Rwanda
Kigali : la modernisation effrénée chasse les pauvres de
la ville
(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Kigali, la capitale rwandaise, se modernise à toute
allure, en particulier le centre-ville et les quartiers résidentiels. Mais les
collines populaires sont laissées pour compte et les pauvres, chassés de leurs
habitations précaires, n'ont plus leur place dans la cité.
Impeccable. La route qui mène de l'aéroport au centre-ville de Kigali, la
capitale rwandaise, a de quoi impressionner les visiteurs : 12 km de quatre
voies séparées par un terre-plein engazonné planté de centaines de palmiers.
Elle débouche sur un rond-point fleuri bordé de hauts immeubles flambant neuf
aux vitres bleutées.
Prenons une des avenues qui partent de ce grand carrefour et mènent aux
différentes collines qui constituent la ville où habitent la plupart des
Kigalois. Arrêt sur l'une d'elles. Sitôt quittés le goudron puis la piste
principale en terre qui dessert le quartier, il vaut mieux être sportif et en
baskets pour atteindre les maisons situées en contrebas, surtout un jour de
pluie. Il faut emprunter des sentiers étroits et pentus, boueux et glissants,
en s'accrochant aux haies des clôtures pour descendre ou remonter, non sans
mal si on est chargé. Sans lumière, sauf celles des maisons quand
l'électricité n'est pas coupée. De nombreux quartiers populaires sont
desservis par des pistes défoncées où les voitures ne s'aventurent pas et
accessibles seulement aux motos.
Le centre-ville méconnaissable
Au centre-ville, ne subsistent plus que quelques rues bordées de petites
maisons basses, aujourd'hui surplombées d'immeubles de 10 étages. Ces
habitations sont les derniers vestiges de ce qu'était le cœur de Kigali
jusqu'aux années 90. Comme les autres, elles sont vouées à disparaître
prochainement, au profit de nouvelles constructions qui doivent impérativement
avoir au moins trois étages. Le marché central, fermé depuis 2004, a été
remplacé par de petits marchés construits dans différents quartiers. Les
kiosques qui l'entouraient ont été démolis. Seuls les plus aisés des Kigalois
peuvent aujourd'hui faire leurs courses au centre, surtout dans la galerie
marchande grand chic récemment ouverte non loin de là.
Les habitants pauvres délogés
Pour moderniser la capitale qui, jusqu'en 1994, était encore une petite ville
et qui compte maintenant près d'un million d'habitants, les autorités
gouvernementales et municipales mettent en œuvre un nouveau plan de
lotissement, le projet d’infrastructure et de gestion urbaine (PIGU). C'est
ainsi que, depuis 2001, des milliers d'habitants pauvres des quartiers
d'habitations précaires, qui avaient poussé sans plan d'urbanisme lors du
retour massif des réfugiés au lendemain du génocide, ont vu leurs maisons
rasées. Ces dernières font place peu à peu à des lotissements résidentiels ou
les terrains sont attribués à des opérateurs économiques pour des aménagements
commerciaux ou touristiques.
La plupart des expulsés ont du aller s'installer à des kilomètres du centre.
C'est le cas de Mathieu Karamaga, un sexagénaire qui habitait Nyabugogo, un
quartier situé à la porte sud de Kigali. Ce père de sept enfants vit
actuellement avec sa famille dans une nouvelle agglomération, à Kinyinya, à
une trentaine de kilomètres de la capitale. "Cela fait des années ! La
municipalité n’a toujours pas tenu sa promesse de nous reloger correctement en
nous payant nos indemnisations" , dénonce-t-il amer. "Les gens sont délogés de
chez eux, mais ne sont pas relogés par la ville. Cette situation a créé des
désastres", déplore pour sa part Abdallah Mugabushaka, un jeune homme d’une
trentaine d'années, commerçant ambulant.
Cyriaque Gakuba, un homme de 76 ans qui, depuis l’époque coloniale, habitait
un des quartiers en cours de démolition dit "Kiyovu pauvre" (car il existe
celui des riches), en plein centre de Kigali, a été contraint de céder
l’unique parcelle urbaine qui restait en sa possession. "Je n’imaginais pas
que la situation pouvait dégénérer ainsi, raconte Gakuba qui est karaningufu
(transporteurs des bagages pour les passants). Je n’ai plus de place dans la
ville, car nous avons été destitués de toutes les parcelles en notre
possession."
"Lors du délogement, chaque ménage reçoit une compensation dont la somme varie
en fonction de l’état de chaque infrastructure" , précise, pour sa part, le
maire de la ville de Kigali, Aissa Kirabo Kakira. Toutefois la plupart des
ménages n’ont pas su gérer les sommes qu'elles ont reçues, ajoute-t-elle, en
reconnaissant toutefois qu'un effort supplémentaire devrait être fait pour les
reloger.
Dans certains quartiers, comme à Nyarutarama, à Kibagabaga, où à Kagugu, des
centaines d’habitations décentes, des immeubles à étages, construits en
briques de fabrication locale, ont certes été construits, mais leur nombre est
insuffisant pour reloger les 100 000 familles que la municipalité a décidé
d'exproprier des quartiers informels. Certains fonctionnaires vont cependant
pouvoir accéder à la propriété grâce à des prêts. Environ 250 personnes ont
bénéficié de crédits logement en 2006. "Ce nombre devrait augmenter au cours
de 2007", précise Gervais Ntaganda, directeur général de la Banque de
l’habitat au Rwanda (BHR).
"Nous voulons rénover l'image de la ville avec des infrastructures qui
répondent aux normes d'une urbanisation moderne", explique Aissa Kirabo Kakira.
Une modernité bien pensée pour les plus riches habitants de la ville, mais qui
exclut les pauvres de la cité.