ICTR-99-54A
Rapport établi
par Nkiko NSENGIMANA
Docteur
ès Sciences Politiques
1.
Evoquer
les raisons qui ont conduit le Président Habyarimana à accepter le
multipartisme.
2.
Décrire
le climat prévalant entre les partis politiques, particulièrement entre le
MRND, MDR, FPR.
3.
Evoquer
les raisons qui ont conduit aux Accords d’Arusha, au protocole d’entente
entre les partis politiques, à la répartition des portefeuilles ministériels
et à la représentation régionale au sein du Gouvernement.
4.
Evoque
le climat de terreur au Rwanda entre avril et juillet 1994.
5.
Identifier
les objectifs et définir la notion de complice dans le contexte rwandais de
1994.
6.
Evoquer
la Constitution applicable en 1994 et indiquer si elle a été effectivement
appliquée.
7.
Dire
si le génocide a été planifié et s’il pouvait être évité.
Dans
le but de faciliter au Tribunal une bonne compréhension des aspects me soumis
et vu que tous éléments d’éclairage requis n’étaient pas nécessairement
liés, j’ai cherché à mettre ensemble les éléments semblables, et dans
la mesure du possible, j’ai présenté les faits d’une manière
diachronique. Je n’ai donc pas développé les points dans l’ordre du
cahier des charges. Et quand la question ne précisait pas concrètement le
cadre, j’ai essayé de lui en imprimer. D’ores et déjà, je ne prétends
pas avoir épuisé l’analyse de tous les objets sur lesquels le Tribunal
voudrait des clarifications plus exhaustives. Aussi espéré-je que la phase
orale me permettra d’élucider davantage tel ou tel aspect qui lui paraîtra
partiel, voire controversé.
Aussi
dans un premier titre, aborderai-je la question générale de l’ouverture au
multipartisme au Rwanda et mettrai en exergue les déterminants internes et
externes. Dans un deuxième titre, je décrirai le climat prévalant entre les
partis politiques par la présentation de la configuration politique, les
relations entre les partis dominants ainsi que les fruits importants qu’ils
ont récoltés dans la compétition politique. Ces partis sont le MRND, le MDR
et le FPR. Dans un titre troisième, j’aborderai la question du protocole
d’entente entre les partis politiques participant au gouvernement du 16
avril 1992. Dans cette partie, ce sont les mobiles à l’origine du protocole
d’entente, les clauses majeures dudit protocole et la répartition des
portefeuilles ministériels qui seront retenues.
Le
titre quatrième privilégiera l’aspect de la répartition régionale des
ministères sous la deuxième République. Après en avoir élucidé les
mobiles, une présentation sous forme de tableau statistique sera effectuée.
Le titre cinquième développera les raisons à la base de l’Accord de Paix
d’Arusha. Les raisons internes et les raisons externes seront à tour de rôle
examinées. Le titre sixième a décrira le climat prévalant entre avril et
juillet 1994. Pour effectuer une telle description, il sera nécessaire de
faire un flash back sur le climat de peur et de blocage visible avant avril
1994 à la suite de quoi le climat de terreur pendant les cent jours du jour
du génocide sera situé. Le titre septième analysera la notion de complice,
notion qui a connu une mutation progressive au cours de la guerre et du génocide.
Quatre étapes d’utilisation différente du terme seront sériées : la
période d’octobre 1990 à juin 1991, la période de juin 1991 à octobre
1993, celle d’octobre 1993 au 6 avril 1994, enfin celle du 6 avril à la
prise du pouvoir par le FPR en juillet 1994.
Le
titre huitième abordera la question du régime constitutionnel applicable dès
le 6 avril 1994. Pour ce faire, je montrerai d’abord comment la situation
dans laquelle le Rwanda se trouvait était inédite. J’analyserai ensuite
les articles de la Constitution du 10 juin 1991 et ceux de l’Accord d’Arusha
indiquant la procédure à suivre. Enfin, au vu des dispositions
constitutionnelles, je trancherai la question. Dans un ultime titre, je développerai
la question complexe et polémique de la planification du génocide. Je dirai,
dans un premier temps, ce que le génocide tutsi n’est pas. Dans un deuxième
temps, je dirai ce qu’il est. Enfin, j’aborderai la question de savoir si
le génocide aurait pu être évité.
