NSENGIYUMVA Prosper

 

 

 

 

 

LE RWANDA après 1991 :

vers une crise généralisée du développement

        

 

 

 

 

 

    RWANDA: LA DESINTEGRATION D'UN ETAT OU D'UN PEUPLE    

 

 

 

            

 

 

 

 

 

         Contribution à la mise au clair du drame rwandais d'avril 1994

 

 

 

 

                                                  Janvier 1999

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

… Ce n’est ni sur les collines du Rwanda ou du Burundi ni dans l’indifférence de beaucoup de gens qu’il faut chercher les causes premières et les plus déterminantes de ce conflit, mais plutôt dans les grands centres économiques et financiers de notre planète ainsi que dans l’ambition de quelques uns (Juan Carrero Saralegui, Fondation S’Olivar, Majorque, Espagne).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentation

 

         Depuis plus de 30 ans de recouvrement de son indépendance en 1962, le Rwanda s’est lancé dans un combat de développement à travers lequel plusieurs obstacles ont été heurtés. Dans la mesure du possible, ils ont pu être évités. Il s’agit entre autres des contraintes physiques de son territoire, des contraintes économiques (peu de ressources naturelles), des contraintes géographiques (enclavement), des contraintes démographiques, etc. Depuis 1990, à ces obstacles s’est ajouté  la contrainte de la guerre. L’un des mobiles de cette guerre trouve sa source dans la lutte pour le pouvoir des différentes composantes de la société rwandaise et plus particulièrement  des deux plus grandes ethnies : les bahutu et les batutsi. Lancée par les inyenzi-inkotanyi en 1990, cette guerre a complètement détruit le Rwanda en 1994. Face à cette conjoncture, que pourra être l’avenir de ce pays ?

           

            Des milliers de vies humaines (toutes les ethnies confondues) ont trouvé la mort dans cette tragédie. Suite à la victoire des inyenzi-inkotanyi en juillet 1994, plusieurs hutu ont pris le chemin de l’exil. Ils vivaient dans des camps sous la bienveillance de la communauté internationale. La minorité politico-militaire tutsi au pouvoir à Kigali va les y chasser en octobre 1996. C'est le retour forcé et massif au pays des réfugiés hutu. Dans cette errance obligée et sans fin*, plusieurs milliers de hutu, surtout des femmes et des enfants vont y laisser leurs vies. C'est ce que les médias vont appeler "génocide par la faim et les maladies". Tous ces hutu rentrés au pays ont fait l'objet de tri et de disparitions nocturnes. Les autres ont été purement et simplement emprisonnés. La majorité de ceux qui étaient restés à l’intérieur du pays vivait dans un dénuement presque total. La plupart des biens matériels avaient été détruits sinon pillés. Les cultures industrielles, qui constituaient plus de 80 % des recettes en devises, avaient été délaissées. L’économie nationale, qui repose essentiellement  sur l’agriculture fut étouffée. L'inflation battit son record. Bref, le coût de la vie devint presque insupportable pour la majorité de la population.

 

                        A la question de la paupérisation généralisée de la population, aussi bien à la campagne qu’en ville, se greffent les problèmes de la santé et de l’éducation. En effet, avec une conjoncture économique qui était défavorable à l’évolution souhaitée de ces secteurs avant même la guerre, que peut-on dire de leur développement après la guerre ? Malgré l’attention portée au domaine du développement avant la guerre des inyenzi-inkotanyi (plusieurs projets de développement particulièrement ruraux), la moitié de la population restait toujours analphabète. Ce pourcentage a visiblement augmenté après la guerre. Il en était de même pour le domaine de la santé où malgré la quantité des infrastructures qui semblait être suffisante, l’équipement en matériel et en personnel médical laissait encore à désirer.  Selon les experts des Nations Unies**, la brièveté de la vie des ruandais, qui est l'un des critères principaux révélateurs de la pauvreté humaine, s'est énormément accentuée après la guerre.

 

            Sans aucun progrès dans le domaine social (intellectuel), il sera difficile d’arriver aux autres performances et transformations sociétaires. C’est tout le développement du pays qui est en jeu. Les pertes en ressources humaines ont été nombreuses (morts ou réfugiés) et tous les secteurs de la vie nationale ont été affectés. Pire encore, la victoire de la diaspora tutsi s’est accompagnée d’une insécurité généralisée dans tout le pays. Le peu de ressources encore disponibles ainsi que les aides étaient et restent principalement orientées vers l’achat des armes. Cette préoccupation d’un pays naturellement pauvre et qui à peine allait sortir de la guerre ne peut en aucun cas satisfaire aux exigences de son développement. 

 

 

        


                            TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION........................................................................................................

I. Aperçu général sur le Rwanda..........................................................

II. Evolution de la situation socio-politique.............................

- Succession des différents régimes politiques au Rwanda et critiques des  relations Hutu (Bahutu) - Tutsi (Batutsi) - Twa (Batwa)............................................................................................................

- La psychose nationale après le 5 juillet 1993..........................................................

- Les droits de l'homme et la république du FPR......................................................

- L'image du tribunal international pour le Rwanda..................................................

- Génocide des tutsi et/ou des hutu : interprétation malsaine des faits

 ou mauvaise foi des médias......................................................................................

III. La problématique générale du développement avant et après la guerre d’octobre 1990.....................................................................................................

2.1  Les différentes contraintes au développement national.....................................

2.2 Evolution générale de la population rwandaise...................................................

2.3 Dynamique général du peuplement rural.............................................................

a) Le mouvement  migratoire ruandais et la guerre des inyenzi-inkotanyi................

b) Organisation du peuplement sur le territoire.........................................................

2.4 Efforts de développement annihilés par la guerre du FPR..................................

a) Les travaux communautaires de développement - UMUGANDA.......................

b) la planification du développement communal.......................................................

c) Le développement du Rwanda et le surarmement................................................

- La démocratisation et la trahison du pays...............................................................

- Le mensonge et la désinformation..........................................................................

2.5 Situation du bien être de la population................................................................

a) Les principales tendances de l’économie...............................................................

b) Problème de développement ruandais face à l’agriculture et à l’alimentation......

- Etat général du problème agricole et de la pauvreté...............................................

- La corruption dans la haute sphère politique de la 2nde République........................

- Intervention des projets agricoles dans le développement......................................

c)Efforts de développement en matière d’éducation et de santé..............................

-Etat général de l’éducation au Rwanda...................................................................

- Importance de la scolarisation dans le développement du Rwanda.......................

- Situation en matière de santé..................................................................................

- La réalité du développement se trouve d'ailleurs..................................................

2.6 Dynamique de croissance/développement urbain..............................................

- Relations Ville-Campagne.....................................................................................

2. 7 Le problème ruandais face à d’autres pays africains de même crise................

- Les USA et leur projet hégémonique dans la région des Grands Lacs.................

IV. Conséquences de la guerre imposée au Rwanda par des    inyenzi-inkotanyi....................................................................................................................................

Conclusions et Recommandations...........................................................................

BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................

   Annexes                 


INTRODUCTION

 

            Depuis octobre 1990, le Rwanda a été en état de guerre qui a complètement paralysé tous les secteurs de son économie. Cette guerre a décimé des milliers de vies humaines. Dans les zones des combats des préfectures de Ruhengeri et Byumba, plusieurs civils hutu dont les enfants ont été froidement abattus par le FPR* et des femmes enceintes éventrées. Les déplacés de guerre de ces deux préfectures sont même arrivés à Kigali. La barbarie la plus inhumaine dans cette sale guerre a commencée le 6 avril 1994 avec l'assassinat du président Habyarimana. Hormis le flot des déplacés à l’intérieur du pays qui s'est intensifié, plusieurs personnes ont quitté les leurs et leurs biens pour s'exiler principalement dans les pays voisins.

 

            Entre temps les biens immobiliers et mobiliers  qu’ils avaient laissés ont été saisis. Ils ont été occupé par les anciens réfugiés tutsi venus d’Ouganda et du Burundi ainsi que par les étrangers (surtout les ougandais) qui avaient combattu de leur côté. L’occupation des biens des hutu aussi bien à la campagne qu’en milieu urbain s’est avéré un problème délicat pour la rentrée des anciens propriétaires. Ce problème d’occupation gratuite des biens d'autrui, qui s’est accompagné d’une insécurité grandissante, empêchait les propriétaires de rentrer sans garantie de sécurité. Cette situation était réellement préoccupante, car la rentrée massive des réfugiés hutu laissait supposer que les squatters tutsi, qui normalement ne disposaient pas d’autres biens au Rwanda, allaient être obligés d’évacuer les logements et autres biens saisis. Ils allaient ainsi devenir des sans abri alors qu'ils venaient de gagner la guerre. Cela ne s'est pas passé ainsi, puisque la remise des biens s'est effectuée selon la gentillesse des individus (occupants), cas par cas. Malgré la victoire des tutsi et de leurs alliés sur les hutu, leur terreur à l’intérieur du pays ne s’arrêta jamais. Vingt deux mois après cette victoire, on comptait déjà plus de 100.000 hutu[1] tués dans la clandestinité.

 

            Dans les villes, cette situation fut parti culière étant donné que presque toute la population civile avait fui les combats. Les villes désertées furent vite occupées par le vainqueur tutsi. Après la prise de la capitale en juillet 1994, on pouvait facilement affirmer que sa population, qui avait été dénombrée à 250.000 habitants en 1991, dépassait de loin les 300.000 habitants. Cette situation a été aggravée par le fait que les nouveaux venus tutsi ont été attiré par des immenses infrastructures mises en place par des  efforts inouïs des hutu depuis 33 ans d'indépendance. Même si les autorités FPR semblaient** inciter leurs membres à investir dans le secteur du bâtiment, ce sont les ONG étrangers qui ont fait le grand du boulot, surtout à la campagne. La guerre avait annihilé les espoirs de plusieurs investisseurs étrangers. 

 

            A ce problème de logement s’est ajouté celui de l’insécurité qui régnait dans tout le pays, spécialement dans le milieu rural. Signalons qu’une partie importante des agriculteurs s'était réfugiée à l’extérieur du pays. Il était plus que jamais nécessaire de faire revenir les gens dans leurs terroirs si on voulait réellement construire le pays. Ceci est assez important puisque toute l’économie du pays a été toujours basée sur l’activité agricole et comme partout ailleurs, c’est la campagne qui approvisionne la ville en ce qui concerne les produits alimentaires. Malheureusement, le retour de la population, qui était forcé, s'est fait avec beaucoup de victimes.

 

            Son retour a été forcé en 1996 soit par les pays hôtes (Tanzanie), soit par des attaques meurtrières des camps par le FPR (guerre au Zaïre). Sans toutefois présager sur le sort inquiétant qui attendait plusieurs d'entre eux, il fallait leur trouver des logements. Leurs maisons et leurs autres biens étaient occupés par les tutsi vainqueurs. Le problème de la propriété privée (foncière et non foncière) était devenu insoluble. Il fallait également arriver à satisfaire les besoins grandissants dans les autres secteurs tel que l’éducation, la santé, l’environnement, etc.

 

            Ainsi, une question se pose: quels sont les effets de cette guerre sur le développement du Rwanda? Ceci demande d’examiner l’évolution des différents secteurs de développement socio-économiques et culturels du pays avant et après la guerre afin de dégager leurs principales tendances. Plusieurs acteurs étaient appelés à contribuer à la reconstruction d’après-guerre, le plus concerné étant bien entendu le gouvernement FPR. Notre travail va surtout se consacrer sur l’analyse : population-développement, ce qui va se refléter nécessairement sur l'état environnemental de tout le pays.

 

            Le travail consistera donc en un essai d’éclaircissements des situations de développement du Rwanda et essayera de donner son point de vue sur la façon dont il perçoit l’avenir de ce pays. C’est pourquoi nous nous proposons de faire un aperçu sur les secteurs de: population et développement avant la guerre afin de pouvoir situer l’avenir du pays après la guerre. L’évolution de la situation socio-politique du pays depuis le pouvoir féodal ainsi que le rôle des pays voisins dans l’accueil des rwandais vont également être abordés. Il va également examiner  la situation de développement aussi bien en milieu urbain qu’à la campagne et dans ces deux cas, les effets probables du nouveau peuplement de la population tutsi sur l’occupation de l’espace national et le développement du Rwanda vont être mis en exergue. Il est toutefois à noter que la non disponibilité des données sous le régime FPR constitue un grand handicap pour ce travail.


I. Aperçu général sur le Rwanda

           

            Le Rwanda est un pays de l’Afrique centrale avec 26.338 kilomètres carrés. Sa population était chiffrée à 7.150.000 habitants en 1991. Avec une densité brute de 271 habitants au kilomètre carré, le pays était le plus densément peuplé du continent africain. Le taux d’accroissement naturel en 1991 était de l’ordre de 3,1 % par an avec une fécondité élevée de plus 8 enfants par femme en moyenne. Ce taux qui était parmi les plus élevés du monde avait même tendance à s’accélérer suite à la baisse de la mortalité surtout infantile. Par ailleurs, ses ressources sont assez limitées, ce qui classe le Rwanda parmi les pays les plus pauvres du monde.

 

            Avant l'arrivée du colonisateur blanc, le Rwanda était divisé en plusieurs dizaines de régions ou principautés (cfr. carte, Annexe 3). Malheureusement, le colonisateur n'a pas suivi ces entités régionales pour renforcer son administration. Cela se faisait dans le but de désorganiser les structures de la population indigène. Pourtant, même actuellement, les gens continuent de porter les noms de leurs régions. C'est ainsi que par exemple, les gens du MULERA, BUSHIRU, BUGOYI, BUGANZA, NDUGA, RUKIGA, etc., continuent de s'appeler respectivement ABALERA, ABASHIRU, ABAGOYI, ABAGANZA, ABANYENDUGA, ABAKIGA. Ces deux derniers noms sont plus intéressants, car ils ont pu dépasser les frontières géographiques de leurs régions respectives et catégoriser tous les rwandais en deux groupes régionalistes. Ainsi, les habitants des préfectures de GISENYI, RUHENGERI et BYUMBA se sont vus attribuer le nom d'ABAKIGA et le reste du pays le nom d'ABANYENDUGA. Pourtant, quand on suit de près ces appellations, on remarque que la région originale de NDUGA (D sur la carte) s'étend seulement sur les parties des communes de Tambwe, Ntongwe, Mugina, Nyamabuye et Musambira. Quant à la région de RUKIGA (o sur la carte), elle est située sur les communes de Tumba et Cyungo. On voit donc que les rwandais qui se sont appropriés le nom de ABAKIGA ou ABANYENDUGA ne le sont réellement pas. Les vrais bakiga se trouvent sur une petite partie de la préfecture de BYUMBA et les vrais banyenduga sur une partie de la préfecture de Gitarama. Ces noms sont donc apparentés à des régions bien précises. Ce sont des personnalités animées de mauvaise volonté qui les ont récupérés à des fins politiques introduisant ainsi le fléau du régionalisme dans le pays. C'est ainsi qu'en 1973, avec le putsch des militaires qui voulaient le pouvoir, le terme de "Nduga élargi" est entré dans les annales du peuple pour signifier toutes les préfectures  Rwanda, hormis GISENYI, RUHENGERI et BYUMBA. Le pays était donc divisé en deux régions seulement, le NORD (Abakiga) et le SUD (Abanyenduga).

 

            Quant à la répartition géoethnique de la population rwandaise, il est à remarquer que le NORD du pays, hormis la région du Mutara qui était habitée par une population importante des hima (tutsi), le reste était pratiquement habité par des hutu jusqu'en 1994. Sûrement qu'on trouvait quelques tutsi ici et là (ex. des Bagogwe), mais la région est connue comme un bastion des hutu. Le reste du pays était peuplé par une population ethniquement hétérogène. C'est probablement la raison pour laquelle la résidence principale des derniers rois (ibwami) se trouvaient à NYANZA (NYABISINDU). Il est à remarquer que le roi (mwami) avait plusieurs résidences secondaires dans tout le pays.

 

            La révolte hutu contre l'exploitation du régime monarchique tutsi est ainsi partie de cette région hétérogène. Précisément, c'est la région de MARANGARA qui a été le berceau de la révolte hutu en 1959. Ensuite, elle s'est propagée dans la région de NDIZA, transmettant le message révolutionnaire dans le NORD et dans tout le reste du pays. Précisons que le pays compte trois ethnies: les bahutu, les batutsi et les batwa. Ce sont les deux premiers qui sont toujours en lutte pour le siège du pouvoir.


 II. Evolution de la situation socio-politique

 - Succession des différents régimes politiques au Rwanda et critiques des      relations Hutu (Bahutu) - Tutsi (Batutsi) - Twa (Batwa)

            D’après le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 1991, trois ethnies cohabitaient au Rwanda. Les BAHUTU étaient environ 90 % de toute la population, les BATUTSI - environ 10 % et les BATWA - environ 1 %.

                                                                                             

 

                                                                                                           Tableau n° 2

 

                            

 

           

Source: République Rwandaise, Recensement Général de la Population et de l’Habitat, Kigali, 1991

 

            Selon l’historiographie rwandaise, ce sont les BATWA (twa) qui auraient peuplé les premiers les forêts du Rwanda. Ils vivaient alors de la chasse et de la cueillette. Les BAHUTU (hutu), d’origine bantou, seraient venus en second lieu vers le 7e S. av. Jésus Christ. Agriculteurs, ils défrichèrent presque tout le pays. Ils se déplaçaient au fur et à mesure que la fertilité du sol était menacée dans la partie occupée. Ce sont les BATUTSI (tutsi) qui seraient venus en dernier lieu au 16e Siècle. Pasteurs-nomades d’origine nilotique, ils migraient avec leurs troupeaux de vaches à la recherche de nouveaux pâturages.

 

            L’organisation des BAHUTU sur le territoire se caractérisait par un regroupement autour de la famille (lignage) et les terres agricoles s’élargissaient au fur et à mesure que le besoin se faisait sentir étant entendu que la pression démographique n’était pas un problème à cette époque. Cette organisation avait pour conséquence la formation de territoires plus ou moins élargis, parfois même grands, assimilables à des unités administrativement indépendantes, avec à la tête des chefs hutu qui à la longue furent considérés comme des rois sacrés bantou du Rwanda (ABAHINZA avec leurs royaumes). Contrairement au roi tutsi dont le pouvoir était totalement absolu, leur pouvoir était limité par la coutume[2]. Le système socio-politique des BATUTSI étant mieux hiérarchisé, ils vont parvenir à déstructurer le système des BAHUTU et à les assujettir en leur imposant un système féodal basé sur le clientélisme pastoral et foncier[3].

 Du point de vue de la science et de la technologie, ils n’ont rien fait progresser. Cette version des faits a toujours été celle de la cour royale et de la noblesse jusqu’au moment de la chute de leur pouvoir en 1959.

 

             Le système de pouvoir féodal va perdurer au moins pendant trois siècles . Il sera même renforcé à l’arrivée du colonisateur puisque celui-ci va s’appuyer sur l’administration locale en place afin de pouvoir tout dominer (administration indirecte). Heureusement, cette pénétration étrangère va peu à peu désacraliser et fonctionnariser la royauté. Elle va progressivement permettre à toutes les ethnies du pays d’accéder à l’évangélisation et à la scolarisation. Cette ouverture de la majorité alors opprimée au monde extérieur sera déterminant dans l’évolution socio-politique du pays. La royauté sera alors renversée par la révolution sociale de 1959.

 

            La Révolution Sociale de 1959 va permettre aux BAHUTU de prendre le pouvoir. Bon nombre de BATUTSI, surtout l’élite administrative qui ne voulait aucune concession, va quitter le pays pour s’installer dans les pays voisins. C’est cette élite (communément connue sous le nom d'INYENZI) qui, à plusieurs reprises va tenter de reprendre le pouvoir par la force quelques années après l’indépendance en menant des incursions à partir des pays voisins. Devant cette volonté de reprendre le pouvoir par la force, toute tentative en vue de leur de rapatriement fut un échec malgré de nombreux appels des autorités en faveur de leur rentrée au pays. Un département ministériel chargé de la question des réfugiés avait été formé à cet effet.

           

            Tout cela a fait, même quelques années après l’indépendance (1962), que le tutsi est resté dans l’imaginaire de plusieurs hutu comme un oppresseur d’autrefois et un oppresseur potentiel de demain. Il a été longtemps  connu comme un envahisseur qui avait pu finalement dominer les autochtones (twa et hutu). Cela s'est démontré et répété dans cette dernière décennie du vingtième siècle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, depuis la révolution sociale de 1959, son intégration semblait se faire comme celle de tous les autres étrangers. La phrase du Comité National du Parti MDR  PARMEHUTU en 1960 (parti du mouvement pour l’émancipation hutu: parti majoritaire après le renversement de la monarchie) est assez éloquent: « Le Rwanda est le pays des Bahutu (Bantou) et de tous ceux blancs ou noirs, tutsi, européens ou d’autres provenances, qui se débarrasseront des visées féodo-colonialistes »[4].

 

            Parlant du MDR Parmehutu, il faut insister sur le fait que c'est ce parti politique qui a conduit le Rwanda à l'indépendance. Brièvement, son grand leader Grégoire Kayibanda et ses compagnons de lutte avaient pu regrouper les hutu  dans des organisations catholiques de type MOC (mouvement ouvrier chrétien). Cela aura d'ailleurs une grande connotation sur le futur parti politique. A l'instar du MOC, Kayibanda avait crée le PARMEHUTU(parti du mouvement pour l'émancipation hutu). C'était donc un mouvement constitué essentiellement de paysans. Ces paysans n'étaient autres que des hutu et donc des serviteurs opprimés. Avec l'évolution des événements politiques, on a ajouté le sigle MDR afin de clarifier la politique du parti (Mouvement Démocratique Républicain). Le PARMEHUTU devint ainsi MDR PARMEHUTU. On voit ainsi que derrière ce nom, il ne se cache rien de terrifiant comme certains irresponsables tutsi veulent le faire croire. Le mouvement était né à la suite de l'existence des organisations chrétiennes (MOC). Ces organisations étaient à majorité formées par des hutu opprimés. C'est pourquoi leur émancipation était plus que jamais nécessaire. On peut même ajouter que le pas franchi dans cette émancipation a été anéanti par le FPR. Le parti MDR PARMEHUTU a été donc fondé dans des conditions sociales bien précises que l’histoire devra bien respecter.

 

            Les premiers leaders de la jeune République, dont la majorité venait des régions du centre et du sud du pays, vont commettre des erreurs politiques qui leur seront fatales. La première erreur parmi tant d'autres date dès la naissance de la jeune république. En effet, l'une des défaillances majeures en matière de démocratie fut que les partis politiques fondés en 1959 vont se voir étouffés en douce. Bien sûr, c'étaient des petits partis politiques face au MDR Parmehutu, mais il fallait les laisser évoluer librement. Ces autres partis politiques qui avaient vu le jour étaient: APROSOMA (Association pour la Promotion Sociale de la Masse), RADER (Rassemblement Démocratique Rwandais), UNAR (Union Nationale Rwandaise) et RADETWA (Rassemblement Démocratique des Twa). Le MDR resta ainsi seul sur l'échiquier politique et le pluralisme politique céda la place au monopartisme. L'autre défaillance qui est apparue vers la fin du régime est la volonté d’accaparer seuls le pouvoir politique au détriment des autres régions*. Cela va entraîner le pays vers un régionalisme à outrance. En 1973, la tactique ethnisante va être employée par quelques officiers de l’armée pour renverser le régime du premier Président démocratiquement élu. Cela faisait suite aux troubles ethniques qui avaient secoué le Burundi où l'armée tutsi était entrain d'exterminer les hutu. Plus de 250.000 hutu burundais ont été massacrés en 1972. La chute de la première république rwandaise va malheureusement s'accompagner par un esprit régionaliste sans précédent. Les soldats des deux préfectures du nord du Rwanda (Gisenyi et Ruhengeri), véritables artistes de ce putsch, seront caractérisés par une politique régionaliste accentuée. Le problème régional "RUKIGA - NDUGA" venait de naître presque officiellement.

 

            Le virus ethnique, activé ainsi au  Rwanda par les malheureux événements du  Burundi, va semer les troubles qui coûteront la vie à certains batutsi en 1973. Malgré que les officiers putschistes rwandais étaient les principaux agents de transmission de ce virus, ils s’en sont savamment servi pour expliquer le bien fondé de leur coup d'état. Ils étaient évidemment appuyé par quelques puissances impérialistes occidentales qui voulaient renverser le régime. C’est ainsi que ces soldats-putcthistes annoncèrent officiellement au peuple rwandais qu’ils se devaient de mettre fin au désordre qui régnait dans le pays. En faisant aujourd'hui une analyse historique des faits, on se rend compte que ce sont ces mêmes officiers hutu, qui dans les années quatre vingt, vont faire des tentatives de renverser le régime qu'ils avaient eux-mêmes mis au pouvoir et qui avait renforcé les clivages ethniques et régionales (régime de Habyarimana). Ce sont toujours ces mêmes officiers hutu qui reviendront dans la rébellion armée tutsi, cette fois-ci du côté FPR en 1990. Après l'attentat mortel du président Habyarimana, qui a conduit à la victoire militaire du FPR en 1994, les hutu seront utilisés comme des marionnettes servant à cacher l'omniprésence des tutsi dans tous les plus hauts postes du pays et à cautionner leurs sales actions devant la communauté internationale. Le chef de cette bande des officiers hutu, le Colonel Alexis Kanyarengwe, pourtant réputé être de caractère anti-tutsi*, avait été même placé à la tête de leur organisation militaire, actuellement considérée comme politique (le FPR). A l'instar de ce vieux colonel des FAR (Forces Armées Rwandaises), les hutu dans l'administration publique ont purement et simplement été utilisé pour servir les intérêts du FPR après sa victoire en 1994 et non des intérêts du pays. C'était le sauve-qui-peut pour la plupart d'entre eux.

 

            Concernant la Révolution Sociale de 1959, il faut donner quelques précisions. En 1957, l’élite hutu avait publié un document révolutionnaire et historique qui mettait en cause les relations politico-sociales entre les hutu et le pouvoir tutsi. C’est le Manifeste des Bahutu[5]. Le pouvoir tutsi alors en place essaya de réprimer l’opposition hutu en éliminant physiquement son élite. En 1959, plusieurs partis politiques vont voir le jour. C’est suite à cette situation que la grande masse paysanne hutu, avec à sa tête des leaders hutu et quelques tutsi, va se soulever. Les hutu vont réclamer leurs droits, ce qui ne va pas être obtenu sans heurts. Dans ce climat de tensions sociales, plusieurs hutu vont être massacrés. La réaction défensive des hutu ne tarda pas et fut musclée. C'est le début de la Révolution de 1959. Dans la suite, le pouvoir de domination des tutsi sur les hutu sera anéanti. Malgré que le colon avait fort longtemps favorisé et soutenu la minorité tutsi au pouvoir, il va maintenant faire volte-face. Cette révolution sera donc finalement appuyée par les autorités coloniales ainsi que par l’Eglise Catholique. Ce revirement brusque et positif en faveur de la grande masse paysanne opprimée leur vaudra, surtout après la victoire du FPR en 1994, des critiques de toutes pièces de la part des tutsi. C'est ainsi que pendant et après la guerre qui a conduit à la défaite des hutu en 1994, l'Eglise Catholique Rwandaise va payer un lourd tribut. Tous les évêques hutu ainsi que plusieurs prêtres et soeurs vont être purement et simplement éliminés.

           

            Dans les années 1990, avec à la tête certains intellectuels de la diaspora rwandaise tutsi auxquels se sont joints quelques occidentaux dont les plus acharnés sont des africanistes de l’école tiers-mondiste française (Cathérine Coquery-Vidrovitch, J. P. Chrétien, etc.) a été forgé la théorie selon laquelle les bahutu, les batutsi et les batwa forment une seule ethnie. Ils auraient alors vécu depuis longtemps dans une harmonie totale [6]. Ce serait la Révolution Sociale de 1959 qui aurait mis la poudre au feu et divisée les rwandais sur le plan ethnique, division qui serait également le chef d’oeuvre du colonisateur. Pourtant, les tenants de cette thèse ne montrent pas ce que le tutsi, qui régnait en maître absolu sur tout le pays, a fait pour contrer cette division du colon qui, selon toute vraisemblance, avait beaucoup de chances d’échouer, étant donné qu’il y avait déjà plus de quatre siècles d’intimité entre les hutu et les tutsi [7]! Selon toujours ce nouveau courant, leur distinction ne trouverait son fondement que dans les mécanismes internes de stratification et de différenciation sociale. C’est ainsi qu’ils avancent que les différences morphologiques et culturelles propres aux tutsi et aux hutu seraient davantage le résultat d’une spécialisation économique et donc susceptible d’évoluer...

           

             Sans toutefois vouloir affirmer que les hutu et les tutsi ne peuvent pas vivre en harmonie, ce qui est par ailleurs idéal et souhaitable, nous pensons que construire un pays sur une base de réalités historiques fausses est contre le développement de ce pays. Ici, nous considérons "développement comme étant un processus historico-systémique de longue période, construit sur des faits économiques, culturels, institutionnels, administratifs, ..., constamment en évolution"[8]. J.M.V. Higiro[9] cite quelques faits culturels qui démontrent clairement la non harmonie historique entre les hutu et les tutsi:

a) l'emblème royal, caractérisé par le tambour "KALINGA" était orné d'organes génitaux des roitelets et autres leaders hutu* massacrés justement parce qu'ils étaient des hutu ou qu'ils luttaient pour la cause hutu.

b) la culture rwandaise est riche en proverbes. Ces proverbes expriment bien les relations qui lient les rwandais dans leur  vie quotidienne. Voici quelques exemples:

            - Utuma abahutu atuma benshi (Qui veut confier une mission à des hutu doit en envoyer plusieurs, autrement dit le hutu est oublieux);

            - Umuhutu ntashimwa kabili (Le hutu, on ne le félicite pas deux fois: le hutu est versatile);

            - Inkunguzi y'umuhutu yivuga mu batutsi (Le hutu marqué par le sort déclame ses hauts faits parmi les tutsi: c'est s'attirer des malheurs que de provoquer un plus puissant que soi);

            - Umututsi umuvura amaso akayagukanulira (Le tutsi, tu lui soignes les yeux et il te fixe d'un regard méprisant: la reconnaissance n'est pas une qualité du tutsi);

            - Umututsi umusembereza mu kirambi akagutera ku bulili (Le tutsi, tu lui offres l'hospitalité et il te déloges du lit);

            - Umututsi umuvura amenyo ejo akayaguhekenyera (Le tutsi, tu lui soignes les dents et le lendemain, il en grince en ton sujet);

            - Umutwa ararengwa agatwika ikigega (Le twa devient opulent et il incendie son grenier: les twa sont particulièrement imprévoyants); ...

 

            Cette richesse traditionnelle de la culture rwandaise nous montre clairement que pour mieux connaître un rwandais et plus particulièrement un umututsi (tutsi), il faut être rôdé dans sa culture. D'ailleurs, c'est l'une des raisons qui a fait que la nouvelle génération des hutu a perdu la bataille devant les tutsi. En effet, les jeunes hutu ont  pensé qu'ils pouvaient mieux composer avec les tutsi qu'avec certains hutu malhonnêtes. C'est ainsi que lors de l'attaque des inkotanyi en 1990, un certain soutien même de la part des partis politiques a été sans faille. C'est justement à cause de la méconnaissance de leur partenaire que ces jeunes hutu, appelés à tort et à travers "les modérés" se sont fait surprendre. Peu de temps après avoir travaillé avec le FPR et remarqué la réalité, la majorité d'entre eux a trouvé le chemin de l'exil. La meilleure connaissance d'un umututsi et vice versa du côté tutsi envers le muhutu aidera certainement ces deux communautés à vivre ensemble.

 

            Selon toujours les mêmes faiseurs de la nouvelle historiographie du pays, «dans le Rwanda d’avant l’ère coloniale, ressortaient trois groupes socio-économiques, à savoir: les tutsi majoritairement éleveurs du bétail, les hutu agriculteurs et les twa qui vivaient de la chasse et de la cueillette. Les frontières entre ces groupes auraient été flexibles. Il suffisait à un hutu ou twa d’augmenter l’effectif de son cheptel pour devenir tutsi». Le raisonnement inverse serait-il aussi vrai?

           

            Comment alors peut-on objectivement comprendre cette situation? Dans toute société, la langue (expression orale) évolue avec la vie quotidienne des populations. Au Rwanda, comme les tutsi étaient les seules maîtres du pays et que leur richesse s’évaluait en troupeaux de vaches, les hutu et les twa aspiraient à avoir beaucoup de vaches (être riche comme les autres). Cela a été d’ailleurs remarquable après la révolution de 1959 où les hutu ont voulu remplacer les grands éleveurs tutsi. Avec la pression démographique, les pâturages sont vite devenus insuffisants ce qui entraîna  la diminution de l’effectif du bétail par individu et le gros bétail fut concurrencé par le petit bétail qui ne demande pas beaucoup d’espaces. Ainsi, dans le langage courant* , et cela même avant la révolution de 1959, un hutu qui arrivait à avoir plusieurs vaches était dit couramment qu’il était devenu tutsi (riche). C’est cette expression que la nouvelle école sur l’ethnisme au Rwanda essaie d’exploiter non sans arrière-pensée. Il en est de même pour le terme «IMFURA » terme qui correspond à "noble" en français. Avant et même après la révolution sociale de 1959, il était devenu normal d’appeler un hutu «IMFURA ou noble» selon que celui-ci maîtrisait parfaitement la manière de se comporter des nobles, qui ne pouvaient être que des tutsi.

 

            Pourtant, quand on va sur le terrain, on remarque que la réalité des faits a toujours été et est actuellement telle qu’aucun hutu n’est jamais devenu tutsi ou twa et inversement, malgré la situation économique susceptible d’évoluer dans les deux sens. Notons que seul le mwami (roi) pouvait ennoblir ou déchoir ses sujets. Un des rares cas qu’on connaît est celui du twa BUSYETI qui donna son nom à son célèbre tribu: ABASYETI et donc les tutsi d’origine twa. Suite à l'ascension économique et sociale des rwandais due essentiellement à l'influence coloniale et à la suppression de l'institution du servage pastoral (ubuhake), certains hutu soi-disant évolués ont renié leur ethnie pour rejoindre l'ethnie des tutsi. Malgré ce revirement, cela ne les mettait pas complètement hors des brimades et du mépris auxquels les condamnait leur origine. Ce choix montre à suffisance le degré de frustration des hutu dû aux discriminations ethniques. Il ressort ainsi que la dualité hutu-tutsi-twa résulte de trois ethnies bien distinctes, mais susceptibles bien que difficilement sinon rarement, à l'infiltration de l'une par l'autre.

           

            Hormis que cette théorie contredit la réalité traditionnelle toujours véhiculée par la monarchie depuis des siècles, les tenants de ces idées semblent vouloir embrouiller expressément la vraisemblance historique. En effet, suite aux revendications de plus en plus grandissantes d’égalité et de fraternité entre les bahutu et les batutsi en 1958, les grands chefs de la cour royale avaient vivement réagi avec un document officiel affirmant sans ambiguïté qu’il n’y avait aucun lien entre eux et que les seules relations possibles étaient basées sur le servage*. Ce document illustre bien les relations qui se sont tissées au fur du temps entre les deux ethnies. Précisons qu’à l'arrivée au Rwanda des allemands vers 1894, ceux-ci ont trouvé une minorité ethnique qui dominait le pays. Ils n'ont pas touché à ce système. La tutelle belge, à son tour, a conforté la position privilégiée des tutsi. Contrairement à ce nouveau courant de certains tutsi de la diaspora rwandaise, le statut de "domination et d'exploitation" de la majorité par une minorité n'est pas une invention ni des allemands, ni des belges, mais ce système avait fondé ses racines sur la répression et le servage de la majorité hutu par une minorité tutsi après que cette dernière ait éliminé les rois sacrés hutu (ABAHINZA). Cette rupture des idées entre les générations des batutsi d’hier et d’aujourd’hui ne serait-elle pas fondée sur un opportunisme stratégique s’inscrivant dans la logique de la guerre ethnique imposée au Rwanda depuis 1990?

 

            N’étant pas ethnologue, je ne peux pas prétendre détenir la clé de la vérité objective sur cette question. Pourtant, afin d'éviter de se laisser influencer par un esprit partisan et pour laisser le champ ouvert aux hommes scientifiques dans leur recherche, nous pensons qu’il faut donner au lecteur le droit de faire un choix conscient et raisonné entre ces deux propos. Il est toutefois utile de remarquer que pour les rwandais, et cela depuis longtemps, l’identité sociale n’a jamais été l'objet d'aucune ambiguïté. Normalement, les personnes d'une même colline, d’une même cellule administratif ou secteur se connaissaient et savaient quelle strate sociale, actuellement appelé UBWOKO, à laquelle chacun faisait partie (hutu, tutsi ou twa). Quand les historiens étrangers ont commencé à écrire sur le pays, ils n’ont pas pu trouver dans leur langue le mot qui traduisait exactement ce terme. Ainsi plusieurs auteurs étrangers ont assimilé ce concept d’UBWOKO à ethnie, race, tribu, caste ou classe, ce qui a créé une ambiguïté totale dans la définition et la compréhension de « tutsi, hutu et twa ». L’administration coloniale a récupéré le mot ethnie pour désigner ubwoko et c’est ainsi que « UBWOKO » se traduit à tort ou à raison par « ethnie ».

 

            Malgré cette identité d'UBWOKO qui a caractérisée les rwandais et qui s’est toujours accompagnée par une exploitation d’un groupe social par un autre avant la révolution sociale de 1959, les limites de séparation identitaires (ethnique), du moins pour les rwandais qui se trouvaient à l’intérieur du pays avant la guerre de 1990, étaient devenues de moins en moins visibles. Erny P.[10] nous fait remarquer pertinemment qu’avant la guerre imposée au Rwanda par le Front Patriotique (FPR), on pouvait difficilement parler d’ethnies différentes au Rwanda, si on se référait à la définition de "l’ethnie comme étant un groupe de même culture et de même langue". Il y avait eu effectivement une intégration presque totale. Du point de vue économique, plusieurs hutu étaient devenus plus riches que des tutsi mais il y avait aussi des tutsi qui étaient parvenu à s'enrichir. D'ailleurs, avant la guerre de 1990, les mariages inter-ethniques étaient devenus si fréquents qu’il était difficile de distinguer un hutu et un tutsi dans certaines régions du pays (le sud et le centre). Il semble de plus en plus évident que c’est la guerre des inyenzi-inkotanyi qui est à la base de tout le drame rwandais.

 

            Il est utile de dire un mot sur les clans au Rwanda. Du temps monarchique, on en comptait plus d'une dizaine. Actuellement, ils ont peu à peu perdu leur valeur parmi la population tellement que les jeunes ne s'y retrouvent pas. Au Rwanda, le clan était considéré comme une organisation supra-familiale qui regroupait tutsi, hutu et twa au sein d'une même parenté supra-ethnique à caractère mystique. Chaque clan avait son totem. Les clans les plus répandus au Rwanda étaient: les BANYIGINYA (représentés par les familles des Bahindiro, des Bagunga, des Bashambo, des Batsobe, des Bakobwa, des Benemunyiga, des Baryinyonza, des Baka et des Banana), les BEGA (représentés par des Bakagara, des Bakongori, des Bakiza et des Bahanya), les BASINGA représentés par des Bacumbi, les BAZIGABA représentés par des Barenzi, les BACYABA représentés par les Babogo et les BAGESERA. Tous les rwandais se classaient ainsi, pêle mêle en ces clans. Deux personnes ayant le même totem (animal) ne pouvaient pas se marier. Selon la légende, seul avait échappé à la règle le clan royal dont le premier roi munyiginya avait épousé sa sœur, avec laquelle il était tombé du ciel. Le fait que tutsi, hutu et twa appartennaient au même clan sous entendait qu'ils étaient censés être frères et donc avoir un ancêtre commun. Cette stratagème permettait au tutsi de faire croire au hutu et twa qu'ils avaient une parenté commune ce qui assurait au tutsi la fidelité de ces derniers sans aucun autre engagement en contre-partie. Depuis la victoire des tutsi en 1994, les idéologues du FPR sont revenus sur cette stratégie. Ils font croire que tous les rwandais, hutu, tutsi et twa sont issus du même ancêtre. C'est ainsi que certains dignitaires hutu du régime FPR se réclament issus des mêmes clans que les responsables tutsi du FPR et donc se font passer aussi pour des tutsi. Pourvu que ça dure!

