COMITÉ

EXÉCUTIF

RDR
Rassemblement Républicain pour la Démocratie au Rwanda
Republican Rally for Democracy in Rwanda
Ihuliro Rishingiye kuri Repubulika Liharanira Demokarasi mu Rwanda

Pour un Peuple Reconcilié dans un Etat de droit - For a Reconcilied People in a Rule of Law
Duharanire Ubwiyunge bw'Abanyarwanda mu Gihugu cyubahiriza Amategeko
info@rdrwanda.org
http://www.rdrwanda.org
Victoire Ingabire, Présidente
Postbus 3124
2280 GC, Rijswijk, Pays-Bas
Téléphone/Fax : 00-31-180633822
Emmanuel Nyemera, Vice-Président
Case postale 5352, Succursale B
Montréal, Canada, H3B 4P1
Téléphone : (514) 572 3466
Le RDR est membre de la coalitionl’Union des Forces Démocratiques Rwandaises (UFDR)

Zevenhuizen le 20 mars 2003.

RWANDA: LE PROJET DE CONSTITUTION RISQUE D’HYPOTHEQUER
IRREMEDIABLEMENT L’AVENIR DU PAYS

1. Introduction.

Cette analyse critique du projet gouvernemental de nouvelle Constitution pour le Rwanda résulte du Congrès extraordinaire du RDR tenu à Bonn du 22 au 23 février 2003. Elle s'inscrit dans le cadre d'une vision à long terme qui doit rester au centre des soucis de l'élaboration d'une Constitution en tant que loi fondamentale.

Le projet de Constitution proposé par la coalition gouvernementale dominée par le Front Patriotique Rwandais (FPR) à l'Assemblée Nationale de Transition (ANT) est disponible au lien suivant: http://www.cjcr.gov.rw/draftconstitution14022003.doc. Pour l’élaborer, ses auteurs ont sans aucun doute fait un travail de longue haleine et sûrement exigeant. Ils ont probablement fait de leur mieux pour produire un texte qu’ils croyaient peut-être acceptable dans le fond et sur la forme. Nous leur en remercions. Néanmoins, le texte proposé souffre encore d'un certain nombre de lacunes et/ou d'ajouts inutiles.

Dans l’exposé des motifs du projet de Constitution, ses auteurs reprochent aux anciennes Constitutions d’avoir été taillées sur mesure par des dirigeants du moment. Pourtant, le régime FPR tient absolument à atteindre le même objectif. Le péché originel de ce projet de Constitution est d'avoir été élaboré par et pour le pouvoir en place. En lieu et place d'une réelle volonté de mettre fin à une longue période de carence juridique que le Rwanda vient de traverser, ce projet vise plutôt à garder et à perenniser le statu quo. Il lui est ainsi ôté tout le caractère de neutralité et de longévité que doit normalement refléter une Constitution faite par et pour le peuple, issue du consensus de toutes les composantes de la société qu'elle doit régir.

Pour anticiper toute critique, les auteurs membres de la Commission juridique et constitutionnelle
chargée d'élaborer l'avant-projet de Constitution ont fait semblant d’organiser une consultation
populaire. Cette mascarade n’a donné que des résultats voulus, vraisemblablement fixés d’avance, par cette Commission. Il n'en pouvait être autrement à cause de la situation sociopolitique qui règne au Rwanda, caractérisée entre autres par :

- un climat d'intimidation caractéristique de tout Etat policier, illustré par la dissémination des
milices sur tout le territoire national ;
- l’interdiction des activités des partis politiques; les empêchant ainsi d’organiser des meetings
politiques et d'avoir le contact avec la population ;
- l’utilisation presque exclusive des organes médiatiques étatiques par le FPR.

Si le référendum projeté devait se réaliser dans les mêmes conditions, personne ne peut douter que le résultat reflétera la seule position du FPR qui domine actuellement toute la scène politique intérieure.

