"Ecrasante apparaît ici la responsabilité du Rwanda, qui, au nom de sa sécurité, au nom même du génocide dont il fut victime, a été jusqu'à occuper les zones névralgiques du Congo pour faire main basse sur le diamant et le coltan, mortel « or gris » nécessaire aux technologies modernes. Ecrasante, la responsabilité de l'Ouganda, à la recherche de nouvelles ressources. Ecrasante, celle des Etats-Unis, animés d'une mission à long terme, à la fois géostratégique et économique - les réserves pétrolières de la région. Ecrasante, celle des multinationales, guidées par la recherche de nouveaux horizons, et celle des institutions financières internationales, supplétives des intérêts nord-américains. Ecrasante, enfin, la responsabilité du monde des puissants, pour qui le Congo n'est plus qu'un champ de bataille parmi d'autres, alors qu'il apparaît clairement comme tout autre chose : un baril de poudre."

CLAIRE BRISSET

Le Monde diplomatique
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>  MAI 2003      > Page 31

 

PILLAGES, MEURTRES DE MASSE, DÉPEÇAGE DU CONGO

L'Afrique des Grands Lacs oubliée

Les grands connaisseurs de l'Afrique centrale et de ce qui s'y joue pour l'équilibre du monde sont rares. Colette Braeckman est de ceux-là, et son nouveau livre (1) jette une lumière crue sur la tragédie qui s'y déroule sous nos yeux.

Les acteurs de ce drame y sont, pour certains d'être eux, présents depuis longtemps, d'autres sont apparus récemment à la faveur des retournements d'alliance, des assassinats, des interférences entre visées à longue portée et intérêts à court terme, le tout contribuant à brouiller l'analyse. A la lecture de ce livre, où se mêlent observation directe, témoignages bouleversants et interprétation lucide des faits, l'écheveau se dénoue. Mais le monde, occupé par d'autres drames, se détourne du tourbillon des Grands Lacs. Tout se passe, écrit Colette Braeckman, « comme si le souvenir du génocide au Rwanda en 1994 éclipsait désormais toute autre image de l'Afrique centrale, comme si l'histoire s'était arrêtée sur ce plan fixe, au summum de l'horreur ».

Et pourtant... La prise du pouvoir, au Rwanda, par une équipe préoccupée tant par la sécurité du pays que par l'extension territoriale vers le Kivu congolais ne doit rien au hasard. A la faveur des soubresauts suscités par le génocide rwandais, se sont fait jour aussi bien les appétits immédiats des « voisins » du Congo - le Rwanda, l'Angola, le Zimbabwe, l'Ouganda, et même la Namibie ou l'Afrique du Sud - que la stratégie à long terme des Etats-Unis et de leurs « fondés de pouvoir » : le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.

Premier obstacle à faire sauter : Laurent-Désiré Kabila. utilisé en 1997 pour renverser le maréchal Mobutu et cautionner le dépeçage du Congo, il déçoit cruellement les commanditaires du plan par sa détermination à s'émanciper de ceux qui l'avaient porté au pouvoir. Il convient donc de l'éliminer, et son assassinat, en janvier 2001, fut organisé par des hommes de main aux ordres des voisins déçus, avec la bienveillance des Etats-Unis et la complicité d'une myriade de groupes mafieux : libanais auxquels Kabila avait retiré le monopole du diamant, ex-mobutistes nostalgiques, angolais, katangais, etc.

Sitôt le père disparu, les prédateurs font le siège du fils, notamment les Zimbabwéens et les Angolais, qui font bloc autour du jeune Joseph Kabila, immédiatement adoubé par Washington. C'est alors que, les observateurs extérieurs revenant dans le pays, chacun peut mesurer l'immensité du désastre humanitaire qui a accompagné tous ces bouleversements. Deux à trois millions de morts ? qui le saura jamais ? Des parties entières du pays ont été livrées au pillage systématique des armées étrangères et de leurs supplétifs locaux, des pans entiers de l'économie ont été démantelés. C'est une nation entière qui s'est trouvée - qui se trouve toujours - mise à sac par ce que Colette Braeckman appelle par antiphrase « une crise de basse intensité », c'est-à-dire, ajoute-t-elle, « de basse publicité ». Ni pétitionnaires, ni images atroces, rien, le silence, mais celui des cimetières, ces cimetières remplis de cercueils confectionnés à l'aide des bancs des écoles, car, dans ce pays, « les morts sont mieux traités que les vivants ».

Ecrasante apparaît ici la responsabilité du Rwanda, qui, au nom de sa sécurité, au nom même du génocide dont il fut victime, a été jusqu'à occuper les zones névralgiques du Congo pour faire main basse sur le diamant et le coltan, mortel « or gris » nécessaire aux technologies modernes. Ecrasante, la responsabilité de l'Ouganda, à la recherche de nouvelles ressources. Ecrasante, celle des Etats-Unis, animés d'une mission à long terme, à la fois géostratégique et économique - les réserves pétrolières de la région. Ecrasante, celle des multinationales, guidées par la recherche de nouveaux horizons, et celle des institutions financières internationales, supplétives des intérêts nord-américains. Ecrasante, enfin, la responsabilité du monde des puissants, pour qui le Congo n'est plus qu'un champ de bataille parmi d'autres, alors qu'il apparaît clairement comme tout autre chose : un baril de poudre.

CLAIRE BRISSET.