 

            Des critiques virulentes continuent de venir de ces historiens occidentaux qui se croient plus professionnels que leurs aînés, étant donné qu'ils ont fait des études universitaires en histoire et qu'ils exercent dans ce métier. Ils mettent en cause tous les travaux d'histoire faits antérieurement sur le Rwanda, dont ceux du célèbre Abbé Alexis Kagame. Ils arrivent même à qualifier l'histoire du Rwanda de pseudo-histoire[11]. Bref, ils reprochent à ces travaux de ne pas être faits par des historiens de métier avec un diplôme universitaire reconnu en histoire, d'un manque de critique, d'avoir accepté comme véridique les données relatives à la tradition de la dynastie des Banyiginya, d'avoir appliqué la notion de race  aux catégories sociales hutu, tutsi et twa, ....

 

            Certes, la science a évolué pendant ces dernières décennies et la clarté de certaines données historiques peut être donnée avec plus de précision. Dans le cas du Rwanda où la tradition orale constituait la seule source d'information jusqu'au début du 20e siècle, il serait scientifiquement malhonnête de dire que les travaux faits par les divers intellectuels rwandais et étrangers n'ont rien de scientifique. Il faut reconnaître qu'ils ont servi de matières premières pour les études postérieures dont les critiques faites par ces mêmes historiens dits de carrière. Par ailleurs, le manque de documents de confrontation pour certains faits historiques poussent ces historiens à les considérer comme des hypothèses à confirmer. Remarquons que ce manque de documents n'est imputable à personne. Le problème qui se pose est de savoir si, finalement, cette nouvelle génération d'historiens  aura ces documents. Et, en attendant, veulent-ils que l'histoire du Rwanda ne se limite que seulement à leurs recherches et que les données qu'ils ne sont pas à même ni de confirmer ni d'infirmer soient rejetées? Aucun rwandais ne connaissait mieux la généalogie des Banyiginya que les concernés eux-mêmes. Pour ces "experts du Rwanda", c'est une méconnaissance des réalités rwandaises qui conduit à leur malhonnêteté intellectuelle en mettant en doute les travaux antérieurs. Les rwandais qui ont eu à donner des IBISEKURU (généalogie) avant leurs mariages savent combien cet exercice est dur et qu'une personne étrangère à votre lignée ne peut pas s'en sortir mieux que vous (référence faite aux informateurs cités par Vidal). On peut surtout se demander pourquoi un intellectuel comme Vidal qui apparemment s'est intéressé au Rwanda depuis longtemps, a attendu la mort de Kagame et la diffusion de la nouvelle historiographie rwandaise par le FPR pour donner ses critiques. Contrairement à ce qu'elle affirme que, "..., les historiens ne sont au service d'aucune cause particulière"[12], la prise de position de ses confrères du CNRS (J. P. Chrétien, ...) dans le conflit rwandais laisse planer un doute sur le sérieux et la véracité des écrits de ces intellectuels. Force est de constater que ces derniers temps, les travaux sur le Rwanda de ce groupuscule d'experts sont confectionnés malheureusement avec passion. Par ailleurs, qualifier l'histoire du Rwanda de pseudo-histoire atteste un certain négativisme méprisant de Vidal envers le peuple rwandais. Cela revient à dire que le pays n'a pratiquement pas d'histoire. Ce raisonnement, qui vient pourtant d'un homme scientifique, n'a rien de dialectique. Le fait qu'un corps chimique n'a pas été encore découvert n'explique pas forcément qu'il n'existait pas ou qu'il n'existe pas. Plutôt que d'insinuer que le Rwanda n'a pas d'histoire, il serait judicieux de dire que son histoire  est mal connue. En effet, l'histoire écrite du Rwanda date dès la fin du dix-neuvième siècle. On peut donc affirmer, si on ne considère que l'histoire ne se limite qu'à l'écrit,  que son histoire est plutôt jeune.   

 

            Concernant les relations précoloniales entre hutu et tutsi (les batwa sont oubliés), C. VIDAL, dans son article[13] écrit: "Dans toutes les régions du Rwanda, les traditions généalogiques précisent que les premiers ancêtres de la lignée (situés en règle générale six générations avant celles d'informateurs nés vers 1900) ont défriché (kwica umugogo) la terre où vivent leurs descendants. Ces derniers se déclarent sans ambiguïté descendants d'ancêtres hutu ou bien d'ancêtres tutsi". Tout en étant pas historien de formation comme le veut Vidal, ce passage m'interpelle toutefois à ceci: "Dans toutes les régions du Rwanda, ...". On aimerait savoir ces régions puisque le peuplement du Rwanda ne s'est pas fait ni en même temps, ni par une même population. Est-ce que les divers mouvements de migrations ont été pris en compte? Par ailleurs, le raisonnement objectif  de cette dame qui recoupe d'ailleurs les anciens écrits, montre que "les hutu et les tutsi habitent le Rwanda il y a bien longtemps et que hutu et tutsi n'est pas l'invention de qui que ce soit". Par contre; Vidal affirme, à tort ou à raison, qu'à partir de 1725, hutu et tutsi se sont sédentarisé ensemble mais reconnaît ne pas savoir ni d'où venaient-ils, ni que faisaient-ils avant, ni dans quel conditions, ....

 

            En admettant que  ces recherches permettent de situer le problème hutu-tutsi à partir de 1725, est-ce-que cela voudrait dire qu'avant cette date les hutu, les tutsi et les twa n'habitaient pas au Rwanda? Non, puisqu'elle écrit elle-même que "à partir de cette date, les populations qui vivaient au Rwanda ont cessé de pratiquer une agriculture et un élevage itinérants". Ces populations ne peuvent donc qu'être hutu, tutsi et twa. Si cela est juste, pourquoi ont-ils cessé cette pratique? Rien n'est dit à ce propos. Tout cela a été confectionné pour contrarier la version selon laquelle les agriculteurs seraient arrivés les premiers et les pasteurs tutsi en second lieu. A la lumière de ce qui est dit plus haut, il serait mieux de recommander à certains chercheurs du CNRS de ne pas anticiper les affirmations hâtives. Les hutu, les tutsi et les twa pouvaient bien se sédentariser à la même époque tout en étant arrivés au Rwanda à des époques différentes, avec des origines et des modes de travail différents.

 

           

 

 

- La psychose nationale depuis le 5 Juillet 1973

            Depuis le 5 juillet 1973, date du putsch militaire qui a mis les assoiffés du pouvoir au trône, le Rwanda a été plongé dans une dictature militaire pourtant soutenue sans réserve par les pays qui se croient démocratiques. Afin de pouvoir gouverner seuls, l'ordre militaire fut élargi aux civils. La liberté céda la place à la terreur. Plusieurs anciens politiciens du sud du pays furent massacrés, mais il n'y eut aucune réaction de la part de ceux qui gouvernent le monde (les grandes puissances occidentales), particulièrement de l'ancienne puissance coloniale: la Belgique. Curieusement, même certains intellectuels rwandais témoins de ces massacres n'osent pas actuellement dévoiler la réalité. Ceci est d'autant plus inquiétant que certains soi-disants spécialistes occidentaux du Rwanda continuent de traiter de dictateur le premier président de la République - Kayibanda. Pourtant, c'est le président le plus démocrate que le pays ait jamais connu.

 

            Au lieu d'affronter avec lucidité l'un des grands problèmes  du pays - le problème socio-ethnique, le nouveau régime militaire opta de le camoufler. C'est ainsi que, manifester à haute voix que quelqu'un était d'origine tutsi était pris par le pouvoir Habyarimana comme une insulte, une atteinte à la dignité humaine et à la paix nationale. Effectivement, c'est dans cette paix camouflée que le noyau dur au pouvoir a pu profiter et faire tout ce qu'il voulait. Le problème hutu-tutsi fut ainsi anesthésié au profit non pas des intérêts généraux du pays, mais de la classe pillante au pouvoir. Il en sera de même du problème régional (problème entre le Nord et le Sud: ABAKIGA vs ABANYENDUGA), pourtant qui avait été à la base du coup d'état militaire de 1973 et dont l'acuité allait malheureusement en grandissant. Le pouvoir Habyarimana saura malicieusement exploiter tout cela au profit de ses intérêts propres. Ainsi, si les rwandais veulent d'une façon durable vivre en paix, ces deux problèmes à savoir le problème "hutu-tutsi" et le problème "kiga-nduga" devront être traités sans passion dans une conférence nationale.

 

             La deuxième République ainsi née ne va pas suivre et améliorer la politique de ses prédécesseurs afin de résoudre le problème des réfugiés. Il est à noter que la première République a toujours invité les réfugiés à rentrer, ce que les réfugiés tutsi jugeaient insuffisant. La raison avancée par les autorités de la seconde république comme principale obstacle au retour des réfugiés fut que le pays était surpeuplé. Cette situation va causer le mécontentement des réfugiés surtout que dans quelques pays d’accueil comme l’Ouganda, les autorités ne furent pas toujours favorables à leur hébergement.

 

             C’est le cas du régime du dictateur ougandais Amin qui va expulser les réfugiés rwandais dans les années 1980 et que la deuxième république ne pourra pas accueillir comme des ressortissants rwandais à part entière. Sous les conseils même de la communauté internationale (les puissances occidentales) qui avait une vision malthusienne du problème démographique  rwandais, ces réfugiés vont être bon gré mal gré rapatriés en Ouganda. C’est vraisemblablement à partir de ce moment que le problème des réfugiés rwandais est devenu assez délicat.

 

            Ayant trouvé un renfort du président ougandais Museveni (ex-maquisard) à côté duquel ils avaient combattu dans le maquis pour conquérir le pouvoir à Kampala, ils vont lancer une  nouvelle attaque contre le Rwanda en octobre 1990. Cette guerre, jugée par la majorité des rwandais comme une guerre ethnique sera assez meurtrière. Elle va durer 4 ans. Les anciens réfugiés tutsi vont prendre le pouvoir en juillet 1994. L’appui de l’Ouganda au Front Patriotique Rwandais avait une double face: d’abord Museveni les aidait en tant qu’ancien camarade du maquis, ensuite il voulait se débarrasser de la communauté des rwandais qui finalement étaient parvenu à occuper des postes importantes dans la vie de son pays. L’opposition ougandaise ne mâchait pas les mots quand il s’agissait de signifier à Museveni que ces postes devaient revenir aux ougandais.

           

            Un facteur important qui a fait basculer le pays dans l'anarchie, c'est l'événement du retour à la démocratie en 1991. Ce retour était exigée et soutenue par les bailleurs de fonds. Les partis politiques sont nés soudainement sur un fond ethnique, régional, ...., sans aucun projet politique valable de société. Cette situation était dominée par un esprit de haine et de vengeance de ces nouvelles formations politiques vis à vis de l'ancien parti unique le MRND. Cela s'expliquait par des scandales politiques et finançières monumentales (coup d'Etat de 1973 qui avait horriblement fait éliminé les leaders de la révolution de 1959, gestion de la chose publique comme un bien régional sinon familial, ...) que les fondateurs et les membres de ce parti s'étaient rendu responsables. Quant aux Forces Armées Rwandaises (FAR), elles étaient devenues une armée dont les officiers venaient presque d'une seule région (celle du président de la République), et soutenaient fermement le régime en place.

 

            Les jeunes partis politiques, qui ne spéculaient que sur des discours dont la forme était attrayante pour la population mais dont le fond était presque nul, vont vite se rendre compte qu'ils ne bénéficiaient pas du soutien de cette armée régionaliste. Cela constituait un handicap majeur pour ces formations politiques. C'est ainsi que pour contrer cette force militaire, certains partis politiques ou leurs factions (PL, PSD, MDR de Twagiramungu, ...) vont clairement se rallier aux forces extérieures, en l'occurrence le FPR, dont l'objectif avoué était de renverser le gouvernement Habyarimana par les armes. Les hutu et plus précisément la grande masse paysanne, n'y virent pas clair à temps. Cette alliance hâtive et contre nature ne sera pas sans danger pour le pays et sera même assez coûteuse. La sagesse rwandaise rappelle à ces ex-chefs des formations politiques que: INZIRA NTIBWIRA UMUGENZI, ce qui, traduit littéralement veut dire, "une route, si dangereuse soit-elle, n'avertit jamais le passager". Partout, les erreurs ne sont jamais admises, mais une erreur grave en matière politique se répercute négativement sur un ou plusieurs groupes sociales, si ce n'est pas sur tout un peuple. A bon entendeur, ...

             

            Depuis le début du conflit en 1990, les déplacés de guerre se sont comptés par milliers éparpillés à l’intérieur du pays. L'objectif des ennemis du Rwanda a été atteint dans la nuit du 6 avril 1994. En effet, l’attentat contre l’avion présidentiel survenu dans cette nuit, qui a coûté la vie aux présidents rwandais et burundais: Habyalimana et Ntaryamira va être le détonateur des massacres ethniques qui se sont vite étendus sur tout le pays. La prise du pouvoir à Kigali par les ex-réfugiés tutsi en juillet 1994 va amener en exil plus de trois millions de hutu dans les pays voisins surtout au Zaïre (Kivu) où l’on comptaient une plus grande partie de ces réfugiés. Les réfugiés de l’ethnie minoritaire (tutsi) venaient de rentrer tout en chassant les rwandais de l’ethnie majoritaire (hutu). Le problème des réfugiés rwandais était plus que jamais amplifié.

 

            C'est pourquoi, parmi les éléments socio-politiques susceptibles de jouer significativement sur le développement du pays, il faut insister sur la structure ethnique de la société rwandaise. En effet, selon l’expérience de la guerre déclenchée en 1990, la composante ethnique au Rwanda est à prendre en considération lors de la planification du développement. Tout entrepreunariat dans ce domaine exigera la paix et celle-ci ne peut être envisagée que dans la mesure où il y a un compromis entre les diverses ethnies rwandaises. Nous pensons que cet élément peut agir non seulement sur la structure et le volume de la production de l’économie nationale mais aussi déterminer le dynamisme et la viabilité relative du processus de développement. C’est pourquoi, dans le but de   réaliser ultérieurement un développement souhaité, le Rwanda devrait réorganiser et transformer les structures politico-sociales et économiques en vue de créer progressivement les conditions optimales pour une harmonie de son peuple. Vouloir nier qu'on est hutu, tutsi ou twa constitue donc un mauvais antécédent historique pour le développement du Rwanda de demain. Finalement, on a rien donné à Dieu ou au diable pour être hutu, tutsi ou twa. On doit donc l'assumer comme tel.

 

            La notion de développement d'un pays incorpore toutefois d’autres éléments comme la liberté. Les conditions actuelles dans la région des Grands Lacs imposent que dans la recherche de la réalisation de l’objectif de développement dans le long terme, on s’engage à garantir la liberté au citoyen, condition sans laquelle tout risque d'être voué à l’échec.

 

 

 

 

- Les droits de l'homme et la république du FPR

            Jusqu'en 1962, année où le Rwanda a recouvré son indépendance, les droits de l'homme n'ont jamais été une préoccupation importante des autorités du pays. Le roi- MWAMI, avec son pouvoir absolu, régnait seul sur tout le pays où toutes les personnes et les biens lui appartenaient. Les autorités coloniales ne furent guerre plus progressistes, puisque leurs intérêts semblaient plutôt être plus orientés vers le côté économique que sociale. Comme nous l'avons fait remarqué dans le chapitre de l'évolution socio-économique du pays, les hutu furent longtemps, des victimes du régime absolu des tutsi. Les revendications des hutu pour un régime plus démocratique aboutirent avec la révolution de 1959 et l'avènement de la première république. Pourtant, l'avènement de la seconde république va porter un coup dur aux droits des rwandais. La consécration du régime militaire de Habyarimana par les gouvernements occidentaux fut un pas en arrière en ce qui concerne la liberté du peuple rwandais. Tous les rwandais furent, de fait, les membres du nouveau parti unique, le MRND. Le droit à la parole fut aboli. Comme dans tous les Etats autoritaires, le pays venait d'avoir un parent: "le père de la nation" en la personne de Habyara.... Cette situation va perdurer jusqu'en 1991 avec l'acceptation des nouveaux partis politiques d'opposition.

 

            La naissance du multipartisme va s'accompagner de la liberté de la parole. La presse écrite va jaillir sur tout le pays comme des rayons du soleil et des dizaines de journaux vont voir le jour presque en même temps. Afin de pouvoir dénoncer les méfaits du régime, plusieurs organisations des droits de l'homme vont naître. Ces organisations étaient apparentées, directement ou indirectement, à l'une ou l'autre parti politique. Leur liberté en matière de dénonciation était ainsi plus ou moins limitée et orientée selon leurs mouvances politiques. Ce manquement était toutefois comblé par la pluralité de ces organisations. De ce fait, elles étaient indépendantes les unes des autres, ce qui rendait plus ou moins efficace leur travail sur le terrain.

           

            L'attaque du pays par des éléments tutsi venus d'Ouganda mit de l'huile sur le feu. Plusieurs tutsi de l'intérieur du pays furent considérés, à tort ou à raison, comme des conspirateurs du régime Habyarimana. Le pouvoir en place va les arrêter et parfois des bavures contre les droits de l'homme seront constatées. Plusieurs organismes non gouvernementales vont dénoncer tous ces abus. Des commissions internationales seront même formées à cet effet. Elles vont constater les réalités sur le terrain et des rapports de dénonciation vont être publiés entre autre par Amnisty International. Le fait de laisser ces organisations des droits de l'homme travailler librement sur tout le territoire national paraît, à notre entendement, comme un moyen de laisser agir les autres, comme une expression d'une certaine liberté. Malgré les vingt ans de règne sans partage et malgré tous ses abus, le pouvoir Habyarimana commençait, même si c'était à petit pas, à se démocratiser. Il fallait, per fas et nefas, continuer dans cette ligne et essayer d'éviter la guerre. Maintenant que la guerre d'agression menée par les inyenzi-inkotanyi est presque terminée; que le pouvoir dictatorial de Habyarimana a été écartée et qu'un nouveau pouvoir est en place: avec un petit feed back, il y a lieu de juger l'action politique de nos responsables d'hier et d'aujourd'hui. S'il y avait à choisir, la majorité du peuple rwandais préférerait ce pouvoir dictatorial au lieu du pouvoir actuel. En se référant sur les conséquences de cette guerre sur le Rwanda, le choix deviendrait encore plus clair et presque unanime. Plus clair encore serait la comparaison des bavures des droits de l'homme sous les deux républiques. Le régime dictatorial de Habyarimana risquerait d'être blanchi.

 

            La troisième république (république FPR) est née dans un contexte de victoire militaire des inyenzi-inkotanyi. Elle a directement évolué dans des tensions de lutte interethnique que ses leaders avaient eux-mêmes activées. Cette victoire militaire de la minorité tutsi et de leurs alliés a jetté en dehors du pays une partie importante de la population hutu. Un régime oppressif et sanguinaire s'installa de nouveau à Kigali. La liberté d'expression fut d'office abolie. Les mauvaises habitudes du régime politique précédent furent renforcées. Tous les hutu furent considérés comme des génocidaires et donc des ennemis déclarés du nouveau régime. Si un hutu était appréhendé comme un opposant politique, tout son village était menacé d'être anéanti. Des exécutions sommaires et des détentions arbitraires et sans jugement caractérisèrent ce régime. Hormis les organisations affiliées au FPR, les autres organisations des droits de l'homme furent chassées. Malheureusement, certaines organisations non gouvernementales continuent de rendre un service délicat au FPR. C'est le cas d'African Rights dont le fondateur "Rakya Omaar", à juger par ses propos est devenue un véritable inyenzi-inkotanyi. Son organisation, au lieu de rester neutre dans le conflit rwandais et s'occuper véritablement des droits de l'homme a été récupéré par quelques types qui charment cette jeune femme. C'est ainsi que Rakya s'occupe de la nuisance des droits de quelques individus que le FPR juge indésirables. Pourtant, les médiass occidentaux n'en parlent presque pas ou en parlent avec passion. Monsieur Higiro[14] appelle de telles organisations ainsi que d'autres acteurs soucieux des droits de l'homme au Rwanda de revenir à la raison en ces termes: "Quiconque veut aider les rwandais à vivre ensemble doit réaliser que toute violation des droits des citoyens rwandais (exécutions sommaires, arrestations arbitraires, détentions sans jugement, traitements inhumains, ...), commise et tolérée au nom du génocide des tutsi, fait partie d'une stratégie d'un régime oppressif pour se maintenir au pouvoir".

 

            Une république guerrière: la défaite des FAR (Forces Armées Rwandaises) et la reconnaissance par la communauté internationale du génocide va faire du Rwanda-tutsi un enfant rebelle et gâté. Profitant de l'attitude ambigue de cette communauté à l'égard des conflits qui déchirent notre globe, le nouveau pouvoir tutsi va se distinguer par des actes guerriers surtout envers son voisin de l'OUEST. A l'instar de leurs pères monarchiques, les tutsi de Kigali avec leurs congénères de Kampala, vont vouloir étendre leur domination sur tous les pays des Grands Lacs. C'est ainsi que, appuyés par les Etats Unis d'Amérique (USA), ils vont chasser Mobutu du pouvoir et installer à Kinshasa un régime fantoche de Kabila.  L'agression d'un pays souverain, membre de l'ONU, devait normalement être condamnée et même militairement stoppée par la communauté internationale. Cela ne fut pas le cas. Dans la suite (1998), la volonté manifeste des tutsi ougandais et rwandais d'occuper l'ancien Zaïre va entraîner le Congo dans une spirale de guerre d'agression sans fin. Le prétexte avancé était le problème des tutsi zaïrois (abanyamurenge) qui, semble t-il, étaient menacés. D’une part, le rêve tutsi de créer un empire hima en Afrique centrale était, en réalité, la cause de la guerre d'agression déclarée contre Kabila en septembre 1998. Mais, de l’autre part, le rêve américain de dominer et exploiter l’Afrique des Grands Lacs allait se concrétiser. Ce conflit guerrier va ainsi impliquer plusieurs des pays de cette région africaine. Les objectifs guerriers des dirigeants tutsi de Kigali et de Kampala eurent une incidence grave sur l'économie de ces pays. Leurs peuples respectifs continuèrent de vivre dans la misère alors que l'armement se perfectionnait. La stratégie expansionniste des dirigeants tutsi de Kigali et Kampala à l'aube du 20e siècle rappelle la politique de plusieurs rois du Moyen Age. Ces pays devraient comprendre que bientôt nous serons au 21e siècle et que la stratégie de la prospérité par l'annexion a été révolue.

 

            En jetant un petit coup d'oeil sur la région des grands lacs, on remarque que tous ces pays vivent dans des guerres. L'Ouganda et le Burundi connaissent des rébellions qui viennent de passer plus d'une dizaine d'années. Les médias ne parlent plus de la guerre au Rwanda, mais chaque jour emporte des vies humaines. Le Congo connaît une agression des trois pays précédents. Plus précisément, il est devenu le théâtre des combats entre les grandes puissances qui convoitent le sous-sol de ce riche pays. Les pays montrés du doigt ne sont que leurs pions. Dans tout cela ce sont les peuples respectifs de ces pays qui continuent de souffrir. Ils sont en train de payer une lourde facture de ce qu'ils n'ont pas consommés. Au centre de tout cet imbroglio, c'est Museveni qui joue le sale jeu. La communauté internationale devrait l'identifier et le juger comme tel. Tout en continuant d’être protégé par certaines puissances occidentales, il continue de causer plusieurs dégâts matériels et surtout humains. Les survivants continuent de vivoter. Comme le disait le père J. Wrésinski, "Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l'homme sont violés". Pendant tout ce temps, le FPR continue d’occuper une certaine partie du Congo. Au mois de juin 2000, les agresseurs du Congo se sont même affrontés à Kisangani, tuant plusieurs milliers de civils. Pourtant la communauté internationale, même l’OUA, ne veulent pas dénoncer ouvertement ces envahisseurs d’un pays libre et indépendant. Au contraire, les aides continuent de venir soutenir le Rwanda pauvre du FPR et cela sous le paravent qu’il y a eu un génocide. Cela est corroboré par les données parues dans l’article de J. Diana: « Pendant qu’on endort le Congo, la communauté internationale aide le Rwanda ». Les exemples suivants y sont cités : 

 L'Union européenne a accordé une aide de plus de 153 millions de Euro, dont 110 millions libérés immédiatement.* Le Fmi fait bénéficier au Rwanda le programme ESAF pour un montant de 9,25 millions de DTS. Le même programme a été refusé au Zimbabwe à cause de son implication dans la guerre au Congo. * Le Congo  elle-même n'a droit qu'à des larmes de crocodile à travers une aide humanitaire hypocrite.

Où le Rwanda trouve-t-il de l'argent pour soutenir la guerre au Congo et améliorer en même temps son économie ? Beaucoup refusent de se poser cette question dans une situation pourtant flagrante. Par contre, tout le monde parle du Zimbabwe qui serait ruiné par la guerre au Congo. Comment le Zimbabwe, plus pourvu que le Rwanda peut-il se ruiner pendant que Kigali sent à peine le poids de la guerre ? Cette question aussi, personne ne se la pose. Pour empêcher que les hommes lucides y réfléchissent, on a trouvé une explication absolue. Le Rwanda trouverait les moyens de faire la guerre au Congo même en exportant les richesses de ce pays. Cette thèse est largement présentée dans des médias occidentaux. Là encore, on ne va pas plus loin. Car, d'autre part, le Zimbabwe est aussi accusé de se servir au Congo. Où est la vérité dans tout cela ? On ne le dira jamais assez, la communauté internationale toute entière mène la guerre contre le Congo. Quand on dit que le Rwanda ne donne nullement le visage d'un pays en guerre, ce ne sont pas de déclarations en l'air. Ce pays, en 1997, était le pays du monde le plus dépendant de l'aide extérieure. Et cela en terme d'aide extérieure officielle pour le développement par rapport au Pnb. Soit 32%. Aujourd'hui, selon l'agence Reuters, l'aide extérieure représente 45% du budget du Rwanda pour l'exercice 1999. Il n'y a aucun doute que l'aide de la communauté internationale au Rwanda a repris, sinon plus au moins doublé au lendemain du déclenchement de la guerre au Congo. C'est avec cette aide notamment que le Rwanda a pu faire face à ses obligations au Fmi et à la Banque mondiale. On cite plus particulièrement l'aide que la Suède, le Royaume Uni et le Pays-Bas ont accordée dans le cadre de l'aide bilatérale.

Le Rwanda préféré au Zimbabwe

En plus de toutes ces aides, le Rwanda a également bénéficié du programme ESAF (facilité d'ajustement structurel élargie) du Fmi en 1998 et en 1999, soit un montant de 9,25 millions de DTS. Le même montant lui a été accordé en mars 2000. Tout le monde sait que le Fmi avait refusé le même programme au Zimbabwe à cause de son implication dans la guerre au Congo. On pénalise un pays appelé au secours et qui est venu sauver la souveraineté d'un autre pays, tout en protégeant et soigner aux petits œufs celui qui a imposé la guerre. Cela veut clairement dire que le Rwanda avait le droit d'agresser le Congo mais le Zimbabwe n'en avait aucun pour venir à son secours. La Banque mondiale, quant à elle, a accordé au Rwanda deux prêts importants entre juillet 1998 et juillet 1999, soit un montant de 75 millions de $Us. L'aide avait pour motif, le renforcement des communautés locales. Tous les spécialistes en matière d'aide de la Banque mondiale savent que ce montant dépasse la hauteur de l'aide à laquelle le Rwanda avait droit en cette matière. La Banque mondiale s'est trouvée une explication pour justifier cette largesse. Pour elle donc, la raison est à chercher dans "le statut spécial accordé au Rwanda afin de lui permettre une transition rapide vers la paix et le développement". Le Royaume Uni quant à lui, dans le cadre de l'aide bilatérale, et sur base de l'accord du 12 avril 1999 entre lui et le Rwanda, à fait bénéficier à ce dernier une aide budgétaire de 55 millions de livres pour une période de dix ans. Le Japon n'est pas en reste car ayant reéchelonné la dette rwandaise pour un montant de 8,25 millions de $US. Le 27 août 1998, quelques semaines après le déclenchement de la guerre, le Pays-Bas consentait à une aide de 6,7 millions de $Us au "Trust Fund" du PNUD pour le renforcement des infrastructures scolaires du Rwanda.

Pendant que l'Union européenne endort le Congo avec des préceptes qu'elle n'accepterait pas elle-même en cas d'agression, elle met le paquet pour aider le Rwanda à résister devant le Congo. En mars 2000, l'UE a accordé au Rwanda une aide de 157,5 millions d'Euro, soit 7,25 milliards de F.B dans le cadre de la reprise de l'aide structurelle. De ce montant, 110 millions d'Euro ont été libérés immédiatement. L'UE, déclare, pince-sans-rire que cette aide va aider à la consolidation de la démocratie, aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. Dieu seul sait si le Rwanda est déjà engagé dans un quelconque processus de démocratisation. On se demande également si le Rwanda s'est déjà engagé dans le respect des droits de l'homme. Les différents massacres que l'armée rwandaise commet au Congo n'ont aucun sens pour l'Union Européenne. Tous les Hutu qu'on entasse dans des prisons rwandaises sans jugement sont une explication à l'aide de l'Union Européenne. Bien plus, l'Union Européenne dit que son aide va servir à la stabilité de la sous-région. Le Rwanda en agressant le Congo, assure cette stabilité de la région des Grands Lacs, à en croire les insinuations de l'Union Européenne. Dans cette guerre, tout est clair que les agresseurs de le Congo ont les faveurs de la Communauté internationale. On peut évoquer le cas de l'Ouganda que comblent le FMI et la BM. Pendant ce temps, les alliés du Congo ont droit à une propagande malveillante et le Congo elle-même, à des larmes de crocodile qui coulent difficilement à travers une aide humanitaire perfide et hypocrite.

- L'image du tribunal international pour le Rwanda

            Le problème des massacres interethniques au Rwanda, couplé avec la disparition éhontée et programmée des responsables politiques de la 1ère République, nous renvoie au problème de l’impunité qui a caractérisé le pays. En effet, il y a lieu de se demander toute une série de questions. Pourquoi les commanditeurs des massacres ethniques de 1973 n'ont jamais été interpellé par la justice? Pourquoi et comment a-t-on jugé les autorités de la 1ère république? Qui va juger tous les actes inhumains et barbares commis par la Garde Présidentielle et les milices en avril 1994? Qui va juger avec toute impartialité les crimes contre l'humanité commises par le FPR (Front Patriotique Rwandais) depuis le début de la guerre en 1990? Qui va rendre justice à plus de 300.000 hutu *, victimes des massacres du FPR depuis la prise de Kigali en juillet 1994 jusqu'en juillet 1995? Qui va s'occuper des disparitions perpétrées par le FPR depuis sa victoire jusqu'à ce jour? Qui va juger les envahisseurs d'un pays souverain (Rwanda) par une armée étrangère appuyée matériellement, moralement et surtout financièrement par un président d'un autre pays indépendant: Museveni?

 

            S’il est juste que les meneurs des massacres d'avril 1994 doivent être jugés, on voit mal par ailleurs comment un tribunal international pour le Rwanda contribuera, tel qu’il est conçu actuellement, à réconcilier les hutu et les tutsi. Presque tous les hutu, ont été à tort et à travers, considérés par le FPR et ses médiass occidentaux, comme seuls responsables du passé alors que le rôle de l'envahisseur dans ce conflit n'est jamais évoqué. Ainsi par exemple, plusieurs arrestations des hutu faites par le tribunal ne relèvent d'aucun acte d'accusation pour les soutenir. Les actes d'accusation sont confectionnés après les arrestations et encore sur proposition de l’autorité FPR. Une telle approche qui consiste à soutenir le FPR dans ses arrestations et détentions arbitraires procède de la pure injustice et ne vise qu'à nuire certains individus visés par le pouvoir minoritaire de Kigali. Ce tribunal est, du moins pour le moment, un instrument d’une partie et contribue à l’aggravation de la crise actuelle. Vox populi, vox Dei. Peu reste donc à attendre de ce tribunal international, dont le mandat a été trop restreint dans le temps et dans ses actions (ses actions ne couvriront que la dernière période de la guerre seulement, soit l'année 1994). Il ne pourra pas aborder ainsi le problème d'invasion du Rwanda par un pays voisin, ce qui est primordial dans le conflit rwandais. Voici ce qu'a écrit un éminent juriste américain John PHILLIPOT ** (Secrétaire Général de l'Association des Juristes Américains: organisme qui a un statut consultatif à l'ONU) à propos de ce tribunal: "il n'est ni indépendant, ni impartial, ni permanent. ... il ne reflète nullement un consensus international qui proviendrait d'un vote à l'Assemblée Générale de l'ONU. C'est un Tribunal du vainqueur créé par le Conseil de Sécurité à la demande de la partie victorieuse ....". C’est dans le même ordre d’idées que le rapport Carlsson, pourtant rédigé sur commande de l’ONU, a disqualifié le TPIR. Le TPIR a été créé par le conseil de sécurité de l’ONU. Pourtant, ce conseil n’a pas les compétences requises pour créer un tel tribunal. A notre avis, les jugements prononcés par ce tribunal devraient être pris avec plus de réserves. Dans l’optique d’une justice juste reconnu par tous, nous devons envisager dores et déjà la possibilité de leur révision.

 

            L'invasion (la guerre) du Rwanda a été préparée en Ouganda. Elle fut conduite sous la bannière des réfugiés avec la participation à peine voilée de l'armée ougandaise. Cela est en violation grave des principes du droit international liant les deux pays. Par ailleurs, selon l'art. III, paragraphe 2 de la Convention de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) de 1969 relative à la problématique des réfugiés en Afrique, les Etats membres se sont engagé "à prendre des dispositions afin d'empêcher aux réfugiés installés sur leurs territoires d'attaquer tout Etat membre ou de se livrer à des activités pouvant créer des tensions...". Ces dispositions ont été ignorées par le Conseil de Sécurité de l'ONU qui a parrainé la création de ce tribunal pénal pour le Rwanda. Pourtant, le droit international inclut les crimes de planification et la conduite des guerres d'agression dans le cadre du Tribunal de Nuremberg. Apparemment, un second tribunal ayant comme objectif de dévoiler tous les problèmes de fonds à la base de la tragédie rwandaise devra tôt ou tard être créé. Il se pencherait alors sur la responsabilité des divers acteurs dans la tragédie nationale. A titre d'exemple, on pourrait citer:

· Le MRND et l'Akazu*** :

            - La boulimie impudente du pouvoir

Cette soif a commencé en 1973 avec l'interdiction radicale du parti du peuple "le mouvement démocratique républicain PARMEHUTU (MDR Parmehutu)". Cette malheureuse interdiction suivie par la disparition éhontée de plusieurs personnalités politiques est l'une des causes de la tragédie qu'a vécue la grande masse paysanne HUTU après la victoire du FPR en 1994. Dans les faits, les hutu ne se reconnaissaient nulle part alors que les tutsi se reconnaissaient à travers les organisations des réfugiés. De plus, les rwandais ont été écarté de la politique. Seule la famille présidentielle et quelques acolytes dirigeaient le pays. Le massacre de responsables politiques de la première république, dont la plupart avaient pourtant lutté corps et âme pour l'indépendance nationale, fut un crime grave perpétré par Habyarimana et ses camarades du 5 Juillet*. Le problème de la succession de Habyarimana par un apolitique était alors indirectement posée. La lutte pour sa succession durant la courte période de la démocratisation des institutions nationales des années 1990 montre bien les faits. Sa succession après sa disparition par "un enfant rebelle de l'AKAZU" s'inscrit également en partie dans la même logique. En préparant l'attentat contre le président, le FPR avait bien exploité cette situation. Il savait bien que la réussite de cette opération l'amènerait à sa victoire militaire et donc à la succession de Habyarimana.

            - blocage volontaire du processus de démocratisation et des accords d'Arusha,     etc.

 · Les responsables des partis politiques dits "Force Démocratique pour le Changement"

            - mauvaise conduite et gestion de la situation de guerre (confusionnisme entre un conflit interne et externe);

            - manque ou peu de patriotisme entraînant une primauté des intérêts individuels avant les intérêts de la masse paysanne, et cela pendant la guerre, etc.

· Le Front Patriotique Rwandais

            - conduite d'une guerre meurtrière interminable comme option privilégiée et ses conséquences, etc.

C' est ce tribunal impartial qui devra mettre fin à l'impunité. Ce sera alors le début de la vraie reconstruction du pays et de la réconciliation nationale.

 

           

 

- Génocide des tutsi et/ou des hutu: interprétation malsaine des faits ou mauvaise foi des médias.

            Le déroulement de la guerre qui a secoué le Rwanda peut se subdiviser en plusieurs phases:

- la première phase date d'octobre 1990. Pendant cette phase, le Front Patriotique Rwandais (FPR - organisation militaire formée essentiellement par les tutsi en exil) soutenu par d’autres forces diaboliques dont la NRA (National Resistance Army - armée ougandaise) pensait mener une guerre éclaire. En même temps, il mena une propagande de sensibilisation de la population rwandaise à l'intérieur du pays à ses idéaux. Cette propagande fut un échec. C'est justement suite à cet échec de sensibilisation que les massacres des civils hutu innocents ont commencé. Tous ceux qui n'épousaient pas son idéologie étaient coupables. La phase se solda par un échec du FPR sur le front militaire. Cette attaque, qui coïncida avec le début de la démocratisation du pays, fut l'occasion pour le régime Habyarimana de se débarrasser des alliés du FPR. C'est ainsi que par exemple certains Bagogwe - tutsi considérés comme congénères du FPR, furent sauvagement maltraités. De même, certains hutu qui se réclamaient de la mouvance de l'opposition démocratique reçurent le même sort.

 

- la seconde phase date de février 1993 où le FPR a changé de tactique militaire par des bombardements massifs au catiousha ainsi que par l'assassinat des personnalités politiques rwandaises *. C'est pendant cette période que commença la vraie destruction du pays (bombardements des centrales hydroélectriques, etc.). Les massacres des populations civiles hutu s'intensifièrent. Suite à ces massacres commis par le FPR, il y eut un mouvement massif des déplacés de guerre dans les préfectures de Byumba et de Ruhengeri vers l'intérieur du pays (plus de 500.000). Ces déplacés arrivèrent aux portes de la capitale - Kigali (camp des déplacés de Nyacyonga).

 

- la troisième phase: c'est à partir du 6 avril 1994. La mort des présidents rwandais et burundais HABYARIMANA et NTARYAMIRA fut le détonateur des massacres dans tout le pays. La milice du parti du président tué Habyarimana (les interahamwe), soutenue par la garde présidentielle, s'en est pris aux tutsi mais aussi à tous les hutu jugés de conspirateurs dans cette guerre. En même temps, le FPR, qui semble être le vrai auteur de l'attentat qui a coûté la vie aux deux présidents, avait déjà alerté ses troupes. Chemin faisant, l'avancé de ses troupes vers Kigali directement après l'explosion de l'avion présidentiel s'est distingué par l'extermination de plusieurs milliers de civils hutu. A Kigali même, plusieurs familles hutu (hommes, femmes et enfants) furent exterminés[15] par les éléments du FPR. En attendant la proclamation officielle du nouveau gouvernement de transition, un contingent FPR fort de 600 personnes avait été installé officiellement dans le bâtiment du parlement (CND). Selon l'accord qui avait été signé entre le gouvernement rwandais et le FPR, ce bataillon était normalement chargé de garder les officiels du FPR venus à Kigali pour l'occasion.