2. Caractéristiques générales de l’avant-projet de Constitution.
Dès le premier abord, on a l'impression que le texte élaboré par la Commission constitutionnelle est un projet de loi sur le génocide. En effet, le premier paragraphe du préambule de ce document désigne déjà les responsables de la tragédie vécue par le peuple rwandais depuis le mois d'octobre 1990. Le lecteur avisé comprendra que les auteurs de cet avant-projet attribuent les malheurs du Rwanda aux seuls dirigeants des régimes mis en place après la révolution sociale de 1959 et exonèrent de tout ceux qui sont au service du régime actuel. Ainsi, en omettant de souligner le caractère cyclique des violences commises au Rwanda depuis des siècles, les auteurs dudit texte font croire que le Rwanda d'aujourd'hui est un havre de paix, auquel il ne manquerait qu'une loi fondamentale officielle.

Continuer à faire accréditer la responsabilité des horreurs qui ont marqué l’histoire socio-politique
récente et passée du Rwanda à une seule composante de la société rwandaise constitue, à notre humble avis, une vision manichéenne de la société rwandaise. Par voie de conséquence, le texte proposé se soucie très peu de l'indispensable processus de réconciliation entre les rwandais. Il a été rédigé dans le but de consolider et de légitimer la domination du pouvoir par le FPR en vue de contrecarrer toute opposition démocratique susceptible de mettre en cause son hégémonie.

La limitation des libertés et des droits civiques, qui transparaît dans cet avant-projet, serait justifiée par le génocide, un crime abominable qui doit être réprimé sans ambiguïté. Mais, puisqu’il s’agit d’un sujet délicat, le constituant devrait être précis pour que ce crime soit éradiqué à jamais sans être détourné pour des fins politiques. C'est pourquoi certains termes tels que révisionnisme et négationnisme (article 14) devraient être juridiquement bien définis avant de les inscrire dans la Constitution.

Ce n'est pas par un «bunker juridique» qui protège des criminels au sein du FPR, une classe minoritaire de «dirigeants indignes», que le Rwanda peut venir à bout du combat contre «l'idéologie du génocide».

C'est plutôt par des clauses constitutionnelles claires qui permettront de traduire en justice tout
criminel, quels que soient la communauté à laquelle il appartient, son niveau social et/ou sa fonction que notre pays atteindra cet objectif noble. La consécration de l'impunité dans une loi fondamentale ne peut qu'encore provoquer des confrontations violentes amenant le pays tout droit vers de nouvelles catastrophes.

Pour prévenir les crimes contre la paix et l’humanité, les crimes de guerre, le génocide et autres
violations des droits humains, il faut extirper complètement ce qui en a été la principale cause, à savoir l’accès non démocratique au pouvoir et le maintien d’un pouvoir oligarchique dirigé contre le bien-être général du peuple. Il faut que la Constitution fasse prévaloir correctement une de ses raisons principales d'être, à savoir: fixer les règles de base d'aménagement et de transmissions des pouvoirs de l'Etat et garantir suffisamment des mécanismes pacifiques visant à en assurer l'alternance. Or, le projet de Constitution présenté par le régime en place à Kigali reste muet sur ce sujet vital et stratégique.

Le projet de Constitution entérine la fission de la société rwandaise en dépit de plusieurs clauses
mentionnant l’unité nationale. Le divisionnisme apparaît à l’article 80 où il est stipulé que le Président de la République choisit deux membres au sein de la communauté nationale historiquement défavorisée. Si le régime actuel prône tout haut l’unité nationale, l'insistance et l'institutionnalisation de «communautés nationales historiquement défavorisées» est une contradiction interne flagrante avec le discours officiel. En y souscrivant, le régime actuel pérennise implicitement l’idée de l'existence des «communautés nationales historiquement favorisées» au Rwanda. De telles clauses inscrites dans une loi fondamentale ne peuvent à la longue qu'être génératrices des conflits sociaux et politiques.