Ma
conclusion reviendra sur les faits majeurs qui caractérisent l’histoire immédiate
rwandaise, à savoir la démocratie, la guerre et le génocide. Elle
interpellera l’auguste Tribunal sur son rôle dans la réconciliation.
Le
multipartisme au Rwanda s’est exercé dans un contexte spécifique : la
guerre. Le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre
commis au Rwanda de 1990 à 1994 et au-delà s’inscrivent dans un contexte
politique de crise particulier : l’ouverture au multipartisme et la
guerre. Si le deuxième élément s’est greffé sur l’autre, il n’en
reste pas moins qu’il a accéléré le premier, en même temps qu’il l’a
vicié. Démocratiser en situation de guerre, la gageure impossible. On ne
peut donc pas parler de l’un sans évoquer l’autre. Aussi tenterai-je dans
ce premier titre d’en élucider les déterminants internes et externes qui
les ont rendu possible.
1.
LES
DETERMINANTS INTERNES.
Quels
sont les déterminants internes majeurs qui ont amené au multipartisme ?
Si vous me permettez, j’en recenserais
principalement cinq : le régionalisme,
l’ethnisme latent, l’émergence de l’opposition interne et la perte des
soutiens, la pauvreté du monde rural, la guerre.
a.
Le
régionalisme ou le conflit nord-sud.
La
prise du pouvoir par coup d’état du Général Habyarimana en 1973 a inauguré
un processus de marginalisation politique, voire d’élimination physique, de
l’élite du sud du pays. Cette élite est restée, durant le long règne de
Habyarimana, sous-représentée dans les hautes sphères politiques,
administratives et militaires du pays. Les projets de développement agricole
financés gracieusement par la Banque mondiale et le Fonds européen de développement
se sont concentrés au nord du pays (3 préfectures), laissant au sud (7 préfectures)
quelques miettes. Il en est de même dans l’accès à l’école où le sud,
par l’invention d’associations des parents d’élèves et la création
d’écoles privées peu coûteuses, a su conserver le niveau d’instruction
des enfants.
Vers
la fin de l’année 1990, le pouvoir rwandais était aux mains d’une petite
minorité hutu «akazu » de la région du Bushiru. Pour l’opposition
politique, essentiellement hutu du sud, le FPR était considéré comme un
allié de taille dans le combat contre le régime Habyarimana[2].
L’opposition était donc favorable au retour des réfugiés et au partage du
pouvoir. Même aujourd’hui, après près d’une décennie d’exil,
l’appartenance commune à l’ethnie hutu ne constitue pas un élément fédérateur
susceptible de rassembler la « communauté hutu » et de faire
cause commune dans la lutte politique contre le régime de Kigali pourtant
accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre contre leurs
parents hutu. Signe que le contentieux nord-sud n’a pas encore été vidé.
b.
L’ethnisme
latent.
Le
règne de Habyarimana coïncide aussi avec une certaine «dormance » du
problème ethnique hutu-tutsi. En effet, le Président Habyarimana a dû
compter sur l’alliance avec l’élite commerciale tutsi pour se stabiliser.
Au niveau interne, l’antagonisme hutu-hutu, reflet du problème nord-sud,
jusqu’au déclenchement de la guerre en 1990 par le FPR, voire plus tard, était
de loin plus inquiétant que le problème hutu-tutsi. Que l’on prenne la précaution
de lire la presse de cette époque, on découvrira que la question ethnique était
absente. J’avancerais même qu’elle était en train de s’estomper[3].
On trouvait dans la cour rapprochée du Président plus d’élites tutsi que
de hutu du sud. Alors qu’on comptait plusieurs détenus politiques hutu, il
n’y avait pas de détenu politique tutsi, cela jusqu’à l’éclatement de
la guerre.
Au
niveau populaire, comme les tutsi habitaient tous pratiquement le sud, il
n’existait pratiquement plus de signe visible de ségrégation entre hutu et
tutsi. Tous étaient confrontés de manière égale aux problèmes de la
pauvreté, de l’exiguïté des terres, de l’accès aux soins et à l’éducation.