 

             Il est à remarquer qu'après la victoire du FPR en juillet 1994, les massacres à grande échelle des hutu se sont poursuivis. Cette épuration ethnique intervenant sous couvert de l'émotion provoquée par les massacres des tutsi en avril 1994 a été passée sous silence par la communauté internationale qui n'a pas voulu mettre en place une commission d'enquête. Seul le rapport Gersony, sorti en septembre 1994, a voulu attirer l'attention internationale sur l'extermination de plusieurs civils hutu à l'intérieur du pays. Il a ouvertement accusé le FPR de génocide et de crimes contre l’humanité. Pourtant, ce rapport a été frappé par un embargo malgré que cette mission ait été menée sur recommandation de l'ONU. Sans parler du génocide des hutu opéré au Zaïre en 1996, les plus graves massacres survenus à l'intérieur du Rwanda sont ceux de Kibeho en avril 1995 où, pendant une opération sanguinaire programmée, plus de 4.000 hutu réfugiés (selon Médecins sans Frontières) furent froidement abattus par les soldats du FPR. Alors que sous l'ordre militaire du FPR, la plupart des corps des victimes avaient été cachés et/ou enterrés dans des fosses communes pendant plusieurs nuits, le président Bizimungu va lui-même dénombrer jusqu'à 338 tués, délaissés sur les lieux quelques jours après ce monstrueux carnage. L'image la plus terrifiante et la plus saisissante de Kibeho restera celle de cette malheureuse femme jetée dans la fosse commune avec son bébé sur le dos alors que plusieurs autres enfants, certainement grièvement blessés, se mouvaient au milieu des autres cadavres. 

 

            D'autres lieux resteront pour toujours dans la mémoire des rwandais. Il s'agit entre autres de Masaka (commune Kanombe), Gabiro, forêt du Groupe Scolaire de Butare, et de plusieurs autres lieux cachés et interdits aux civils et étrangers où le FPR brûlait les civils hutu et les enterrait dans des fosses communes. Les gens arrivaient vivants, on les faisait l'ingoyi (le ligotage des coudes dans le dos) et on les tuait de coups précis sur l'os frontal du crâne à l'aide d'un marteau, d'une massue ou d'une vieille houe[16]. Par ailleurs, plusieurs civils hutu sont morts, asphyxiés dans des containers hermétiquement fermés. Ces containers étaient volontairement exposés à la chaleur du soleil. Jusqu'à présent, cette méthode de torture des hutu est encore utilisée dans le pays. Pourtant, presque tous les médias et les autres défenseurs des droits de l'homme ont laissé passer cette situation sous silence, comme si l'homme hutu ne valait pas autant que son homologue tutsi. Ici, il y a lieu de se demander comment les experts d'Amnesty International, qui se sont donné le travail d'exhumer certains corps, ont pu distinguer si les os trouvés étaient hutu ou tutsi, et plus grave encore, si l'individu avait été tué par les interahamwe ou par le FPR. Ceci est d'autant plus important que les deux antagonistes utilisaient presque les mêmes moyens d'extermination. Il y a aussi et surtout  lieu de se demander le bien-fondé du silence inhabituel d'African Human Rigths, dont la présence sur le terrain a été toujours sans aucune restriction.

 

            C'est pourquoi, les gens qui connaissent le Rwanda ont parfaitement raison de se poser plusieurs questions.

-          Quelle est  la responsabilité (dans cette guerre) de celui qui a agressé et attaqué le Rwanda  en octobre 1990, alors réputé comme pays de paix?

-          Quelle est  la responsabilité des pays comme les USA, la Belgique, …. Dans ce conflit ?

- Qui a tué les deux présidents du Rwanda et du Burundi et à qui profitait ce crime ignoble?

- Pourquoi la communauté internationale a classé ce crime particulièrement odieux comme un crime normale? Elle semble déjà avoir clôturé cette affaire.

- Parmi les deux grands antagonistes dans ce conflit (hutu et tutsi), qui a perdu plus d'hommes (civils massacrés par les militaires) et pourquoi?

- Est-il objectif de décrier le génocide des tutsi seulement ou est-il plus logique de parler de génocide des hutu et des tutsi?

 

            De toutes les façons, s'il y a eu un génocide, il a touché toute la population. Sur ce, on peut même se demander comment peut-on être victime d'un génocide et gagner en même temps une guerre. Parler de génocide revient à affirmer, non seulement, l'existence des coupables, mais aussi des victimes. C'est pourquoi, une telle lecture des événements d'avril 1994 peut permettre non seulement d'identifier les martyrs, mais aussi et surtout les responsables. Or, les responsables et les victimes se trouvent des deux côtés. Ils sont hutu, mais aussi tutsi. La terreur a été bidirectionnelle pendant les massacres de 1994, d'où la raison à ceux qui pensent au double génocide. Elle est même devenue à sens unique après la victoire du FPR. En effet, l’équipe du rapporteur des Nations Unies sur les éxactions commises par le FPR au Zaïre, Roberto Garreton a dénombré entre vingt mille et cent mille cadavres des hutu tués. Pourtant, sa libre circulation sur le sol zaïrois avait été restreinte tellement qu’il a même dû quitter précipitamment ce pays. Sous la pression des USA, le terme génocide qui avait été utilisé pour qualifier cette sale besogne du FPR a été remplacé par « massacres »

 

            Concernant la mort des deux présidents rwandais et burundais, plusieurs spéculations circulent, souvent même dans le seul but de brouiller les pistes. C'est pourquoi, bien que je ne sois pas mieux placé pour répondre à cette question, rien ne m'empêche de donner une analyse, si petite ou incomplète, pour essayer d'éclairer le noeud du problème. Deux hypothèses les plus probables ont été avancées. L'une incrimine le "noyau dur" du pouvoir Habyarimana et l'autre met directement sur les sellettes le "FPR".

 

            Concernant la première hypothèse du noyau dur, les tenants de cette variante l'appuient en rappelant que le président Habyarimana et son entourage le plus dur (AKAZU) avaient bloqué la mise en place des institutions de transitions pour que les accords d'Arusha ne restent que lettre morte. Selon eux, comme Habyarimana risquait de mettre en oeuvre ces accords, il fallait à tout prix l'éliminer. De prime abord, le raisonnement semble cohérent. Mais, pour quelqu'un qui connaît les anciennes personnalités politiques rwandaises, de telles affirmations perdent vite leur sens. En effet, qui constituait ce noyau dur (AKAZU) qui a trahi le peuple rwandais et qui ne voulait absolument pas lâcher le pouvoir? Ceux qui ont vécu au Rwanda et qui connaissent l'AKAZU vous diront que les grands manitous* de l'AKAZU sont morts dans l'avion présidentiel en même temps que le Président Habyarimana. Les membres de l'AKAZU n'étaient pas aussi drôles jusqu'à se couper les bras et les jambes pour mieux affronter l'ennemi! Ainsi, la mort des grands leaders de l'AKAZU n'est certainement pas à mettre sur le dos des responsables proches du président tué, il faut chercher ailleurs. Cinq ans après le changement du pouvoir à Kigali, il y a lieu de se demander pourquoi les nouvelles autorités de Kigali ne veulent pas du tout entendre parler de l'enquête y relative. L'affaire a été classé sans suite malgré son importance dans l'éclaircissement du drame rwandais.

 

            Il faut se souvenir que ce n'est pas pour la première fois que le FPR commettait des meurtres politiques et que les comptes étaient portés aux autres acteurs politiques rwandais (cfr. mort de GATABAZI F. et de GAPYISI E.). En faisant un petit feed back relatif à la mort de cet ancien ministre des travaux publics (GATABAZI) et qui était également premier vice-président du parti PSD, on se rend compte qu'il a été abattu dans les mêmes conditions que le président Habyarimana. Sa mort, qui au début a été porté à tort et à travers sur le compte d'un autre parti politique, la CDR, a causé beaucoup de troubles dans le pays, entraînant même la mort du président de ce parti (BUCYANA). Actuellement, il semble de plus en plus clair que cet assassinat émanait du FPR. Les ressemblances de ces deux attentats font croire que ces actes odieux s'inscrivent dans la logique d'un même auteur.

 

            Il faut se rappeler également qu'avant la guerre de 1990, le Rwanda était l'un des pays africains les mieux côtés par la communauté internationale en ce qui concerne la bonne gestion du pays. Malgré cette côte, la guerre médiatique menée par le FPR déjà en 1991 faisait croire que le Rwanda était un démon. De telles manoeuvres, que le FPR opérait sous l'oeil des médias corrompus, lui sont propres et présentement n'étonnent plus personne. A moins que ceux qui avancent cet argument ne disent que le noyau dur du régime était constitué par d'autres éléments jusqu'à présent non connus, cette hypothèse semble de toute vraisemblance moins plausible.

 

            Quant à la seconde hypothèse qui incrimine le FPR, ses tenants partent du fait que le FPR avait crié haut et fort, même sur les ondes de sa radio Muhabura, que leur ennemi n° 1, c'était Habyarimana et qu'il fallait l'éliminer. Ceci est renforcé par le fait que Habyarimana était devenu, dans son empire dont il était le dictateur, comme le seul représentant politique valable du Rwanda et que sa disparition signifiait un vide politique que seule une victoire militaire pouvait combler. C'est ce qui s'est produit. Rappelons que cette victoire militaire était tant convoitée par le FPR. C'était son objectif numéro un. Le FPR avait donc tout intérêt à mettre ce plan en exécution d'autant plus que sa présence militaire dans Kigali, renforcée par des infiltrations massives et par un appui déguisé des Etats étrangers, lui accordait une suprématie militaire notoire. De plus, la présence de son armée tout près de l'aéroport où a été descendu l'avion présidentiel, augmente la probabilité de cette hypothèse.

 

            Le silence qui entoure la mort du président HABYARIMANA cache la réalité de la cause de la tragédie rwandaise. Plusieurs indices intéressants existent, mais personne ne veut aller plus loin (mort de casques bleus tués, leur nombre, avion belge équipé d'antimissiles qui a survolé l'aéroport avant l'attentat, propos de Willy Claes lors de sa dernière visite officielle au Rwanda en tant que ministre des affaires étrangères devant le président "il est minuit moins cinq", etc.). A ce propos, les détenus d'Arusha écrivent: "Le nombre de casques bleus tués à Kigali reste mystérieux malgré la commission parlementaire belge qui devait élucider ce problème. D'ailleurs, un représentant des familles des casques bleus tués a déclaré devant la commission sénatoriale: « Lorsque nous avons rencontré le premier ministre, il nous a expliqué que la recherche des responsabilités risquait d’engendrer des problèmes politiques qui pourraient aller jusqu’à faire tomber le gouvernement. Il ne pouvait pas aller si loin. » Ainsi plusieurs témoins oculaires avancent un nombre supérieur à dix, accréditant ainsi la thèse selon laquelle l’avion présidentiel a été descendu par les mercenaires complices du FPR[17]."

 

            Plusieurs enjeux dans cette guerre n'ont pas encore été bien élucidés. Le conflit n'était pas seulement hutu-tutsi (nous allons le voir dans les chapitres qui suivent), mais impliquait plusieurs nations étrangères avec des objectifs à peine camouflés. Malheureusement, plusieurs tutsi qui vivaient à l'intérieur du Rwanda et non ceux qui avaient attaqué le pays ainsi que les hutu en ont été victimes. Les hutu, même après la victoire du FPR, ont continué de vivre ce cauchemar. L'arrivée du FPR à Kigali avait laissé penser que les tutsi avaient gagné. Dans les faits, seuls quelques individus de la diaspora tutsi ont vu leur rêve tomber du ciel mais en réalité, les tutsi de l'intérieur et les hutu ont perdu cette guerre. C'est tout le peuple rwandais qui a perdu finalement et qui actuellement, est en train de payer.

Telles sont certaines des questions que les rwandais devraient éclaircir en vue d'une réconciliation sans faille.

 

La dénomination du drame rwandais et ses acteurs

            A la veille du début de la démonstration sanguinaire du 6 avril 1994, le schéma des acteurs de l'imbroglio socio-politique rwandais, qui s'est vite transformé en une confrontation armée des deux adversaires ethniques, était composé comme suit:

Le camp hutu, dans lequel on pouvait distinguer:

            - les membres du parti au pouvoir (MRND) avec sa milice interahamwe,

            - les factions des autres partis d'opposition démocratique qui s'étaient ralliés au    MRND.

Le camp tutsi, dans lequel il faut distinguer:

            - L'Ouganda.

            - le FPR avec toute la diaspora tutsi,

            - les tutsi qui vivaient à l'intérieur du pays avant la guerre,

            - les dissidents (hutu) des différents partis démocratiques d'opposition     sympathisants du FPR. Les étrangers les appellent à tort et à travers les "modérés".     

A ces deux camps à caractère purement ethnique, il faut ajouter un troisième camp relativement moins visible. C’est le camp des pays impérialistes , vecteurs du conflit rwandais.

            Pendant les massacres d'avril 1994, le camp hutu s'est montré farouche à ces deux dernières catégories du camp tutsi: les tutsi de l'intérieur et les dissidents des partis politiques d'opposition pro-FPR. Les tutsi de l'intérieur, alors que certains d'entre eux n'avaient rien à avoir avec le FPR, ont été massacré. D'une part, ils étaient considérés comme des conspirateurs par le camp hutu et de l'autre part, le FPR les a considérés comme un bouclier. En effet, par ses attaques, le FPR savait bien qu'il compromettait leur vie mais il le faisait malgré tout. Certains membres du FPR sont même arrivé à dire qu'on ne peut pas faire d'omelette sans casser d'oeufs. C'est ainsi que dans les tirs d'obus qui se sont abattus sur la capitale Kigali, le FPR en a délibérément lancés plusieurs sur les abris des tutsi (Eglise Sainte Famille). Cela se faisait dans le but de discréditer publiquement l'armée rwandaise et de la rendre responsable de tous les maux.

 

            C'est dans le même cadre que le FPR s'est rendu coupable en massacrant des milliers de hutu après la prise de l'Est du pays. En effet, alors que presque tous les hutu avaient traversé la frontière tanzanienne pour y trouver refuge et que le FPR était resté seul maître de toute la région, plusieurs corps qui flottaient sur la rivière AKAGERA et le lac Victoria ont été montrés aux médias étrangers. Le FPR et son principal allié l'Ouganda avançaient que ces corps avaient été tués par des interahamwe. Les interahamwe ne pouvaient pas massacrer ces personnes alors qu'ils n'étaient plus sur le territoire rwandais. La majorité de ces corps était liée les mains dans le dos, ce qui est une torture célèbre utilisée exclusivement par les inyenzi-inkotanyi. Pour détourner l'attention de la communauté internationale, le président ougandais Museveni, qui est le véritable génocidaire du peuple rwandais, s'est précipité à déclarer le lac Victoria comme zone sinistrée.

           

            Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que dans certaines régions du pays, c'est le FPR qui a commencé les massacres des tutsi. Bien sûr, le discours du gouvernement Kambanda n'était pas aussi pour la paix, mais grâce aux  infiltrations massives du FPR, ce discours belliqueux lui permettait directement de passer physiquement à l'action. Comme les soldats FPR étaient habillés comme des FAR (Forces Armées Rwandaises) et que l'un des buts de ces infiltrations était d'inciter la population civile à s'exterminer, les massacres devenaient si vite infernales qu'on ne pouvait absolument pas se rendre compte d'où venait ce courant meurtrier. Dans la préfecture de Butare par exemple, le discours belliqueux du gouvernement Kambanda a permis au FPR de commencer les massacres. Dans son plan diabolique, il devait inciter la population civile à s'entretuer et entretemps, sa milice, qui était stationnée de l'autre côté au Burundi, devait trouver l'alibi d'entrer calmement dans ces massacres. Curieusement, plusieurs intellectuels tutsi détenaient des armes que le FPR avait distribuées. Malheureusement après avoir attisé le feu, la réaction de la population hutu a été si brutale que la milice FPR du Burundi est arrivée trop tard. Les dégâts en vies humaines étaient innombrables. Qu'importe pour les inyenzi-inkotanyi! Quel que soit le nombre des victimes tutsi, le FPR voulait seulement le pouvoir. Les massacres dans tout le pays, couplés avec la perte du territoire par les FAR à son profit le rapprochait de la victoire finale. C'est pourquoi le massacre des tutsi de l'intérieur du Rwanda, encouragé par ailleurs discrètement par le FPR, lui facilitait la tache sur le terrain. De l'autre part, les médias occidentaux ne transmettaient que des scènes d'horreur données exclusivement par le FPR. L'objectivité du métier journalistique était totalement réduite à son infime valeur.

 

            Alors que le camp hutu s'en était pris aux tutsi de l'intérieur et aux hutu pro-FPR, le FPR lui, s'en est pris à toute la population rwandaise. Hormis quelques personnalités hutu de renom publique qu'il avait évacuées sur le territoire conquis (Byumba), tous les autres hutu qui ont eu la malchance d'être capturés par le FPR ont été massacrés. Pourtant, pour se vanter de sa bonne discipline et de sa sagesse dans cette guerre, le FPR-inkotanyi a exhibé ces hutu sous sa protection devant les médias étrangers. La guerre des douilles s'était véritablement transformée en une guerre des médias.

 

            Cinq ans après les événements malheureux de 1994, il semble de plus en plus évident que le sentiment de haine et de vengeance prédomine sur la réconciliation. Quand les journalistes ont demandé à une rescapée tutsi du génocide de 1994, si elle était prête à pardonner, sa réponse a été sans ambages. "Le pardon ne se donne pas comme on offre du chocolat aux enfants"*. Cette prise de position d'une ambassadrice officieuse du FPR en Belgique, mais réellement engagée, illustre bien l'attitude de son parti politique face à la question délicate de la réconciliation. Le problème qui se pose est de savoir: qui doit pardonner qui? Dès son attaque en 1990 jusque même après sa victoire, le FPR a massacré et continue de massacrer des civils hutu innocents. Lors du génocide de 1994, les hutu ont massacré les tutsi mais aussi des autres hutu. La responsabilité incombe à tous les camps. Tous devraient normalement se pardonner. Nous pensons qu'un regret sérieux accompagné d'un rejet sincère du mal vécu conduirait les hutu et les tutsi à vivre durablement ensemble. Un rwandais nouveau naîtrait ainsi, avec le seul but de porter pour son peuple l'étendard de la paix et non celui de la guerre.

 

            Ainsi, dans le cadre de la réconciliation, le camp hutu, qui regroupait presque la totalité des hutu, devrait reconnaitre sa part de responsabilité dans le drame rwandais. De fait, les hutu devraient comprendre qu'ils se sont laissée tomber dans le piège de l'ennemi - les inyenzi-inkotanyi. Ils devraient ainsi demander des excuses aux tutsi de l'intérieur qu'ils ont massacré alors que la plupart étaient des innocents. Ils devraient aussi se réconcilier avec les autres hutu et comprendre que la pluralité des idées et idéologies est une des richesses de la démocratie. Par ailleurs, malgré sa victoire militaire, le FPR devrait avoir la franchise de demander pardon à tout le peuple rwandais (hutu et tutsi). Il a causé une guerre meurtrière, massacré des hutu innocents et s'est servi des tutsi de l'intérieur comme un bouclier. Sans cette reconnaissance de la réalité rwandaise par les deux antagonistes, la réconciliation, tant prônée par les nations étrangères, ne sera que comme un bateau avec une voile mal attachée et qui d'un moment à l'autre est condamné à chavirer. Se réconcilier, c'est d'abord reconnaitre ses actes et surtout ses erreurs envers autrui. Ses quelques années de pouvoir FPR ne montrent rien dans ce sens.

 

            C'est pourquoi, le piège tendu par le FPR à la communauté internationale de reconnaître ces massacres comme un génocide constitue un grand projet historique, destructif et catastrophique pour les rwandais. Durant toute la guerre et cela des deux côtés des belligérants, il n'y a eu ni des bons ni des mauvais. Chacun avait l'objectif d'exterminer l'autre. En reconnaissant unilatéralement le génocide au Rwanda, la communauté internationale a signé pour une atteinte portée aux droits des tutsi seuls. Elle a ainsi rendu un mauvais service au peuple rwandais. En effet, les tutsi ont été considérés comme un peuple martyrisé quelque part au Rwanda. Cela a accentué la bipolarisation ethnique. C'est un frein réel à la réconciliation. Un génocide frappe la psychologie des survivants pendant longtemps. Il reste gravé dans leur mémoire. Il ne s'efface pas facilement et même l'histoire le cite en grandes lignes. Le malheur qui a fait que le génocide a été mis seulement sur le dos des hutu est lié à la fameuse question des minorités ethniques, mais aussi et surtout au fait que les hutu se sont laissés vaincre. Or, l'attaque du pays a été faite par le FPR. Ce dernier avait bien pesé toutes les conséquences. Si les allemands ont reconnu le génocide des juifs et qu'ils se sont même réconciliés, ce geste avait un sens. Ce sont eux qui se sont livrés à l'attaque et à la chasse des juifs. Dans le contexte rwandais, on veut paradoxalement faire croire au monde entier que celui qui a été agressé doit supporter tout le poids des malédictions de la guerre et présenter des excuses à son agresseur. Quelle logique de la communauté internationale!

 

            Même si l'histoire s'est caractérisé par plusieurs guerres, la guerre n'a jamais été un bon moyen pour arriver au pouvoir. Elle détruit plus qu'elle ne construit et l'agresseur devrait normalement assumer toutes ses responsabilités dans le drame. Malgré cela et quelles que soient ses atrocités, le vainqueur d'une guerre a malheureusement toujours raison. C'est ce qui s'est passé au Rwanda. La victoire du FPR en 1994 lui a conféré la légitimité. Toutefois, laisser une minorité quelconque évoluer dans des erreurs de gestion d'un pays sous prétexte de n'importe quelle bavure de son droit dans le passé est un acte démocratiquement irresponsable. Devant cette machination internationale, comment voulez-vous que la réconciliation soit facile? Perdre la partie a été une lâcheté pour les uns, mais les autres devraient reconnaître que la bataille n'a pas été perdue in aeternum. Ajoutons seulement que « qui vivra verra ».


III. La problématique générale du développement avant et après la guerre d’octobre 1990

 

2.1  Les différentes contraintes au développement national

            L’évolution de la population depuis les années 1930 jusque dans les années 1980 a montré qu’elle suivait une courbe exponentielle avec quelques exceptions, comme la période 1943-1944 caractérisée par la grande famine RUZAGAYURA qui a fait chuter l’effectif de la population. Hormis ces quelques rares cas, la population rwandaise a connu une croissance rapide et continue. Le peuplement de tout le pays a fait que, déjà dès l’arrivée des premiers européens à la fin du dix neuvième siècle- début 20° siècle, le Rwanda fut considéré comme surpeuplé. Les terres agricoles étaient pourtant largement disponibles. Cette vision malthusienne va constituer la principale idéologie en matière de croissance de la population rwandaise jusqu’à nos jours.

 

            La contrainte de la croissance démographique rapide surtout sa composante ethnique paraît assez préoccupante. Contrairement à plusieurs autres pays africains où on dénombre une multitude d’ethnies, le petit nombre (trois) d’ethnies ayant en commun une seule langue, bref une seule culture, devrait être un atout important et positif pour le développement du Rwanda. Ici, il faut prendre le développement  comme un résultat d'une évolution d'un processus complexe, aucours duquel chaque membre d'une collectivité (rwandais), sans discrimination aucune, aurait un rôle à jouer, qui ne serait jamais entièrement prédeterminé et dont l'impact dépendrait de la créativité et la capacité innovatrice de chacun. Malheureusement, la présence des situations conflictuelles entre les deux principales ethnies hutu et tutsi constitue un handicap majeur pour la réalisation de cet objectif dans cette région d'Afrique. Quiconque nierait ainsi l’importance et le rôle des ethnies dans le développement passé et futur du Rwanda ne ferait qu’une analyse tronquée  du problème.

 

            Le pays est complètement enclavé entre le Zaïre à l’Ouest, le Burundi au Sud, la Tanzanie à l’Est et l’Ouganda au Nord. La distance au port le plus proche, Mombassa, est de 1250 km.

           

            Les ressources naturelles sont limitées et l’essentiel de l’économie s’appuie sur l’agriculture qui occupe plus de 85 % de toute la population active. Le tableau suivant montre que les exportations du café représentent plus de 60 % du total des exportations. Considérés ensemble avec le thé, les deux cultures représentent plus de 80 % de toutes les exportations. Il est toutefois nécessaire de remarquer que les prix de ces produits sont fixés par le marché international et non par les pays producteurs, ce qui entraîne des fluctuations souvent catastrophiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                       Tableau n° 1                                                                                                     

 

      Evolution structurelle des exportations (en mios de FRW)

 

 

 

1987

1988

1989

1990

1991

Café

8350

7229

5176

6107

7929

Thé

1202

1365

1885

2031

3258

Cassitérite

47

-

381

295

316

Wolfram

13

-

38

38

115

Peaux

427

396

424

283

359

Autres exports

321

387

609

592

943

Total CIF

10486

9569

8655

9523

13274

Part  Café+Thé (%)

91

89,8

81,6

85,5

84,3

                               

                            

Source: République Rwandaise, Ministère du Plan: Evolution de la situation économique du Rwanda 1988-1991 et tendances 1992, Cahiers économiques du Rwanda, Kigali, 1992

 

 

            Les faiblesses de la base de production et une économie ouverte ont perpétué la dépendance du pays vis à vis de l’extérieur. C’est ainsi que la presque totalité des exportations nationales proviennent des recettes de deux cultures: le café et le thé. La baisse en volume de la production de ces cultures sans compter la conjoncture capricieuse sur les marchés internationaux aggravent les contraintes en ressources pour le développement.

 

            Parmi les contraintes environnementales qui influencent par ailleurs son agriculture, on peut citer l’érosion des sols. En effet, le Rwanda se caractérise par une succession de montagnes et de collines et du plateau à l’Est ce qui lui donne un relief assez mouvementé, souvent avec de fortes pentes allant même jusqu’à plus de 50 %. Du point de vue touristique, cette succession de montagnes et de collines lui a valu le nom de "Pays des Mille Collines".

 

            L’altitude minimum est de 900 m dans la plaine du Bugarama pour culminer jusqu’à plus de 2000 m dans les volcans au Nord du pays. La diversification du relief et des conditions climatiques a entraîné l’existence des différentes zones  géographiques et climatiques qui sont à la base du découpage du pays en douze régions agricoles.

 

            L’ensemble de toutes ces contraintes (démographiques, économiques, physiques, etc.) entraînent  le pays dans une dépendance financière  vis à vis de l’extérieur pour réaliser la plupart de ses projets de développement.

 

 

 

2.2 Evolution générale de la population rwandaise

            A l’arrivée du colonisateur, le Rwanda fut considéré comme surpeuplé alors que les terres agricoles étaient assez suffisantes. Cette vision se dessinait par rapport aux autres pays africains qui n’étaient pas alors aussi peuplé que le Rwanda. C’est ainsi que le pays va être considéré comme une véritable source de la main d’oeuvre et les migrations seront favorisées. En 1960, la population rwandaise était estimée à 3 millions et sera chiffrée à 4,8 millions en 1978. L’évolution la plus récente de la population au Rwanda est donnée par les deux derniers recensements de la population et de l’habitat (RGPH) de 1978 [18] et de 1991 [19].      

 

 

                                                                                                 Tableau n° 3

 

          Répartition et évolution de la population par préfecture et par commune

                                                      1978-1991

 

Préfecture

Nbre de commu-

nes

         Population

Taux d'accrois

sement

 (%)

Nombre de  communes avec +300 hab/km² en 1978

Nombre de  communes avec -300 hab/km² en 1991

 

 

1978

1991

 

 

 

Butare

20

602391

764795

2,0

13

18

Byumba

17

521842

779665

3,4

3

11

Cyangugu

11

333164

517135

3,7

6

9

Gikongoro

13

370577

466290

1,9

3

5

Gisenyi

12

468818

729855

3,8

5

12

Gitarama

17

606103

851145

2,9

7

16

Kibungo

11

361108

646555

5,0

0

2

Kibuye

9

336571

473920

2,9

2

6

Kigali

17

698178

917970

2,3

6

13

Kigali-Ville*

3

-

232770

-

-

3

Ruhengeri

16

531728

769115

3,1

10

16

Rwanda

145

4830480**

7149215

3,2

55

111

 

                                                                      

                        * La préfecture de Kigali-Ville  n’existait pas en 1978. Elle a été créée                  dans les années 1980. C’est ainsi que les communes sont passées de                        143 à 145. L'ancienne commune urbaine de NYARUGENGE a été                      scindé en trois communes ( NYARUGENGE, KICUKIRO et                              KACYIRU).

                        ** Le total ne comprend pas les non déterminés

 

            Au 15 août 1991, la population rwandaise fut chiffrée à 7.149.215 habitants. Le taux d’accroissement dépassait 3 % par an avec une fécondité élevée de 8 enfants par femme en moyenne ce qui laissait penser à un doublement de la population en une vingtaine d’années. Comme le montre le tableau ci-dessus et la carte n° 1 et 2 (annexe 5), la densité supérieure à 300 habitants par kilomètre carré se rencontrait seulement dans quelques communes en 1978. 55 communes sur 143 du pays avaient une telle densité (> 300 habitants au km²). En 1991, la situation avait complètement changé et  seules 34 communes restaient avec une densité de population inférieure à 300.

 

            Il faut remarquer que la structure par âge de la population rwandaise en 1991 était dominée par une population tout à fait jeune ce qui pouvait constituer en même temps un avantage et un inconvénient. En effet, sur une population totale de sept millions, la tranche d’âge jusqu’à 14 ans constitue un effectif de trois millions et demi. Si on admet que jusqu’à 14 ans, les enfants sont exceptionnellement pris en charge par leurs parents et que à plus de 65 ans on est considéré comme inactif, on arrive à un rapport de dépendance supérieur à 1 ( 1,03 ). La tranche d’âge de 0 à 9 ans constitue l’effectif le plus important de cette structure, soit 34,7 % de toute la population. Tout cela montre l’ampleur des charges de ces jeunes sur le reste de la société en général et particulièrement sur leurs parents qui doivent non seulement les nourrir, mais aussi supporter les divers frais relatifs à l’éducation, à la santé, etc. Les pyramides des âges de la population rwandaise en 1978, de même qu’en 1991 (annexe 6) se caractérisent par des bases assez élargies qui se terminent par un effilement aux âges avancés. Cette base élargie, due essentiellement à une fécondité élevée montre bien l’importance numérique de la jeunesse du pays par rapport à la population totale.

                      

                                                                                              Tableau n° 4                                 

 

             Structure de la population rwandaise par âge (1991 )

                                                               

Tranche d'âge

Effectif

0-4

1297225

5-9

1183060

10-14

923245

15-19

711050

20-24

585070

25-29

529435

30-34

481305

35-39

358200

40-44

244850

45-49

175750

50-54

173205

55-59

134170

60-64

126230

65-69

84070

70-74

73365

75 et +

68985

TOTAL

7149215

 

 Source: Recensement Général de la Population et de l’Habitat au 15 Août 1991

 

            La situation de la population après le dernier recensement de 1991 est devenue problématique, étant donné la guerre qui a tout perturbé. En effet, la première défaite essuyée en novembre 1990 par le Front Patriotique Rwandais (FPR) et  suivie par son repli en Ouganda laissait penser à une victoire de l’armée rwandaise. On était loin de la victoire car cette défaite a poussé le FPR à commencer une vraie guérilla par des attaques parfois éclaires entrecoupées par des moments d’accalmie. C’est justement après une accalmie relative qui avait permis de faire ce recensement, que la guerre a bel et bien repris en février 1992. Les victimes ont été assez nombreuses surtout dans les zones de combat situées dans les préfectures de Byumba et de Ruhengeri (les déplacés de guerre se chiffraient à plus de 250.000 et le nombre de disparus n’a jamais été connu). Après une nouvelle accalmie relative liée à l’accord de paix signé à Arusha en Tanzanie en 1993, la situation a été aggravé par la reprise des combats en avril 1994 et les massacres généralisées qui ont suivi.

 

            A l’heure actuelle, il est encore difficile de connaître les pertes en vies humaines causées par cette guerre. Certains avancent le chiffre d’un million, mais étant donné que même après l’arrêt des combats en juillet 1994, les disparitions et exécutions ont été nombreuses jusque même à ce jour, ce chiffre pourrait être revu à la hausse. Quel que soit le chiffre à avancer, il est clair que le planificateur pourra difficilement tabler sur les données du dernier recensement de 1991 pour faire ses prévisions. Ainsi, un nouveau recensement devrait être prévu dans les meilleurs délais pour éclaircir la situation. Malheureusement, les manoeuvres dilatoires du FPR n'ont pas facilité cette tâche malgré que les bailleurs de fonds étaient disponibles pour ce projet.

 

 

2.3 Dynamique général du peuplement rural

            Le milieu rural qui occupe 95 % de toute la population du pays, reçoit une pression considérable surtout en ce qui concerne la pression sur les terres arables. Selon que les terres agricoles n’étaient plus disponibles ou étaient usées, une partie de la population se déplaçait d’une région à une autre entraînant des migrations aussi bien internes qu’externes.

          a) Le mouvement  migratoire rwandais et la guerre des inyenzi-inkotanyi

            Pour mieux situer la migration dans la région, il faut rappeler que le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie actuelle faisaient partie de l’Afrique orientale sous domination allemande jusqu’en 1916. Jusqu'en 1885, le territoire rwandais dépassait les limites actuelles du pays et s’étendait à l’île Idjwi au Zaïre, au sud de l’Ouganda et avec une bonne partie de l’Ouest de la Tanzanie. C’est suite à la conférence de Berlin de 1885 que le Rwanda se vit amputé de ces territoires au profit de ses voisins. Les frontières actuelles du Rwanda, tracées arbitrairement par la colonisation venaient d'être décidées. Les rwandais qui vont rester sur ces territoires coupées de la patrie mère vont être peu à peu rejoints par leurs compatriotes à travers l’émigration. A partir de 1916, avec la défaite des allemands pendant la première guerre mondiale, les territoires de la Tanzanie et de l’Ouganda vont être confiées à l’Angleterre et le Rwanda sera confié à la Belgique.

 

             Encouragée par les autorités coloniales qui voyaient dans la politique de migration un gain de main d’oeuvre presque gratuite dans leurs domaines de plantations et de mines, l’émigration des rwandais dans les pays voisins jusqu’en 1959 va être ou bien temporaire ou bien définitive. C’est ainsi que selon Gatanazi cité par ONAPO [20], pour la période 1937-1959, on estimait une moyenne annuelle de 26.800 le nombre d’émigrés vers l’extérieur du pays dont 5.500 vont s’établir définitivement au Congo belge (Zaïre actuel) et 15.500 vont s’installer en  Afrique de l’Est.

 

            Le mouvement migratoire définitif va être déconseillé bien avant l’indépendance du pays, et l’émigration après l’indépendance sera constituée essentiellement par les réfugiés tutsi d’après la révolution sociale de 1959. Ils vont principalement s’installer dans les pays limitrophes et leur nombre sera estimé à quelques milliers, étant donné qu’il n y a jamais eu de recensement exact de ces réfugiés. Le problème des migrations après l’indépendance sera mal connu, mais les migrations surtout temporaires vont continuer et sont liées à la recherche d’emploi selon que tel ou tel autre pays est économiquement prospère. Le recensement fait au Zaïre en 1970 va dénombrer plus de 33.000 rwandais dans la région du Kivu [21].

 

            D’autres sources estiment que, de 1951 à 1955, l’émigration vers l’Ouganda se chiffrait par 279.711 entrées et 172.088 sorties ce qui donne un bilan d’émigration définitive de 107.623 personnes [22].

 

            Les chiffres[23] détenus par le Haut Commissariat pour les Réfugiés ( HCR ) en 1990 faisaient état de: - 13.000 réfugiés rwandais résidant sur le territoire du Zaïre,

                                - 266.000 réfugiés rwandais au Burundi,

                                - 22.000 réfugiés en Tanzanie et

                                - 82.000 réfugiés rwandais en Ouganda.

 

            Ces chiffres du HCR  montrent que les pays voisins du Rwanda abritaient à peu près 400.000 réfugiés. Même dans l’hypothèse revoyant ce chiffre à la hausse et dans laquelle on admettrait que certains de ces réfugiés n’étaient pas enregistré au HCR, leur nombre total ne dépasserait pas 600.000 personnes.

           

            Ainsi, les spéculations faites expressément autour de cet effectif, souvent avec un gonflement excessif (plus d’un million de réfugiés selon les chiffres du gouvernement [FPR] rwandais [24]), nous renvoient à nous poser certaines interrogations à propos de la diaspora rwandaise. En effet, il y a lieu de distinguer trois types de RWANDAIS qui étaient à l’extérieur du pays avant la guerre de 1990:

                                         a) la population qui se trouvait dans les limites du Rwanda avant la colonisation, c- à - d, avant le partage du pays entre les puissances coloniales. Ces colons s’étant partagé les territoires sans tenir compte des intérêts des populations locales, il y a eu un transfert de provinces d’un pays à un autre sans se préoccuper de la nationalité ou de l’avenir des populations transférées. C’est ainsi qu’une partie du Rwanda fut annexée au Congo, à la Tanzanie et à l’Ouganda.

                                         b) un deuxième type de RWANDAIS, ce sont ceux qui à la recherche d’emploi, ont émigré dans les pays voisins et parfois se sont installé définitivement. C’est ainsi qu’en 1959, avant le flux de réfugiés politiques, les RWANDAIS en Ouganda étaient recensés comme le sixième groupe ethnique avec près de 400.000 personnes [25]. Tous ces deux premiers groupes sont majoritairement hutu.

                                     c) un troisième type qu’on rencontrait dans les pays voisins était constitué par les réfugiés politiques suite à la révolution de 1959 et aux diverses troubles ethniques qui ont eu lieu après (1963, 1972). C’est ce troisième groupe, formé presque exclusivement par une seule ethnie tutsi qui était considéré comme réfugié, les autres étant devenu des habitants à part entière de ces pays.

Il est ainsi compréhensible que les RWANDAIS qui se trouvaient à l’extérieur du pays avant 1990 n’étaient pas tous des réfugiés ou seulement des tutsi. La plupart d'entre eux sont des hutu. C'est  précisément ce troisième groupe des réfugiés tutsi qui a réclamé son droit de revenir dans le pays, pris des armes et est rentré par la force.

 

            Depuis le déclenchement de la guerre en 1990, pour fuir les combats, il y a eu des mouvements migratoires d’abord internes et puis ils se sont généralisés vers les pays voisins en juillet 1994. C’est en 1992 que la plus grande partie des populations des préfectures de Byumba et de Ruhengeri a fui les combats pour s’installer dans les camps à l’intérieur du pays. Plus de 500.000 personnes étaient alors impliquées dans ces déplacements et certains camps étaient même installé aux alentours de la Capitale- Kigali. Les accords de Kinihira, signés en mai 1993, permirent à certains de ces déplacés de retourner dans la zone tampon alors démilitarisée. Avec la prise du pouvoir par les ex-réfugiés tutsi en juillet 1994, presque toute la population hutu du pays va fuir. On estimait à plus de 4 millions la population en exode dont une partie va s’établir dans les camps implantés dans la zone turquoise. Ces camps seront démantelés par le FPR au courant de l’année 1995. Plusieurs milliers de déplacés vont laisser la vie dans cette opération (cfr. massacre de KIBEHO en avril 1995).