Elaborer la Constitution conformément aux souhaits du commanditaire au pouvoir hypothèque d'une façon irrémédiable l'avenir du Rwanda. En effet, la lecture du projet, tel que présenté par la coalition gouvernementale en place à Kigali, permet de constater que cette Constitution est loin d'être cet ensemble de règles de gestion équilibrée du pouvoir où chaque citoyen et citoyenne participe librement à la gouvernance de son pays. Bien au contraire, ce projet de Constitution apparaît comme un programme où sont énoncées des règles permettant aux seuls acteurs politiques actuellement au pouvoir à Kigali de se légitimer et se consolider. Nous sommes convaincus que dans de bonnes conditions de sécurité et de libre expression autres que celles qui prévalent actuellement à l’intérieur du Rwanda, le Peuple Rwandais ne pourrait jamais approuver un projet de Constitution qui confisque sa souveraineté et bafoue ses droits et libertés. Mais comme, dans les conditions actuelles de terreur et d'intimidation , le référendum ne laissera normalement qu'une option d'un «Oui» largement imposé par les milices du FPR, cette Constitution que tout le monde, sauf ceux qui sont au pouvoir, trouve liberticide et anti-démocratique sera imposée au peuple.

3. La consécration d'un monopartisme de fait et des violations de droits de la personne

Le projet de Constitution étouffe dans l'œuf les droits politiques. En effet, le projet de nouvelle
Constitution prévoit en son article 57 d'institutionnaliser le "Forum de Concertation des Partis
Politiques" qui était une structure transitoire mise en place par le FPR depuis 1994 et en dehors de laquelle aucune activité politique ne peut s'exercer. Comme les décisions de ce FORUM sont prises par consensus, les partis politiques membres sont, de gré ou de force, membres de la coalition gouvernementale dirigée par un Premier Ministre issu d'un parti politique dont ils ne partagent nécessairement pas ni la vision ni le programme politiques; ce que consacre par ailleurs l'article 115:
"Les membres du Gouvernement sont choisis au sein des partis politiques en tenant compte de la répartition des sièges à la Chambre des Députés …". Ceci est une négation de la liberté d’association reconnue dans l’article 20 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) et des principes les plus élémentaires du pluralisme politique dans un Etat de droit qui favorise l’alternance démocratique.

Par les articles 57 et 115 de son projet, le régime FPR cherche à consolider sa dictature. Personne ne doit être obligée de faire partie d’une association quelconque et aucun parti ou formation politique ne doit être obligé de faire partie du gouvernement ou d’une quelconque alliance ou coalition politique.

Les alliances politiques doivent se faire et se défaire volontairement et librement, au gré des
circonstances. L’opposition politique officielle devrait être reconnue; son rôle étant de critiquer les politiques du gouvernement, de proposer des améliorations éventuelles et d’être une alternative pour le peuple lors des prochaines élections.

Pourtant, à travers l’Accord de paix d’Arusha qui constitue la base fondamentale de référence juridique reconnue par tous, notamment en ce qui concerne le protocole relatif à l'Etat de droit surtout en ses articles 5, 6 et 7, les parties en conflit se sont accordées sur l'universalité de la démocratie et les principes sur lesquels elle est fondée. Ces principes stipulent entre autres que la représentation populaire doit être le reflet authentique de la volonté des citoyens; que toute la souveraineté appartient au peuple ; que le pluralisme est l'expression des libertés individuelles et que le multipartisme implique la légitimité de l'opposition.

L'article 53, alinéa 4, du projet de Constitution stipule que:"… Les structures dirigeantes des partis et formations politiques s’organisent uniquement au niveau national et au niveau de la Province et de la Ville de Kigali." Cet article vise à maintenir le statu quo politique actuel qui coupe les autres partis politiques de la population et de leur base pour n’en faire que des caisses de résonnance et des organes d’exécution de la seule volonté du FPR. Cet article empêche aussi la formation et l’organisation des partis politiques locaux, au niveau des districts ou communes, des secteurs et cellules et la compétition politique à ces échelons administratifs. Il viole les articles 19, 20 et 21 de la DUDH. La DUDH proclame que "tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées, par quelque moyen d'expression que ce soit." Plus particulièrement, la DUDH affirme solennellement que "toute personne a droit à la liberté de réunion et d'association pacifiques et que nul ne peut être obligé de faire partie d'une association."

