[ Le FPR et ses HUTUS de service: Dr. J.B. MBERABAHIZI témoigne

 

"... DHR]: Fri, 29 Jul 2005 18:19:12 +0200 (CEST)
 
Cher Shyirakera,
 
  1. Au risque de vous décevoir, peut-être, eh bien non, je ne suis plus membre du FPR. En fait, il n’a jamais vraiment considéré que j’en étais un. Les gens comme moi étaient et sont toujours cloisonnés. C’est-à-dire que même lorsqu’ils sont en position élevée dans la hiérarchie de la direction du FPR, ils ne participent pas à la planification stratégique. On leur colle des doublures et ils ne sont associés qu’au niveau des opérations. Et même dans ces cas, ils reçoivent uniquement les informations dont ils ont besoin pour exécuter les tâches que des gens, parfois sensés être placés sous leur autorité et donc subalternes, leur ont assignées.

 

  1. La méthode de cloisonnement elle-même est utilisée partout ailleurs dans le monde et quelle que soit l’époque. Ce n’est pas cette méthode que je mets en accusation. Ce qui pose problème dans les méthodes de travail du FPR, c’est que le cloisonnement n’est pas fonctionnel ou opérationnel, il est sectaire.

 

  1. Premièrement, par exemple, pendant les années de guérilla, de 1990 à 1994, après la mort de Fred RWIGEMA, le président du FPR était KANYARENGWE Alexis. A ce titre, comme RWIGEMA, il aurait du être en même temps  commandant en chef de l’APR. En bien non, « on » lui a collé un vice-président. Déjà ! Devine qui ? Paul KAGAME, justement. Et c’est le vice-président qui était commandant en chef de l’APR ! C’est le vice-président et non le président qui dirigeait le Haut Commandement de l’APR. La raison est simple. Les éléments sectaires du FPR ne lui faisaient pas confiance. Ils l’employaient, c’est tout. Le but de cette manœuvre était de donner une image nationale au FPR. Un truc du genre : « voyez, notre président est Hutu. Comment peut-on dire que le FPR est un mouvement tutsi ou tutsisant ? ». Et voilà, le tour était joué. Une simple tactique de communication.

 

  1. Deuxièmement, KANYARENGWE était détesté par la majorité des dirigeants des régions. Et donc par la majorité des membres du comité central et plus tard du bureau politique (après la réforme de 1993). La raison est qu’il s’était fait des ennemis parmi les réfugiés et une réputation d’élément anti-tutsi à cause de son rôle dans la guerre de 1963-1968 contre les « Inyenzi ». Cette épée de Damoclès était constamment brandie au-dessus de sa tête pour le tenir en respect. Il fallait qu’il accepte son rôle d’instrument de relations publiques sans broncher. Ca s’appelle du chantage. En Anglais, on l’appelle « blackmail ». Cette tactique est utilisée constamment. C’est ainsi que BIZIMUNGU Pasteur a été désigné président de la république en lieu et place de Seth SENDASHONGA. Parce que BIZIMUNGU P. était accusé d’avoir participé aux pogroms anti-tutsi qui ont précédé le coup d’Etat de 1973. C’est également ainsi que des GATSINZI Marcel est employé, comme ministre de la défense. C’est ainsi que RUCAGU B. est employé comme Préfet. Ou encore BAZIVAMO comme vice-président du FPR. Ou encore MUKEZAMFURA comme président de la chambre des députés. On peut multiplier les exemples à l’infini.

 

  1. Pendant toute la période où Bizimungu était président, il n’était généralement pas au courant des négociations et décisions prises par le vice-président au nom de l’Etat rwandais. Kagame est même allé jusqu’à négocier et signer avec Linda Chocker, à l’époque secrétaire d’Etat britannique chargée du développement international (entendre les relations avec les pays du tiers monde) le « Memorandum of Understanding » sur lequel toute la coopération entre le Royaume-Uni et le Rwanda est fondée jusqu’à présent. Ce document ne porte aucune contre-signature du ministre des affaires étrangères, qu’était à l’époque Anastase GASANA. C’est ainsi que sont conduites les affaires publiques sous le FPR.