 

            La victoire du Front Patriotique (FPR) a donc permis à une partie des anciens réfugiés tutsi de regagner le Rwanda, mais le problème des réfugiés rwandais s’est aggravé. En effet, avec un effectif d’environ 500.000 réfugiés tutsi qu’on dénombrait en 1990, le chiffre des réfugiés hutu en septembre 1994 * dépassait deux millions de réfugiés éparpillés surtout dans les pays limitrophes du Rwanda ( Zaïre avec un record de plus d’un million et demi ( 1.542.000 ), le Burundi: 210.000, Tanzanie: 460.000 et l’Ouganda: 10.500. Si à ce chiffre on ajoutait le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays ( 2.576.000 dont 1,3 million dans l’ancienne zone turquoise ) ainsi que le nombre de personnes tuées et évaluées à près d’un million, on arrive à conclure que 80 % de la population rwandaise ont fui la guerre pour se réfugier soit à l’intérieur du pays, soit à l’extérieur avec une partie importante qui a été tuée.

 

            C’est la révolution sociale de 1959 , dirigée par une élite des bahutu et par certains batutsi modernistes qui avait permis à la masse paysanne de se partager les grands domaines  jusqu’alors réservés à la pâture des troupeaux des batutsi. Malgré le départ de ces derniers dans les pays limitrophes,  la pression démographique va continuer à peser sur les terres agricoles. Selon l’enquête faite par les services du Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et des Forêts en 1984, près de 20 % des ménages rwandais disposaient de moins de 1 ha de terres pour leur subsistance. On peut alors se demander pourquoi les autorités n’ont pas mené une politique en faveur des migrations internationales alors que les pays voisins restent moins peuplés. Des tentatives d’émigration dans les pays africains ont été tentées ( pays limitrophes, Congo, Gabon, etc. ).

           

            Ces tentatives se sont heurtées au problème du sous-équipement dans ces pays. En effet, pour accueillir les émigrés, certains pays réclamaient que le Rwanda mette en place d’abord les infrastructures d’accueil (logements et autres ), ce que le Rwanda n’était pas à mesure de faire sans une aide de la communauté internationale. Il est à remarquer que presque tous les rwandais qui se trouvaient à l’extérieur s’étaient réellement fixé dans ces pays et c’est probablement avec cette vision que les autorités de la deuxième république ont essayé de les y retenir. Jusqu’en 1990, la plupart des réfugiés tutsi rwandais avaient obtenu la nationalité des pays qui les hébergeaient et donc étaient considérés comme des citoyens à part entière de ces pays.

 

            Notons également que dans le cadre de l’intégration régionale, la Communauté des Pays des Grands Lacs (CEPGL) qui regroupe le Burundi, le Rwanda et le Zaïre avait vu le jour en 1976. Un traité de libre circulation des biens et des personnes avait été signé par ces trois pays mais pour des raisons probablement politiques, cet accord n’a jamais été ratifié[26] et donc n’a pas pu être mis en exécution. Seul le Rwanda avait ratifié cet accord.

 

            Par ailleurs, l’émigration a été souvent stoppée par crainte des problèmes socio-politiques susceptibles d’être engendrés par la communauté rwandaise à l’étranger. On se rappellera qu’avant la guerre en 1990, plusieurs milliers de rwandais (plus de 70.000) vivant en Tanzanie ont été refoulés. Ils ont causé un problème grave de réinsertion dans leurs familles, étant donné qu’ils avaient vendu toutes leurs terres avant de partir. Ainsi, des négociations ont été menées à plusieurs reprises avec les pays voisins, mais sans grand succès.

 

            Comme nous venons de le voir ci-haut, les pays limitrophes sont peuplés par des rwandais depuis longtemps. Les autorités de ces pays ont toujours probablement craint une émigration complémentaire massive d’une population rwandaise avec un fort sentiment d’appartenance, ce qui pourrait conduire éventuellement à des revendications nationalistes susceptibles de semer les troubles. Des violences récemment enregistrées contre la communauté rwandaise (Ouganda: 1985, Zaïre: 1993), aussi bien de la part des autorités que de la population locale ont fait déjà des victimes. C'est dans ce même cadre qu'on peut situer la guerre menée par le Rwanda [coalition FPR-Abanyamurenge], l'Ouganda et le Burundi contre le Zaïre en 1996. En réalité, c'est une coalition des tutsi de ces trois pays, appelée à tort et à travers "abanyamurenge" qui ont voulu chasser les hutu (réfugiés ou non) du Zaïre et conquérir la zone EST de cet immense pays. C’est pourquoi, le problème des émigrés rwandais, comme d’ailleurs celui de plusieurs émigrés d’autres pays voisins du Rwanda, qui sont éparpillés dans cette région d’Afrique Centrale, devrait être examiné dans un contexte régional global.  

Tous ces problèmes ont fait que les migrations internationales ont été rendues quasi impossibles malgré l’évidence du problème de la rareté des terres au Rwanda.

 

            Comme l’a écrit Gasana [27], la guerre d’octobre 1990 ne peut être réduite à un problème d’exilés qui voulaient recouvrer le droit de rentrer dans leur pays. En effet, cette raison avancée pour justifier le bien-fondé de la guerre n’était plus crédible étant donné que dès 1989, le Rwanda venait d’accepter d’assumer ses responsabilités envers les réfugiés. C’est ainsi que pour trouver une solution à ce problème, des rencontres au niveau ministériel entre le Rwanda et l’Ouganda étaient en cours. Par ailleurs, le premier rapport de la Commission Spéciale sur les problèmes des émigrés rwandais (créée en 1989) venait de voir le jour et proposait trois solutions: le rapatriement volontaire, l’installation dans le pays d’accueil (pour ceux qui voudraient rester dans le pays d’accueil et garder la nationalité rwandaise) et l’installation définitive dans le pays d’accueil. La base de toutes ces trois options était le volontariat.

            De même, l'argument économique avancé pour justifier le bien fondé de la guerre n'était pas suffisant. En effet, malgré le peu de ressources du Rwanda par rapport à ses voisins, on peut d'ailleurs dire que le pays était largement nanti.

 

 

 

 

                                                                                                                      Tableau n° 4

 

 

       Situation socio-économique du Rwanda par rapport à ses voisins

 

Pays

IDH1970

IDH1980

IDH1990

IDH1991

IDH1992

IDH1994

PNB/tête 1988

 (US$)

 

PNB/tête1994

(US$)

Ouganda

0,213

0,215

0,354

0,204

0,272

0,328

280

190

Zaïre

0,235

0,286

0,294

0,299

0,341

0,381

170

-

Burundi

0,157

0,219

0,235

0,177

0,276

0,247

240

160

Tanzanie

0,211

0,282

0,413

0,266

0,306

0,357

160

140

Rwanda

0,215

0,244

0,304

0,213

0,274

0,187

320

80

 

 

            Concernant le PNB/tête, indicateur qui a été longtemps utilisé pour montrer le développement des différents pays, le Rwanda venait en tête en 1988, laissant tous ses voisins derrière (320 $). En 1994, c'est à dire après la victoire des inkotanyi, la situation s'était bouleversée et le Rwanda venait loin derrière tous ses voisins avec seulement 80 dollars par habitant. Quant à l'indice de développement humain de ces pays depuis 1970 jusqu'en 1992, on voit que le Rwanda était bien placé par rapport à ses voisins. Malheureusement, toute la région des Grands Lacs (y compris le Rwanda) se classait dans la catégorie des pays avec un faible développement. Cependant, les valeurs de cet indice pour le Rwanda dépassent même celles de l'Ouganda ou du Burundi en 1970, 1980 et 1991. L'agression du pays par les inyenzi-inkotanyi va à la longue inverser les tendances et en 1994, le Rwanda sera classé non seulement comme dernier pays dans la région selon cet indice, mais aussi comme l'avant dernier pays au monde tout juste avant la Sierra Leone. Ces quelques lignes montrent que même pendant les premières années de la guerre des inyenzi-inkotanyi, le Rwanda n'avait rien à envier à l'économie du principal* pays qui hébergeait ces combattants (inkotanyi): l'Ouganda, mais bien le contraire. L'argument de la démocratie n'était pas aussi valable, car une démocratie par des armes n'a pas un sens.

                                                                                     

            Il est à remarquer que dans tout ce processus de mise au point du règlement définitif de la question des réfugiés rwandais par ladite commission, participaient également les représentants du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) ainsi que ceux de l’Organisation de l'Unité Africaine (OUA). Tout cela montre qu’il y avait encore moyen d’éviter cette guerre, mais...  Ce conflit prend réellement ses racines dans la contradiction entre les exilés tutsi et la classe politique mis au pouvoir par la révolution sociale de 1959. C’est pourquoi, il semble logique de voir cette guerre dans le cadre de multiples tentatives de reconquête du pouvoir par les réfugiés depuis 1960.

 

            D’autre part, cette guerre doit être analysée dans le cadre de la crise politique,  économique et sociale de la seconde République, principalement avec l’insurrection des partis démocratiques d’opposition contre le gouvernement du parti unique (MRND: parti-Etat dit "mouvement révolutionnaire national pour le développement", transformé lors de la venue du multipartisme en "mouvement républicain national pour la démocratie et le développement") alors en place et que le Front Patriotique Rwandais (FPR) a su exploiter dans ses intérêts. Enfin, elle doit s’inscrire dans la logique d’une guerre imposée de l’extérieur avec une participation ferme et omniprésente mais non officiellement déclarée, d’un pays voisin: l’Ouganda.

 

            C’est ainsi que dans un climat économique d’exclusion et de marginalisation sociales qui régnait dans le pays, de violence des différentes milices soutenues par les différents partis politiques: la montée d'agressivité inter-ethniques paraît être liée à la faiblesse du rôle régulateur de la seconde république, de son incapacité d’orienter et de réaliser le consensus autour d’objectifs de développement durable du peuple rwandais, dans un courant fort de changements entraînés par un multipartisme en naissance.

 

                         b) Organisation du peuplement sur le territoire

 

            Les données des recensements les plus récents effectués dans le pays montrent que les densités de populations ont continué de s’accroître dans le monde rural et que les hautes densités observées allaient à plus de 600 habitants au kilomètre carré dans certaines régions du pays. Pourtant, elles n’ont pas eu un effet remarquable sur la naissance des villes et la dispersion de l’habitat s’est intensifiée. En effet, plusieurs agglomérations sont nés ici et là mais sans toutefois arriver à former des centres urbains. Cette dispersion de l’habitat s’est accompagnée d’une dispersion des différentes infrastructures socio-économiques, ce qui a fort handicapé et continue d’être le frein de l’urbanisation nationale. Ainsi, les densités fortes de population, couplées avec la dispersion de l’habitat, telles sont les caractéristiques organisationnelles de l’occupation de l’espace rwandais.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Tableau n° 5

 

 

              Caractéristiques démographiques du Rwanda selon les régions agricoles

 

 

Région agricole

Population

1978

Population

1991

Densité

1978

Densité

1991

Taux annuel

d'accr. de la

population

1978-1991

1. Imbo

50800

89508

228

402

4,4

2. Impala

195411

290747

359

534

3.1

3. Bords du lac Kivu

291770

422455

357

508

3.1

4. Terres des laves

297146

467016

391

614

3.5

5. CZN

614673

881366

236

338

2.7

6. Hautes terres

      du Buberuka              

452291

644603

312

444

2.8

7. Plateau central

1179515

1573846

313

421

2.2

8. Dorsale granitique

515051

706194

307

421

2.5

9. Mayaga

192561

279286

243

352

3.0

10. Bugesera

121201

245047

139

280

5.6

11. Plateau de l'Est

798103

1320420

213

352

3.9

12. Savane de l'Est

110764

235003

75

159

6.3

   RWANDA

4831486*

7155391

258

382

3.1

           *  Ce chiffre correspond aux résultats définitifs du RGPH 1978. Il ne correspond pas à la              somme des populations des régions agricoles de la colonne provenant, eux, des résultats   provisoires du RGPH 1978.

 

Source: Ministère du Plan, Impératif urbain, Novembre 1992

 

 

            Selon toujours ces deux recensements, les densités élevées (plus de 300 habitants par kilomètre carré ), qui ne concernaient que quelques communes en 1978 se sont généralisées sur toute l’étendue du pays. Seules quelques communes longeant le parc national de l’Akagera ainsi que quelques communes de la préfecture de Gikongoro autour de la forêt de Nyungwe n’avaient encore que des densités relativement faibles en 1991. Contrairement à ce qui se faisait dans le passé où les forts peuplements se rencontraient dans les zones où les facteurs de la vie étaient propices (moins de maladies, sols favorables à l’agriculture, etc.), l’expansion démographique actuelle semble se répercuter indépendamment de tous ces facteurs [28]. La densité brute d’une commune rwandaise en 1991 s’élevait à 271 habitants par kilomètre carré et la densité physiologique revenait à 382 habitants/km²*. L’augmentation élevée de la densité physiologique ne stimule pas l’utilisation des techniques agricoles modernes étant donné qu’on a pas besoin de beaucoup de capitaux pour valoriser ses terres et la main d’oeuvre reste largement disponible pour être utilisée d’une manière extensive.   

 

            Cet accroissement démographique forte a conduit à un morcellement excessif des exploitations agricoles familiales (EAF) dont la superficie moyenne actuelle est en dessous d’un hectare. Le nombre des EAF augmentant chaque année, leur surface continue de diminuer. Cela a conduit à l’utilisation des terres marginales et au déboisement des forêts naturelles ce qui, peu à peu, a conduit à la dégradation de l’environnement. L’interaction population agriculture a eu ainsi des effets négatifs sur le secteur de l’environnement.

 

            Le Rwanda est par ailleurs un pays où la population est dispersée sur toutes les collines. De là, on est souvent tenté de parler de l’équilibre  dans l’occupation du territoire de la population et des activités. Pourtant cette occupation pose bien de problèmes relatifs au développement du secteur agricole ainsi qu’à une meilleure répartition des infrastructures de développement. Peut on envisager que cette pression démographique pourra un jour constituer le vrai moteur du développement? C’est possible, mais il faut d’abord que les rwandais dépassent les clivages qui les divisent et se rendent compte que le développement du pays exige une conjugaison d’efforts de chacun d’eux.           

 

            Plusieurs tentatives d’organisation rationnelle de la population sur le territoire rwandais ont été essayées. Il s’agit des paysannats agricoles et des villages pilotes. Hormis ce caractère organisationnel, les paysannats avaient aussi un but économique de promouvoir les cultures d’exportation (café et thé). Quant aux villages pilotes, la philosophie consistait à décongestionner les sols à vocation agricole mais aussi à concentrer la population autour d’infrastructures mises à leur disposition par l’Etat (écoles, dispensaire, eau, etc.). Tous ces systèmes ne tardèrent pas à montrer leurs limites et ni les paysannats, ni les villages pilotes ne semblèrent comme cas exemplaire d’organisation rationnelle dans l’aménagement du territoire national.

 

             En effet, au fur et à mesure que la famille installée dans un paysannat s’agrandissait, les terres agricoles mises à sa disposition, qui s’évaluaient à quelques hectares seulement, devaient être partagés entre la descendance (les jeunes ménages). Ce partage des terres entre les générations a conduit à la miniaturisation des terres rendant ainsi le système non  viable. Quant aux villages pilotes, plusieurs raisons furent à la base de leur abandon. Les intéressés étant tous des agriculteurs, la nouvelle organisation d’habitat en village les éloignait de leurs champs agricoles ce qui engendrait les problèmes de transport et de la main d’oeuvre surtout en ce qui concerne le transport du fumier organique. Il en est de même du gardiennage des récoltes qui n’était pas assuré. Il faut également remarquer que les gens n’étaient pas tellement convaincus des objectifs de ce projet et il fallait procéder à une distribution d’incitations sous forme matérielle pour amener la population à adhérer au projet.

 

            Depuis 1988, les autorités minoritaires tutsi ont été confronté au problème de légitimité de l’occupation illégale du territoire nationale. C’est ainsi que pour mâter tout opposant à leur hégémonie, ils ont commencé de regrouper la population dans des camps dits « de regroupement (imidugudu) ». Ce regroupement forcé, qui s’est concrétisé par l’abandon forcé de tous les biens par la population, constitue en réalité une politique délibérée et déguisée des autorités tutsi à créer des camps de concentration. Le cas de leurs frères du Burundi illustre bien ces camps. Ce n’est donc pas une innovation en matière d’habitat, mais une pratique meurtrière qui est bien connue et utilisée par leurs voisins du sud. Plusieurs civils hutu y sont morts particulièrement dans les préfectures de Ruhengeri et Gisenyi. Les responsables du FPR devraient, tôt ou tard répondre de ces actes.

 

            En matière de production et d’augmentation de la production agricole, l’occupation nouvelle du territoire depuis 1994, c’est à dire après la prise du pouvoir par les réfugiés, ne va rien apporter de révolutionnaire, à part le changement de propriétaires des terres. C’est ainsi qu’une grande partie des préfectures ayant des frontières avec l’Ouganda, la Tanzanie et le Burundi, à savoir Byumba[29], Kibungo, Butare, Gitarama et Kigali vont être principalement occupée par les nouveaux venus tutsi. L’appropriation gratuite des biens d’autrui sans aucune intervention des dirigeants constitue un épineux  problème qui tôt ou tard va saper les efforts de la réconciliation. En effet, les responsables sortis vainqueurs ne se sont jamais inquiétés de la propriété privée et presque tous les biens laissés par ceux qui avaient fui les combats ont été vite saisis. Ce problème a été remarquable surtout dans les villes. Après avoir saisi les biens privés où tous les combattants n’ont pas pu probablement être servis, les biens de l’Etat ont été pillés au grand jour par ceux qui devaient les protéger. Cela a encore montré un manque de stratégie d'avenir de la part des nouveaux dirigeants qui avaient pris tout en main et qui étaient sensés orienter la destinée du Rwanda.

 

            L’apparition apparemment planifiée, de nouvelles régions formées essentiellement par une seule ethnie tutsi (ce que les historiens appellent la tutsification des régions ou la formation de tutsilands) semble être une nouvelle forme de peuplement et d’épuration ethnique sur l’espace national. Les données du recensement de la population au début de la guerre étant disponibles (RGPH 1991), elles permettront probablement dans le futur d’évaluer l’occupation de ces régions par les différents ménages rwandais et étrangers.

 

 

            2.4 Efforts de développement annihilés par la guerre du FPR

                        a) Les travaux communautaires de développement - UMUGANDA

            Dans le cadre de la promotion d’une meilleure utilisation des ressources humaines, les travaux communautaires de développement communément connus sous le nom « UMUGANDA  » avec comme objectif de valoriser et faire participer la main d’oeuvre disponible dans le pays aux différentes actions de développement, furent entamés dès 1973. C’est pour suppléer aux maigres moyens de l’Etat en mobilisant une force importante de la population pour développer son pays qu’une journée dans la semaine avait été choisie (samedi) et était consacrée à ces travaux physiques et communautaires de développement.

 

            Pendant le deuxième Plan de Développement Economique, Social et Culturel 1977-1981, cette structure était prévue principalement pour le milieu rural où les communes devaient s’organiser et faire travailler leurs populations. Dès le début, des difficultés liées à l’encadrement avaient surgi. En effet, ce travail communautaire ne pouvait se concevoir qu’à un prix d’un effort énorme, réservé à la formation d’encadreurs et des paysans d’une part, des infrastructures et des moyens  de démonstration de l’autre part. Par ailleurs, un manque de concertation entre les techniciens eux-mêmes d’une part qui étaient d’ailleurs insuffisants sur le terrain et avec la population provoquait des cloisonnements et des doubles emplois entre les différents services, ce qui rendait le travail inefficace. Pour le deuxième Plan, l’UMUGANDA devait fournir 5.5 % des investissements globaux prévus par le Plan, soit 5.5 milliards de francs rwandais sous forme d’investissement de travail [30] .

 

            Durant le troisième Plan, le principe de la mobilisation et de la sensibilisation de la population à une participation volontaire était retenu. A cet effet, des campagnes furent menées partout dans le pays, ce qui participa à créer un meilleur climat de rentabilisation des actions à mener. C’est pourquoi les chiffres prévus dans le second Plan ont été vu à la hausse pendant le IIIe Plan vu la généralisation de ces travaux sur l’ensemble du pays.

 

            Les priorités pour le troisième Plan avaient été choisies selon les problèmes urgents auxquels le pays était confronté parmi lesquelles il faut citer:

                        - la protection des sols par la lutte anti-érosive et le reboisement, la construction des écoles, des bureaux administratifs (communes et sous-préfectures), des centres de santé et des centres communaux de développement et de formation permanente.

                     - les adductions d’eau et l’entretien des sources dans le milieu rural                                                                                                                                                                      

                   - l’aménagement et l’entretien des routes, ce qui permit le désenclavement des régions et une amélioration des échanges entre elles. Les travaux communautaires de développement furent d’une grande importance qu’ils furent intégrés dans les projets de développement et parfois même, ces travaux communautaires constituaient une grande part de la contrepartie nationale dans ces projets.

           

            Les réalisations furent remarquables et évaluées à plusieurs milliards de FRW[31] dans les domaines de la construction de centres de santé, du désenclavement des communes et spécialement dans le domaine de la sauvegarde de l’environnement. Plus de  90 % des sols du territoire national avaient été aménagés et protégés contre l’érosion par la lutte anti-érosive sous forme de terrasses radicales et de fossés, la plantation de haies ainsi que le reboisement.

             

            Pourtant, plusieurs contraintes furent aussi affrontées. Il s’agit entre autre de:

               - une programmation technique et financière inadéquate. En effet, avec une meilleure programmation de ces travaux, un meilleur suivi et un appui logistique nécessaire (équipement et matériel), l’UMUGANDA pouvait constituer et même dans l’avenir, un moyen incontournable pour la réalisation de plusieurs actions de développement.

                - l’institutionnalisation de ces travaux sous l’égide du parti politique unique le MRND, va décourager plusieurs personnes et finalement ces travaux sont devenus comme obligatoires.

 

            A partir des années 1990, la démocratisation du pays avec la naissance de plusieurs partis politiques a fait que les travaux communautaires sous forme d’UMUGANDA se sont ralentis pour finalement être étouffés par la guerre. Une question alors se pose: étant donné les actions de développement réalisées grâce à ces travaux et vu l’importance que revêt la mobilisation de toute la population pour participer à son développement,  pourra-t-on penser mener de telles actions dans le futur? La réponse paraît sceptique car, afin de pouvoir discréditer l’ancien pouvoir, les responsables de l'opposition ainsi que le FPR, enseignaient à la population qu’il fallait se libérer de ces travaux qu’ils qualifiaient de forcés.

 

            D’ailleurs, les actions de développement qui, avant la guerre se faisaient grâce à ces travaux se trouvent actuellement en état de démolition. Là où on travaillait bénévolement, il faut de la main d’oeuvre salariée pour remplir les mêmes tâches. C’est ainsi que les routes qu’on entretenait à l’aide de l’UMUGANDA et elles étaient majoritaires, sont devenus actuellement impraticables. Il en est de même pour les écoles. Des lourdes pertes dans la conservation des sols ont été constatées suite à l’abandon de la lutte anti-érosive. En effet, l’expérience a montré que l’abandon des réalisations faites en matière de lutte anti-érosive sous le régime coloniale, a coûté plusieurs milliards de francs rwandais à l’Etat pour les rétablir sans compter la participation massive et gratuite de l’UMUGANDA. De plus, pour la restauration des sols seulement, les travaux avaient demandé plus d’une dizaine d’années pour arriver à protéger 90 % des terres agricoles.

 

            Il faut également remarquer que plusieurs milliers d’hectares de forêts, dont la plupart avaient été plantées par ces travaux communautaires, ont été brûlées pendant la guerre. A part que la disparition de ces forêts aura un impact négatif sur la disponibilité  de l’énergie de bois, qui constitue la principale source d’énergie dans le pays, on aura aussi à faire aux divers effets de la déforestation sur l’environnement.

 

            Pourtant, les spécialistes estiment qu’il faut un an pour rétablir les dégâts des pâturages et cinq ans pour restaurer le potentiel forestier. Par contre, il faut des centaines d’années pour réparer les dégâts causés par la dégradation des sols et un minimum de mille ans pour éliminer la pollution des nappes phréatiques [32]. Tout cela montre, ne fut ce que par le seul facteur de la pression démographique, le lourd danger que court l’environnement au Rwanda, si bien sûr l’attention reste braquée seulement sur l’achat des armes comme c’est le cas actuellement.

 

            Même si effectivement les travaux communautaires de développement se faisaient sous l’oeil vigilant du parti unique, le MRND, nous pensons qu’en dépit de son caractère coercitif, sa philosophie en tant qu’outil de développement, était positive. Elle valait la peine d’être soutenue et rénovée. D’ailleurs, les travaux communautaires pour les rwandais ne datent pas de la Deuxième République, car, dans la tradition, la population rwandaise était habituée à travailler ensemble pour lutter contre tel fléau ou pour arriver à tel ou tel autre but. C’est ce principe que les autorités avaient récupéré pour instaurer les mêmes travaux avec une dénomination différente: UMUSANZU sous la première République et UMUGANDA sous la seconde.

 

             

                     b) la planification du développement communal

            La décentralisation du processus de la planification du développement au Rwanda était connue sous l’appellation de « planification communale participante ». Ce type de planification du développement a débuté avec les années 1980 sous l’impulsion de la Coopération Suisse dans la préfecture de Kibuye, à l’ouest du pays. Elle a été vite récupéré par le Gouvernement, qui dans le souci de faire de la commune, la cellule de base du développement a soutenu ce type de planification et même voulait s’en inspirer pour élaborer la stratégie nationale de développement communal et régional.

 

            Au début de la guerre, toutes les neuf communes de Kibuye avaient presque terminé leurs plans de développement et la plupart étaient dans leurs phase d’exécution. La commune de Bwakira, qui avait été à l’origine de cette planification et donc avait confectionné et mise en exécution son premier plan de développement depuis 1987, avait déjà entamé l’élaboration de son deuxième plan. 

 

            Au niveau national, plus de trente communes s’étaient déjà investi dans ce travail de développement. Hormis les communes de Kibuye qui avaient presque toutes terminés, les travaux étaient avancés dans toutes les communes de la préfecture de Butare où la province du Loiret (France) avait formé les planificateurs communaux et s’intéressait vivement au financement de ces plans. D’autres communes ici et là dans tout le pays avaient démarré ou se préparaient à démarrer le processus de planification.

 

            L’enjeu était majeur. Il s’agissait d’impulser les communes de façon à arriver à ce que le personnel communal puisse élaborer le plan de développement. Ceci demandait que la population soit parfaitement associée à tous les étapes du plan. La démocratie en matière de planification devait ainsi guider ce processus. Finalement, dans le but de ne pas agir en ordre dispersé, on devait arriver à créer une harmonie entre le plan national et le plan communal, ce qui revenait à mettre en place les éléments nécessaires permettant une articulation entre la planification locale et les échelons supérieurs.

 

            La philosophie de ces plans communaux de développement consistait en ce que tous les acteurs de la commune étaient invité à participer dans l’exercice de mise en place de ces plans. Par acteurs, il faut comprendre tous les habitants de la commune (agriculteurs, éleveurs, commerçants, les artisans, les différents groupes sociaux: les femmes, les enseignants, les parents des élèves, les religieux, .....), etc. Cette participation de toutes les couches de la population  exigeait que dans les réunions de préparation, l’écoute soit privilégiée. Toutes leurs doléances, tous leurs problèmes devaient retenir l’attention particulière du planificateur communal qui devait tenir compte de cette longue liste pour élaborer le Plan. Ceci ne veut pas dire que le Plan Communal de développement était finalement une sommation des aspirations de ses habitants. Tout en se réclamant d’être maîtrisé collectivement, il devait être d’abord un plan communal avec une vision globale de l’organisation et du développement de tout le territoire communal. C’est ainsi que des mécanismes d’information, de formation, de restitution étaient nécessaires tout le long du processus du plan et facilitaient l’évaluation et la réorientation des diverses actions du plan.

 

            La participation de la population était donc réelle, même si elle pouvait et devait d’ailleurs être perfectionnée. Les groupes les plus dynamiques comme les artisans, les commerçants tiraient un grand profit de cette planification. Quant aux paysans, ils étaient toujours dépendants des mots d’ordre de l’administration centrale (les ministères), mais c’était une question de temps pour qu’ils se rendent compte que ces plans répondaient exactement à leurs besoins et devaient prendre une priorité dans leurs occupations quotidiennes. Par ailleurs, bien que le développement communal pouvait être le produit d’une synergie d’actions particulières créatrices de richesses, ces projets individuels devaient absolument s’entrecouper sur des intérêts communs, sinon le plan risquait de cesser d’être un plan communal, mais un plan de quelques individus.

 

            L’exécution de ces plans pour les communes pionniers était satisfaisante, malgré les diverses difficultés rencontrées dont les principales étaient liés au financement[33]. En effet, une plus grande part du plan devait être financé par les ressources extérieures, ce qui bloquait l’exécution normale des actions programmées étant donné que les bailleurs de fonds externes n’étaient pas habitués à travailler avec des entités décentralisées. Le problème se rencontrait aussi au niveau national, puisque la décentralisation n’était pas tout à fait effective et il se posait le problème de l’articulation du Plan national avec ces Plans Communaux. En fait, ce problème n’était pas si épineux, puisque depuis 1988, l’Etat rwandais s’était réellement engagé dans un processus de décentralisation. Cela voulait dire qu’il devait non seulement transférer aux communes les différentes charges, mais aussi les compétences et les moyens.

 

            Ce processus était en cours, et l’autonomie de la commune, qui lui est déjà officiellement reconnue, ne devait pas seulement se limiter sur l’autonomie juridique, mais aussi devait jouir de l’autonomie administrative et surtout financière. La commune était déjà libre en ce qui concerne sa politique locale et son administration.

 

            Plusieurs difficultés furent ainsi affrontées (manque aux communes de cadres compétents et d’expérience en matière de planification, insuffisance de financement, etc.). La réussite de cette politique de planification du développement local exigeait que la décentralisation soit menée à terme et que le personnel communal soit formé à cet effet. Par ailleurs, tous les acteurs devaient se remettre en cause surtout les responsables afin de mieux s’adapter à la logique du processus.

 

            La guerre de 1990 a ralenti les efforts de planification, d’abord dans les communes directement touchées, les problèmes de sécurité constituant d’abord la première préoccupation. Le processus a été complètement bloqué avec les événements du mois d’avril 1994 où la guerre a été généralisée. Avec la prise du pouvoir par les réfugiés tutsi au mois de juillet 1994, le pays s’est presque vidé de toute sa population. Les bourgmestres ainsi que leurs conseils communaux, qui étaient à la base de ce nouveau type de planification, ne sont plus là. Ils ont été remplacé par les nouveaux appuyés par les militaires. Ce sont ces derniers qui jouent un grand rôle dans l’administration de la Commune actuelle. Il leur faudra d’abord de s’imprégner de la méthodologie de planification communale participante afin de pouvoir relancer le processus! Les problèmes cités en haut, que la planification communale essayait de maîtriser, sont devenu insolubles (financement, personnel compétent, etc.). Le processus de décentralisation qui était en cours semble n’être plus d’actualité, or il constitue justement le fondement de la planification communale participante. Par ailleurs, le processus exige un peu de démocratie, puisqu’il faut être à l’écoute des desiderata de la population.

 

            Devant cette situation qui s’ajoute à la crise actuelle mondiale en matière de planification, il y a peu de chances que les communes rwandaises reviennent à leur tâche de planification du développement. La tâche sera difficile, car sans l’appui des autorités centrales (obnubilés particulièrement par la militarisation du pays) et sans une mobilisation de tous les habitants de la commune, ce type de planification du développement risque de perdre tout sens. En réalité, l'Etat FPR assure une représentation profondément biaisée des intérêts collectifs de la nation. Ce biais va même jusqu'au point où l'Etat n'est qu'un instrument de quelques individus d'une minorité tutsi qui, par volonté, constitue un obstacle au développement national. C'est pourquoi, même dans une optique de la réconciliatiation, l'Etat rwandais devrait être la principale institution chargée des intérêts de l'ensemble de la collectivité nationale.

 

                        c) Le développement du Rwanda et le surarmement

            Jusque dans les années 1980, le pays était relativement bien côté pour sa gestion de la chose publique. Cette gestion exemplaire* est considérée comme l'héritage du père fondateur de la révolution rwandaise: Grégoire Kayibanda. En effet, la politique de rigueur économique instaurée sous sa présidence du pays, avait été presque suivie par ses successeurs. Dès 1990, alors que le Rwanda était  plongé dans la pire crise économique et social, il s'est vu entraîner dans l’augmentation de ses dépenses d’armement, qui par leur envergure, représentent la continuation de la destruction et un danger sans précédant pour sa population. C’est la preuve irréfragable de l’irrationalité et du gaspillage inhérents à la crise prévisible du développement rwandais.

 

            Cela est en partie le résultat d’une situation qui a longtemps mûri dans certaines couches de la population. L’intolérance ethnique a été si forte que certains tutsi n’ont jamais accepté que les hutu les gouvernent (sous prétexte d’indignité et d’incapacité congénitale). A leur tour, certains hutu, se souvenant surtout de l’esclavage d’avant 1959, ont eu peur d’être remplacés au pouvoir par les tutsi. Cela a été aggravé par le fait que même au sein des hutu, le groupuscule au pouvoir ne voulait pas partager le pouvoir avec les autres hutu. Une telle situation de peur et d'égoïsme ne pouvait que générer des complexes psychologiques et des instincts de destruction. A ce propos, voici ce qu' écrit l’Abbé Rutumbu J.[34]: «C’est la peur de l’ennemi, .... qui empoisonne le plus la vie politique. En effet, l’homme (politique) tue pour diminuer ses raisons de craindre. Il tue par peur, car tout meurtre, qu’il soit commis par un particulier ou par l’Etat, est dicté par la peur ». Il semble que c’est cette peur de l’autre (ethnie) qui a été à la base de la guerre et qui continue actuellement de  guider le nouveau régime de Kigali en le poussant au réarmement allant à dépasser les capacités économiques et financières du pays. Cette peur continue de faire plusieurs victimes parmi les hutu et la situation ne s'améliorera probablement pas avant que la minorité tutsi n'arrive à son ultime objectif: "l'équilibre ethnique au Rwanda". C'est à craindre mais l'évolution du pays après la victoire des tutsi et leurs alliés a montré que tout était possible.

 

            L'invasion du Zaïre par l'armée rwandaise (le FPR) déguisée  en octobre 1996 a bien montré que cette peur reste le grand handicap de l'action gouvernemental en matière de développement. En effet, avec la levée de l'embargo sur les armes, le Rwanda a officiellement fait des commandes d'armes de plusieurs millions de dollars au détriment des autres actions de reconstruction du pays. Il fallait trouver dans cette invasion, attribuée à tort et à travers au tribu tutsi des abanyamurenge, une occasion militaire pour le gouvernement FPR installé à Kigali, de massacrer les réfugiés hutu et de chasser les survivants loin des frontières du Rwanda. Tout cela se faisait dans le but de s'assurer qu'ils ne pourront pas être facilement attaqués. En réalité, pour mener à bout son objectif militaire, le pouvoir hégémonique de Kigali (FPR) s'est servi de cette tribu tutsi des abanyamurenge, qui tôt ou tard risque de payer les dégâts.  La communauté internationale qui, pourtant suit de près ce qui se passe dans la région des Grands Lacs, a curieusement privilégié l'hypothèse de l'attaque par des abanyamurenge, dont l'effectif varie avec toute vraisemblance autour de quelques dizaines de personnes. Ce laisser-faire, dominé par une certaine complaisance de la communauté internationale, montre bien que les intérêts de certains peuples en développement diffèrent complètement de ceux qui actuellement se sont fait les maîtres du monde.

 

            Du point de vue économique, cette peur s’est ainsi traduite par un gonflement des dépenses militaires depuis le début de la guerre. Elles se sont trop accru en 1990 et ont dépassé les prévisions du budget du département de la Défense de 152,3 % [35]. De toute vraisemblance, ces chiffres n’ont plus connu la baisse. En effet, sur un budget prévu d'environ 40 milliards de francs rwandais prévu pour l'année 1996, le Ministère de la Défense Nationale avait un beau morceau de 13 milliards soit 32,6 % du budget total. Les dépenses militaires du régime Habyarimana ajoutées au prêts des rebelles aujourd’hui maîtres du pays, ont absolument aggravé la dette du Rwanda. Dans ces conditions, il est clair que l’investissement en actions de développement sera dominé par l’investissement en armement. Si avant la guerre de 1990, on comptabilisait un soldat pour environ 1200 habitants, avec un effectif de plus de 50.000 soldats en 1996, on compte un soldat rwandais pour 120 habitants. C'est un vrai record africain sinon mondial au moment ou les autres pays sont entrain de former des armées de métier avec un effectif assez réduit. Pour lier cela avec les autres secteurs, le pays ne disposait qu’un médecin pour plus de 25.000 habitants avant la guerre. Avec la guerre, cette situation s’est vraisemblablement empirée suite au manque du personnel dans tous les domaines.

 

            Par ailleurs, depuis l’invasion du Zaïre par les tutsi rwandaais en 1996, le Rwanda entretient une armée de plusieurs milliers d’hommes en dehors de ses frontières. Les experts estiment que l’entretien d’une telle armée sur un sol étranger coûte au Rwanda quelques millions de dollars par mois.  D’où vient tout cet argent? Est-ce que les rwandais de demain (la jeunesse) accepteront-ils de rembourser une dette qui a servi à tuer leurs parents ? 

 

            La réclamation de supprimer l’embargo sur les armes, faite et obtenue en 1995 par le gouvernement FPR devant les Nations Unies, a bien montré les préoccupations actuelles des nouveaux dirigeants. Même si le Rwanda voulait recouvrer sa souveraineté par rapport aux autres nations, nous pensons que faire de l’armement sa première préoccupation va à l’encontre de toute idée de développement du pays. Quel que soient les conditions, la force FPR continuera à se mesurer à la complaisance  des pays occidentaux ainsi qu'à la lâcheté des hutu.  

 

 

 - La démocratisation et la trahison du pays

                Tout comme la plupart des autres pays francophones africains, la tentative de démocratisation du Rwanda remonte du sommet franco-africain de La Baule tenu en juin 1990. Jusque là, le régime Habyarimana n'était pas ouvert aux changements démocratiques et va même continuer à s'opposer catégoriquement à la naissance d'autres partis politiques. Rappelons que c'est le seul parti unique - MRND (Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement), qui regroupait de fait toute la population rwandaise. Sous la pression du mouvement révolutionnaire interne et de la communauté internationale, le régime Habyarimana finira, tant bien que mal, par accepter le multipartisme. Une commission nationale chargée de définir l'avenir politique du pays fut mise en place en juillet 1990. Le rapport de cette commission aboutit à la promulgation d'une Constitution "révisée" du 10 juin 1991, qui autorisa la création de nouveaux partis politiques. Le parti MDR (Mouvement Démocratique Républicain) sera le premier parti d'opposition à voir le jour en juin 1991 et suivront le PSD (Parti Social Démocrate), le PDC (Parti Démocrate Chrétien) et le PL (Parti Libéral). Ces partis politiques seront les plus influents dans la population. Le Rwanda va connaître près d'une vingtaine de partis politiques jusqu'en 1994.

 

                        La naissance à la hâte de ces partis politiques et certainement aussi l'inexpérience de leurs leaders seront catastrophiques pour leur avenir et pour l'avenir du pays en particulier. En effet, plutôt que d'expliquer à la population leurs stratégies et leurs idéologies, les leaders des partis d'opposition vont directement se livrer à discréditer l'ancien parti unique (MRND) et surtout son président-fondateur Habyarimana. Ces jeunes leaders iront même à vouloir s'approprier le domaine de la sécurité nationale. C'est ce chaos politique que le FPR a profité pour intensifier la guerre au Rwanda. La cohésion de ces partis surtout avec le FPR va affaiblir le pouvoir du régime en place qui visiblement ne voulait aussi rien lâcher.