L’article 76 du projet de Constitution réserve aux femmes un quota garanti de 30% à la chambre des députés, soit 24 femmes élues par les conseils de districts et de Ville, controlés par le FPR, à raison de deux femmes par province et la mairie de la Ville de Kigali. Il réserve aussi deux places au Conseil National de la Jeunesse et une place à la Fédération des Associations des Handicapés. Cet article introduit une inégalité institutionnalisée en faveur des femmes et contre les hommes en ce qui concerne des chances de départ d’être élu. Il viole la DUDH. Ce qui doit être garanti c’est l’égal accès des femmes et des hommes, jeunes ou vieux, handicapés ou non, aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Les règles d’élection devraient être les mêmes pour tous les candidats et candidates. Le scrutin à listes bloquées devrait être abandonné et permettre aux électeurs de choisir non seulement le parti politique mais aussi le candidat de leur choix.

L’article 98 du projet de Constitution qui stipule que tout candidat à la présidence de la République doit être exclusivement de nationalité rwandaise d’origine et agé de 35 au moins et de 70 ans au plus constitue une discrimination basée sur l’âge et l’origine. Tout Rwandais ou toute Rwandaise ayant l’âge légal pour voter, c’est-à-dire 18 ans, devrait aussi pouvoir être candidat à toutes les fonctions électives. Toute personne de nationalité rwandaise, d’origine ou non, ou ayant la double nationalité, devrait pouvoir se porter candidat à l’élection présidentielle. Tous les Rwandais et Rwandaises devraient être égaux en dignité et en droits.

On peut donc conclure que le projet de Constitution proposé par le gouvernement de Kigali est en
flagrante contradiction avec la DUDH ainsi qu'avec l'Accord de paix d'Arusha.

4. Des trois pouvoirs

Au lieu d'envisager la séparation des pouvoirs qui caractérise la vraie démocratie, le projet de
Constitution modèle un pouvoir absolu par et pour un Président omnipotent. Bien que la séparation des trois pouvoirs soit reconnue par le projet de Constitution en son article 61, le texte comporte un grand nombre de dispositions qui font une confusion de régimes et des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire au profit du Président de la République. Nous sommes en face d’un régime «présidentiel» et non «semi-présidentiel» comme l’indiquent les rédacteurs du projet.

4.1. Concernant le pouvoir exécutif

Tout d'abord l'article 99, alinéa 1 stipule que: "Le Président de la République est élu au suffrage
universel direct et secret à la majorité relative des suffrages exprimés."
. Ceci constitue un véritable revers pour la démocratie. Lorsque les électeurs choisissent entre plus de deux candidats, l’élection du Président de la République à la majorité relative des suffrages exprimés pourrait aboutir à ce que le pays soit gouverné par une personne rejetée par la majorité des électeurs et électrices. Par exemple, en cas de plus de 6 candidats, un candidat qui obtient 15% des suffrages exprimés, alors que ses concurrents ne font que des scores légèrement inférieurs à celui-ci, devient directement le Président de la République! Pour éviter cela, le Président de la République devrait être élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n’est pas obtenu au premier tour, un second tour devrait être organisé entre les deux candidats qui, le cas échéant après retrait de certains candidats, se trouvent avoir receuilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour.