Au contraire des solidarités sociales à travers les mariages, la
constitution des coopératives de toutes sortes, la création d’associations
de parents d’élèves étaient progressivement créées. Au niveau national,
les tutsi étaient marginalisés plus à cause de leur origine régionale que
de leur identité ethnique. Au niveau local, il n’existait pas de
contentieux ethnique palpable. Cela pour dire que jusqu’à l’éclatement
de la guerre en 1990, l’ethnisme est resté latent et confiné au niveau des
élites politiques.
Le
FPR a attaqué le pays au moment où le problème ethnique était en train de
s’estomper devant la montée des revendications sociales (paysannerie) et la
contestation du leadership du nord (régionalisme). Il s’agissait d’une
phase d’intégration terminale, phase sociologiquement fragile par
excellence. En recrutant presque exclusivement ses troupes dans les rangs
tutsi de l’intérieur, le FPR a fissuré un échafaudage de cohésion
interne qui n’avait pas encore atteint son niveau d’équilibre stable. Les
démons de l’ethnisme ont alors été réhabilités et pouvaient faire
valoir, à tort bien sûr, que les tutsi de l’intérieur constituaient la
cinquième colonne de la rébellion. Les temps de guerre ne sont pas ceux où
la raison prévaut : l’espace est accaparé par les radicaux.
c.
L’émergence
de l’opposition interne et la perte des soutiens.
En
1983, se passe un événement politique et judiciaire important qui
bouleverse la donne politique alors consensuelle. Le ministre des affaires
sociales, Félicien Gatabazi, est accusé de détournement de biens destinés
aux réfugiés. Il est écarté du gouvernement et mis en prison. M. Gatabazi,
dans la subtile répartition géographique des postes ministériels et de la
haute administration[4],
était comme l’un des principaux leaders du sud[5]
du pays. D’autres leaders de la même trempe, à savoir Madame Félicula
Nyiramutarambirwa[6]
et Frédéric Nzamurambaho sont aussi évincés. L’opposition, alors latente,
des gens du Sud qui avait difficilement digéré le coup d’Etat de 1973 et le
sort tragique réservé aux élites politiques de la première République,
s’exprime désormais de manière ouverte.
Il
est communément admis qu’un pouvoir tombe davantage à cause de la perte des
soutiens et de la loyauté que de la force de l’opposition à laquelle il est
confronté. Dans le cas du Rwanda, l’on peut constater que le régime a
commencé à battre de l’aile depuis 1985 avec la crise caféière. A la fin
1989, il était complètement essoufflé qu’une journaliste belge de la
« Libre Belgique » publia un article au titre prophétique annonçant
la fin du régime[7].
Avec l’effritement catastrophique des prix du café dès 1985 qui induisit une
diminution drastique des recettes de l’Etat,[8]
ajouter à cela les mesures draconiennes d’ajustement structurel du Fonds Monétaire,
le pouvoir ne dispose plus de ressources financières pour entretenir sa
nombreuse cour et les clients gravitant autour.
Le
cercle des fidèles se réduit alors considérablement créant une opposition
nouvelle au sein même du régime. La crise économique s’accentuant,
l’alliance scellée entre le pouvoir et l’élite commerciale tutsi commence
elle aussi à fléchir. Cette élite n’arrive plus, en effet, à trouver les
ressources afin d’assumer sa contrepartie dans ladite entente[9].
Il convient aussi d’ajouter que ces ressources sont devenues d’autant plus
limitées qu’elles commençaient déjà à financer l’effort de guerre de la
rébellion[10].
La
contestation politique devient plus manifeste. A l’opposition traditionnelle
alors latente composée de l’élite méridionale se greffe une autre, née du
fait que le pouvoir ne pouvait plus entretenir les nombreux cercles
concentriques de soutien. Le groupe politique du Nord, véritable détenteur du
pouvoir, n’est plus cohérent en lui-même. On assiste à des rivalités
fortes entre l’élite politique de la préfecture de Gisenyi, région
originaire du Président de la République, et l’élite de la préfecture de
Ruhengeri. Au sein même de l’élite de Gisenyi, une fracture « shiru »,
à savoir le réduit, et « goyi », le deuxième cercle, se dresse.