           

            Par ces attaques, le FPR a ressuscité les vieilles haines ethniques et a engendré de fait une bipolarisation politico-ethnique. En effet, les massacres systématiques perpétrés contre les populations civiles hutu dans les zones envahies par le FPR entraînaient sans aucune autre alternative les déplacements des populations rurales qui n'étaient en rien impliqués dans cette agression. Ces massacres n'étaient en aucun cas de bonne augure.

- Pour le gouvernement Habyarimana, il n'était pas facile d'entamer des négociations avec chaque fois des menaces de reprise de guerre. De l'autre côté, le FPR intensifiait l'infiltration militaire, recherchait un armement à la pointe, tout cela avec la complicité de certains pays étrangers. Cela ne pouvait jamais amener à une solution heureuse et négociée du conflit.

- Les deux grands antagonistes dans cette guerre (le MRND ainsi que le FPR) voulaient à tout prix une victoire militaire pour enfin s'assurer un pouvoir sans partage. Ils étaient ainsi tous les deux animés par une série de manoeuvres dilatoires afin de faire retarder sinon échouer les négociations de paix. Voilà ce qui a sapé les négociations d'Arusha et qui explique d'ailleurs la politique actuelle du FPR (il règne et gouverne seul, par la terreur et sans l'opposition). Les partis actuellement dits de l'opposition démocratique sont, bon gré mal gré, ses acolytes. Ils n'ont pas pu éviter ce guet-apens.

- En ce qui concerne les partis politiques de l'opposition démocratique, la soif du pouvoir et les intérêts égoïstes ont été à la base de la trahison révoltante du peuple rwandais par les leaders de ces partis. Ils devraient tôt ou tard faire un mea culpa au peuple rwandais. C'est suite à cette trahison bâtie sur l'inexpérience de ces jeunes leaders, sur la convoitise des postes hautement placés dans les grandes affaires du pays, sur le manque de projet de société à construire  dans leurs programmes, sur le manque de sagesse et de clairvoyance politiques, sur la collaboration contre nature avec le FPR, ...,  que ces mêmes leaders ont mené à l'éclatement de leur force politique qui les regroupait: FDC* (Forces Démocratiques de Changement). 

           

            C'est ainsi que le grand parti de tous les temps dans l'histoire politique du Rwanda moderne, le Mouvement Démocratique Républicain (MDR), qui était incontestablement soutenu par une grande partie de la population rwandaise, fut affaibli par ses faux leaders dont les ambitions étaient tout à fait personnelles. Vers la fin de la guerre en juillet 1993 et sous les erreurs des par ailleurs individus qui luttaient pour le poste de premier ministre, ce parti  va éclater en deux factions. La séparation de ces deux tendances au sein du MDR va se radicaliser dans la suite. Précisons ici que dès le début de la guerre et dans le cadre d'un rapprochement jugé nécessaire par l'opposition, certains partis politiques ou leurs factions s'étaient cachés derrière le paravent démocratique pour entretenir des relations plus ou moins officielles avec les inyenzi-inkotanyi (FPR). Ce jeu extrêmement dangereux, qui devait normalement être arbitré au niveau national (gouvernement), n'a jamais été arrêté.

           

            Dès la reprise de la guerre en avril 1994, les deux dissidents du MDR vont s'aligner du côté des 2 forces en confrontation: l'un (MDR Power) pour le MRND et l'autre (MDR de Twagiramungu) pour le FPR. Les hutu qui soutenaient la faction de Twagiramungu et donc pro-FPR seront considérés, à tort et à travers, comme modérés* . Les hutu du MDR Power seront eux considérés comme des durs du Parti: les hutu extrémistes. Le MRND qui redoutait le verdict des urnes en face du MDR ne demandait pas plus. L'affaiblissement du MDR l'arrangeait bien. Quant au FPR, qui ne voulait à tout prix qu'une victoire militaire, digérait mal une troisième force politique susceptible de l'amener à conclure un pacte de paix, rendant ainsi son ambition militaire irréalisable.

           

            De même, le PL (parti libéral), dont le fondateurs était un homme d'affaires hutu, va être vite récupéré par le FPR et tous les tutsi vont rallier ce parti politique. Quelques hutu (ils étaient assez minoritaires) membres du PL, dans le but de faire un front anti-tutsi, vont aussi se rallier au MRND. Pourtant, suite au manque de clairvoyance politique, les responsables du PL avaient toujours passé sous silence la monoethnicité des membres de leur parti. Tous les analystes s'étaient déjà demandé l'avenir d'un parti politique dont presque tous les membres étaient de l'ethnie minoritaire (tutsi) hormis son Président-fondateur et ses quelques acolytes. C'est ainsi qu'à la veille de la reprise de la guerre en 1994, la scission de ce parti avait déjà été presque officielle.

 

            Le troisième parti de l'opposition démocratique - le parti social démocrate (PSD), tout comme le PL, profitait des erreurs et faiblesses du parti MDR pour s'accaparer de ses membres. Devant cette situation, ce parti n'a jamais été plus clair. Réputé trop proche des milieux FPR, mais aussi avec quelques membres hutu qui jouaient le garde-fou, les leaders de ce parti vont se perdre dans cette mascarade politicienne qui divisa les rwandais au lieu de les unir. Voilà comment, au niveau national, sont né les deux fronts politiques antagonistes qui, après la mort de Habyarimana, vont conduire à la confrontation physique et quasi apocalyptique des deux ethnies.

 

            Du point de vue militaire, comment peut-on expliquer qu'un pays relativement bien organisé et dont l'armée avait pu repousser l'agresseur (inyenzi-nkotanyi), arrive à se désintégrer ainsi?

Tout d'abord, l'ancien parti unique n'avait pas fait grand chose pour l'unité des rwandais. Le sens  patriotique  et du bien commun faisait absolument défaut. Dès l'avènement de la seconde république en 1973, le régionalisme à peine voilé s'est concrétisé par un discours arrogant des nouveaux dirigeants (qui ne venaient que d'une seule région) ainsi que par une tendance à un matérialisme trop poussé. C'est ainsi que l'armée rwandaise, au lieu d'être formée par de bons citoyens de tout le pays et constituer une vraie force de défense nationale: "les forces armées rwandaises (FAR)", elle était presque formée par des éléments* de deux préfectures: Gisenyi et Ruhengeri. Ce qui devait être "les FAR" était en réalité devenu les "FARG (Forces armées de Ruhengeri et de Gisenyi)". Toutefois, il faut admettre que la mort du président Habyarimana (chef suprême de l'armée) ainsi que celle du chef de l'Etat major de l'armée rwandaise, survenues lors de l'attentat contre l'avion présidentiel ont constitué un coup dur dans la désorganisation de cette armée. D'un coup, le vide politique tant convoité par le FPR ,et qui allait conduire à la disparition de l'Etat est apparu.

 

            Il faut préciser que suite à ce fléau du régionalisme qui avait d'ailleurs endeuillé une partie importante de la population rwandaise après le putch militaire de 1973, le président Habyarimana et son entourage (AKAZU) tenaient absolument à rester au pouvoir. Il aurait déclaré qu'au lieu de céder le pouvoir aux hutu du sud (abanyenduga), il le donnerait purement et simplement aux tutsi. Pour Habyarimana et son AKAZU, l'ennemi politique numéro un était donc "les hutu du sud: abanyenduga" et en dernier lieu venaient les tutsi. Politiquement parlant, le Rwanda sous Habyarimana se caractérisait par trois forces politico-ethno-régionalistes antagonistes: AKAZU, les hutu du sud (abanyenduga), dont il n'a jamais eu une moindre confiance et les tutsi. Toutefois, ces deux dernières n'étaient pas officiellement reconnues. Cela montre à quel point les atrocités commises envers les leaders hutu de la première république (abanyenduga) par le pouvoir Habyarimana  le hantait encore. Ces quelques lignes montrent également comment le chemin de la victoire du FPR a été préparé, consciemment ou non, par Habyarimana et son entourage.

 

            A tout cela, sont venues se greffer les exigences de la Banque Mondiale et du FMI. Dans le cadre du programme d'ajustement structurel que le Rwanda venait de signer, la réduction du personnel de l'administration public était en pourparlers alors que les effectifs militaires devaient être absolument réduits. On avait probablement oublié que Timeo Danaos et dona ferentis. Cette démobilisation dans l'armée alors que le pays était en pleine guerre a été soutenue par les différents partis politiques d'opposition, non pas par ce qu'ils ne voyaient pas le risque, mais peut être aussi parce que le commandement des FAR constituait un danger potentiel à la démocratisation. Ce commendement soutenait sans réserve le régime Habyarimana. La démobilisation ainsi que le rapprochement de certains partis d'opposition avec le FPR ne pouvaient qu'abaisser le morale des troupes qui étaient déjà minées par des divisions régionales. Malheureusement, ce parti pris et ce manquement patriotique des chefs des FAR se retrouvent encore dans l'armée FPR. L'armée est monoethnique et de fait soutient, défend et représente l'autorité dictatorial tutsi de Kigali. C'est un vrai obstacle à toute tentative de démocratisation du pays.

 

            Il y a lieu de se demander encore ce qui se serait passé si les FAR avaient pu contenir les éléments du FPR après la mort du président Habyarimana. Si, comparativement à ce qui s'est passé après la victoire du FPR, on est d'accord que la victoire des FAR pouvait limiter les dégâts, presque tous les rwandais s'accordent à dire que ce scénario aurait été également décevant en ce qui concerne le respect des droits de l'homme. En effet, comme la garde présidentielle et les interahamwe étaient devenus incontrôlables, rien ne présage que le massacre des opposants hutu et des tutsi allait facilement s'arrêter. Aggravée et combinée avec le problème régional, la situation de la mort de Habyarimana risquait de rendre la population en provenance des régions du Sud du Rwanda encore plus malheureux que le coup d'état de 1973. Toutefois, suite à cette situation incontrôlable de la garde présidentielle et de la milice interahamwe, il serait aussi coquin d'affirmer que leur action était bien longtemps et soigneusement planifiée. Ceci ne vaut pas bien sûr le pardon pour les crimes qu'ils ont commis, mais une planification minutieuse et encore par une armée bien encadrée ne conduit jamais à une défaite imminente. Les tenants de la planification des massacres avancent que les listes des personnes à éliminer circulaient partout. Evidemment, la planification des massacres des opposants politiques, dont la majorité était d'ailleurs des hutu, datait de longtemps*. Mais, affirmer qu'il y a eu une planification des massacres systématiques des tutsi dans tout le pays, c'est un pure mensonge. Actuellement, plusieurs coupables des deux parties des belligérants qui ont exécuté des innocents circulent librement. Certains même occupent des postes de très haute responsabilité dans les affaires politiques du pays.

 

            Toutefois, en ce qui concerne les FAR et leurs alliés, il faut bien distinguer la planification et l'exécution des massacres. Pour un peu comprendre, il faut situer l'événement dans son contexte de guerre, avec des barrières partout dans Kigali. Dans une guerre où la tactique privilégiée de l'ennemi n'était que l'infiltration, il était plus que jamais nécessaire à la population civile d'organiser des rondes et des barrières. Par exemple, les habitants de Kigali qui habitaient un même quartier s'organisaient pour faire des rondes. Quant aux interahamwe, ils avaient mis des barrières sur des carrefours stratégiques. Malheureusement, les interahamwe ont été caractérisé par une indiscipline qui faisait passer par l'échafaud tous ceux qui n'épousaient pas leur action. L'ennemi a été confondu avec la population. Il est à noter que l'initiative des rondes est venue de la population des divers quartiers de la capitale bien avant 1994, étant donné l'insécurité qui sévissait dans Kigali. Malheureusement, la population en a été victime en 1994, vu que pendant la nuit, on se promenait avec une machette alors que l'ennemi utilisait des armes à feu. Etablir une liste de personnes selon tel ou tel autre critère n'était qu'une question de secondes. Il n'y avait donc pas d'état major pour centraliser ces listes qui n'étaient établies d'ailleurs que sur des barrières. Cette tactique s'étant généralisée dans tout le pays, il s'est avéré que certaines personnalités administratives ont participé à l'élaboration de ces listes. Pour ces personnes, la responsabilité dans cette affaire reste totalement personnelle. Certes, des coupables qui ont exécuté des massacres de 1994 existent , mais pas des planificateurs.

 

            Un essai de compréhension de cette situation amène à donner des éclaircissements suivants. Le 6 avril 1994, c'est l'attentat contre l'avion présidentiel avec la mort des deux présidents rwandais et burundais. Suite à cet événement tragique et en même temps, la garde présidentielle et les soldats FPR stationnés à Kigali commencent les massacres des populations civiles. Bien que ces massacres ne soient en aucun cas pardonnables, les premiers l’ont fait par fureur qu’ils n’ont pas pu contenir. Pour les seconds, c’était une suite logique de leur plan de cette guerre. La milice interahamwe renforça dès lors les barrages à travers toutes les rues de la capitale. Le 9 avril 1994, c'est la proclamation du gouvernement Kambanda. Ce gouvernement, qui devait être un gouvernement de crise fort a hérité une situation déplorable. Pour contrer l'avancé du FPR, les interahamwe ont été armé. Leur cible ne fut pas claire. Ils s'en prirent aux tutsi, aux opposants politiques hutu et même des règlements de compte terrorisèrent tout le pays. Des familles entières des hutu, même celles des officiers supérieurs* des FAR furent froidement abattues. Tout cela a rendu la situation de plus en plus incontrôlable. Si on y ajoute la boulimie de l'argent et des autres biens matériels, Kigali était devenu un véritable théatre chaotique improvisé. Le jeune gouvernement se trouvait devant des faits accomplis. S'il y a eu des planificateurs des massacres à grande échelle, ils ne pouvaient que se trouver du côté FPR, qui avait planifié à son aise la guerre et évalué toutes ses conséquences. Quant aux autres acteurs qui se trouvaient à l'intérieur du pays (gouvernement, FAR, partis politiques et leurs milices), leur responsabilité dans le massacre des tutsi réside dans l'exécution et non dans la planification. Cette responsabilité est en outre absolument individuelle.

 

             Tout ce qu'on peut reprocher aux responsables politiques du gouvernement hutu dirigé par Monsieur Kambanda* , ils n'ont pas pu et/ou voulu arrêter à temps les massacres ethniques. Ils ont par ailleurs armé les milices et par leur discours belliqueux, attisé les haines. Dans la suite, leur discours appelant au calme n'a rien donné. D'un côté, les interahamwe étaient devenus des maîtres absolus de la ville. L'autorité de l'Etat (gouvernement) était devenue inférieure à celle des interahamwe. De l'autre côté, le FPR avait aussi commencé son sale besogne de nettoyage ethnique. C'était un chaos sanglant.  Il était bien sûr très délicat à ce gouvernement de maîtriser la situation, étant donné qu'il ne contrôlait pas l'évolution militaire sur le terrain. C'est pourquoi, les reproches formulés par la communauté internationale à son encontre devraient être bien pesés. Cette communauté internationale connaît d'ailleurs les conditions difficiles de son investiture, puisqu'elle a participé activement à sa formation. Quoi qu'il en soit et quels que soient les motifs des massacres des populations civiles survenus sous ce régime et celui des inyenzi-inkotanyi, l'extermination de vies humaines n'est pas un mode de gestion digne d'une société du vingtième siècle. N'ayant pas été à même de se défendre correctement, les hutu ont même  payé cher après la victoire du FPR. Cette défaite, assimilable à tort ou à raison, à une lâcheté de la majorité  hutu est exploitée par certains médias de mauvaise foi, pour globaliser la criminalité dans cette guerre à toute une ethnie. Au lieu de porter un jugement sincère et sévère à tout le système du régime Habyarimana, qui a été d'ailleurs longtemps soutenu par les occidentaux, on est en train d'incriminer tout un peuple pourtant innocent. C'est pourquoi, la responsabilité devrait être individuelle et non collective. En même temps, si l’on veut mettre à nu la vérité rwandaise, il est absolument indispensable de déterminer la responsabilité du FPR qui, soutenu par les pays extérieurs, a fait même l’impensable aux hutu.

 

            Notons également que la communauté internationale s'est suffisamment rendue coupable dans tout ce qui s'est passé au Rwanda. Du côté des sympathisants du FPR, ils n'ont jamais voulu entendre parler du cessez-le-feu. Les USA ont même été catégoriques en refusant une force d'interposition entre les belligérants. La prise de position de cette communauté encourageait même l'intensification de la guerre. Du côté gouvernemental et cela datait de longtemps, il faut savoir qu'aucune politique ne pouvait être prise sans l'aval des puissantes ambassades étrangères accréditées à Kigali. Rappelons que ces ambassadeurs*, qui étaient averti de tout ce qui se passait au Rwanda, avaient participé à la mise en place de ce gouvernement de crise et sûrement qu'ils ont continué à le conseiller.

 

            Par ailleurs, malgré que le Rwanda était un des rares pays africains qui arrivaient encore à rémunérer son personnel de l'administration publique, la crise économique que traverse le monde n'avait pas épargné le pays. C'est ainsi qu'au lieu d'affronter l'ennemi, la plupart des soldats avaient quitté leurs positions pour aller piller. Kigali-la capitale (elle réunissait 69 % du commerce de gros et autant du commerce de détail implanté dans les villes; elle avait aussi 70 % des industries manufacturières implantées dans les villes et en 1991, elle concentrait aussi 66,3 % des dépôts bancaires du pays), qui concentrait 21,6 % des établissements[36] du tissu économique national, était ainsi devenue le centre des pilleurs et des bombardements FPR. Ainsi, presque tous les camps militaires des FAR s'étaient repliés** sur la capitale, laissant ainsi l'ennemi progresser librement sur le territoire national. Notons également qu'au lieu de créer des fronts réels de résistance à l'agresseur, les autorités du gouvernement Kambanda ont incité la population civile hutu à fuir l'avancée du FPR. Si tous les hutu morts au Zaïre, au lieu de fuir, avaient pris les armes (les armes sophistiquées n'étaient pas tellement nécessaires) et fait le maquis contre le FPR, la guerre au Rwanda aurait pris une autre tournure. Mourir en combattant l'ennemi aurait été mieux. Fuir est décidément un acte de lâcheté.

 

            Il faut également ajouter l'embargo sur les armes décrété par les Nations Unies contre les FAR en mai 1994. Apparemment, cet embargo ne faisait que venir aggraver une situation militaire presque irrécupérable*** sur le terrain. Ici, il y a toujours lieu de se demander si la communauté internationale voulait la paix dans la région des Grands Lacs. Pourquoi n'a t-elle pas imposé cet embargo à l'agresseur du Rwanda, même au début de cette guerre en 1990? Pourquoi cet embargo, décrété par le conseil de sécurité par sa résolution 918/1994 a été unilatéral alors qu'il était évident que la guerre imposée au Rwanda venait de l'extérieur? Y-a-t-il y eu un laisser-faire ou une complicité?

La raison du plus fort est toujours la meilleure.

Depuis que le FPR a pris Kigali par les armes en juillet 1994, cette victoire militaire a été admise par la communauté internationale comme une victoire sur tout un peuple. En effet, au lieu d'apaiser les esprits, le camp tutsi, alors qu'il était sorti vainqueur, s'est vu reconnaître par cette même communauté comme seul victime de la guerre. La bipolarisation hutu tutsi atteint ainsi son paroxysme. La suprématie tutsi, alors que ces derniers restent assez minoritaires, prit une telle ampleur que les hutu se sentirent menacés par le simple fait d'être hutu. Des exactions sommaires, des disparitions inexpliquées des hutu, bref des bavures des droits de l'homme à l'échelle nationale prirent place. La communauté internationale sembla cautionner ces faits. Le FPR, sans qu'il soit dénoncé, fut le seul interlocuteur officiciel et valable en ce qui concerne les problèmes de développement du Rwanda. Jusqu'en 1999, rares sont les voix qui ont osé dire la vérité sur l'Etat FPR. 

- Le mensonge et la désinformation

                Tout régime politique qui repose sur la non transparence est tôt ou tard voué à sa propre destruction. C'est le cas du régime Habyarimana qui cachait la réalité à la population. Cette situation s'est aggravée avec l'attaque du pays en 1991. En effet, l'attaque du Rwanda par l'Ouganda et par quelques éléments de la diaspora rwandaise a été toujours masqué sous la désinformation. Du côté du régime Habyarimana, on a pas voulu dénoncer haut et fort l'agresseur, croyant que la diplomatie rwandaise allait triompher. Le résultat fut décevant. Habyarimana a, à plusieurs reprises, rencontré officieusement le président Museveni. Leurs promesses, qui avaient pour objet de coincer les rebelles tutsi et mettre fin à la guerre n'ont pas été respectées. Habyarimana avait probablement oublié que le président Museveni était lui-même un tutsi (hima). Rien n'a été révélé au peuple rwandais à propos de ces rencontres.

 

            Du côté FPR, dès les premières heures d'agression du Rwanda, les attaquants criaient haut et fort qu'ils luttaient contre le régime antidémocratique de Habyarimana. Soutenu par les médias occidentaux qui avaient été corrompus, le FPR a caractérisé le régime du feu président par tous les maux. La radio FPR y joua un grand rôle. Quelques années à peine après la prise du pouvoir  par le FPR, force est de constater que son régime est décidément bâti sur le mensonge. Ses promesses (démocratiques et économiques) ne sont restées que lettre morte. Son régime risque fort de vivre le même sort que celui de son prédécesseur. Pourtant, quelques heures avant cette attaque, le régime Habyarimana était l'un des régimes africains les mieux cotés en Occident. D'où est venu alors ce revirement brutal des occidentaux à 180°? Certains avancent que le FPR avait corrompu les médias afin de discréditer le régime. Ah oui, les médias forment actuellement un quatrième pouvoir souvent utile mais aussi dangereux. Il est surtout très dangereux pour les pays progressistes qui veulent se libérer de la domination impérialiste actuelle. Les dirigeants qui veulent mettre en cause les rapports des anciens métropoles avec leurs pays sont ainsi assassinés dans l'anonymat total, pourtant sous les yeux de cette presse volontairement muette. C'est le cas de plusieurs présidents africains progressistes dont l'inoubliable président bourkinabé SANKARA. En ce qui concerne Habyarimana, il semble aussi que certains de ses sympathisants occidentaux en avaient marre de lui. Vingt ans de règne, c'était assez. Habyarimana était devenu un dictateur respectueux, qui arrivait même à contredire ses pères occidentaux. Il fallait en finir avec lui.

 

            Tout récemment encore, les occidentaux ont voulu étendre ce qu'ils ont appelé "syndrome Pinochet". En effet, profitant de la visite officielle que le président Kabila du Congo effectuait en Europe en novembre 1998, ils ont voulu l'inculper et l'arrêter. Ils avançaient que Kabila était un dictateur qui avait violé les droits de l'homme dans son pays. C'est vrai que Kabila a fait piétiner l'enquête sur les massacres des milliers de hutu au Zaïre. Il a chassé les enquêteurs onusiens. Mais, les occidentaux oublient que c'est l'armée FPR qui a fait ce génocide. De plus, cette armée était appuyée par ces mêmes occidentaux qui aujourd'hui, veulent brouiller les pistes en nommant Kabila comme seul responsable. Kabila était une marionnette mis à la tête de la rébellion, mais les vrais responsables sont du FPR. C'est justement quand Kabila a voulu s'imposer comme vrai maître du Congo et qu'il avait tourné le dos aux occidentaux, qu'il a encaissé tous les maux. Pourquoi alors ces occidentaux ne veulent pas être objectifs? Avec le syndrome Pinochet qui est actuellement à la mode, gare aux chefs d'Etat des pays en voie de développement qui voudront se libérer de la domination impérialiste des occidentaux. Ceci montre le point faible des démocraties occidentales. Avec leurs médias qui sont superpuissants, la justice revient toujours à celui qu'ils veulent  et non à celui qui la mérite. 

 

            Dans la région des grands lacs, après la tombée de Kigali en 1994, les pays occidentaux et leurs médias ont continué de soutenir de prétendus groupes de rebelles (soldats FPR et ougandais) qui ont attaqué le Zaïre, attisant ainsi le conflit ethnique dans la région. Pour cacher de véritables coupables, ils ont diffusé sur leurs ondes que la région est ravagée par une guerre civile. Ils ne pouvaient donc pas se mêler des  affaires internes des autres pays indépendants. Pourtant, ils n'ont jamais arrêté de fournir des armes, des munitions et des instructeurs à ces prétendus rebelles. Les américains ont même été sur le champ de bataille à côté des mercenaires de Kabila. Entre-temps, des milliers et des milliers de réfugiés rwandais mouraient. L'indifférence fut totale. Ayant déjà décrété que l'Afrique subsaharienne était trop surpeuplée, ils ont sûrement trouvé une politique démo-économique en leur faveur mais destructrice pour la région. Les médias internationaux y sont pour quelque chose. Ils nous désorientent souvent au lieu de nous informer. La responsabilité dans le drame rwandais a par exemple été attribué seulement aux hutu.

 

            A notre avis, l'Afrique peut gérer toute seule tous ces conflits. Elle n'est ni pauvre, ni  mal équipée comme les uns veulent le faire croire. Elle est manipulée par les puissances étrangères. Elle manque des dirigeants dignes de ce nom, capables de la libérer. Elle est mal gérée à cause surtout des intérêts impérialistes. C'est la vache à traire pour les puissances occidentales. C'est pourquoi la plupart des dirigeants africains sont investis au trône par ces puissances étrangères. Tout ce qui se passe aujourd'hui en Afrique est commandité de l'extérieur mais la responsabilité est rejetée, à tort ou à raison, sur les africains. 

 

            Après la prise du pouvoir par le FPR en 1994, ses idéologues ont essayé de transformer l'histoire du Rwanda. Contrairement aux croyances de leurs grands-pères, les jeunes de la diaspora tutsi nient l'existence des hutu, tutsi et twa en tant que entités sociales indépendantes les unes des autres. Tous les hutu ont été obligé, bon gré malgré, de s'imprégner de ces nouvelles pensées idéologiques. Cela se faisait dans le but de montrer qu'il n'y a pas de vrai problème hutu-tutsi. Sans vouloir nier qu'effectivement ce problème doit être dépassé, nous pensons qu'il faut d'abord reconnaître qu'il y a un problème et ensuite chercher sa solution. Chercher une solution d'un problème socio-politique qui n'est pas bien posé, ou qu'on masque volontairement dans le seul but de rester au trône, ne peut conduire qu'à un imbroglio social dont les conséquences risquent d'être désastreuses.

 

            Cette manière médiatique de gérer la crise rwandaise ne facilite pas l'aboutissement à une meilleure solution: la paix dans la région. Cinq ans après les événements regrettables du Rwanda, il est malheureux de remarquer que ces mêmes médias continuent d'attiser le feu en se posant de fausses questions relatives aux FAR (forces armées rwandaises). Pourtant, ils n'ont jamais voulu lever l'ambiguïté et dire à  ceux qui le souhaitent que les agresseurs du Rwanda venaient d'un autre pays bien connu: l'Ouganda, qui les soutenait en matériel et même en hommes. Pourquoi vouloir connaître la provenance des armes d'une armée qui était régulière (FAR) et ignorer expressément la provenance des armes des réfugiés tutsi dont l'acquisition et l'utilisation étaient d'ailleurs théoriquement interdites par la communauté internationale?  Etait-il possible que seuls les réfugiés tutsi (sans la complicité des pays traîtres), avec des moyens de survie qu'ils disposaient, eussent pu attaquer le Rwanda et le détruire complètement? Y aurait-il eu des massacres (que les uns appellent même génocide) si le FPR n'avait pas attaqué le Rwanda en 1990 et persisté dans une logique de guerre jusqu'à sa victoire? Que les spécialistes du Rwanda répondent objectivement.

 

Qu'on se détrompe.

                Plusieurs pays continuent d'avoir de bonnes relations avec le FPR. De telles relations sont surtout renforcées par les soi-disants spécialistes du Rwanda. Ils donnent des informations, vraies ou erronées, à leurs gouvernements respectifs, sur l'état actuel de la gouvernance FPR. Malheureusement, presque tous les touristes occidentaux ayant à peine mis leur pied au Rwanda se sont déclarés ou se sont vus attribuer le titre de "spécialiste du Rwanda". C'est ainsi que des hommes et des femmes qui, à peine connaissaient le pays avant la guerre, ont pris leurs plumes et écrivent des pages et des pages sur le pays des mille collines. Mais, de quelle valeur sont tous ces écrits?  Différente bien sûr, mais ... Pour éviter de scandaliser les uns et les autres, j'invite les amis qui ont connu le Rwanda d'hier et qui connaissent le Rwanda d'aujourd'hui, de les juger avec toute objectivité. La méconnaissance des réalités rwandaises avant et après la guerre constitue un vrai handicap pour une réaction valable de tous les occidentaux. Malheureusement, tous les contours de la solution au problème rwandais passent par eux. Les spécialistes du Rwanda ne sont pas nombreux. On peut même affirmer, à de rares exceptions près, que tous ceux qui se sont vus attribuer ce titre ne le sont réellement pas. Pourtant, ils sont nombreux. La preuve est que, si ces spécialistes existaient réellement, ils auraient pu, bien avant le mois d'avril 1994, élaborer des scénario probables sur l'agression que le Rwanda venait de vivre pendant plus de trois ans. Cela pouvait limiter les dégâts et actuellement, il y aurait de quoi se féliciter. Rien n'a été fait justement puisque personne ne comprenait rien et donc n'était spécialiste du Rwanda. Qu'on se détrompe alors. Actuellement, ces soi-disant spécialistes du Rwanda ou encore des Grands Lacs sont divisés eux-mêmes en plusieurs camps. Les uns chantent la bonne gouvernance du FPR et les autres, qui y voient peut-être plus clair, ont déjà lancé un appel de détresse. Effectivement, quand ils comparent le régime FPR avec le régime dictatorial de Habyarimana, ils ne trouvent presque pas de différence hormis le changement des figures au pouvoir. Les rwandais ne peuvent pas participer à la vie nationale et donc faire de la politique. Certains analystes disent même qu'entre les deux régimes, le premier serait le meilleur. C'est vrai que le pouvoir Habyarimana était dictatorial, mais au moins la liberté de presse, surtout de l'opposition, était manifeste. En plus, depuis que le Rwanda existe, même sous le régime des monarques tutsi les plus cruels que le Rwanda ait jamais connus, il n'y a jamais eu autant de disparitions inexpliquées de personnes de l'ethnie opposé à celui au pouvoir. Si le FPR continue de semer la tempête, il récoltera aussi la tempête. Les médias occidentaux pro-FPR ne devraient plus tromper personne. Le régime FPR doit et devra être jugé par ses actions. Plus d'illusions.

2.5 Situation du bien être de la population

            Dans son chemin de lutte pour le bien-être, la population rwandaise avait essayé de surmonter les obstacles rencontrés. C’est ainsi que, malgré la mauvaise conjoncture économique internationale de ces dernières années, elle avait essayé de s’adapter en appliquant les mesures de redressement et d’austérité prises en vue de juguler cette crise. Un effort particulier avait été consenti par la population en utilisant sa propre force physique en vue de réaliser plusieurs actions de développement (construction d’écoles et de centres de santé, protection des sols contre l’érosion, etc. ). Ainsi, l’aide venait pour appuyer les actions déjà entamées et l’objectif dans le moyen terme était de la rendre marginale. On ne peut pas penser au bien-être de la population rwandaise sans parler de l’agriculture. Cette branche occupe 90 % de toute la population et ses performances se répercutent directement sur la façon de vivre des gens.

 

                       a) Les principales tendances de l’économie

           

             Le but ultime visé par le développement au Rwanda avait été d’assurer le bien-être général à la population grâce à une amélioration de son niveau de vie. Tous les objectifs, qu’ils soient économiques, sociaux, culturels ou politiques devaient converger vers cet aspect du bien-être du citoyen. Malheureusement, les résultats de ces dernières années (avant la guerre) n’ont pas été brillants. On a même assisté à une tendance d’aggravation de la paupérisation de la population qui s’est traduit par un accroissement du nombre de personnes vivant dans la misère ainsi que de celles qui sont soumises en permanence à une vie à haut risque, chaque fois qu’il y avait un petit obstacle provoqué soit par les calamités naturelles ou par les perturbations socio-économiques.

 

            Le secteur agricole, dont la production à l’époque féodo-coloniale était liée aux travaux obligatoires et du fouet (AKAZI K’IBIBOKO), va se retrouver en baisse après l’indépendance. Le caractère coercitif des travaux réalisés à cette époque va être remplacé par un certain courant de liberté après l'indépendance. Les travaux de lutte anti-érosive seront en général abandonnés et certaines réalisations effectuées dans ce domaine seront même détruites. Il en sera de même pour la plantation des tubercules qui étaient destinées à lutter contre les famines ainsi que pour l’entretien des champs de café.

 

            Dans la suite, après une forte vulgarisation agricole, la production agricole va se redresser peu à peu, mais va se heurter surtout à une croissance forte de la population qui va entraîner une miniaturisation excessive des parcelles agricoles, ainsi qu’aux faibles ressources allouées à ce secteur pour être intensifié. De 1962 à 1981, les cultures de rapport ont reçu 33,71 % du financement total réservé aux projets agricoles et les cultures vivrières n’ont eu que 0,90 % de ce montant [37].

 

            La production agricole va ainsi connaître des hauts et des bas niveaux, mais suite à la forte croissance démographique dont le taux dépassait parfois celui du produit intérieur brut, elle n’a pas permis  une hausse du produit par habitant qui a eu même tendance à fléchir lentement ces dernières années.

 

            Cette situation économique a été aggravée en 1985, par la disparition de la seule société d’exploitation minière du Rwanda (SOMIRWA ), qui s’est vue fermée après la tombée en faillite de la société-mère (GEOMINES). Pourtant, les experts de la SOMIRWA-GEOMINES venaient de construire une fonderie moderne de cassitérite à Kigali et cette usine reste actuellement mal exploitée.  Précisons que la Somirwa utilisait près de 10.000 personnes dans les années 1980 [38].

 

            Il faut signaler que l’exploitation des mines par la SOMIRWA se faisait à ciel ouvert. Ne s’étant jamais soucié des problèmes environnementaux et donc de l’avenir de ces sites, des milliers d’hectares de terres destinés à cette exploitation sont très vite devenus inutilisables à d’autres activités. En effet, les cratères creusés à la recherche de minerais, l’éboulement actuel de terrains, la coupe des arbres sans aucun programme de reboisement, sont autant de caractéristiques qui font de ces sites, des régions agronomiquement irrécupérables.

 

            La trop forte dépendance de l’économie nationale à l’égard du café s’est fortement accentuée depuis l’effondrement du secteur minier si bien que la dégradation des cours des produits d’exportation ( café+thé ) a annihilé tous les efforts jusqu’alors fournis pour stabiliser l’économie. Cette crise [39] s’est traduite par une décroissance du PIB (- 1,7 % en 1990 ), par un déficit élevé des finances publiques, par un déséquilibre de la balance des paiements ( 3352 millions de FRW en 1990 contre 1344 millions en 1987 ), par l’aggravation de l’endettement du pays, etc.

           

            Pour faire face à ces difficultés, le Rwanda a été obligé de négocier avec la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International et un programme d’ajustement structurel à moyen terme pour la période 1990-1993 avait été mis en oeuvre. Citons cependant qu’au cours des années soixante-dix, le Rwanda avait enregistré des taux de croissance économiques élevés (5 % en moyenne).

           

            Le secteur primaire qui regroupe l’agriculture, les mines et les carrières a connu en 1991 une quasi-stagnation dans son ensemble. Le secteur secondaire, avec une baisse estimée à 3,5 % [40] de la valeur ajoutée, a accusé une forte contraction de ses activités dû essentiellement à la situation de guerre de 1990.

 

            L’industrie manufacturière au Rwanda a été toujours dominé par l’artisanat dont la branche la plus importante reste la production artisanale des bières de banane et de sorgho. Les IIe et IIIe Plans de Développement Economique et Social avaient prévu une croissance de ce secteur. Avant la guerre, on comptait environ une centaine d’entreprises modernes employant plus de trente personnes et cette fois-ci aussi, les transformations agro-alimentaires dominaient également. Ce type d’industrie, conçue au départ comme une industrie d’import substitution s’est révélé dans la suite grand importateur d’intrants à l’extérieur, ce qui coûtait cher en devises et participait au renforcement de la dépendance et de la désarticulation de l’économie nationale.

 

             L’épargne privée s’était orientée plus vers l’immobilier de rapport, le commerce et le transport. Un certain dynamisme d’accumulation avait émergé chez l’Etat et chez les privés, grâce surtout à la production des cultures d’exportation et vivrières. C’est grâce à ces cultures que l’Etat parvenait, si la conjoncture des prix sur le marché internationale était favorable, à équilibrer sa balance commerciale. Par ailleurs, le commerce a procuré assez de revenus aux privés. Ces revenus, qui passaient souvent dans les doigts des agriculteurs et qui s’expliquaient par d’énormes écarts de prix dans le temps et dans l’espace  rendaient le marché imparfait. En effet, il n’était pas rare de voir le prix d’une denrée alimentaire se multiplier par 2 fois quand on quittait une région à une autre. C’est ainsi que les commerçants ont pu s’enrichir en stockant souvent la production pendant la saison des récoltes et en spéculant sur la hausse des prix pendant la période de soudure.

 

            Il est à noter également que certains membres de l’appareil bureaucratique de l’Etat ont failli à leur devoir de veiller d’abord sur les intérêts généraux de la grande masse populaire. Les intérêts privés ont ainsi dominé les intérêts publics. Cela s’est traduit par une transformation de l’appareil étatique en un instrument d’une minorité cherchant et défendant  leurs propres intérêts au détriment de la grande masse paysanne. L'accumulation illicite, liée à l’accaparement du bien commun s’était développée ces dernières années. A tout malheur quelque chose est bon, la plupart de ces éléments avaient essayé d’investir à l’intérieur du pays et non à l’extérieur, créant ainsi quelques emplois productifs. 

 

            Apparemment, les responsables FPR ont hérité une économie essoufflée. La chute des prix des matières premières (café et thé) sur le marché international alors que ces deux cultures rapportaient au pays plus de 80 % des exportations totales du pays constitue un coup sévère pour l’économie nationale, et cette situation risque de perdurer. En effet, la situation d’insécurité que continue d'entretenir le régime FPR à l'intérieur du Rwanda, couplée avec les attaques de la rébellion hutu venant de l'extérieur, ne militent pas en faveur d’une quelconque augmentation de la production agricole. Plus particulièrement, la production des deux principales cultures de rapport risque de chuter étant donné qu'elles n’apportaient d’ailleurs aux agriculteurs que des gains marginaux.

 

            La politique prise par le nouveau gouvernement de remonter le prix du café passant de 135 francs rwandais/ kilo en 1993 à 300 francs est une politique incitative en faveur de l’augmentation de la production de cette denrée, mais il reste à voir si elle ne va pas buter sur la baisse des prix sur le marché international ainsi que sur la réticence des agriculteurs, préoccupés d’abord  par l’insécurité quotidienne que par l’augmentation de la production agricole.

 

            Par ailleurs, étant donné la gestion de la chose publique qui laisse déjà à désirer * (plusieurs témoignages font état de beaucoup de détournements dont le journal du gouvernement IMVAHO), il est regrettable de voir que les infrastructures de production (usines) dont les propriétaires ne sont pas encore revenus ont été confisquées par quelques individus. Après la prise de Kigali, certaines de ces infrastructures avaient déjà été pillées* vers l’Ouganda et les responsables politiques de l’opposition réclamaient que l’équipement des industries lourdes acheminé dans ce pays par le FPR et ses complices soit restitués au Rwanda au même titre que le patrimoine emporté par l’ancien gouvernement au Zaïre. L’économie risque donc d’être asphyxiée et de se concentrer dans les mains d’une petite minorité. Cette minorité ne se contente que de puiser le plus vite possible, les revenus provenant des infrastructures économiques trouvées sur place et considérées comme butin de guerre, tout en rendant aléatoire la rentrée des vraies propriétaires de ces biens.