L’article 115 prévoit que le Premier Ministre est choisi, nommé et démis par le Président de la
République. L’alinéa 2 dudit article réserve aussi à ce dernier la prérogative de nommer les autres
membres du Gouvernement sur proposition du Premier Ministre. Même si cette dernière disposition réserve au Premier Ministre le droit de faire des propositions au Président de la République, elle n’atténue pas la domination du Gouvernement par le Président de la République. En effet, le choix des Ministres que le Premier Ministre opère est limité par l’alinéa 4 de l’art. 115 qui stipule que «
les membres du gouvernement sont choisis au sein des partis politiques en tenant compte de la répartition des sièges à la chambre des DéputésToujours dans cet alinéa, d’autres clauses limitent le choix du Premier Ministre. Ainsi, il y est écrit que : «le parti ou la formation politique majoritaire à la Chambre des députés ne peut pas dépasser 50% de tous les membres du Gouvernement

Alors que l'article 116 place le Premier Ministre sous les ordres du Président de la République qui le nomme, et précise que : " Le Gouvernement conduit la politique de la Nation déterminée par le Président de la République en Conseil des Ministres." , une note en bas de page explicite concernant l'article 119 que : " En règle générale, les Constitutions ne prévoient pas le mode de prise de décision du Conseil des Ministres. La politique gouvernementale étant définie par le Président de la République et le Gouvernement étant dirigé par le Premier Ministre sur base de la politique ainsi définie, il ne se conçoit pas que les décisions soient prises au sein du Conseil à la suite d’un vote : le Ministre qui n’est pas d’accord avec le Président ou le Premier Ministre doit démissionner." De quoi donc le Premier Ministre est-il encore responsable devant le Parlement (art 116, alinéa 3) ?

Le projet de Constitution fait une confusion de régimes; il annonce un régime semi-présidentiel mais propose en fait un régime présidentiel. Dans le régime présidentiel, le Président exerce la totalité du pouvoir exécutif et n'a pas besoin de la majorité parlementaire pour gouverner; le gouvernement n’est donc pas responsable devant le Parlement. Dans le régime parlementaire, c’est le gouvernement qui exerce la quasi-totalité du pouvoir exécutif et non le Chef de l’État (Président de la République ou Roi).

Le gouvernement est responsable devant le Parlement; le Premier Ministre a besoin d’avoir la majorité politique au Parlement pour gouverner. Si le Parlement vote une motion de défiance à l'égard du gouvernement, celui-ci doit démissionner de ses fonctions, puis permettre à l'opposition politique officielle de former sans délai un gouvernement, ou décréter la tenue d'élections anticipées, afin que le peuple décide du parti qui gouvernera. Dans le régime semi-présidentiel, le président peut dissoudre une des assemblées du Parlement et le Gouvernement est responsable devant le Parlement. Le Premier Ministre dirige l’action du Gouvernement ; c’est ce dernier qui détermine et conduit la politique de la Nation. Le Premier Ministre est nommé par le Président de la République mais n’est pas démis par lui.

Pour gouverner, le Premier Ministre doit impérativement bénéficier de la confiance de la majorité
parlementaire. C'est pourquoi le Président de la République, qui nomme le Premier Ministre, ne peut désigner à ce poste qu'une personnalité de la même sensibilité politique que la majorité des députés.

Lorsque les électeurs portent au pouvoir une majorité contraire à celle du Président de la République lors dune élection législative, le fonctionnement de l'exécutif est alors marqué par la "cohabitation" entre deux autorités, le Président de la République et le Premier ministre, politiquement opposées car issues d'élections aux résultats divergents.

Nous pensons normalement que, durant les élections, les partis obtiennent les voix en fonction des programmes politiques qu'ils proposent au peuple. Si l'article 59 stipule que: " Le Président de la République, le Président de la Chambre des députés et le Premier Ministre ne peuvent pas provenir d’un même parti politique.", quel est le parti qui répondra, à la fin du mandat, de l'exécution des promesses électorales au peuple en regard du contenu des articles 116 et 119 ci-haut évoqués?