 

  1. Ceux qui ont refusé ces méthodes de travail ont été assassinés ou se trouvent en prison. Le capitaine MUVUNANYAMBO, qui est le seul officier Hutu sorti des gêole en janvier 1991 à avoir obtenu un poste de commandement d’une unité combattante (commanding officer), a été assassiné quelques mois après sa prise de fonction. Aucune enquête évidemment n’a été conduite à ce jour. Aucun procès n’a eu lieu et sa veuve n’a pas été indemnisée. C’est ainsi que le major (puis colonel) LIZINDE n’a jamais eu de fonction militaire à proprement parler au sein de l’APR parce qu’on se méfiait de lui. Plus tard, il a été assassiné à Nairobi. De même, Seth SENDASHONGA n’a été ministre que pendant une année. Ensuite, après un attentat manqué commis par Francis MUGABO, un officier du DMI, opérant sous la couverture de diplomate au Kenya en 1996, il a été assassiné en 1998 à Nairobi. C’est ainsi que le Col. BISERUKA est en prison depuis qu’il a montré sa désapprobation des massacres commis à Gisenyi, au nom de la contre-insurrection menée contre les « infiltrés ». C’est pourquoi je considère que je suis très très chanceux d’être encore en vie ! Enfin, jusque-là !

 

  1. J’ai compris toutes ces manœuvres en octobre 1992. Lorsque j’ai rencontré presque tous les officiels du FPR réunis à ce moment-là en comité exécutif à BUNGWE, pour préparer les négociations sur le partage du pouvoir. Mon entretien avec KANYARENGWE a eu lieu en présence permanente du Maj. Geoffrey BYEGEKA, son soit-disant conseiller spécial pour le Rwanda, à l’époque. Il ne nous a pas quittés une seconde. Il a même déjeuné avec nous. A l’inverse, pour comprendre ce qui se passait alors, mon entretien avec Paul KAGAME, a eu lieu en tête-à-tête. Même James KABAREEBE, qui était son aide de camp n’y a pas assisté. Il était à l’extérieur. Ce n’est qu’avec lui que j’ai déjeuné. C’est ainsi. Paul KAGAME est si mal éduqué qu’il ne m’a même pas offert un déjeuné avec lui. Il recevait tout de même le secrétaire national d’un parti opérant en zone « ennemi » ! Qui avait donc pris de très gros risques en venant en zone rebelle. Et qui était sensé y retourner. Ce qui s’est d’ailleurs passé exactement comme ça. Mais, au delà de cela, tout Rwandais bien élevé sait qu’on partage toujours un repas avec son (ses) visiteur(s).

 

  1. Pour toutes ces raisons, en 1993, lorsque je suis retourné en zone FPR, j’y étais sur l’initiative de mon parti pour y mener des tâches spécifiques et non sur invitation du FPR. Lorsque j’ai été interrogé par le DMI à Karama, j’ai d’ailleurs affirmé que je me considérais toujours comme membre et dirigeant du PSR et non comme un membre du FPR. L’explication que j’ai alors donnée aux officiels du FPR  était que le FPR était un front. Qu’à ce titre, il comprenait plusieurs tendances. Des monarchistes, des républicains, des sociaux-démocrates et même des gens qui se disaient marxistes ou communistes en faisaient partie. Qu’il était difficile de savoir quelle était la direction principale de ce front. Qu’il y avait des risques d’ailleurs que des éléments tutsisants ou même tutsistes prennent la direction de ce front et que dans ces conditions, il était préférable qu’il y ait coopération. Une simple alliance en somme. A titre de comparaison, je leur ai expliqué que le PC sud-africain a coopéré sur ces bases-là avec l’ANC et que certains de ses officiels étaient même dirigeants de l’ANC. Chris HANI, qui était commandant de la branche armée de l’ANC « UMUKONTO » et cela jusqu’à son assassinat, était par exemple membre du PC sud-africain.
  2. De plus, je n’ai d’ailleurs jamais demandé à adhérer au FPR et je n’ai jamais eu de carte de membre. Je n’ai donc jamais prêté serment. En réalité, je n’ai jamais été membre du FPR. Je ne me considérais pas comme membre du FPR et d’ailleurs lui non plus ne me prenait pas vraiment pour un de ses membres.  C’est sans doute pour cela qu’en août 1994, lorsque j’ai écrit au président du FPR pour lui signifier que je reprenais mes fonctions au sein du PSR, il n’y a pas eu d’opposition. Et que c’est en tant que dirigeant du PSR que j’ai négocié avec les ministres Patrick MAZIMPAKA et Joseph KAREMERA et signé le Protocole sur la mise en place des institutions de transition du 24 novembre 1994. Et que donc c’est à ce titre-là que j’ai siégé à l’Assemblée Nationale de Transition jusqu’à mon départ volontaire en exil, le 28 avril 1997.

 

Je ne suis donc pas membre du FPR puisqu’en réalité je ne l’ai jamais vraiment été. J’espère vous avoir répondu clairement."

 Dr J.Baptiste MBERABAHIZI