 

            De plus, si malgré le peu de ressources qu’il dispose, le Rwanda était connu parmi les pays les moins endettés, il faut remarquer que le poids de la dette publique s’est trop vite alourdi à cause de la guerre. En effet, la dette publique, qui était estimée à 6.678 millions de francs rwandais en 1990 s’est vu doublée à moins de 2 ans allant jusqu’à 13.702 millions soit une augmentation de 105 %. Si le budget national s’était augmenté de 52 % pour la même période, le budget du département de la défense a presque triplé, passant de 3.155 millions en 1990 à 8.885 millions en 1992 [41] soit une augmentation de 181 %. Il est à noter qu’entre 1985 et 1989, le service de la dette occupait la seconde place parmi les différentes catégories de dépenses de l’Etat après le personnel et se réservait 48,9 % de ces dépenses. Pour autant que la paix ne sera pas revenu dans la région, l’armement du pays risque d’être la principale composante du budget national et la situation socio-économique ne continuera qu’à s’empirer. Les actions de développement seront ainsi considérées comme secondaires par rapport à la logique de la guerre.

 

            Comme le montre le tableau ci-après, le montant de la dette devient de plus en plus lourd au fur et à mesure qu’on avance dans le temps. Cela implique que les jeunes rwandais auront plus de dettes à rembourser malgré la conjoncture qui continue à se détériorer ce qui va jouer sur leur avenir ainsi que sur leur manière de vivre.

 

                                                                                                           Tableau n° 6

 

                             Dette publique extérieure au 31.12.1989

                                          ( en millions de FRW )

                   

Terme

Montant

Encours (%)

 

0 à 5 ans

593,6

1,07

6 à 10 ans

624,9

1,12

11 à 20 ans

8347,7

15,03

21 à 30 ans

11308,4

20,56

40 à 45 ans

3647,1

6,56

46 à 50 ans

31023,3

55,85

Total

55545,4

100 %

                       

          Source: République Rwandaise, Ministère du Plan, Bulletin statistique n° 17 , 1992             

            Tout rwandais devrait s’imprégner que le développement de son pays lui revient. Même si les aides continuent actuellement d’affluer vers le pays, il est grand temps de considérer l’aide à sa juste valeur. Jusqu’à présent, malgré la multiplicité des organismes d’aide et les organismes non gouvernementaux qui semblent d’ailleurs être plus intéressés par les crises que par les solutions y relatives, aucun pays ne s’est réellement développé à cause de l’aide. Certains d’ailleurs considèrent à juste titre l’aide comme un iceberg que les pays les moins développés sont tenté de prendre comme une planche de sauvetage alors que les conditions  environnantes ne permettent pas à cette planche de rester au dessus de l’eau.

 

            La crise de l’économique provoquée en partie par l’évolution des tendances de la crise du politique ne serait-elle pas à la base des différentes formes de crise sociale que le Rwanda est en train de vivre? La réponse semble être oui. Le développement du Rwanda est donc fortement hypothéqué, étant donné qu’un développement qui détruit les liens entre les diverses composantes sociales d’un pays ou qui y entretient constamment des relations conflictuelles ne peut conduire qu’à sa destruction. Il convient donc que tous les rwandais, surtout les responsables à tous les niveaux administratifs et politiques, prennent dès à présent conscience, que le problème rwandais n'est pas seulement de nature ethnique ou politique, mais que pendant ces dernières années, il a de plus en plus pris racine dans la vie économique (problèmes des jeunes sans terres et sans avenir, insécurité et manque d'emploi, enrichissement illicite des (ir)responsables du pays et paupérisation de la majorité de la population, ...). Les solutions relatives à la réconciliation et à la reconstruction du pays devraient toucher tous ces aspects.

 

            C'est pourquoi, toute hypothèse qui cherche à clarifier la réalité du conflit rwandais en le réduisant à une seule variable est tronquée. La réalité rwandaise semble avoir changée avec le temps. En effet, avant 1959, le problème rwandais pouvait se limiter à un conflit social. Aujourd'hui, elle est devenue politico-socio-économique. Etant donné que la faible économie rwandaise repose sur l'agriculture, une analyse même superficielle, du secteur agricole semble nécessaire afin de mieux comprendre toutes les facettes du problème rwandais.

.

 

 b) Problème de développement rwandais face à l’agriculture et à l’alimentation

              - Etat général du problème agricole et de la pauvreté

            La notion de développement et donc du bien être de la population est assez complexe pour être clairement définie ici. En effet, il semble que ce concept varie selon la géographie, la culture, la richesse relative du pays, etc.. Au Rwanda, comme l’économie du pays est essentiellement basée sur l’agriculture et que ce secteur occupe plus de 90 % de la population, le bien être de la majorité de la population semble être lié avec la bonne ou la mauvaise production agricole. Dans un Rwanda où les rapports marchands ne sont pas assez développés et où la production familiale est dominée par l’autoconsommation, le bien être de la population se confond avec la pauvreté qui elle aussi, est directement fonction de la production familiale agricole. Trois[42] points de vue sur le concept de la pauvreté ont été développés par le PNUD.

            - Du point de vue du revenu, une personne est pauvre si et seulement si son niveau de revenu est inférieur à un seuil de pauvreté prédéfini par l'Etat. Il peut ainsi varier d'un Etat à l'autre pour des fins de planification et est défini comme  le niveau de revenu en deçà duquel il n'est pas possible de se procurer une quantité de nourriture donnée.

            - Du point de vue des besoins essentiels, la pauvreté est caractérisée par un manque de moyens matériels permettant de satisfaire un minimum acceptable de besoins alimentaires, mais aussi de santé, d'éducation, d'emploi et d'autres services fournis par la communauté.

            - Du point de vue des capacités, la pauvreté représente l'absence de certaines capacités fonctionnelles élémentaires pouvant aller du domaine matériel, social ou du domaine de revenu et de produits de base.

 

            Afin de lever toute équivoque dans notre travail, nous considérons ici la pauvreté comme une impossibilité  de satisfaire au minimum des besoins humains les plus fondamentaux. Cette définition semble être relative aussi, étant donné que ces besoins élémentaires peuvent varier d’un individu à l’autre selon leurs habitudes de consommation,  d’un espace géographique à un autre, etc.... Ainsi, les années de bonne production agricole, sans risque de malnutrition quantitative et qualitative avec un surplus pouvant couvrir les besoins au delà de l’autoconsommation, sont considérées par la population au Rwanda comme des années de bonheur et de prospérité [43].

 

            Comme le montre le schéma ci-dessous, la pauvreté est source de malnutrition. Elle augmente la morbidité et la mortalité, jouant ainsi négativement sur l'effectif de la population. Pire encore, elle freine  les mécanismes du développement. Visiblement, la pauvreté et le développement ne vont pas de pair. Là où il y a le développement, la pauvreté est freinée et là où la pauvreté sévit, le développement est tout à fait compromis. Par ailleurs, le développement tout comme la pauvreté jouent sur l'environnement et vice versa. Il est à remarquer que le développement peut jouer sur l'environnement un rôle aussi bien positif que négatif. En effet, plusieurs technologies actuelles de production sont économiquement rentables, mais en même temps, ont un rôle assez négatif sur l'environnement. Certaines produisent même directement des déchets nocifs aux êtres vivants. Le terme "développement ", pris dans le cadre de la modernisation, devient ainsi insuffisant pour exprimer réellement le vrai outil du bien-être des populations. C'est pourquoi certains organismes ajoutent à ce terme un qualificatif: développement "durable" par exemple. 

 

            Bref, si on considère un système comme un ensemble d'éléments en interaction dynamique, les trois variables (population, développement, environnement) forment un système qui est constamment en évolution. Toutes choses étant égales par ailleurs, ce système se caractérise par une stabilité dynamique et semble être applicable à plusieurs régions de notre planète. Par ailleurs, l'interaction entre le développement et la pauvreté s'avère positive si les outils du développement sont utilisés pour lutter contre la pauvreté. Dans ce cas de figure, c'est le vrai bien-être de la population qui est déclenché. Au Rwanda, l'utilisation des fonds versés par les différents bailleurs continue de plonger la pays dans la pauvreté et la misère. Dans la tradition rwandaise, il est inconcevable de profiter des morts pour monter une quelconque spéculation pécuniaire. Pourtant, depuis 1994, le génocide est devenu un véritable fonds de commerce. Pire encore, ce fonds de commerce ne profite pas aux rescapés du génocide, mais à ceux qui ont déclenché ce génocide. Ce génocide sert donc à créer une certaine classe d’une poignée de personnes tutsi qui s’enrichissent au détriment des invalides et autres rescapés des massacres.

 

            En ce qui concerne toujours le Rwanda d'après 1994, le surarmement qui a été privilégié par les nouvelles autorités de Kigali reste le grand facteur de déséquilibre  du pauvre budget national. Non seulement ces armes sont acquis pour tuer les opposants du régime tutsi, mais aussi déstabilisent toute la région des Grands Lacs. Ce surarmement conduit ainsi le peuple rwandais à une paupérisation accrue. Il freine donc son développement. Parallèlement, il existerait un lien étroit entre la pauvreté de la population rwandaise et la production agricole étant donnée que l’essentiel du revenu des paysans est produit dans ce secteur. Particulièrement en milieu rural, la situation devient de plus en plus critique, car au fur et à mesure que les générations se succèdent, les terres agricoles au Rwanda deviennent de plus en plus rares et leur fertilité s’amoindrit d’une année à l’autre. C’est pourquoi nous pensons que la grandeur de l’exploitation agricole familiale joue un grand rôle et peut être considérée comme un facteur important dans la vie économique de la majorité de la population rwandaise.

 

            C'est en 1976 que fut signé un décret-loi réglementant l'achat ou la vente des terres. En cas de vente de ses terres, le vendeur était tenu à garder à sa disposition une superficie minimum de deux hectares. L'acheteur ne devrait pas aussi avoir une propriété supérieure à deux hectares et les terres non appropriées appartenaient à l'Etat. Il faut remarquer que même après l'indépendance, les autorités n'ont pas pu se libérer de la logique coutumière. La terre a été et est restée un bien inaliénable et ce constat a participé dans l'aggravation du processus de miniaturisation des parcelles agricoles. Pourtant, les spéculations financières sur les terres ne se sont arrêtées malgré les restrictions en vigueur. Plusieurs familles étaient parvenu ainsi à agrandir leurs propriétés au détriment des autres et les terres à vendre étaient devenues rares. Cette évolution tendait vers la situation des agriculteurs sans terre avec des conflits fonciers interminables. De tels conflits étaient d'ailleurs devenu assez fréquents avant la guerre tellement qu'on les rencontraient entre les parents eux-mêmes, entre un père et un fils, entre les frères, etc...  

 

 

                                                                                                              Tableau n° 7    

                Répartition des exploitations agricoles (%) selon les superficies (ha).

           

Taille

de l'exploitation

Exploitations

Superficie exploitée

      ha

     %

% cumulé

 %    

% cumulé

< 0,25 ha

7,4

7,4

1

1

0,26-0,5 ha

19,1

26,5

5,9

6,9

0,51-0,75 ha

16,5

43,0

8,4

15,3

0,76-1,0 ha

13,8

56,8

10,0

25,3

1,1-1,5 ha

15,6

72,4

15,7

41,0

1,6-2,0 ha

11,1

83,5

16,1

57,1

> 2 ha

16,5

100,0

42,9

100,0

 

           

Source: Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage, Service Enquête et Statistiques Agricoles, 1984

 

            Si la superficie moyenne par exploitation agricole oscille autour d’un hectare, la dispersion autour de cette moyenne est dans les limites assez variées, ce qui laisse posé le problème de la miniaturisation prononcée de plusieurs parcelles agricoles familiales. Le tableau ci-dessus montre que 19,1 % des exploitations agricoles familiales ont une superficie des terres inférieure à 0.5 ha pour leur autosuffisance alimentaire. Par ailleurs, la rapidité de la diminution des terres disponibles à l’échelle des exploitations agricoles pose d’une façon très aiguë le simple maintien du niveau nutritionnel actuel de la population, d’autant plus que bon nombre d’exploitations ne disposent déjà plus de la superficie minimale (110 ares) nécessaire à l’obtention de l’autosuffisance alimentaire [44].

 

            Cette situation est aggravé par l’accroissement continu du nombre de jeunes ménages qui selon la tradition rwandaise, doivent se partager les terres de leurs parents sous forme d’héritage (IMINANI). Ce partage constitue dores et déjà un grand handicap pour le développement du secteur agricole en général et pour le bien être de la majorité de la population paysanne. Il peut être considérer comme un des freins du développement du monde rural. La distribution par le Gouvernement FPR, de la réserve naturelle (parc national de l'Akagera) tout près de la frontière avec l'Ouganda entre les éleveurs tutsi, constitue une erreur monumentale pour l’environnement. Non seulement le problème de la pression démographique n'a pas été résolu, mais aussi ce site sera très vite impropre à l’agriculture et à l’élevage.

 

            L’agriculture rwandaise, qui est la source principale pour l’emploi, les revenus, les recettes en devises étrangères, etc., est caractérisée par des techniques de production traditionnelles et par un faible niveau de productivité. D’autre part, les tentatives de transformation de l’agriculture ont essentiellement concerné le secteur des cultures industrielles (exportation) au détriment des cultures vivrières et de l’alimentation de la grande masse paysanne.

 

            Toujours par rapport au problème foncier, la Commission Nationale d’Agriculture estimait à 26.5 % la population dite misérable [45], c-à-d celle qui avait moins de 1/2 ha. Néanmoins, les misérables ne se limitaient pas seulement là, puisque tous ceux qui n’avaient pas assez de terres étaient régulièrement frappés par la famine. A eux s’ajoutaient une partie non négligeable de ceux qui vivent en villes. En guise d’illustration, un dénombrement des familles indigentes a été fait par les services administratifs suite aux disettes de 1990 dans l’une des préfectures les plus pauvres du pays. Etaient considérés comme indigentes toutes les familles qui n’arrivaient pas à assurer leur subsistance et avaient des problèmes alimentaires graves. De ce dénombrement est ressorti que 25 % des ménages de la préfecture se classaient dans la catégorie des indigents. L’indigence est donc conçue en terme d’insécurité alimentaire.

 

            De plus, l’enquête menée par le PDAG [46] (Projet de Développement Agricole dans la préfecture de Gikongoro) sur la pauvreté a pu mettre en lumière les principales causes sous-jacentes à l’indigence dans le milieu rural. Il s’agit entre autre de: 1) des ménages indigents ont une superficie d’exploitation assez réduite. Ce critère s’est avéré particulièrement performant puisque plus de 90 % des indigents avaient moins de 50 ares. 2)  un nombre relativement élevé de membres par rapport aux autres familles. 3) le genre du chef de ménage est particulièrement important dans la détermination de la pauvreté: près de la moitié des ménages indigents avait une femme à leur tête. Ce facteur est assez important, car suite à la guerre, on estime qu’il y a eu plus de disparus de genre masculin que féminin. Cela va absolument augmenter le taux d’indigence particulièrement en milieu rural.

 

            D’autre part, une étude [47] faite par le Ministère du Plan (Direction Générale de la Planification) a mis au clair les revenus ruraux par commune et par habitant en 1990 (cfr. annexe 3). Cette étude a montré que le revenu moyen d’un habitant rural s’élevait en 1990 à 10.440 FRW (Un dollar était évalué à 120 FRW). Le revenu rural le plus élevé par habitant se trouvait dans la commune de Mugesera dans la préfecture de Kibungo et s’élevait à près de 26.000 FRW, quant au revenu le plus bas, il se chiffrait à près de 3.500 FRW. Plus de la moitié des communes était en dessous de cette moyenne. Cette grande dispersion du revenu du paysan autour de la moyenne montre la faiblesse des sources de revenu du monde rural. Le revenu le plus grand observé dans la commune de Mugesera en témoigne clairement. Ce revenu du paysan englobait l’autoconsommation qui était évaluée à plus de 50 %. Ainsi, une analyse même superficielle de ces chiffres montre que le revenu en milieu rural restait encore assez marginale pour couvrir tous les besoins du ménage ce qui hypothèque lourdement son avenir et particulièrement le développement du monde rural.

 

            Cela est corroboré par une étude faite dans la commune de Muganza avant l'ajustement structurel de 1990. Cette étude montre que le revenu annuel médiasn d’un ménage rural de Kirarambogo ne s'élevait qu’à  près de 27.000 FRW et 50 % n’atteignaient pas ce revenu. D’autre part en comparant le revenu moyen du ménage calculé par l’Enquête nationale Budget et Consommation des ménages effectuée en 1983, il semble qu’il y ait eu une baisse de revenu de 5.000 francs rwandais par an[48]. Ceci montre que le revenu du ménage rural dans cette commune a diminué avec le temps au lieu d’augmenter ce qui peut être d’ailleurs généralisé pour tout le pays. Cette situation faisait suite à la crise qui a frappé presque tous le pays dans les années 1980, crise qui s’est suivi par les programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque Mondiale. Il est malheureux de constater qu’au Rwanda comme dans la plupart des pays pauvres, au lieu d’améliorer les conditions de vie des populations, ces programmes ont agi dans le sens inverse.

 

            Avec un taux moyen de croissance annuelle du produit intérieur brut estimé à 2.5 % par an, le revenu par tête, qui était déjà l’un des plus faibles du monde, est passé de 300 dollars en 1987 à 270 en 1991. Hormis les effets de la guerre qui commençaient à se faire sentir, cela a été dû en partie à une forte pression démographique. Son taux d’accroissement naturel était supérieur à celui du PIB et était de 3,1 % par an. Les effets destructeurs de la guerre des inkotanyi ont fait chuter le PIB par tête jusqu'à 80 dollars en 1994. Cette chute spectaculaire du revenu par habitant, qui ne montre pas évidemment la réalité de la dispersion de cette variable a eu un impact négatif sur les groupes les plus vulnérables et sur les régions du pays habituellement moins nanties en production agricole.

            Les événements tragiques qu’a connus le pays ont ainsi conduit à des conséquences économiques malheureuses et la reprise des activités exigera une mobilisation énorme des ressources. A titre d’exemple, les pertes de revenus relatifs à l’exportation des cultures industrielles en 1994 [49] (seule source importante de devises), se sont réparties comme suit:

            5.900 tonnes de production de café commercialisé contre une moyenne habituelle de 36.000 tonnes,

            2.800 tonnes de thé contre 12.500 tonnes.

Les pertes dans le secteur de l’élevage ont été évaluées ainsi:

            75 % des bovins,

            90 % des caprins et des ovins et

            95 % des porcins et des volailles.

Par ailleurs, le seul Institut de Recherches Agronomiques du Rwanda (ISAR) a été pillé. Il est devenu un camp militaire depuis la victoire du FPR en 1994. C'est ça la conception du développement et de la recherche agricole par les rebelles tutsi.        

 

            Dans le cas de forte pression démographique du Rwanda , caractérisée par un taux d’accroissement démographique élevé, par une forte densité de population et un faible progrès technique, le rythme d’augmentation de la production risque dans l’avenir d’être inférieur à celui de la population. Cela s’est d’ailleurs passé pour la période 1988-1989 où l’augmentation de la production vivrière n’a pas pu rattraper l’augmentation démographique naturelle. A cela s'ajoute l'insécurité qui ne permet pas au paysan de travailler ses terres.

 

            Cette situation de la production devient préoccupante si l’on considère qu’ une partie de la population ne dispose pas assez de terres agricoles pour arriver à son autosuffisance alimentaire. Par ailleurs, les aléas climatiques sont devenus de plus en plus fréquents et sont très vite ressentis par tout le pays. C’est pourquoi, à moins que l’effort dans le domaine technologique ne soit entamé sans tarder pour augmenter la production agricole, le modèle néo-malthusien pur et dur risque d’être considéré comme la principale explication de la relation entre la population rwandaise et son environnement. La situation socio-politique actuelle aggravée par la guerre, semble renvoyer tout observateur à un pessimisme presque total en ce qui concerne le développement futur du Rwanda. Le paradigme dominant en matière de population rwandaise à savoir la version malthusienne semblera ainsi se justifier davantage.

 

            Pourtant, malgré la croissance démographique galopante, le monde rural qui est généralement agricole, avait pu s’adapter aux conditions de plus en plus difficiles caractérisées par un équilibre alimentaire de plus en plus précaire. Cette adaptation avait été rendue possible grâce à la paysannerie toujours prête à s’adapter aux nouvelles conditions de vie: introduction de nouvelles cultures à haute valeur nutritive, augmentation des superficies cultivées surtout par  l’aménagement des marais, les migrations internes vers les zones encore moins peuplées, etc. .

 

            Ce problème de forte pression sur les terres agricoles dans un contexte de technologie moins performante montre les limites de régulation qui jusqu’à présent avait pu maintenir les paysans dans le milieu rural. Le problème fondamental y relatif peut être défini comme une étroite interaction entre la pauvreté grandissante et les niveaux de productivité dérisoires suite aux insuffisances relatives des infrastructures économiques et sociales, notamment les équipements, la recherche, la technologie, etc. Il faut toutefois signaler que cette adaptation avait un effet négatif sur l’environnement ( déboisement, mise en valeur des terres marginales avec pour conséquence la dégradation des sols, etc. ).

 

 

                                                                                                         Tableau n° 8

 

 

                Evolution de la production des principales* cultures vivrières

                                           ( en milliers de tonnes )

 

Année

Production en %

 

1985

100,0

1986

90,2

1987

90,4

1988

85,9

1989

96,2

                                   

 * = (sorgho, maïs, pomme de terre, patate douce, manioc, petit pois, haricot et banane)                                                                                           

 

              Source: Tableau élaboré à partir des données du bulletin statistique n°17, Janvier 1990

 

            Dans la mesure où la production vivrière a une croissance presque médiocre, il est clair que la quantité des produits alimentaires par habitant diminue. Peut on voir dans cette croissance démographique rwandaise le maldéveloppement du pays? Certains n’hésitent pas à avancer que le grand remède  n’est que la limitation pure des naissances. D’autres, même avec des idées à prétention scientifique, vont jusqu’à proposer d’accroître la mortalité en limitant la propagation des techniques médicales et en considérant comme salutaires quelques « bonnes guerres ». La guerre imposée au Rwanda dès 1990, n’ayant jamais été condamnée par la communauté internationale, se situerait-elle dans ce contexte?

 

            Certains auteurs, bien que leur théorie soit réfutée par plusieurs hommes scientifiques, arrivent même à dire que la pression démographique peut conduire à de sérieuses régulations sociétales entraînant même l’autodestruction de la société. Selon le docteur King [50], plusieurs pays sous développés semblent être pris dans ce qu’il appelle «le piège démographique (demographic entrapment)». Cet état se caractériserait par une série de facteurs relatifs à une grande croissance de la population tel que: le dépassement de la capacité de surcharge d’une population sur son écosystème, une insécurité alimentaire irréversible qui n’est apaisée que par les aides extérieures, etc. Il étaye sa thèse en affirmant que si ces pays ne réduisent pas leurs taux de fécondité, leur avenir ne reposera que sur des aides perpétuelles et finalement la solution pour ces populations ne sera que mourir de faim ou de s’entre-tuer.

 

            En guise d’illustration, le docteur King se sert du cas du Rwanda pour expliquer la raison des massacres ethniques qui s’y sont déroulées en 1994. Ce docteur méconnaît certainement l’histoire du Rwanda. Il ne s’est probablement pas donné la peine de savoir que les tensions entre les deux ethnies du pays datent même avant l’idée de la pression démographique en Afrique. Par ailleurs, il oublie que la guerre qui a ravagé le Rwanda depuis 1990 et dont les massacres de 1994 ne constituent qu’une étape parmi tant d’autres était une guerre imposée au pays à partir de l’extérieur et non une guerre entre la population intérieure du pays.     

           

            Toutefois, il est vrai que la forte pression démographique peut constituer dans certains cas un facteur négatif pour le développement, mais elle ne constitue pas, elle seule, une condition sine quanun pour expliquer le processus de développement d’un pays. Notons ici que jusqu'à présent, la facette économique a été toujours considérée comme le moteur principal de la modernisation et donc de la prospérité des pays. Par ailleurs, les effets de la pression démographique à un moment précis ne sont pas éternels. Ces effets de la pression démographique sont en interaction constante avec d'autres facteurs. Ils peuvent donc évoluer à n’importe quel moment et dans n’importe quel sens*.

                        Dans les conditions socio-économiques actuelles du Rwanda, une mauvaise production alimentaire et donc un apport nutritionnel insuffisant couplé avec un nombre assez élevé de membres dans une famille (plus ou moins 6), risque d’entraîner des conséquences néfastes tel que la mortalité infantile élevée(suite à la malnutrition de la mère et de l’enfant), la diminution de l’espérance de vie, la morbidité élevée, la surexploitation des ressources environnementales (notamment les terres agricoles) etc. Pourtant, même dans de telles conditions où le développement du pays est momentanément compromis, nous pensons qu’on ne peut pas parler d’apocalypse démographique.

              

            Il est difficile de fixer avec précision les normes minimales d’une alimentation suffisante pour un individu, celle-ci variant avec les autres conditions matérielles et de travail. Les données statistiques sur la consommation sont donc incertaines et on peut les utiliser à titre indicatif. Ainsi, la Stratégie Alimentaire du Rwanda  estimait les besoins énergétiques à 2.100 cal par habitant et par jour alors que pour la FAO-OMS, ces besoins allaient jusqu’à 2.320 calories/hab./jr[51]. Même si la population a pu s’adapter jusqu’à présent et que la ration alimentaire en calories avait pu être satisfaisante, avec la pression démographique seulement, sans même compter que la situation sociale ne permet pas une augmentation de la production agricole, on risque de tomber en dessous du minimum nécessaire .

 

            L’accroissement de la production agricole après 1985 qui a eu tendance à stagner sinon à diminuer en témoigne beaucoup alors que le taux d’accroissement de la population s’est maintenu toujours à un niveau élevé ( 3,1 % ).  

 

            Selon des enquêtes citées par l’ONAPO [52] sur la consommation alimentaire et la situation nutritionnelle au Rwanda, les carences nutritives se sont particulièrement rencontrées chez les enfants et les femmes. On estimait alors que près d’un tiers de la population souffrait d’une malnutrition chronique ou aiguë (malnutrition, avitaminose, carences en sels minéraux, etc. ).

           

            Le faible poids observé alors chez les adultes (moyenne de 58 kilos chez les hommes et 54 kilos chez les femmes) témoignait de l’existence de mauvaises conditions de vie en général et alimentaires en particulier. Il y avait ainsi de quoi s’alarmer à propos de la situation nutritionnelle qui somme toute est restée assez précaire. Avec un taux de croissance démographique de 3,1 % enregistré ces dernières années, on risque d’arriver à une malnutrition endémique généralisée. Certes, il faut développer les programmes de développement de la production alimentaire, mais une politique claire en matière démographique s’impose aussi. Cette politique ne pourra être bénéfique que si elle est cohérente avec le développement des autres secteurs socio-économiques du Rwanda.

 

            C’est pourquoi il est logique et nécessaire de soutenir l’idée qui est ressorti de la conférence mondiale sur la population en 1974 selon laquelle le développement est la meilleur pilule contraceptive. Les pays dits développés sont là pour le montrer et certains n’ont jamais eu dans leur existence une politique démographique. Ainsi, parmi les caractéristiques structurelles qu’on peut considérer comme causes fondamentales du maldéveloppement rwandais, on peut citer: - une économie essentiellement de subsistance, une base de production étroite aussi bien en ce qui concerne le volume que la gamme de bien produits, l’ouverture et la dépendance prononcées vers l’extérieur, etc. Malheureusement, avec le dépeuplement du pays suite à la guerre, même cette base étroite de production risque fort de s’effondrer.

 

- La corruption dans la haute sphère politique de la 2nde République

            Le mécontentement de la population durant ces deux décennies de la seconde république a été aggravé par le fait que les responsables politiques mis au gouvernail du pays se sont vite désintéressés de la chose publique. Au lieu de s'occuper des problèmes réelles qui hantaient le peuple rwandais (pauvreté, sous-développement du secteur agricole qui occupe presque toute la population, ...), le pouvoir militaire s'est distingué par toute une série de malversations financières et d'autres actes contraires à la gestion d'un Etat digne de ce nom.

 

 

·      Détournements et autres enrichissements illicites

            Dans tous les pays capitalistes, il est difficile à un pauvre d'accéder au pouvoir politique. Cette maladie se transmet de plus en plus dans les pays en développement. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles les responsables politiques dans les pays  pauvres se caractérisent de plus en plus par une gestion malsaine des économies de leurs pays. Comme ils lâchent rarement le pouvoir politique, ils gèrent leurs économies comme des biens familiaux. Ils ne se préoccupent que d'eux-mêmes et de leur proche entourage.

 

            En effet, au moment où la dette de ces pays est devenu un vrai handicap de leur développement, les experts estiment que le solde de leurs comptes dans des banques occidentales apurerait facilement cette dette. Le Rwanda n'a pas échappé à la règle malgré qu'il était bien côté pour sa bonne gestion. C'est ainsi qu' a émergé une certaine classe bourgeoise autour du président de la République, caractérisée par une soif démesurée de la richesse fiscale. Certains* de ces barons, dont la totalité vient des familles paysannes et pauvres ont déjà même fêté la journée du milliard (jour où ils ont atteint un milliard de francs rwandais), au moment où la grande masse paysanne soufflait de tous les maux du sous développement. Ce sont ces mêmes barons qui, après s'être illicitement accaparé des richesses du pays, ont développé l'hypothèse selon laquelle le Rwanda était surpeuplé et ne pouvait accueillir aucun autre rwandais de la diaspora. Ils étaient devenus des intouchables conseillers du Chef de l'Etat. Cela n'a fait qu'aggraver les tensions entre les rwandais.

 

·      Culture du chanvre

            Tout juste avant la guerre de 1990, le pays a été accusé de produire et de vendre  ce type de stupéfiant. Organisée par le même noyau au pouvoir, la culture du chanvre se pratiquait dans la forêt naturelle de Nyungwe sous la surveillance hautement secrète de ces barons. Les rwandais n'ont jamais su ni le début de ce projet, ni sa phase de plein rendement. Les revenus de ce projet n'ont jamais profité au peuple rwandais, ni à l'Etat. Le commerce de ce produit était organisé en collaboration secrète avec la Direction de l'Office des Cultures Industrielles du Rwanda (OCIR-Café), qui emballait et expédiait le produit sous l'étiquette de "Café rwandais". Ce sont les pays étrangers qui auraient été à la base du démantèlement de ce trafic d'argent sale.

 

·      Organisation d'une tombola et vente des gorilles de montagne

            La loterie dans les pays où elle est suffisamment réglementée constitue un outil financier qui procure assez de ressources à ses organisateurs (dans la plupart des cas, c'est l'Etat). Alors que lors d'une réunion des cadres du Ministère du Plan, nous avions invoqué la possibilité de faire de la loterie nationale une source de revenus pour combler les caisses de l'Etat frappées par la crise économique des années 1980, cette possibilité a été écartée. Pourtant, elle a été vite récupérée par les spéculateurs de la famille Habyarimana, car son fils va organiser une tombola, mais les heureux gagnants des plus grands lots se verront accuser de tricherie et ne recevront jamais leurs prix. En réalité, les organisateurs avaient sciemment fabriqué plusieurs numéros pour les gros lots convoités, ce qui a laissé planer la vraisemblance des tricheries de la part de ceux qui avaient pu gagner. Ceux-ci ne recevront jamais leurs prix.

 

            Quant au commerce des gorilles de montagnes, il fut le résultat d'une conspiration entre les touristes étrangers et les autorités locales de la préfecture de Ruhengeri, ces derniers étant sous le commandement aussi des personnes de la famille présidentielle. C'est ainsi que la citoyenne américaine Diane Fossey alias Nyiramacibili, qui s'occupait de la protection de ces gorilles, fut assassiné dans le Parc des Volcans (là où vivent ces gorilles). Les investigations contre l'auteur de ce crime n'ont pas pu être approfondies et pour vite clôturer le procès, on attribua le meurtre à un paysan de la région sans toutefois vouloir connaître s'il y avait un commanditaire.  

 

  - Intervention des projets agricoles dans le développement

            Afin de stimuler la production agricole, dès les années d’après l’indépendance, les dirigeants ont essayé de doter toutes les régions du pays de projets de développement. Ce fut d’abord les projets de vulgarisation agricoles qui vont naître. Ces projets vont apprendre au paysan les nouvelles méthodes culturales et d’élevage intensif. Ils vont se heurter à une résistance plus ou moins forte des paysans et leurs résultats n’ont pas été visibles immédiatement. En effet, quelle que soit l’innovation apportée, il est partout et toujours difficile de changer subitement les habitudes et les mœurs des paysans. Le peu de ressources humaines qualifiées et d’autres moyens ont été d’abord affectés surtout dans la production des cultures d’exportation alors que les cultures vivrières qui faisaient vivre la majorité de la population n’attiraient l’attention de personne.

 

            C’est vers les années 1980 que vont venir les projets dits de développement rural intégré. La philosophie de ces projets était multiple. Ils dépendaient officiellement du département chargé de l’agriculture avec un volet agricole, mais ces projets s’occupaient également d’autres volets hors agricole tel que les infrastructures routières, les adductions d’eau, la création de coopératives, l’amélioration de l’habitat, etc.

            La multiplicité de ces projets fera que le Rwanda va être considéré comme un pays choyé par les aides. Je cite: le Rwanda «  devenu vitrine de l’aide internationale; va être bientôt couvert d’innombrables projets de développement (essentiellement ruraux): plus de 130 en 1985, ... soit un projet pour environ 40.000 habitants » [53]. Ce propos, rédigé apparemment sans arrière pensée, mérite une analyse qui nous a amené à conclure qu'il faut nécessairement y porter un regard double. En effet, il faut bien distinguer l'existence quantitative de ces projets d’une part et leur impact sur la vie des populations locales de l’autre part, tout en mettant en exergue leur efficacité et leur efficience. La présence des bailleurs de fonds étrangers dans une région, souvent même avec des fonds énormes, n’implique pas automatiquement l’élévation du niveau de vie de la population concernée. A ce sujet, J. P. Chrétien écrivait ceci à propos du Rwanda: « Aucun pays africain ne compte autant de coopérants, de volontaires et de missionnaires au km². ....., la coopération internationale inhibe les initiatives locales, infantilise les populations, alimente une mentalité d’assisté. Elle entretient l’idéologie du développement pour garantir le marché  » [54]. Les projets dits de développement dans les pays sous-développés seraient-ils un des moyen de lutte contre le chômage toujours en croissance dans les pays développés? La réalité est-elle que les coopérants se taillent la bonne part sur l'enveloppe financière de ces projets. Par ailleurs, l’évaluation de la plupart de ces projets de développement ruraux au Rwanda a montré qu’ils se sont soldés par des échecs. Le problème est de savoir alors "le pourquoi" de cette situation.

 

            Les projets de développement rural au Rwanda ont d’abord noyé le volet agricole dans les autres activités. Les réalisations du projet étaient souvent concrétisées presque seulement par les infrastructures non agricoles, le volet agricole étant plus difficile à exécuter convenablement. Il faut également souligner que l’échec de ces projets a été lié aussi bien à leur préparation qu’à leur exécution. En réalité, les études de tous ces projets avaient été faites par les bureaux d’études étrangers, souvent sans aucune participation du personnel national et les réalités locales étaient souvent négligées. En plus, les projets multisectoriels avaient beaucoup de financement (enveloppe budgétaire) tellement que la gestion des fonds laissait à désirer. Le pays n’avait pas également assez de cadres nationaux compétents pour diriger de tels projets, etc. Il est aussi à signaler que certains bailleurs de fonds, surtout les bilatéraux, se sont distingué par un manque de transparence dans la gestion (surtout financière) de tels projets.

 

            L’expérience malheureuse de ces projets multisectoriels a participé à la création d’une méfiance chez les dirigeants et les bailleurs de fonds et on se tourna vite vers les projets à une spéculation bien précise. C’est ainsi que sont né les projets comme: projet de la pomme de terre, projet maïs, projet manioc, etc. Apparemment, cette approche de projet a eu des effets positifs sur l’augmentation de la production puisque l’objectif était bien ciblé, mais aussi parce que les autres ressources étaient bien canalisées.

 

            Toutefois, quelles que soient les performances ou les lacunes enregistrées, tous ces projets se sont butés au problème de la miniaturisation des exploitations familiales. Malheureusement, ce problème n’a jamais été la principale préoccupation d’aucun projet. Cela relevait probablement du fait que la plupart de ces projets avaient été préparé à l’extérieur et le pays se trouvait financièrement mal placé pour refuser ou réorienter un projet d’un bailleur de fond considéré comme un don. A cela s’ajoutait le fait que le problème de la réforme agraire a été toujours considérée comme pouvant avoir des retombées graves et non souhaitées (dépossession de terres aux petits propriétaires terriens, apparition de nouvelles classes sociales, etc.) sur la société rwandaise et a été malheureusement laissée à la discrétion du gouvernement qui n’a pas lui aussi voulu se prononcer là-dessus.

 

            La volonté manifeste des nouvelles autorités de Kigali de garder le plus longtemps possible une partie assez importante de la population hutu à l’extérieur du pays, faisait-elle partie de la politique agraire du nouveau pouvoir tutsi? Cela paraissait probable, mais la présence de tant de hutu aux frontières menaçait aussi leur sécurité et c'est l’une des raisons pour lesquelles ils ont choisi de démanteler les camps des réfugiés en attaquant le Zaïre. Ceci  montre encore la préoccupation majeure des nouveaux maîtres de Kigali. D'abord, il fallait vaincre la peur rendue omniprésente à la fois par la présence des hutu réfugiés aux frontières du Rwanda et par une cohabitation involontaire mais sans choix des deux ethnies à l'intérieur du même territoire, et ensuite s'occuper des projets de développement. Le premier but étant un objectif à long terme, il bloque et même contrarie le second.

 

            D’une manière générale, et en dépit de tous ces projets, la production vivrière globale durant la dernière décennie a été plus ou moins stable à part quelques coupures dues à l’effet conjugué des conditions climatiques défavorables et au caractère extensif de l’agriculture. Ce constat s’est amélioré pour l’élevage où le développement de l’élevage bovin moderne avec la production du lait par exemple dans les laiteries était jugée satisfaisante. Les quatre principales laiteries du pays produisaient 3.6 millions de litres de lait en 1988 contre 3.1 en 1987 soit une augmentation de 17.7 % en une année[55].

 

            Pourtant, on ne peut pas non plus dire avec certitude que la situation plus ou moins stable de la production agricole est une conséquence inévitable d’une quelconque action gouvernementale en faveur du monde agricole. Les chiffres suivants montrent que tout reste à faire dans le domaine de l’intensification agricole. En effet, en 1985, le Rwanda était parmi les derniers pays du monde utilisant le moins d’engrais et encore ce peu d’engrais était principalement réservé aux cultures industrielles.

                Rwanda:      1,3 kg d’engrais minéraux par hectare de terre arable

                Ethiopie:      3,3 kg

                Sénégal:       4,7 kg

                Inde:          33,8 kg

                Kenya:       34,4 kg

                France:     298,4 kg

                Belgique:  490,2 kg

           

            De 1962 à 1981, les cultures de rapport ont accaparé 33,7 % du financement total réservé aux projets agricoles et les cultures vivrières n’ont eu que 0,90 % de ce montant [56]. Les maux de l’agriculture rwandaise semblent apparemment être connus, il reste une planification rigoureuse de la part des dirigeants et des bailleurs de fonds, qui devraient comprendre que l’achat d’un kilogramme d’engrais vaut mieux qu’un kilogramme d’explosifs. L’intérêt de la grande masse paysanne devrait ainsi passer avant leurs propres intérêts.