Il
apparaît donc que contestant une gouvernance de plus en plus obsolète,
l’opposition, essentiellement hutu, d’abord confinée au sud, s’est
progressivement élargie à certaines parties du Nord. Quelques éléments de
ces élites du Nord sont même allés gonfler les rangs du FPR. Le pouvoir se
concentre désormais dans les mains de la famille présidentielle qui sera désormais
connu sous le nom de « Akazu » ou « Clan de Madame », à
savoir, le carré central prétorien du pouvoir.
d.
La
paupérisation du monde rural.
L’essoufflement
du système foncier a eu des conséquences désastreuses sur l’économie
rurale. Les exploitations agricoles familiales de plus de deux hectares, représentant
pourtant près de la moitié des terres cultivables concentrées par seulement
16% des propriétaires terriens[11],
produisent par hectare six fois moins que les minuscules terres restantes de
moins d’un demi hectare exploitées par les 84% habitants restants. Ces terres
mal exploitées appartiennent à ce que l’on pourrait appeler une élite foncière
absentéiste composée de fonctionnaires et de commerçants. Cela a accentué le
mécontentement.
Ajouter
à cela que la miniaturisation progressive de la propriété familiale due au
système d’héritage de répartition équitable entre tous les éléments mâles,
miniaturisation qui n’a pas été accompagnée de progrès technologique ad
hoc, a conduit à l’épuisement rapide des réserves de terre, à la chute de
la productivité des terres surexploitées et à la complication du problème
foncier. On comprend ainsi pourquoi la misère, la famine et les maladies sont
devenues le lot quotidien de la paysannerie et l’ont socialement marginalisé,
creusant un grand fossé entre riches urbains et pauvres ruraux.
Les
inégalités sociales relatives à l’accès à l’emploi, à l’éducation,
à la santé et aux ressources économiques se sont donc accrues et la richesse
nationale profitait à un petit nombre de privilégiés du régime et à une élite
militaro-commerciale. La classe paysanne a été frappée de plein fouet par
l’exclusion sociale et économique. Une famine endémique s’est installée
dans le pays, en particulier dans les hautes terres acides du sud du pays. La
jeunesse qui forme plus de la moitié de la population s’est trouvée sans
perspective quant à l’accès à la terre ou à un autre emploi. Ces deux phénomènes
ont donné lieu aux premiers réfugiés écologiques qui émigrèrent vers la
Tanzanie. Le non-accès à la terre par les jeunes générations a créé un chômage
structurel atteignant 30% dans le monde rural.
Ce
phénomène sans précédent de grandes inégalités et de paupérisation de la
paysannerie a été beaucoup dénoncée par l’élite paysanne issue du
mouvement associatif. Elle n’a pas hésité à dénoncer le pouvoir comme étant
responsable de la famine qui sévissait dans le pays. Elle a été en cela appuyée
par des leaders du mouvement associatif et a constitué un nouveau pôle de
contestation politique[12].
C’est ce pôle qui forma le noyau du groupe des « 33 » qui, en
septembre 1990, demanda publiquement l’ouverture au multipartisme. Et ce sont
les organisations paysannes qui, trois mois plus tard, en pleine guerre, défièrent
le pouvoir central et réclamèrent la modification de la Constitution pour que
celle-ci rende possible le pluralisme politique.
Il
convient enfin de souligner que cette paupérisation d’une frange importante
de l’ensemble de la société que constitue la paysannerie éclaire sous un
angle nouveau la violence inouïe et le génocide, exécutés par de simples
gens, qui se sont abattus sur le pays et se sont canalisés dans la zone contrôlée
par le gouvernement vers les groupes socialement minoritaires, en l’occurrence
les tutsi[13].
Il serait intéressant de savoir pourquoi le FPR s’est acharné et a continué
par après à s’acharner avec la même hargne sur les familles paysannes
pauvres hutu, pourtant sans influence sur la gestion du pays. S’agissait-il
sans doute du dessein de dégager les terres et l’espace pour les nouveaux réfugiés
et leurs vaches afin d’honorer une promesse politique du FPR faite aux
familles des réfugiés quand il les sensibilisait à laisser leurs enfants
s’enrôler dans la rébellion.
e.