Donc par rapport au Gouvernement, la prééminence du Président de la République prend des allures dictactoriales. Les quelques dispositions telles que relevées ici noient sans équivoque la responsabilité politique du Gouvernement et le réduit à une sorte d’institution des délégués du Président de la République.

Normalement, le Premier Ministre doit être le chef du Gouvernement et issu du Parti ou de la coalition des partis politiques disposant de la majorité au Parlement. Il coordonne l’action gouvernementale. Il est nommé par le Président de la République sur proposition du Parti ou de la coalition des partis ayant obtenu le plus de voix aux élections législatives. Le Président ne peut démettre le Premier Ministre que dans le cas où le Parlement, les deux chambres réunies, lui retire sa confiance.

4.2. Concernant le pouvoir législatif

Dans le présent projet de Constitution, l’article 62 dispose que le pouvoir législatif est exercé par le Parlement composé de deux chambres: le Sénat et la Chambre des députés. Cette introduction du bicaméralisme est appréciable. Il est stipulé en plus que les députés et les sénateurs sont des
représentants de la Nation. Ils n’exercent pas de mandat impératif entre eux et les électeurs de leur circonscription. En théorie, et c’est une innovation, ils ne se déterminent que dans l'intérêt national et non en faveur de certains intérêts particuliers ou de leurs partis politiques respectifs. Mais la liste des innovations s’arrête ici. Ailleurs, la prééminence du pouvoir du Président de la République constitue le scandale absolu qu’introduit ce projet. Ce texte contient de forts éléments présidentialistes et absolus qui subtilisent le peuple de sa souveraineté qui ne pourra élire directement que moins de la majorité absolue (51%) de ses représentants.

Or l’article 107 spécifie que :" Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement du texte définitivement adopté.Toutefois, avant la promulgation des lois, le Président de la République peut demander au Parlement de procéder à une deuxième lecture. Dans ce cas, si le Parlement vote la même loi à la majorité des deux tiers pour les lois ordinaires et des trois quarts pour les lois organiques, le Président de la République doit la promulguer dans le délai prévu à l’alinéa premier de cet article." C'est donc la volonté du Président qui risque toujours de prévaloir sur la volonté du peuple. L’immixtion du Président de la République atteint son paroxysme par la prérogative que lui confère l’article 80 à savoir la désignation des 8 sénateurs sur 24 qui doivent composer le Sénat. A l’instar du Gouvernement, le Sénat devient aussi un club constitué par les commis du Président de la République parce que les 16 sénateurs restants ne sont pas non plus élus, mais désignés. Et, dans les circonstances actuelles, ils sont désignés par d’autres organes dominés actuellement par le FPR, parti de l'actuel Président de la République.

C’est cette Chambre non élue qui détient les prérogatives les plus importantes. Il doit voter toutes les lois importantes, il désigne et approuve la nomination de hauts fonctionnaires de l’Etat. Et, contrairement à la Chambre des députés qui peut être dissoute par le Président de la République, le Sénat, organe complètement dévoué au Président de la République, ne peut pas être dissous pour une durée de huit ans. Puis, la puissance de cette institution telle qu’instituée par l'article 106 équivaut à celle de la Présidence de la République, car il est stipulé ici qu'en cas d'empêchement du Président de la République c'est le Président du Sénat qui assure l'intérim.

Dans ces conditions, la mainmise du Président de la République sur le pouvoir législatif est plus qu'une réalité: il nomme directement le Sénat ou indirectement par l'intermédiaire des organes dominés par son parti, il peut dissoudre la chambre des députés et n'est pas politiquement responsable devant le Parlement.

Il faut donc revoir toute ces dispositions afin que le Parlement soit réellement constitué par les représentants du Peuple et exerce les fonctions qui lui sont dévolues par l'article 62 : «Le Parlement élabore et vote la loi. Il légifère et contrôle l'action du Gouvernement dans les conditions définies par la présente Constitution».

Compte tenu des fonctions dévolues au Sénat, les sénateurs doivent être élus au suffrage universel, directement par le peuple ou indirectement par ses représentants issus d’élections transparentes.