 

             De même, l’évolution du crédit bancaire par branche d’activité ainsi que la part réservée au secteur agricole dans le budget de développement  montrent que la politique poursuivie jusqu’à présent en matière agricole n’a jamais été assez encourageant pour un agriculteur.

 

                                                                                         

                                                                                        Tableau n° 9

 

 

                   Part de l’agriculture dans le crédit bancaire et le budget de développement

                                                              ( mios de FRW )

   

Année

                 Crédit bancaire

  Budget de développement

 

Total

Agriculture*

%

Total

Agriculture

%

1985

16.277,7

451,0

2,8

3128,5

409,8

13,1

1986

15.337,3

637,2

4,2

3288,2

557,9

17

1987

16.542,2

808,6

4,9

3640,1

655,3

18

1988

20.755,2

987,6

4,8

4303,9

675,4

15,7

1989

23.284,1

988,0

4,2

3704,8

611,2

16,5

1990

20.348,9

473,0

2,3

-

-

-

 

              * Agriculture comprend  l’élevage, la chasse, la pêche et la sylviculture mais sans l’agro-industrie

              Source: Tableau élaboré à partir des données du Ministère du Plan: Bulletins                                             statistiques, 1987 et 1990.

           

            Toujours est-il que dès 1987, le Rwanda a été confronté à de sérieuses difficultés économiques et financières liées essentiellement aux effets combinés de plusieurs facteurs dont la chute des cours mondiaux du café qui est le principal produit d’exportation, des conditions climatiques défavorables, etc. Suite à la baisse sensible du produit intérieur brut en termes réels par habitant, le bien-être de la population rwandaise a commencé ainsi à se dégrader [57]. Le secteur privé ne pouvait plus créer assez d’emplois pour compenser les défaillances apparues dans le secteur public et la production alimentaire par tête a chuté entraînant une insécurité alimentaire.                      

           

            Etant donné cette évolution de la situation agricole (miniaturisation des parcelles agricoles suite à la pression démographique, limites de l’adaptation de la population, augmentation de la pauvreté et du nombre de personnes frappées par la malnutrition, etc.) et dont les paramètres actuelles laissent un certain pessimisme, les tentatives de garantir à tous les rwandais quelque chose d’aussi essentiel que les aliments nécessaires afin qu’ils puissent épanouir leurs potentialités et jouir pleinement de la vie risque dans l’avenir d’être un voeux pieux. En août 1995, soit plus d’un an après la prise du pouvoir par les anciens réfugiés tutsi, les rwandais devaient encore s’aligner sur la queue afin de bénéficier de boîtes de conserves comme aide alimentaire.

 

            Si avant la guerre, la crise alimentaire frappait de temps en temps la population, certaines minorités proches du pouvoir faisaient pourtant une consommation effrénée et vivaient à l’occidentale. Dans un pays où la population ne mange pas à sa faim, cela constituait une contradiction et un scandale du développement. Au moment où l’inflation battait son record tout juste après la guerre, la même maladie se reproduisit dans la classe au pouvoir. En effet, après une montée raisonnable des prix en 1990 due au programme d’ajustement structurel, les prix des principales denrées alimentaires ont flambé suite à l’effet de la guerre surtout depuis 1994 (cfr. annexe 7). En comparaison avec 1990, ils se sont multiplié par plusieurs fois, rendant ces produits difficilement accessibles à une grande partie de la population (haricots: 196 %, sorgho: 286 %, lait en poudre: 347 %, riz: 186 %, viande: 250 % , pomme de terre: 333 %, patate douce: 150 %).

         

  

                                                                                                    Tableau n° 10

 

            Evolution des prix des principaux produits alimentaires

                                   ( RW/ kilo)

    

Année

1987

1990

1995*

1997*

Haricots

40

51

100

250

Sorgho

28

35

100

 

Lait (poudre)

250

375

1300

1500

Riz

98

118

300

300

Viande

180

240

600

1000

Pomme de terre

16

18

60

100

Patate douce

15

20

30

40

                                                             

                         * Prix sur le marché de Kigali

                    

            Dans les pays développés, la surface cultivable par agriculteur (fermier) constitue un indicateur de développement technique et a augmenté de 1965 à 1978 de moins de 6 hectares à 9 hectares. Au Rwanda, c'est le contraire. Elle continue de descendre jusque dans les limites de moins d'un hectare [58]. De  même, la mécanisation reste nulle. Si pour augmenter la production, l’Etat comptait sur l’aménagement  des terres qui constituaient les dernières réserves agricoles du pays (les marais par le drainage ou l’irrigation), ces espoirs se sont actuellement estompés. En effet, les études d’aménagement des grands marais du pays (Nyabarongo et les marais du Mutara) étaient avancées et on espérait dans le court terme avoir plus de trois récoltes par an dans ces marais. L’irrigation des vallées du Mutara, dont le financement extérieur était déjà acquis, devait démarrer avec l’année 1990.

 

            Avec le conflit ethnique qui continue de déchirer le pays ainsi que la désorientation de la paysannerie entre autre par une appropriation gratuite de ses biens, la modernisation de l’agriculture risque d’en être victime. Sans aucune organisation des structures socio-économiques internes et sans progrès technique et scientifique, l’échec dans le domaine agricole suivi par les famines seront prévisibles dans le court terme au Rwanda. Déjà, depuis juillet 1994, date à laquelle les inyenzi-inkotanyi ont pris le pouvoir, l'élimination presque systématique des hutu s'est répercutée sur la production agricole. En effet, la peur qui guette les agriculteurs hutu ne leur permet pas de travailler dans les champs. Dans certaines préfectures, plusieurs ménages hutu ont été décimés et remplacés par les nouveaux venus tutsi. C'est le cas de la préfecture de Kibungo, pourtant reconnue comme véritable grenier national en approvisionnement de bananes et qui maintenant, ne peut même pas satisfaire aux besoins familiaux. Les squatters tutsi ont laissé les bananeraies vieillir dans des brousses et la production a trop chuté. Actuellement, du point de vue alimentaire, le Rwanda est tout à fait tributaire de son voisin du nord, l'Ouganda. D'ailleurs, sur le plan économique, le Rwanda de Kagame fonctionne comme un territoire à part entière de l'Ouganda. C'est le rêve de Museveni qui s'est réalisé. Il a imposé au Rwanda une guerre qui a éliminé une partie importante de sa population et les survécus sont actuellement sous sa domination.

 

            Entre 1960 et 1991, la proportion de la population rurale est passée de presque 100 % à 95 %, mais en termes absolus, elle est passée de 3 millions à 6,8 millions d’individus. La pression de la densité physiologique est passée de quelques dizaines à 372 habitants par kilomètre carré en 1991. En admettant que la population décimée par la guerre a été remplacée par les anciens réfugiés tutsi qui sont rentrés, on arrive à l’an 2000 avec une population de 9.126.992 personnes*, avec une densité de 487 soit 115 personnes au kilomètre carré de plus qu’en 1991.

 

            Le massacre des populations rurales hutu qui s'est longtemps poursuivi après la victoire du FPR, le manque de confiance entre les nouvelles autorités et la population rurale à majorité hutu, l'accaparement des terres des hutu par les tutsi sans tenir compte du cadastre, la volonté manifeste des ex-réfugiés tutsi de vivre principalement dans les villes, la guerre du maquis que les hutu tenteront de mener, ..., tels sont les facteurs qui risquent de créer une crise socio-économique (dont la famine perpétuelle) sans précédent dans le pays.

 

            Du point de vue purement agricole, l’agriculture de subsistance avec les anciennes méthodes culturales, la miniaturisation des parcelles agricoles malgré une diminution déjà prévisible de l'effectif de la population, la surexploitation des sols, etc., tels sont quelques facteurs qui vont diminuer la production agricole et aggraver la situation alimentaire dans le pays.

   

            L’évolution de la population rwandaise selon les projections faites par l’Office National de la Population - ONAPO [59] (trois scénario furent envisagés: scénario 1: sans planning familial (PF), scénario 2: avec PF efficace, scénario 3: PF optimiste) montre que même dans l’hypothèse la plus optimiste, avec un planning familial très élevé, la population rwandaise allait pratiquement doubler entre 1981 et l’an 2.000. Les scénarios avec planning familial efficace ou sans planning familial donnaient aussi des effectifs plus élevés de la population, mais aucun scénario ne tenait compte de la guerre fratricide qui allait décimer presque tout le peuple rwandais. A cela s'ajoute l'expansion meurtrière du sida dont la transmission après la victoire du FPR a été soupçonnée comme une  nouvelle arme de guerre antiethnique.

 

            Dans l'hypothèse où presque tous les réfugiés hutu de 1994 allaient être tous rapatriés, où les disparus à cause de la guerre de 1994 allaient être remplacés par les réfugiés tutsi d’avant 1990, les projections de l’ONAPO pouvaient rester valables pour l’an 2.000. Si en 1978, seules quelques collines dépassaient les densités de 300 habitants, presque tout le pays dépassait cette densité en 1991 et dans plusieurs régions, on atteignait plus de 600 habitants par kilomètre carré. De même, si en 1984, on comptait une moyenne de 1 hectare par exploitation agricole familiale, il va de soi que cette superficie avait diminué en 1990 et il y a encore de quoi s’indigner quant à l’évolution future de cet indicateur. Toutefois, il faut reconnaître que les massacres à grande échelle de la population civile hutu n'ont jamais cessé depuis la prise du pouvoir par les tutsi. Cette situation fait croire que les projections démographiques antérieurement faites sont aujourd'hui caduques. La volonté apparente des nouvelles autorités de Kigali d'entretenir un climat d'insécurité dans le pays tout en diminuant en douce l'effectif des hutu, ferait-elle partie de la nouvelle politique démographique et agraire du FPR?

 

            La hausse probable de la fécondité après la guerre de 1994 couplée avec une mortalité élevée, surtout la mortalité infantile, laisse penser à une diminution des effectifs projetés çi-haut. Cela paraît vraisemblable dans la mesure ou toute l’économie du pays a été détruite et donc la hausse du niveau de vie de la population n’est pas envisageable dans le moyen terme.

 

 

            c)Efforts de développement en matière d’éducation et de santé

            -Etat général de l’éducation au Rwanda

            Dans le but de pouvoir réaliser ou maintenir le développement, il est nécessaire d’assurer l’éducation, la santé, le bien-être à la population afin que celle-ci puisse participer pleinement à ce processus. C’est ainsi que depuis l’indépendance, l’éducation a été toujours considérée comme un des secteurs clé nécessaire pour le développement du pays. Durant la première décennie après la révolution sociale de 1959, le secteur éducatif fut l’un des domaines auquel le gouvernement allouait plus de ressources financières. Le tableau ci-dessous, qui montre la répartition du budget ordinaire entre les principaux départements ministériels entre 1985 et 1988 est on ne peut plus clair.

 

 

                                                                                                       Tableau n° 11

   

                            Dépenses du budget ordinaire (mios FRW)

 

 

 

1985

1986

1987

1988

Présidence

942,6

1013,4

1196,5

554,4

Défense

2758,2

3081,0

2907,0

3115,4

Affaires étrangères

1161,0

1409,3

1158,1

832,3

Finances et Economie

2749,1

4368,6

5009,5

6091,2

Justice

1026,2

989,4

1029,9

1009,6

Santé

1256,0

1311,6

1399,4

910,1

Travaux Publics

1188,8

1557,6

1909,4

1470,4

Education

5036,2

5801,5

5977,7

5886,8

Reste

-

-

-

-

Total

18493,9

22076,9

23226,9

22580,5

Education/Total (%)

27,2

26,3

25,7

26,1

           

            * Education correspond au départements de l’Enseignement Primaire et Secondaire + celui de    l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique

 

            Source: Tableau élaboré à partir des données du Ministère du Plan, Direction       Généralede la Conjoncture Economique

 

            Ces chiffres, pris en considération sous le régime de la deuxième République, montrent bien l’importance accordée à l’éducation où ce secteur accaparait presque un tiers de tout le budget ordinaire. A ce budget du Ministère de l’Education, il faut ajouter les dépenses réservées à l’alphabétisation fonctionnelle qui, elles, dépendaient du département de l’Intérieur. C’ est dans cette optique que les dirigeants du pays espéraient qu’un bon niveau d’éducation devait permettre d’améliorer les conditions de vie de la population et avoir un impact favorable sur les différentes variables de la population tel que la mortalité infantile, etc. .  C'est le développement social qui était considéré comme la véritable locomotive de tout autre forme de progrès. Voilà une politique de développement qui, s'elle avait reçu tout l'appui nécessaire des dirigeants, pouvait conduire vers un vrai épanouissement du peuple rwandais.

 

            Bien qu’un effort louable ait été mené dans ce secteur, les autorités n’ont pas maximisé les avantages que le pays pouvait tirer du développement optimal de ce secteur. En effet, le Rwanda étant un pays dont l’économie est essentiellement basée sur l’agriculture, nous pensons qu’une stratégie bien élaborée en matière de formation tout azimut pouvait faire du pays un réservoir de main d’oeuvre qualifié aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Hormis que cette stratégie allait permettre d’augmenter les recettes venant de l’extérieur, elle pouvait influencer aussi la régulation de la population en favorisant certaines variables comme la migration.

 

            Suite au fort rajeunissement de la population rwandaise après l'indépendance, essentiellement dû à la baisse de la mortalité et à l’amélioration relative des conditions de vie, le problème d’éducation s’est fait sentir avec l’augmentation des charges éducatives pour la communauté et pour la famille. Les autorités ont alors pensé en 1979? à une entreprise à haut risque de réformer l’enseignement. Ceci faisait suite à ce que le pays n’était plus capable de trouver du travail pour les jeunes surtout ceux du milieu rural. Cette stratégie visait à les aider à acquérir une formation pratique capable de les aider à se débrouiller après l’école primaire. Malheureusement, le problème de l’intégration socioprofessionnelle des jeunes déscolarisés s’est soldé par un échec. Le système éducatif réformé a été longtemps décrié par les parents malgré le soutien ferme de certaines autorités à cette réforme. En réalité, cette réforme profitait à une minorité privilégiée et non à la population.

 

             Si les enfants de la masse paysanne étaient obligé de commencer l’école à 7 ans dans les institutions scolaires publiques et qu’ils terminaient le cycle du primaire à 15 ans, plusieurs enfants issus des classes privilégiées fréquentaient les écoles privées où l’âge et le programme scolaire correspondaient aux exigences de l’école en Occident. Pire encore, la construction dans tout le pays de milliers d’ateliers pour l’apprentissage des métiers techniques (CERAI) s’est accompagné par des détournements énormes au profit des initiateurs de cette réforme. Cela n'a fait que amplifier le mécontentement de la part des parents.

             

            Selon l’Office Nationale de la Population (ONAPO), le rythme de la demande sociale en matière de scolarisation et d’emploi pour les jeunes a augmenté plus vite que les autres ressources y relatives. C’est ainsi qu’en 1978, dans la ville de Kigali,  les besoins en terme d’infrastructures et de maîtres étaient loin d’être satisfaisants. Si on voulait scolariser tous les enfants, chaque classe devait contenir 93 élèves. Cette situation se remarquait aussi dans toutes les autres communes du pays [60].

 

            Si depuis 1962 à 1985, la population scolarisable oscillait autour de 20 à 23 % de la population totale, nous pensons que cette proportion dans la suite a aussi augmentée et que les efforts pour s’occuper de cette jeunesse se sont parallèlement accrus. La population effectivement scolarisée s’est multipliée par plus de 2.5 pour la même période et le taux de scolarisation est passé de 55 à 60 % (cfr. tableau n° 12). Concernant le nombre de maîtres d’écoles, il a triplé passant de 5104 à 14896 et celui des écoles et salles de classes a stagné tandis que celui des classes est passé de 8.861 à 20.151. C’est ainsi que le système de double vacation institué peu après l’indépendance, avec dans ses objectifs l’utilisation maximum des salles de classes a été d’une importance capitale en ce qui concerne la scolarisation des enfants.

 

            Depuis l’indépendance, l’enseignement primaire a été officiellement considéré comme gratuit et obligatoire. Ce caractère obligatoire de l’enseignement est pourtant resté dans les discours, car la pratique s’avérait autrement. En effet, les parents ont été amené à participer aux différents frais relatifs à la scolarisation de leurs enfants (achat d’uniformes obligatoires, achat de matériel scolaire, participation à la construction des écoles, etc. ).

 

            Avec le nombre d’enfants qui augmentait d’année en année et suite à la nationalisation du système de l’enseignement en 1966, les moyens de l’Etat sont devenu de plus en plus maigres. L’Etat n'a pas voulu directement libéraliser l’enseignement puisqu’il voulait absolument contrôler ce secteur. Dans les faits, l’Etat a peu à peu transféré les charges aux parents et les seuls frais restés à la charge de l’Etat étaient les salaires des enseignants. Cette situation est devenue grave dans les écoles secondaires malgré que l’effectif était encore moindre par rapport au niveau primaire.

 

            Les banques populaires, qui étaient la seule institution financière à travailler réellement avec la grande masse populaire, ont profité de la conjoncture pour mettre en place un système de crédit-école. C’est grâce à ce crédit, qui fonctionnait surtout à la rentrée des écoles, que les parents parvenaient à couvrir l’essentiel des frais scolaires de leurs enfants. Signalons qu’en général, presque chaque commune sur les 145 du pays avait au moins sa banque populaire* . On dénombrait 129 succursales des banques populaires en 1991. Est ce que ce réseau des banques populaires pourra un jour retrouver ses performances d'avant 1994? De même que pour les écoles secondaires privées, dont les membres fondateurs ne sont plus là, les membres fondateurs de cette coopérative n'ont plus aucun mot sur sa gestion. Cette institution risque fort de devenir un puits de fonds pour les vainqueurs. L'expérience de la TRAFIPRO devrait servir d'exemple.

 

            Malgré que l’épargne de la majorité des rwandais (les agriculteurs) restait faible, ces banques arrivaient à abriter un montant assez important arrivant dans les 5 milliards de francs rwandais [61] en 1992. Une partie non négligeable de ce montant était dans les succursales des banques populaires de la ville de Kigali où presque tous les fonctionnaires et les commerçants (petits et moyens) épargnaient leurs revenus. Ces banques pourront-elles se doter d'un statut privé les rendant ainsi autonomes de l'administration publique? Si la Coopérative TRAFIPRO a été la vache à traire pour les barons du régime Habyarimana et qu'elle a cessé de fonctionner avec l'arrivée au pouvoir des INKOTANYI, c'est par ce que l'Etat s'est immiscé trop dans les affaires des coopérateurs, jusqu'à dépasser ses limites dans une institution coopérative. La coopérative TRAFIPRO s'est confondue avec l'Etat d'où les représentants de l'Etat ont profité pour l'utiliser dans leurs profits. Si on veut laisser les banques populaires se développer, il faudra absolument tenir compte de cette expérience malheureuse de sa grande soeur: la TRAFIPRO. L'Etat devrait être mis hors de la gestion quotidienne de cette coopérative et dans l'avenir, la séparation de l'Etat et des coopératives devrait être comme une loi.

 

            Afin de pallier aux maigres moyens de l’Etat alloués à l’enseignement secondaire (seuls 10 % des élèves qui terminent le cycle du primaire parviennent à aller au secondaire après un examen officiel), les parents se sont vite organisés pour créer leurs propres écoles (écoles des parents). Avant la guerre, la majorité des communes avaient leurs écoles privées ou toutes les dépenses étaient couvertes par les parents. Les communes qui n’avaient pas d’écoles  secondaires privées s’associaient pour en créer. Cette situation avait été jugé de révolutionnaire et de positive car la création des écoles des parents compensait les défaillances de l’Etat en ce qui concerne le favoritisme de quelques individus ou familles en rapport avec quelques places disponibles au niveau du cycle secondaire. Les parents ne demandaient qu’à l’Etat de reconnaître officiellement leurs écoles. La croissance ainsi forte de la population a causé l’augmentation rapide des effectifs scolarisables entraînant une demande assez élevée de moyens en matière de scolarisation. L’Etat ne parvenant pas à satisfaire ces besoins, les parents ont été amené à adopter leur stratégie en matière d’enseignement qui finalement demandait d’être soutenu par les pouvoirs publics si ceux-ci tenaient à un développement équilibré de ce secteur. La deuxième république avait instauré un système de quota ethnique qui, même si elle est sujette à pas mal de critiques, permettait aux tutsi de fréquenter l’école à une proportion dépassant leur pourcentage par rapport à la population totale. Il est regrettable qu’à l’heure actuelle, l'école rwandaise souffre de tous les maux (manque d'enseignants, manque de matériél et de locaux, des considérations ethniques ne manquent pas surtout à l'école supérieure, ...). Cette situation allait être dépassée avec la révolution sociale de 1959. On est donc entrain de faire volte face.

 

 

                                                                                                  Tableau n° 12

 

        Quelques statistiques de la population et de l’enseignement primaire

 

 

1962

1972

1982

1985

1989

Population rwandaise (mios)

2,9

4,0

5,5

6,1

6,7

Taux de croissance (%)

3,2

3,2

3,5

-

3,1

Population scolarisable (mios)

0,58

0,83

1,3

1,4

-

Population scolarisée (mios)

0,32

0,40

0,75

0,84

1,0

Taux d'accr. de la pop. scolarisable (%)

2,2

6,4

3,8

-

-

Taux de scolarisation (%)

55

48

58

60

-

Nombre de maîtres

5104

7586

13590

14896

17921

Rapport élèves/maître

61

52

54

56

57

 

 

Source: Tableau élaboré à partir des données du MINEPRISEC, du MINIPLAN et de    l’ONAPO

            Ce tableau montre que le taux d’accroissement de la population est resté assez grand (plus de 3 %) depuis les années 1960-1990. Le taux d’accroissement de la population scolarisable s’est lui aussi accéléré et a même dépassé le taux d’accroissement de la population. Ceci implique une augmentation des ressources dans le secteur de l’enseignement (ressources matérielles, ressources humaines, moyens financiers, etc. ) et peut être considéré comme la raison principale qui explique la montée des dépenses allouées à ce secteur.

N. B. L'IMVAHO n° 1491 avril 2003 publie les chiffres suivants:  Pour l'année 2002

            -Nombre d'écoles secondaires: 393 dont 185 écoles secondaires de l'Etat ou libres subsidiées et
                                                                                  208 écoles libres
            - Nombre d'élèves: 157.210 élèves

           

            - Importance de la scolarisation dans le développement du Rwanda           

 

            Nul n’est sans doute sans ignorer que les sociétés traditionnelles ont été toujours caractérisé par un analphabétisme assez élevé. Le Rwanda n’a pas échappé à cette règle et c’est seulement au début de ce 20e siècle que les premiers missionnaires européens vont fonder les premières écoles dans le pays.

 

            Dans le domaine social, c’est grâce aux premiers lauréats de l’école que la dénonciation des injustices a été entamée et s’est soldée par la révolution sociale de 1959. Parmi les acquis indiscutables de cette révolution, la grande masse a eu l’occasion aussi de fréquenter l’école et l’alphabétisation fonctionnelle dans les communes rurales a été menée. Le chemin à faire reste encore long, car 50 à 60 % seulement de la population rwandaise savent actuellement lire et écrire.

           

            Mettre en exergue les effets de l’éducation sur le développement du Rwanda s’avère une tâche assez complexe. En effet, l’éducation tellement joue sur plusieurs activités socio-économiques que chaque activité mérite une recherche approfondie. Ainsi, plusieurs théoriciens s’accordent à dire et nous pensons que cela reste vrai aussi pour le Rwanda, que l’éducation joue beaucoup sur le marché du travail en tant que source de main d’oeuvre qualifiée. Par ailleurs, l’éducation jouerait un rôle assez important dans la diminution de la fécondité ainsi que dans l’urbanisation. A notre avis, étant donné que l’éducation n’est jamais neutre et qu’elle véhicule des valeurs parfois contradictoires avec les réalités locales, toutes ces relations (éducation avec les autres secteurs) méritent des études particulières pour chaque pays afin de pouvoir révéler les particularités éventuelles avant de les prendre comme des réalités à l’échelle plus large. Toutefois, il semble être universellement reconnu que l’éducation ou la formation en général est une composante du bien être de l’individu.

 

            Au Rwanda, l’augmentation rapide de la population s’est suivie d’un effectif assez élevé de la population à scolariser. Pour créer l’harmonie entre la croissance de la population et celle de la population scolarisable, il a fallu chaque fois s’adapter à la croissance des charges supplémentaires liées à l’éducation, mais les besoins n’ont pas pu être totalement couverts. Les données disponibles montrent que le pays n’a pas pu s’adapter à ce rythme et l’analphabétisme reste encore à combattre. Il faudra encore plus d’investissement dans ce secteur si nous voulons que tous les rwandais jouissent réellement des bienfaits de l’école. Malheureusement, avec l’insécurité qui règne dans le pays et qui est liée au problème ethnique, la population a du mal à envoyer leurs enfants à l’école.

 

            Toutefois, malgré des situations basses qu’a vécu le secteur de l’enseignement national, il faut reconnaître que le Rwanda avait connu beaucoup de progrès en la matière suite au soutien appréciable apporté au secteur par les divers gouvernements qui se sont succédé après l’indépendance. Le système s’est buté à une trop grande croissance démographique mais aussi à plusieurs autres éléments socio-économiques mal maîtrisés dont la prise en considération est actuellement nécessaire pendant la planification de ce secteur. Ces imprévus ont ainsi augmenté les charges( paupérisation accrue du monde rural, nombre insuffisant d’établissements scolaires surtout au niveau du cycle secondaire).

 

             Il faut également souligner la part de la femme dans la scolarisation et le développement du Rwanda. En effet, la femme rwandaise joue un rôle primordiale dans la vie socio-économique du ménage. C’est elle qui s’occupe plus de la moralisation des enfants, de la gestion journalière de l’économie de la famille, etc. . C’est pourquoi l’éducation de la femme rwandaise influence directement  l’état socio-économique de sa famille. En raison de multiples freins d’ordre sociologique ou religieux, l’éducation de la femme rwandaise avait été retardée peu après l’indépendance, et le rattrapage entre les deux sexes est actuellement en train de s’opérer malgré beaucoup de difficultés. Selon les chiffres cités par l’UNICEF [62] en 1990 le pourcentage d’analphabétisme s’élevait à 50 % pour les hommes alors que pour les femmes elle revenait à 52 %.

 

            Le problème de l’enseignement ou de la scolarisation de tous les enfants rwandais reste un problème assez préoccupant face aux problèmes identifiés çi-haut. Avec la crise de l’économie mondiale des années 1990 et l’avènement des programmes d’ajustement structurel, le revenu de la majorité des pays en développement s’est détérioré et déjà au Rwanda, on avait commencé de demander une participation accrue des parents dans la scolarisation de leurs enfants. Pourtant, les réalisations en matière de scolarisation restaient encore inférieures aux objectifs initialement attendus.

 

            La lutte contre l’analphabétisme initiée par un programme de l’UNICEF s’est soldé aussi par des résultats moins brillants. Avec la guerre lancée en 1990, presque tous les programmes en la matière ont tourné au ralenti et même dans les zones touchées, ils se sont arrêté. Les locaux scolaires ont été abîmés sinon détruits, le matériel scolaire a été saccagé, plusieurs élèves ainsi que leurs enseignants ont fui à l’extérieur du pays. L’UNICEF ainsi que les autres bailleurs de fonds ont essayé de donner l’essentiel pour que les enfants puissent s’occuper à l’école. Les places dans l’enseignement (enseignants) ont été vite récupérées par les nouveaux réfugiés sans tenir compte de leur qualification.

           

            Si même dans les conditions normales, les difficultés de changer un programme scolaire dans l’intérêt de ceux qui le suivent étaient énormes, les programmes ont été très vite revues. Certaines des écoles des parents ( privées ) dont la plupart étaient des écoles secondaires ont été transformé en casernes (camps militaires du FPR). Pourtant, ce sont ces écoles des parents qui avaient aidé l’Etat à augmenter l’effectif des élèves du secondaire qui ne parvenait pas à dépasser le cap de 10 % de tous les élèves fréquentant le primaire. C’est ça le résultat des trente années d’indépendance!

           

            Ces problèmes d’éducation se sont amplifié avec la guerre. L’insécurité qui continue de régner dans le pays et qui n'incite pas du tout les parents à envoyer leurs enfants à l’école; la pauvreté qui frappe actuellement la majeure partie de la population et qui entraîne les difficultés de payer le minerval des enfants; l’existence d’un nombre élevé d’orphelins; tels sont quelques défis que le Rwanda semblait être obligé d'affronter après la victoire des inyenzi-inkotanyi .

 

            Peut-on espérer, dans les conditions actuelles, une augmentation du budget de l’enseignement? Comme nous l’avons vu pour d’autres secteurs socio-économiques, la priorité actuelle semble être l’armement. A moins que les organismes internationaux n’interviennent intensivement en faveur de ce secteur, la contribution du gouvernement actuel dans la scolarisation des enfants rwandais risque de se limiter à une infime minorité privilégiée. L’élimination de l’élite nationale faite par les extrémistes des deux bords entraînera sans aucun doute un déséquilibre au niveau de sa reproduction aussi bien dans les écoles (qualité de l'enseignement) qu’au niveau de l’emploi sans oublier son effet sur la reproduction naturelle. D’ailleurs, dans les conditions socio-politiques et militaires actuelles du pays, l’ignorance et l’analphabétisme des rwandais favorisent l’emprise des nouvelles autorités FPR sur la population. C'est l'une des raisons pour lesquelles le massacre des intellectuels hutu n'a jamais cessé après la prise du pouvoir par les tutsi. Cet état de maintien de la population dans l'ignorance dont les superstitions ne peuvent que dominer, favorise naturellement son asservissement économique et politique[63]. Cela semble répondre aux ambitions des nouveaux dirigeants du pays. Voilà l’oreiller sur lequel reposent plusieurs régimes réactionnaires africains et le Rwanda est devenu un bel exemple.

             

            Ainsi, malgré les conditions de scolarisation des jeunes qui étaient plus ou moins favorables avant la guerre, le taux de scolarisation n’a jamais dépassé 60 % et cela malgré que l’école primaire était obligatoire et gratuite. Le rapport élève/maître de 1972 à 1989 au lieu de diminuer est passé de 52 à 57 alors que l’effectif des maîtres a plus que doublé passant de 7586 à 17921. De 1973/1974 à 1980/1981, en plus de l’effort de l’Etat, les parents ont construit en moyenne 400 salles de classes par an. Cet effort des parents s’est poursuivi jusqu’au début de la guerre. Cela montre que l’augmentation des effectifs scolarisés a été toujours supérieur à celle des maîtres ainsi qu’à d’autres infrastructures scolaires nécessaires.

 

            Si l’on s’en tient à la population scolarisable de 7 à 17 ans en 1990, les effectifs de la population en âge scolaire étaient estimés à 2.188.000 dont 550.000 étaient laissés en dehors du système scolaire. Pour atteindre les objectifs de sa planification en matière scolaire, le Rwanda devait multiplier par cinq les infrastructures déjà existantes [64].

 

            En l’absence du planning familial comme c’est le cas actuellement au Rwanda après la guerre, en admettant que l’effectif des jeunes à scolariser restera élevé à cause de la rentrée des réfugiés et en considérant les effets destructeurs de la guerre ( destruction des salles de classe, paupérisation de la population, beaucoup d’orphelins, ... ), il y a lieu de se demander si le pays pourra assurer l’éducation à des jeunes rwandais de demain. En effet, l’écart entre la population scolarisable et la population scolarisée risque de devenir trop élevé, ce qui va créer une population d’analphabètes. C’est la modernité sociale qui est en jeu et sans laquelle il sera difficile de prétendre au vrai développement du Rwanda.

 

 

- Situation en matière de santé

 

            L’état de santé d’une population est fonction de plusieurs facteurs. On peut citer la nutrition, l’habitat, l’hygiène, l’éducation ainsi que d’autres infrastructures nécessaires pour son bien-être entre autre les infrastructures sanitaires. La santé d’une population est ainsi influencée  par les facteurs économiques, sociaux et culturels. C’est dire donc qu’à travers ces facteurs, l’état de santé  d’une population peut s’améliorer ou s’empirer, ce qui influence sa dynamique et peut jouer aussi bien sur la mortalité, la fécondité que sur les migrations.

 

            Au Rwanda, la politique du gouvernement en matière de santé s’est longtemps appuyé sur la médecine de masse axée sur les groupes les plus vulnérables que sont les femmes, les enfants et les travailleurs. Dans le cadre de rapprocher la population des services sanitaires de base, l’Etat s’était engagé à doter toutes les communes administratives des infrastructures sanitaires nécessaires.

 

            C’est ainsi que dans ses objectifs, chaque commune devait au moins disposer de son centre de santé, les hôpitaux de l’Etat étant essentiellement situés dans les chefs-lieux des préfectures. En plus de ces hôpitaux étatiques, plusieurs infrastructures sanitaires ont été mises en place principalement par les organismes ecclésiastiques dont les principaux sont (par ordre décroissant ): les catholiques, les protestants et les adventistes du septième jour.

 

            Pour favoriser une médecine curative et préventive avec une éducation sanitaire poussée, on assista, après l'indépendance à une transformation des infrastructures médicales existantes, principalement les dispensaires en centres de santé. Ceux-ci passèrent de trois unités en 1966 à 182 en 1989. Si cette transformation a diminué les trajets faits par la population pour aller se faire soigner, elle a amplifié le besoin en personnel médical nécessaire pour la bonne gestion de ces infrastructures. Par ailleurs, l’équipement de ces centres de santé est resté insuffisant. L’annexe n° 8 donne les infrastructures sanitaires telles qu’elles se présentaient en 1991 par préfecture. Il faut remarquer que depuis l’indépendance en 1962 jusqu’à nos jours, la couverture nationale par les infrastructures sanitaires s’était beaucoup améliorée. Il ne restait qu’à revoir la qualité des services et pour cela, une programmation efficace du matériel, de l’équipement médical ainsi que celle du personnel était nécessaire. Cela est affirmé dans le rapport adressé à la Banque Mondiale en 1990, je cite «même si le nombre des infrastructures sanitaires semblait être plus ou moins satisfaisant et était bien réparti sur tout le territoire, les services rendus étaient affectés d’un manque aigu de personnel surtout qualifié et de médicaments» [65].

 

            Le bilan de la première République peut se résumer en ces chiffres:

de 1960 jusqu’en 1973: - le nombre d’hôpitaux est passé de  18 à 23

                                   - le nombre de dispensaires de 67 à152

                                   - le nombre de médecins de 31 à 76

Sous la deuxième République, c- à- d de 1973 jusqu’au début des années 1990

                                   - le nombre d’hôpitaux est passé de 23 à 32

                                   - le nombre de centres de santé est passé de 28 à plus de 180

                                   - le nombre de lits d’hospitalisation de 5973 à plus de 12358 en 1989

                                   - le nombre de médecins de 76 à 272 en 1989

           

            Selon toujours la volonté de mettre ces infrastructures tout près de la population, on a participé sciemment ou inconsciemment au saupoudrage des infrastructures. Cette politique n’était pas mauvaise en soi, étant donné qu’elle répondait aux besoins de la grande masse de la population, mais de l’autre côté, elle a participé au ralentissement de la naissance ou de l’agrandissement des villes. En même temps, on a assisté à une mauvaise programmation des ressources humaines nécessaires pour faire fonctionner ces infrastructures et le problème du personnel médical se faisait sentir partout.

 

 

 

 

                                                                                                     Tableau n° 13

 

                   Evolution de la couverture sanitaire au Rwanda

 

 

1962

1972

1982

1989

 

Nombre de consultations

5547289

8373278

9082421

-

Nombre de médecins

20

71

194

272

Hôpitaux

20

22

27

31

Centre de santé

-

4

121

182

Habitant/Médecin

140366

55360

27670

25494

Nombre d'habitants/lit

726

716

606

570

 

 

Source: Tableau élaboré à partir des données du Miniplan (bulletin statistique) et de                       l’ONAPO

            Malgré des progrès remarquables réalisés en matière sanitaire après l’indépendance, un effort énorme restait à faire. En effet, au moment où dans les pays développés, on compte un médecin pour quelques dizaines d’habitants, le rapport habitants par médecin au Rwanda battait son record avec un chiffre de plus de 25.000 avant la guerre (1989).

 

            Selon l’enquête menée par le Ministère du Plan (Direction des Stratégies de Développement Communal et Régional), 33 % de la population rurale, qui vivait sur plus de 42 % du territoire national semblait ne pas être impliquée du tout par les services sanitaires urbains et donc de haut niveau. Ils se contentaient des équipements implantés dans l’espace rural[66]. Le problème qui se pose actuellement est lié aux inyenzi-inkotanyi. Ils ont vaincu la guerre en 1994 et de fait, ils se sont établi principalement dans les villes. Penseront-ils à partager les maigres ressources qui restent avec les vaincus principalement concentrés dans le monde rural? Suite au manque du personnel et du matériel médical, certaines des infrastructures sanitaires dans le milieu rural risquent de fermer. Kigali risque d'être le seul centre où on peut avoir des soins médicaux nécessaires.

 

            C’est la croissance forte de la population et son mode d’habitat dispersé sur tout le territoire qui ont principalement joué dans la détermination ainsi que la localisation de ces infrastructures sanitaires. C’est pourquoi, dans une perspective national du développement durable, le choix d'une politique en matière de santé et donc la détermination de la relation population santé, fait intervenir plusieurs paramètres relatifs à la dynamique de la population et son habitat, mais également les autres facteurs du  développement économique du pays. Dans le cas du Rwanda, c’est le mode d’habitat et donc la dispersion de la population qui a été déterminant dans le choix des sites pour ces infrastructures.

           

            Au moment où le planificateur rwandais devait s’occuper du problème du personnel du secteur médical qui était insuffisant, la guerre imposée au pays à partir de l’extérieur a aggravé la situation. En effet, certaines infrastructures (hôpitaux, centres de santé, etc. ) situées surtout dans les zones de combats ont été abîmées sinon détruites. Le changement du pouvoir à Kigali en juillet 1994 a empiré la situation, étant donné que la majorité du personnel national a fui les combats pour se réfugier à l'extérieur du pays. Entre temps, les organismes non gouvernementaux étrangers ont trouvé le marché et ont occupé le terrain. Ils ont essayé, dans les limites de leurs moyens, de remplacer le personnel national. La situation fut comparable avec celle du temps d’après l’indépendance où le Rwanda souffrait énormément de carence du personnel dans tous les domaines. A ce point de vue, le pays a fait volte- face dans son chemin vers le développement.

 

            La crise économique que traverse le pays, couplée avec la crise sociale qui n’a cessé de s’amplifier permettra-t-elle de reconstruire le pays? Rien n’est sûr. Le manque de confiance d'une plus grande partie de la population de l’intérieur du pays envers ses dirigeants FPR constitue un grand handicap pour la reconstruction. Dans les conditions de crise économique habituelle, la population était normalement appelée à se mobiliser (travaux communautaires de développement) pour reconstruire son pays par ses propres moyens d'abord. C’est ainsi que, de son propre gré, elle arrivait à réparer les écoles, les centres de santé, les routes, etc.. Dans les conditions actuelles, il semble que cette possibilité est difficilement  envisageable.

 

            Depuis l’indépendance, le pays a hérité de la colonisation une insuffisance de cadres dans tous les domaines socio-économiques. En matière de santé, un effort louable avait été déployé et le nombre d’habitants par médecins était en régression passant de 140.000 à 25.500 respectivement en 1962 et 1989. Quant au nombre d’habitants par lit, il était passé respectivement de 726 à 570.

