pouvoir est donné par le peuple et ne se partage jamais.

*  Le journal « Libération » du 27 février 1996 rapporte que lors d’une réunion des bailleurs de fonds du Rwanda, le PNUD (organisme de l’ONU chargé du développement) a proposé un « programme accéléré de construction de prisons » pour 30.000.000 $ US. Cette somme correspond à plus de 1/10 de tout le budget annuel national. Pour les autorités FPR , le développement serait-il synonyme de détention du nombre maximum de HUTU?

[79]  République Rwandaise, Ministère de la Réhabilitation et de l’Intégration Sociale, Problème du rapatriement et de la réinstallation des réfugiés rwandais- Propositions de solutions

[80]  Erny P., Rwanda 1994, Clés pour compredre le calvaire d’un peuple, l’Harmattan, 1994

*  Tous les hutu qui sont rentrés (ou ceux qui ont eu la chance de survivre), chassés des camps par le FPR ou par les pays hôtes ont dû faire une formation relative à la nouvelle politique du FPR. Les hutu retournaient dans les camps spéciaux installés pour l'occasion et le lavage des cerveaux se faisaient pendant deux mois. San cette formation, on ne pouvait rien demander dans l'administration publique et même sur le marché du travail privé.