4.3. Concernant le pouvoir judiciaire

A l'article 156, il est heureux de constater les efforts tendant à ne pas limiter la compétence juridique aux seuls crimes commis pendant période de l'année 1994. Mais nous comprenons mal comment une institution à caractère temporaire, et de sucroît ne respectant les normes internationales reconnues en matière d’administration de la justice, peut figurer dans une loi fondamentale supposée être de long terme. Cet article stipule: "Il est institué des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions de génocide et des massacres ou d’autres crimes contre l’humanité commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 excepté ceux qui relèvent de la compétence d’autres juridictions tel que prévu par la loi". Par ailleurs, pourquoi créer expressément un service chargé du suivi de leurs activités (article 157) parallèlement au Conseil Supérieur de la Magistrature, l'instance la mieux placée pour assumer cette fonction? Les juridictions Gacaca ne devraient pas être institutionnalisées par une Constitution. Une loi devrait plutôt formaliser plus tard un cadre coutumier de règlement volontaire et à l'amiable pour certaines affaires de la vie courante.

Plus grave encore, les Président et Vice-président de la Cour Suprême sont élus par le Sénat (article 149, alinéa 1) sur une liste établie par le Président de la République. Ceci s’ajoute au danger de noyautage du Parlement par un Sénat dont les membres sont soit nommés, soit élus par des personnes individuelles sans mandat de représentation directe du peuple. On comprend aisément que, dans ces conditions, il est téméraire de prétendre que le pouvoir judiciaire sera indépendant du pouvoir exécutif (article 140, alinéa 2).

Toujours dans ce domaine, le présent projet de Constitution rend difficile l'accès du citoyen à la justice en mettant entre celui-ci et les juridictions de base le «conseil des conciliateurs». Ce projet de Constitution nous retourne à l'âge de la pierre taillée et fait fi de la réalité d'un Rwanda d'après 1994.

En effet, en instituant les «comités de conciliateurs» qui deviennent l'instance judiciaire de base et qui est la voie juridique obligatoire, le Rwanda institutionnalise la justice au rabais et ouvre la porte à toutes formes d'intrigues et de délation. Ce genre de dispositions qui tendent à limiter l'accès du citoyen à la justice doivent être supprimées.

Se référant aux articles 7 et 26, le projet de constitution semble vouloir consacrer l'impunité de certains citoyens rwandais ou rwandophones. Aux termes de l'article 7, la nationalité rwandaise est accordée à toute personne persécutée à cause de son origine rwandaise. En plus des problèmes politiques énormes que cette disposition assez floue peut entraîner du point de vue judiciaire, elle introduit aussi une situation aux conséquences dramatiques. Il suffit en effet qu'un criminel rwandophone déclare qu'il est menacé à cause de son origine rwandaise pour avoir la nationalité rwandaise et ne jamais plus être extradé en vertu de l'article 26. Quand on connaît le nombre très élevé de rwandophones dans les pays voisins du Rwanda, cela devient une menace réelle pour la sécurité et la paix dans toute la sous région.

5. Des pouvoirs décentralisés.

Institutionnaliser un Conseil de dialogue national (art. 173) nous semble être une pure diversion. En effet, la composition de ce Conseil nous rappelle celle des personnes qui devaient participer au Congrès national du MRND d'avant 1991. En quoi ce Conseil diffère-t-il des autres Conseils institués au titre IX de ce projet de Constitution ? C'est simplement du folklore constitutionalisé, car ce soi-disant Conseil national de dialogue n'a aucun pouvoir décisionnel.