 

                        En collaboration avec l’OMS, le Rwanda avait lancé dans les années 1980 un programme « Santé pour tous en l’an 2000 » avec pour buts [67]:

            - un poste sanitaire tenu par un auxiliaire de santé dans chaque secteur administratif, soit 1.489 postes;

            - un centre de santé par commune avec 30 lits soit 143;

            - un hôpital préfectoral de 300 à 350 lits dans chaque préfecture ayant 22 médecins;

            - un hôpital national de référence à Kigali avec 500 à 600 lits et 57 médecins.

            Si les centres de santé et les hôpitaux étaient pratiquement en place, il en était autrement en ce qui concerne les postes sanitaires dans les secteurs administratifs et dont la totalité restait à créer. Par ailleurs, en ce qui concerne les centres de santé, si on avait presque un centre de santé par commune en 1989, soit une moyenne de 36.884 habitants par centre de santé, il faudrait avoir 247 centres de santé soit 65 centres de santé à construire en une dizaine d’années afin de garder les mêmes proportions en l’an 2.000. Toutefois, cette logique, qui reste essentiellement ruralisante est foncièrement à revoir. Il faudra d'abord renforcer les infrastructures existantes qui doivent d'ailleurs s'inscrire dans un réseau urbain bien déterminé.

 

            La guerre ayant détruit plusieurs de ces infrastructures, la conjoncture économique s’étant dégradée et le personnel médical qui était d’ailleurs insuffisant s’étant réduit d’une façon drastique (une partie du personnel se trouve encore à l’extérieur du pays), il y a lieu d’envisager, même dès à présent, une détérioration généralisée des conditions sanitaires dans tout le pays. Selon le rapport du Programme  des Nations Unies pour le Développement (PNUD): "Rapport sur le Développement dans le Monde 1977" sorti en 1997, déjà l'espérance de vie d'un rwandais a terriblement régressé depuis l'agression du pays par l'ennemi en 1990. En effet, cet indicateur est passé de 42,3 années en 1960 à 52 ans en 1990 et en 1994, il a reculé jusqu'à 23,1 ans. Le même rapport précise que la valeur de l'indicateur de la pauvreté humaine (IPH) au Rwanda s'élevait à 37,9 % en 1997. Cela signifie que la moyenne de 37,9 % de la population rwandaise étaient affectés par les différentes formes de la pauvreté ou de manques prises en compte par cet indicateur (IPH)* . 

 

            Après ce parcours de la situation socio-économique du pays jusqu'au moins avant la guerre de 1990, il y a lieu de se demander, même si la réponse reste  partielle,  comment un pays libre et indépendant est arrivé à sa propre destruction. A la veille de l'hécatombe qui a conduit le pays dans l'horreur, c-à-d le mois d'avril 1994, plusieurs conditions étaient déjà réunies pour faire basculer le pays au-delà du compréhensible. Nous citerons entre autre:

¨    côté politique: interdiction en 1973 du parti politique libérateur "le MDR PARMEHUTU" suivi par l'arrestation et la disparition de plusieurs de ses leaders. Dès lors, la majorité des rwandais étaient exclu de la politique qui devint un champs gardé de la famille Habyarimana et ses acolytes. Il n'y avait plus de force politique pour unir la majorité des rwandais.

¨    pauvreté généralisée dans tout le pays avec toutes ses conséquences et cela malgré une poignée de gens qui vivaient comme des tsars;

¨    jeunesse désoeuvrée, délaissée à elle-même et à la délinquance, qui sera plus tard malencontreusement récupérée par les partis politiques comme leurs milices;

¨    mauvaise gestion du patrimoine foncier délaissant un grand nombre de la population en dessous du seuil de survie, cette situation a été aggravée par une population élevée du Rwanda et toujours en forte croissance;

¨    la mauvaise conjoncture économique internationale couplée avec la chute des cours du café qui constituait plus de 80 % des exportations nationales;

¨    pression de la Banque Mondiale et du FMI pour que le Rwanda applique leur programme;

¨    incapacité du régime Habyarimana de faire face aux grands problèmes du peuple rwandais;

¨    démocratisation hâtive avec des partis politiques sans projet viable de société et qui ne faisaient qu'amplifier le désordre;

¨    la guerre imposée au Rwanda de l'extérieur, qui avait fait plusieurs morts et jeté à l'exil (à l'intérieur de leur pays) plus de 500.000 réfugiés hutu venus des préfectures d'où venaient les assaillants;

¨    une armée rwandaise indisciplinée, minée par le fléau du régionalisme;

¨    indifférence et apathie de la communauté internationale envers le peuple rwandais éprouvé par une guerre d'agression;

¨    les accords d'Arusha manifestement déséquilibrés en faveur d'une partie en conflit. Il faut remarquer qu'à un certain stade des négociations, le gouvernement rwandais formé par les différents partis politiques n'a pas pu avoir un consensus sur la mission à donner au négociateur. A maintes reprises, le ministre des affaires étrangères, qui représentait le pays dans les négociations d'Arusha, n'avançait que les idées de quelques personnalités au lieu de donner la position gouvernementale. Cela ne pouvait qu'aggraver ce déséquilibre.

¨    l'assassinat des présidents rwandais et burundais, qui fut le détonateur des massacres et pillages dans tout le pays.

A toutes ces conditions, s'ajoute la chute de l'Union Soviétique qui, qu'on le veuille ou non, constituait un équilibre des forces politico-militaires dans le monde et un contrepoids efficace de l'impérialisme toujours en expansion.

 

 

- La réalité du développement se trouve d'ailleurs

                Les indépendances nationales ont été saluées par les peuples africains comme une libération totale du continent. Pourtant, la politique impérialiste des anciens métropoles n'a pas du tout changé. Si l'indépendance politique était presque acquise, le volet économique continua d'échapper complètement  aux jeunes républiques. La politique du néocolonialisme se dessina à travers plusieurs activités nationales. Les anciens métropoles firent en sorte que rien ne puisse se faire sans leur aval (consentement). Certains pays du Sahel producteurs de pétrole (par exemple) ne peuvent pas vendre leur produit sans passer par la France. L'assistantialisme se développa plus que jamais. Une nouvelle forme de colonisation commença. C'est l'aide au développement.

 

            Le discours du développement vient souvent dans les propos tenus par tous les responsables politiques. Qu'ils soient du nord ou du sud, tout le monde veut se développer. Malheureusement, il n'y a ni de définition, ni de formule magique à attribuer au développement. La référence jusqu'à présent admise est la modernisation.  Avec ses hauts et ses imperfections, il est normal qu'on puisse mettre en cause la modernisation en tant que point de référence du développement. C'est pourquoi, il y a lieu de se demander: qui aide qui et qui développe qui? Presque toutes les matières premières utilisées par les pays dit développés viennent des pays dits "sous développés". On peut ainsi affirmer que les pays sous développés sont potentiellement riches, contrairement aux pays actuellement dits développés qui sont pauvres. Mais attention, ces pays "pauvres" ont de la matière grise et la malignité qui leur font des maîtres de ce monde. Les pays sous développés leur donnent leurs matières premières à des prix dérisoires. Ils les transforment et les produits manufacturés attirent les pays sous développés vers eux, leur mettant ainsi dans un cercle vicieux de leur domination et de leur dépendance. C'est ici que s'inscrit le problème insalubre de la dette des pays les moins rusés. Cette forme de coopération aide ainsi les anciennes puissances coloniales à piller les ressources des pays dits sous développés. Il est vrai qu'ils ont construit des aéroports, ils ont formé quelques cadres nationaux et mis en place plusieurs autres infrastructures. Cela n'est qu'un paravent de la réalité du progrès réel que devaient avoir des peuples "sous développés". En effet, c'est à travers ces aéroports que transite le trafic d'or, du diamant, du cuivre et d'autres matières premières sans aucun contrôle vers les pays dits développés. La complicité des cadres nationaux, souvent formés dans leur entourage n'est pas du tout neutre. L'université occidentale est devenue, pour la plupart des africains, un outil de formation du nouveau colon déguisé dans son propre pays. C'est par la formation et la culture que les impérialistes véhiculent leurs valeurs. Ce n'est pas sans arrière pensée qu'ils forment les cadres nationaux dans la ligne de leur idéologie. L'expérience de plusieurs pays africains a montré que les soi-disant intellectuels formés dans ce courant étaient et sont prêts à vendre leurs pays.

 

            Ainsi, une question se pose. Est ce que ce sont les pays dits "développés" qui participent au développement des pays les moins avancés ou ce sont ces derniers qui participent au développement des pays supposés développés? Si on s'en tient à la modernisation et qu'on est conscient que les économies des pays avancés utilisent la matière première des pays moins avancés, on tire la conclusion et à juste titre, que ce sont les pays moins développés qui participent au développement des autres pays.

 

            Actuellement les diverses formes d'assistantialisme sont à la mode. Dans les faits, elles permettent aux pays riches de maintenir leur domination et exploitation sur les pays moins avancés. C'est ce qu'on appelle la coopération entre pays du nord et du sud. Cette coopération, qui peut réellement être fructueuse et s'étendre sur plusieurs domaines de la vie socio-économique et culturelle des pays, s'embourbe actuellement dans l'aide sous ses diverses appellations (aide bilatérale et multilatérale, aide d'urgence, aide au développement, ...).  L'aide n'a jamais été neutre et unilatérale. Sans intérêt, les donneurs d'aides sont réticents. D'ailleurs, quand on pense combien la matière première des pays moins développés participe à la formation des PIB de ces pays et qu'on se rappelle que l'enveloppe financière globale de l'aide de ces pays ne dépasse jamais 1 % de leurs PIB, on comprend à quel point l'aide peut participer au développement. La philosophie de l'aide devrait être fondamentalement revue dans l'optique d'un développement durable des pays bénéficiaires.

 

            Par ailleurs, le concept "développement" doit inclure des notions comme démocratie, liberté, etc. Dans les pays avec les jeunes démocraties, les leçons de liberté et de démocratie sont dictées par les occidentaux. En effet, tous les partis politiques d'opposition sont directement ou indirectement soutenus par les ambassades étrangères. Cela fausse en partie le jeu de l'opposition démocratique qui n'est pas du tout indépendante dans ses manoeuvres et qui plus tard, si elle parvient au pouvoir, se trouve à la merci de ses anciens guides étrangers. Tout cela est en partie le résultat du fait que plusieurs pays moins avancés ne sont pas encore maîtres de leurs économies et donc de leur développement. C'est ainsi que les partis politiques d'opposition dans les pays moins avancés ont peu de moyens économiques pour survivre. Malgré le risque évident de perdre toute identité et toute indépendance et d'être des marionnettes des puissances étrangères, ils se laissent ainsi tomber dans le piège des aides étrangères. La conception du développement par ces partis politiques est alors faussé au départ, puisqu'ils doivent satisfaire d'abord les exigences du pays bienfaiteur-aidant. Malheureusement, dans la plupart des pays qui prétendent maîtriser la démocratie, la survie économique de plusieurs partis politiques est en grande partie liée aussi à la corruption. Apparemment, on ne peut pas être libre, indépendant ou démocrate si économiquement on dépend de quelqu'un d'autre.

 

            Depuis bien longtemps, le Rwanda était classé parmi les pays les plus pauvres du globe. Pourtant, même s'il en est ainsi, les pays supposés riches ne lui ont jamais laissé la liberté d'utiliser ses ressources propres dans sa lutte pour le développement. Le Rwanda n'a donc jamais été maître de sa destinée, de sa pauvreté. Presque toutes les grandes politiques économiques ont été prises en accord sinon dictées par les bailleurs de fonds. Rien donc d'original ne pouvait sortir de ces politiques, puisqu'elles étaient conçues pour compléter les politiques des métropoles. Or, le discours dominant dans ces pays occidentaux, qui isole l'économique comme une fin en soi et le fait passer avant toute autre chose, semble ne pas coller avec les réalités socio-économiques africaines. Nous pensons que l'économique doit venir au soutien du secteur social. Il devrait être absolument à son service. L'inverse nous est imposé d'ailleurs. Il ne peut servir qu'aux autres.

 

            C'est pourquoi, dans son parcours difficile vers le développement, et sans toutefois négliger le secteur économique, le Rwanda devrait d'abord s'occuper du secteur social, dont les performances jailliraient après sur les autres secteurs. Le centre de tout son progrès devrait ainsi être le développement social. Pourtant, le secteur social préoccupe peu sinon pas du tout les bailleurs de fonds. Sans parler des adultes, l'analphabétisme des jeunes reste un grand fléau et dépasse 50 %. La perte du rôle organisateur de l'Etat suite à la mondialisation de l'économie notamment par les privatisations* actuellement à la mode dans plusieurs pays rend le secteur social plus fragile. Il se trouve de plus en plus à la merci de quelques individus plus malins que les autres qui se sont enrichis illicitement et qui continuent de s'enrichir au grand mépris de la grande masse populaire. La mondialisation de l'économie nous oblige à nous adapter aux normes et lois dictées par les pays dits développés, même si elles ne nous conviennent pas. Bref, les pays moins avancés, dont le Rwanda,  sont loin d'être des responsables de leur destin actuel et de demain.

 

            Tout cela nous amène à nous poser un certain nombre de questions. Est ce que un pays complètement dominé économiquement et politiquement peut être responsable de sa destinée? Apparemment non. C'est pourquoi, tout ce qui s'est passé au Rwanda, dont les massacres de 1994, ne devrait pas être seulement mis sur le dos du peuple rwandais. Ce n'est qu'un couronnement d'une situation longtemps en gestation depuis 1990 et entretenue par les différents acteurs internes et externes du développement au Rwanda. Quand au début de la guerre, les rwandais disaient à haute voix que derrière elle, il se cachait un certain monstre ethnique, les spécialistes (entre parenthèses) du Rwanda ont nié catégoriquement cette réalité. Se sentent-ils maintenant coupables de leur position? Non seulement la responsabilité dans le drame rwandais de 1994 est partagée entre les hutu et les tutsi, mais aussi et surtout avec l'occident. Malheureusement, quand on est pas maître de « son chez-soi », on y est en même temps responsable de tout et de rien. C'est ça le malheur d'une grande partie du peuple rwandais.

 

 

2.6 Dynamique de croissance/développement urbain

 

            L’évolution générale de la population urbaine des années 1978 à 1991 donne respectivement 217.333 et 386.351 habitants, soit un taux d’accroissement de la population urbaine de 4,5 %. Ce taux est parmi les plus faibles d’Afrique. Cette population de 1991 était dominée par la population de la capitale Kigali qui s’élevait à 233.000 habitants, soit 60,3 % de toute la population urbaine et 3,2 % de la population totale du pays avec le plus grand taux d’accroissement de 5,4 % pour la même période.

 

            Cette faible croissance des villes rwandaises serait en partie liée à la dispersion  des activités et des établissements économiques partout sur les collines. En effet, le dénombrement des entreprises et des établissements réalisé en 1990 par le Ministère du Plan ( Direction Générale des Statistiques ) avait permis de dégager la place des activités économiques urbaines. C’est ainsi que l’économie urbaine avec près de 5.700 établissements industriels et de services, représentait 31 % des établissements totaux du pays, 69 % des établissements étant dispersés dans le monde rural[68].

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                Tableau n° 14

 

 

             Dynamique de la population et nombre d’établissements des villes rwandaises

 

Ville

   Population

Taux annuel mo-yen d'accr. cal-culé géomét. (%)                              

Nb d'entrep-rises  par ville (1990)

% du total des villes

 

1978

1991

 

 

 

Kigali

117749

232733

5,38

4008

69,8

Gitarama

8534

11679

2,44

261

4,5

Butare

21700

28645  

2,15

380

6,6

Gikongoro

5654

8129

2,83

70

1,2

Cyangugu

7042

8911

1,82

157

2,7

Kibuye

2764

4242

3,35

75

1,3

Gisenyi

12435

21918

4,45

166

2,9

Ruhengeri

16025

29578

4,82

213

3,7

Byumba

7078

11828

4,02

51

0,9

Kibungo

4081

6912

4,13

90

1,6

Nyabisindu

8587

14092

3,88

212

3,7

Rwamagana

5683

7684

2,34

61

1,0

Rwanda

217.332

386.351

4,52

57.744

-

 

 

            La ville de Kigali renfermait 69,8 % [69] des établissement économiques du tissu urbain national et 21,6 % de l’ensemble des activités du pays. Avec 150 établissements, elle réunissait 69 % du commerce de gros et la même proportion du commerce de détail implanté dans les villes. Au niveau des industries manufacturières, Kigali abritait 70 % des établissements industriels implantés dans les villes rwandaises et 26 % du tissu industriel national. Par ailleurs, le réseau des institutions financières était intensivement représenté dans la capitale où 66,3 % de tous les dépôts bancaires étaient concentrés malgré un bon réseau des banques populaires qui étaient dispersé presque dans toutes les communes du pays.

 

            Les événements tragiques de 1994 qui se sont soldé par le changement du pouvoir à Kigali ont fait que toutes les villes ont été presque totalement désertées. En effet, dans l’espérance d’éviter les combats, la population civile a laissé les villes aux belligérants pour se réfugier à la campagne ou à l’extérieur du pays. Avec la prise du pouvoir par le FPR, presque tous les réfugiés tutsi qui étaient à l’extérieur du pays se sont vite précipités dans les villes alors vides de sa population habituelle. La majorité de ces réfugiés se sont installés à Kigali où la protection et les infrastructures étaient disponibles. Ils ont alors pris comme butin de guerre tous les biens de la Capitale.

 

             En 1996, on estimait que Kigali était habité à plus de 80 % par les nouveaux venus tutsi et que leur effectif dépassait le nombre habituel des habitants de cette ville. Tous les logements étaient occupés et les prix des loyers avaient très vite grimpé. C’est ainsi que selon la loi du plus fort , on s’est approprié toutes les infrastructures économiques et sociales privées dans les villes ( immeubles de diverses fonctions toutes confondues, etc. ).

 

            Par ailleurs, le surpeuplement instantané de la ville de Kigali, surtout par les jeunes tutsi qui ne veulent pas vivre à la campagne et qui de ce fait veulent absolument profiter des richesses de la ville risque aussi de créer un climat d’insécurité. En effet, l’économie du pays ayant été étouffée par la guerre, il a été difficile de leur trouver des emplois, d’autant plus que la plupart d’entre eux n’ont pas de qualification précise. Cette situation ne peut conduire qu’à la naissance des quartiers insalubres et dangereux dans la ville avec toutes les conséquences prévisibles dans le domaine de l’environnement.

 

            D’autre part, il a été difficile au gouvernement FPR de satisfaire à la demande en logements de sa population. Les plus forts ayant déjà confisqué les maisons trouvées inoccupées, ils n'ont pas voulu aller loin dans la politique du logement. Dans le cadre de la reconstruction, ils auraient bien trouvé des fonds pour la construction des maisons à caractère social, mais le manque d'objectifs de développement des nouveaux dirigeants tutsi a fait que rien n'a été réalisé dans ce domaine. De plus, il régnait un  climat d’insécurité qui ne stimulait pas les privés à investir dans les actions de long terme. Par ailleurs, les réalisations socio-économiques trouvées sur place leur procuraient assez de revenus* tellement qu’ils évitaient les risques d'investir. Pire encore, la rentrée des anciens propriétaires supposait la libération (sinon la remise) des biens saisis. Etant donné qu'ils profitaient assez des biens des hutu, les tutsi digéraient mal leur retour* . Voilà la raison de la disparition de plusieurs hutu rentrés après la guerre.

           

            C’est ainsi que le problème des biens des hutu saisis par les nouveaux arrivés (tutsi) a été et constitue encore un grand danger pour les réfugiés. En effet, sous l’oeil passif  du gouvernement en place, tous les équipements de la ville avaient vite trouvé de nouveaux propriétaires sans que même ceux- ci soient frappés par une certaine taxe pour combler les caisses de l’Etat alors presque vides* . Rappelons que la ville de Kigali se taillait la part du lion dans la concentration des équipements économiques, soit 70 % de tout le tissu économique urbain et plus du cinquième (21,6 %)  de l’ensemble des activités du pays. La propriété publique ainsi que la propriété privée avaient perdu tout sens. C’est toute la révolution sociale de 1959 qui a été mise en cause avec tous ses acquis depuis l’indépendance jusque dans les années 1990.

 

            L'occupation arbitraire des biens des hutu a longtemps compromis le processus de la réconciliation nationale. En effet, les troubles qui ont secouées le pays dès 1990, bien qu’elles se soient vêtues principalement de l’étiquette ethnique, étaient également poussées par des mobiles économiques. La prise de Kigali par les anciens réfugiés tutsi a été considérée ainsi comme une double victoire: une victoire militaire d’une ethnie sur une autre d’abord et puis un exploit économique caractérisé par la boulimie d’occuper les biens du vaincu. Voilà pourquoi le problème de la restitution des biens saisis à leurs propriétaires reste une question d'actualité. Il rend complexe le processus de la réconciliation. Les occupants actuels, qui sont de droit illégaux, pourront-ils un jour se mettre en cause et restituer de bon coeur les biens saisis à leurs propriétaires? Au stade actuel, rien n’est sûr.

 

            La situation dans les autres villes du pays est presque la même que dans la ville de Kigali. Les biens mobiliers et immobiliers ont été saisis par les nouveaux venus. Les militaires, auxquels on a presque pas ordonné de regagner les casernes, se sont récompensé en se répartissant les villas ainsi que les autres biens matériels disponibles. Les derniers arrivants n’ont pas pu profiter du gâteau ce qui risque également de créer des tensions au sein de l'armée FPR. 

 

            En tenant compte que l’urbanisme est tributaire de la croissance ou de la stagnation économique et démographique, et que l’hypothèse de croissance économique a moins de chance de se réaliser dans un avenir proche, mais que par contre la croissance démographique dans les villes rwandaises est déjà perceptible, on peut alors s’imaginer vers quel type d’urbanisation tend le Rwanda. Cet accroissement de la population urbaine s'est fait malgré de nombreuses barrières instaurées par les autorités tutsi pour contrer les réfugiés hutu de revenir dans la capitale [plusieurs disparitions inexpliquées, changement des identités, ...]. En dépit de tout cela, la population actuelle de la capitale Kigali avoisine le double de ce qu'elle était en 1991.

 

            C’est ainsi que dans l’hypothèse d’agrandissement des villes rwandaises, la satisfaction des besoins en matière de nouvelles constructions d'immeubles et d’équipement impliquera la réservation des superficies énormes. L’espace nécessaire pour les villes tendra ainsi à doubler à moins de dix ans. Suite à une pression grandissante de la demande en logements, Kigali risque de dépasser en superficie les grandes capitales occidentales, à moins de privilégier les constructions en hauteur (cela n'est pas évident à cause des moyens financiers). Cela va bien sûr à l’encontre de l’utilisation rationnelle des terres.

 

            Devant cette situation, quelle sera l’image des villes rwandaises à l’aube de l’an 2.000? La destruction de toute l’économie du pays couplée avec l’envahissement de la capitale Kigali par un effectif d'une population tutsi qu’elle peut à peine contenir, rendent incertaine la croissance équilibrée des villes du pays. En effet, Kigali avait déjà plusieurs quartiers spontanés presque impénétrables et  qui posaient pas mal de problèmes aux planificateurs de la ville. Sous la pression du vainqueur tutsi, on a assisté à une croissance démesurée de la population de cette ville sans aucun plan prévisible de son installation. Kigali risque ainsi de devenir une capitale faite principalement des quartiers spontanés avec des problèmes inouïs pour l’environnement. Cette image est valable aussi pour les autres villes du pays.

 

 

 

 

  - Relations Ville-Campagne

 

            La victoire du Front Patriotique rwandais a entraîné des millions de personnes à l’exil. Depuis juin 1994, des milliers de déplacés de guerre à l’intérieur du pays se sont concentrés dans la zone turquoise* . Le gouvernement FPR a fermé ces camps durant l'année 1995. Cette opération, qui était conduite contre le gré de la population a été assez meurtrière (exemple: massacre dans le camp de Kibeho en avril 1995). Aux frontières du Rwanda, les pays  voisins regorgeaient encore de près de deux millions de réfugiés hutu jusqu'en juillet 1996. Malgré l’occupation des terres par quelques éleveurs venus de l’extérieur, la campagne rwandaise continuait d’être relativement vide dans la grande partie du pays ( par rapport à la situation d’avant la guerre ).

 

            Voici le témoignage d’un rwandais sur l’occupation de l’espace national au mois d’avril 1995 [70]:

               - les préfectures Gisenyi et Ruhengeri: la population présente est représentée à 90 % par sa population habituelle; 

               - les préfectures de Byumba et Kibungo: peu habitées et par une population quasi nouvelle. En effet, selon les chiffres donnés par la Banque Mondiale [71], si on avait dénombré une population de 335.122 habitants dans les 5 communes de la préfecture de Kibungo (Kayonza, Kabarondo, Kigarama, Rukara et Rusumo) en 1991, on arrivait à un chiffre de 146.500 seulement en 1994 dont presque la moitié (46,1 %) étaient constitué par les anciens réfugiés venus des pays limitrophes.

               - les préfectures de Kigali, Gitarama et Butare: à moitié vides;

               - la préfecture de la ville de Kigali: habitée à plus de 80 % par les nouveaux venus;

              - les préfectures de Gikongoro, Cyangugu et Kibuye: ancienne zone turquoise. Cette zone était alors pleine d’ambiguïtés avec des camps de réfugiés. Ces camps ont été démantelés au cours de l'année 1995 et la population a été obligé, manu militari, de regagner les collines.

 

            Devant cette situation, que pouvaient être les liens logiques entre le milieu urbain rwandais et la campagne? Les relations entre la campagne et les villes sont traditionnellement déterminées par plusieurs facteurs. On citera entre autre les relations liées aux fonctions que doit remplir la ville parmi lesquelles il est nécessaire d’identifier les fonction économiques ainsi que les fonctions administratives. Cependant, toutes ces fonctions ont été largement déterminé au Rwanda par le facteur « sécurité », facteur sans lequel le pays s’enfonce de plus en plus dans le chaos, entraînant une rupture entre la ville et la campagne.

 

            Concernant la fonction économique, il est nécessaire de souligner que la création de petites villes dans le milieu rural avec des éléments urbanisants tels que les infrastructures administratives, économiques et sociales devait participer à créer des opportunités capables d’engendrer un développement d’activités créatrices d’emplois et susceptibles de dynamiser le secteur urbain. Ces centres servant surtout de lieu d’échanges de la production du monde rurale, ils allaient servir de trait d’union entre la campagne et la ville. A tout malheur, quelque chose aurait été bon: la guerre aurait pu faciliter la création de ces centres au Rwanda, étant donné que le déplacement et l'installation de la population allaient se passer avec moins de réticences.

           

            C’est dans ce cadre qu’un grand projet dit « pôle rural de développement » était en cours d’étude avant la guerre. En raison des économies d’échelle que ces villes moyennes allaient entraîner, permettant même de redynamiser le secteur agricole qui allait se voir obligé d’accroître sa productivité pour répondre aux besoins de l’autosuffisance alimentaire aussi bien de la population agricole et non agricole rurales et celle de la ville, ce projet s’inscrivait dans les actions prioritaires à mener. 

 

            Actuellement, cette vision du développement semble être oubliée. Les responsables actuels sont d’abord préoccupé par leurs propres projets qui semblent d’ailleurs avoir peu de relations avec les intérêts de la population, d’où la tendance inévitable de s’armer d’abord  même si la majorité de cette population est menacée par de graves crises telles que la faim, les maladies, etc. Le grand danger actuel pour le développement du monde rural rwandais, c’est l’insécurité qui guette la campagne et qui empêche le paysan de travailler ses terres depuis le début de la guerre en 1990. En effet, dès 1990, les inyenzi-inkotanyi ont semé la panique surtout dans le nord du pays jusqu'à leur victoire en 1994. Ils avaient obligé des milliers et des milliers de paysans hutu d'abandonner leur seule richesse: la terre agricole. Depuis la victoire des inyenzi-inkotanyi en juillet 1994, le milieu rural rwandais a été toujours sous l'étau des militaires du nouveau régime. C'est un véritable réservoir pour les prisons mouroirs du FPR. De plus, il semble que les rebelles hutu sont entrain de s'organiser. Cette insécurité perpétuelle du paysan risque d’être la principale cause de la faim au Rwanda.

 

            En effet, dans de telles conditions, il est normal que le paysan ne peut pas travailler sa terre et l’agriculture d’autosubsistance risque d'être la grande caractéristique de l’économie familiale. Etant donné même que les cultures industrielles, qui étaient jusqu’à présent le pilier incontournable de la balance des paiements, sont des cultures pluriannuelles et que les paysans avaient déjà commencé à donner une préférence aux cultures vivrières, le pays risque de voir le secteur d’exportation s’effondrer complètement. Il est à remarquer que si le paysan laisse longtemps en jachère ses terres à cause de l'insécurité, la production de l'autosubsistance alimentaire peut être aussi utilisée comme une tactique de défense contre la guerre menée par le FPR. Si ce dernier a facilement pris le dessus pendant la guerre des kalachnikovs, il lui serait cette fois-çi difficile de gagner la bataille sur le front économique.

 

            Devant cette situation où l’économie de la campagne tend à se désolidariser du reste de l’économie nationale, il est clair que le fossé qui risque de séparer la ville et la campagne rwandaise sera de plus en plus grand. Afin de pouvoir soutenir l’économie, la culture obligatoire du café et du thé, à l’instar du temps colonial, risque d'être de rigueur. Cela ne fera qu’aggraver les tensions entre les responsables et la population. En tant que siège de l’administration, la ville rwandaise risque ainsi d’être une source de tensions et s’écarter de son rôle de catalyseur dans l’augmentation de la productivité du monde rural.

 

            Concernant ce rôle administratif de la ville, son caractère contraignant a été déjà mal vu par la population à majorité hutu concentrée principalement à la campagne. En effet, tout l'appareil de l'hiéarchie administrative en place est dirigé par les tutsi. Etant donné que  les tutsi se sont principalement regroupés dans les villes, le monde rural (campagne) est devenu le théâtre de toute une série de pressions administratives et surtout militaires. Tout cela se fait dans le but de réprimer toute idée de sensibilisation susceptible d'éveiller la conscience hutu et manifester ouvertement le mécontentement. Il faut signaler que dans le but d'avoir une main mise totale sur cette campagne, tous les dirigeants des communes administratives du pays (les bourgmestres) ont été tous de l'ethnie tutsi après la victoire FPR.

 

             Les relations entre la campagne et les villes rwandaises pouvaient, dès la victoire du FPR en 1994, être envisagées ainsi sous deux angles:

            a) maintenir le statu quo, c-à-d avec des villes habitées principalement par une seule ethnie tutsi,

            b) coexistence des deux ethnies sur le territoire avec une répartition spatiale équilibrée. Cette seconde variante a eu moins de probabilité de se réaliser et c'est le premier scénario qui est en application.

 

            A l’instar de ce qui s'est fait sur le terrain, la première variante a été ainsi prépondérante. Les villes rwandaises sont peuplées majoritairement par les tutsi. Ils ont d’ailleurs tous reçu des cartes d’identités urbaines au moment où les hutu qui vivent à Kigali sont souvent pourchassés par la police tutsi comme des sans papiers. Dans tous les cas, si démocratie il y avait, la capitale Kigali serait un bastion des tutsi. Le problème des urnes à Kigali est ainsi déjà un problème pour les démocrates. Comme leur effectif au niveau national reste inférieur, la majeure partie a été absorbée par la capitale Kigali qui dispose déjà de plusieurs infrastructures socio-économiques attrayantes. Les éleveurs tutsi eux, sont restés tout près des frontières avec les pays voisins. Certaines préfectures comme celles de l’Est et du N-E sont déjà peuplées par une nouvelle population à majorité tutsi (tutsiland). Une nouvelle préfecture  UMUTARA, a même été créée à cet effet. Le reste du pays est principalement peuplé par les hutu. Cette répartition spatiale à dominance ethnique est dangereuse pour le développement futur du pays, étant donné les tensions (ethniques) prévisibles entre les régions d’abord, et entre la ville et la campagne ensuite ( domination d’une partie sur une autre, concentration des emplois modernes dans les mains d’un seul groupe d'individus, l’insécurité, le repli de la ville ainsi que de la campagne sur elles mêmes, etc. ).

 

            Par ailleurs, si le désenclavement des régions de l’arrière-pays grâce surtout aux travaux communautaires de développement ( UMUGANDA ) avait permis une certaine symbiose entre la ville et la campagne et en particulier le désenclavement des régions agricoles les plus reculées, le mauvais entretien des routes a déjà coupé cette liaison, ce qui ne favorise pas ni la circulation des biens, ni celle des personnes. Cette détérioration des routes et pistes dont l’entretien dépendait de la population est actuellement remarquable. Plusieurs routes secondaires ne sont plus praticables. Pire encore, presque tous les opérateurs économiques privés, surtout ceux du monde rural qui, par leurs moyens de transport, facilitaient la communication et l’approvisionnement ville-campagne ne sont plus opérationnels.

 

            Si la ville est en même temps un centre d’échanges économiques et de rencontre de plusieurs cultures; un siège des pouvoirs ainsi que d’innovations et un lieu créateur d’emplois et de diffusion de nouvelles modes de vie: elle a en conséquence un pouvoir et un devoir attractifs élevés pour les populations polarisées. Dans le futur, si au lieu d’attirer la majorité de la population rwandaise (qui n'est que hutu), les villes rwandaises se manifestent avec un effet repoussant, elles risquent de ne jamais remplir ces fonctions. Quant à la campagne, elle risque de rester le centre traditionnel des activités agricoles et forestières qui occupent la majorité de la population du pays.

 Y aura-t-il dans le monde rural rwandais une politique de restructuration spatiale permettant: - une meilleur utilisation des terres agricoles en vue d’augmenter la production?

                  - d’éviter l’ethnisation des régions en réorganisant les tutsilands et hutulands déjà crées volontairement par le FPR après sa victoire. Si le fléau du régionalisme caractérisait les dirigeants de l'ancien régime Habyarimana et que le pays était presque divisé en deux parties: Nord et Sud, le Rwanda de demain risque d'être miné à la fois par le régionalisme et la lutte des ethnies. En effet, l'épuration ethnique dont le FPR s'est rendu responsable après la guerre et qui a permis aux tutsi d'occuper presque seuls une bonne partie de l'espace national, ne pourra conduire qu'à une telle catastrophe.   

           

            Ainsi, si le climat d’insécurité perdure au Rwanda, que l'apathie internationale à l'égard d'une partie du peuple rwandais (hutu) continue, qu'un Etat de droit n'est pas fondé, les tensions ethniques continueront de fermenter dans l’esprit des gens. On risque alors d’assister à une rupture entre la campagne habitée principalement par les hutu et les villes occupées majoritairement par les tutsi. Cette rupture probable ne fera qu’aggraver la situation économique qui était déjà alarmante et se répercutera sur le développement futur du pays.

 

 

 

 

2. 7 Le problème rwandais face à d’autres pays africains de même crise

 

            Bien que la crise rwandaise ne soit pas unique en son genre, elle a quand même des particularités en comparaison avec les crises qui ont eu lieu dans d’autres pays africains (Angola, Mozambique, Liberia, etc.). Le point commun observé dans tous ces pays semble être caractérisé par un chaos qui est né des forces politiques et/ou sociales antagonistes à l’intérieur de la plupart de ces pays. La particularité du chaos rwandais réside en ce que ce  problème est le résultat d’une situation de guerre, longtemps préparée et mûrie à l’extérieur du pays, avec des enjeux politiques qui dépassent vraisemblablement le seul cadre national. L'attaque et la conquête de l'ancien Zaïre aujourd'hui redevenu Congo est un exemple éloquent. Dans les autres pays africains, le problème principal de lutte pour le pouvoir s’était manifesté entre les différents clans, tribus ou sensibilités politiques oeuvrant ou résidant en général à l’intérieur de ces pays. La guerre imposée au Rwanda en 1990 était une guerre d’agression conduite de l’extérieur malgré la participation des anciens réfugiés rwandais. Le chaos créé par cette guerre avait comme principal mobile la lutte pour le pouvoir des soi-disants élites deux grands ethnies du Rwanda. Les agresseurs voulaient, comme ils l'affirmaient sur les ondes de leur radio, la chute du régime en place. Ce problème que le Rwanda et le Burundi partagent les mêmes origines et conséquences risque d'être un fléau cyclique pendant des siècles.       

 

- La présence et la contribution internationales dans le conflit

            On a parlé de conflit rwandais ou rwando-rwandais mais la réalité en était toute autre. La guerre a été déclenchée par les ex-réfugiés rwandais à partir de l'Ouganda. Elle a directement pris une ampleur internationale. L'une des grandes erreurs de la communauté internationale pendant cette guerre (qu'on peut qualifier d'ailleurs de conspiration) consiste en ce que les gens reconnus internationalement comme réfugiés ont pris des armes, attaqué un pays libre et indépendant, et devant cette situation, cette communauté est restée muette. Exactement au début de ce conflit en 1990, il était évident que les agresseurs étaient soutenu par des pays extérieurs, entre autre le pays hôte (Ouganda) qui les soutenait clairement en effectif, les équipait en matériel et en logistique.

 

            Repoussés au début, les agresseurs se repliaient dans leur pays d'origine, l'Ouganda qui les aidait à se reconstituer afin d'organiser de nouvelles attaques. Le Président de l'Ouganda, Museveni, a lui-même admis que les déserteurs de son armée étaient partis avec le matériel militaire pour appuyer le FPR. Par ailleurs, le FPR a continué de recruter au Burundi, en Ouganda sans parler du Rwanda. Cela faisait particulièrement monter les tensions ethniques. Nul n'a pris le courage, même les institutions internationales qui étaient chargé de trouver une solution de ces réfugiés, de condamner cette agression venue de l'extérieur et appuyée par l'Ouganda. Pourtant, au moindre déplacement des éléments de l'ex-armée régulière (les FAR), même les organisations humanitaires (notamment la MINUAR: mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda) lançaient immédiatement l'alerte. Cette prise de position ne pouvait que mettre en doute la crédibilité de la communauté internationale dans un tel conflit.

 

            De plus, le HCR et d'autres organisations à caractère philanthropique ont à maintes reprises utilisés l'arme humanitaire pour forcer les réfugiés rwandais à rentrer. En 1996, la communauté internationale a refusé d'intervenir militairement au Zaïre pour secourir les réfugiés rwandais, affamés et pris entre le feu du FPR et de l'armée zaïroise. Le HCR a seulement apprêté les camions sur la frontière des deux pays. Cela a conduit à une rentrée massive, obligée et suicidaire pour la plupart d'entre eux. Dans le même ordre d'idées, l'attaque menée par le triumvirat FPR-Burundi-Ouganda contre le Zaïre, était soutenue par les forces extérieures. C'est ainsi que certaines puissances occidentales, au lieu de protéger militairement les réfugiés, préconisaient des couloirs humanitaires pour permettre aux réfugiés de rentrer au Rwanda. Quelle pitié et logique humanitaires qui faisaient marcher les gens dans la direction d'où venaient leurs attaquants (l'ennemi)! Les rescapés des massacres qui s'y sont déroulés et qui ont pu finalement regagner le Rwanda peuvent en être témoins. Ceux d'entre eux qui sont restés sans être mis en tôles peuvent être comptés avec les doigts.

 

            Malgré que les réfugiés hutu stationnés au Zaïre étaient censés être sous la protection des Nations Unies, il n'y a eu presque pas de réaction ni des grandes puissances, ni des médias occidentaux pour désigner et condamner l'agresseur. Maintenant, on sait que cette agression était soutenue sans faille. Les réfugiés hutu ont été purement et simplement dispersés dans les collines du Zaïre dans le but de les laisser être massacrés par le FPR et ses alliés<