6. Des commissions et autorités spécialisées.

L'inscription d'une multitude de commissions dans un texte constitutionnel est, à notre avis, une
démarche délibérée, de torpiller à l'avance l'effort de réflexion dont le prochain Parlement devra faire preuve afin de doter le Rwanda de lois adaptées à toutes les situations. En effet, l'on peut se demander l'opportunité de la création de toute une multitude de commissions alors que le Parlement prévoit aussi d'en créer d’autres en son sein. En plus, toutes choses restant égales par ailleurs, l'on peut se demander pourquoi les concepteurs de ce texte n'ont pas pensé à la création d'une Commission Nationale Vérité et Réconciliation, dont les travaux pourraient aider les Rwandais à mieux comprendre et qualifier les cycles de violences qui endeuillent le Rwanda depuis des siècles!

7. Conclusions et Recommandations

Eu égard à ce qui précède, le projet de Constitution tel qu'il est présenté, consacre la prééminence du Président de la République face à tous les pouvoirs de l’Etat : exécutif, législatif et judiciaire. Il est omniprésent à tous les trois niveaux par le biais de ses représentants qu'il nomme lui-même ou que sa mouvance élit. Le Peuple n'exerce pas sa souveraineté politique par l'intermédiaire des représentants qu'il élit. Le présent projet de constitution bafoue donc le principe fondamental de toute République qui est le «gouvernement du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple».

Cette omniprésence totalitaire, et surtout la puissance que certaines dispositions confèrent au Président de la République et dont quelques unes ont été relevées ici, déséquilibre dangereusement le système institutionnel; ce qui, à la longue, ne peut que générer des frustrations.

Ainsi donc, même si le projet de Constitution prévoit les trois pouvoirs ainsi que les différentes institutions y afférentes, le pouvoir est en fait concentré dans les mains d'un seul homme fort: le Président de la République. Et c'est ce seul homme providentiel qui indique les conditions dans lesquelles ses délégués exercent le pouvoir de l’Etat. Nous sommes en face de la confiscation de la souveraineté du Peuple. Nous sommes en fait en face d'un régime présidentiel consacrant l'instauration d'un monocéphalisme dans la gestion du pouvoir. C'est principalement à ce niveau, en tenant aussi compte de l'étouffement des partis politiques et de la non-reconnaissance de l’opposition politique officielle au sein du Parlement, qu'il faut situer son caractère liberticide et anti-démocratique.

C'est pourquoi pour élaborer un projet de Constitution à présenter au référendum populaire, il faut que soit trouvée une méthode qui ne marginalise pas les avis de ceux qui, politiquement, pensent autrement que le régime en place. Sinon, l'article 2 qui stipule que: «Tout pouvoir émane de la Nation. Aucune partie du Peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. La souveraineté nationale appartient au Peuple qui l'exerce par ses représentants ou directement par la voie du referendum» ne serait que théorique.

Le projet de constitution à soumettre au referendum du Peuple doit être neutre en terme de polarité politique et il faut éviter qu'il soit élaboré en fonction de ceux qui veulent se maintenir au pouvoir.

Vu la volonté du Peuple rwandais de quitter de façon démocratique et cela le plus vite possible cette transition qui a trop durée, considérant le point de vue de l'opposition démocratique intérieure et extérieure, en prenant solennellement compte de la société civile, le RDR trouve que le meilleur procédé qui permettrait de respecter le principe fondamental de la souveraineté politique du Peuple serait la mise en place d'une Assemblée Constituante hautement inclusive ayant pour mission, indépendamment des tenants du pouvoir, d’élaborer librement un nouveau projet de Constitution devant régir le Rwanda.

L’objectif stratégique doit être celui d’éviter la guerre en nous engageant dans un combat d’idées qui visent avant tout le remplacement paisible du mal par le bien! Le peuple rwandais a trop souffert de la violence institutionnelle! Au lieu de ruser pour survivre, notre pays doit devenir réellement une République capable de peser de tout son poids les forces morales acquises des tragiques leçons du génocide et de son histoire. Ceci constitue aussi, de nouveau, un cas de test et de conscience pour la communauté internationale!

Pour le RDR

Madame Victoire Ingabire Umuhoza

Présidente du RDR