La
guerre.
Sentant
venir la menace induite par un processus de démocratisation interne et
d’inclusion socio-ethnique bien avancé et, par conséquent, l’effritement
rapide des arguments qu’il aurait pu avancer pour justifier une décision
aussi grave, le FPR a déclenché la guerre. Cette analyse est confirmée par
son commissaire politique M. Tito Rutaremara dans une interview à la Voix d’Amérique[14].
Il a dit en effet au journaliste :
« Premièrement,
si le Front a choisi la période, c’est parce que les conditions au Rwanda,
les conditions objectives, devenaient mûres. Avant, on présentait le problème
comme entre Hutu et Tutsi. Après, ça a changé entre le problème … entre le
Nord et le sud, et puis même ça a changé entre Gisenyi et Ruhengeri, par après
même ça a été changé entre Bagisu[15]
et Bagoyi, jusqu’au moment même où le problème et les conflits ont été
entre le clan de la femme de Habyarimana et les autres. Donc, on a vu que les
contradictions étaient mûres, que d’ailleurs les Banyarwanda maintenant,
d’aujourd’hui pouvaient voir que le problème n’est plus entre Hutu et
Tutsi, mais que c’était entre les Banyarwanda et une clique de gens qui
voulaient prendre …. Rester au pouvoir, et prendre la richesse du pays. Pour
ça on s’est rendu compte que le moment était ce moment là. Mais il y a eu
des problèmes au Rwanda comme la faim et autres. Ils nous ont montré aussi ça.
Il y avait aussi des conflits à l’intérieur de l’armée, ça nous a montré
que le moment était ce moment-là ».
Le
Président Habyarimana savait bien tout le bénéfice politique qu’il pouvait
tirer d’une démocratisation contrôlée en tant de guerre. Celle-ci lui
permettait de remonter sa popularité perdue et de sceller autour de lui une
grande coalition nationale face à la guerre. Il pouvait ainsi maîtriser et réduire
la force de l’opposition. Le FPR redoutait aussi que s’il laissait le
processus normal de démocratisation continuer, celui-ci allait aboutir sans lui
et voir dégonfler ses appétits de pouvoir. L’opposition qui voyait
l’embuscade lui tendu par le pouvoir en place et par la rébellion et qui
craignait que le contexte de guerre ne le marginalisa définitivement, demanda
à ce qu’il soit associé à la gestion de la guerre par l’entrée au
gouvernement. C’est dire que le timing choisi pour lancer la guerre a profité
du marasme socio-politique interne et cherchait à devancer la démocratisation
des institutions publiques.
1.
LES
DETERMINANTS EXTERNES.
Venons
en maintenant aux déterminants externes lesquels permettent aussi de nous
plonger dans la dimension régionale du conflit. J’en décèle quatre
principaux : la situation politique intérieure de l’Uganda,
l’endiguement de l’islamisme, l’effritement du Mur de Berlin, la sécurité
des approvisionnements en matières premières stratégiques.
a.
La
situation politique intérieure ugandaise.
La
victoire militaire et la prise du pouvoir par Museveni en 1986 a beaucoup profité
aux rwandais réfugiés. En effet, ces derniers avaient constitué la colonne
vertébrale de l’armée victorieuse. Avec Museveni, ils ont dominé l’armée
où ils ont occupé les postes stratégiques : état major, renseignement
militaire, service informatique, service médical, pour ne citer que ceux-là.
L’exercice de telles responsabilités a rendu les rwandais deviennent très
voyants. En outre, des hauts officiers rwandais[16]
avaient été accusés de violation grave du droit humanitaire dans la répression
de la rébellion du nord et de l’est. Ces deux éléments ont attiré
l’hostilité des autres alliés politiques nationaux de Museveni, lesquels
l’ont menacé de rompre la coalition, convaincus qu’ils étaient que la présence
des rwandais dans l’armée ne permettrait aucun accord de paix avec les insurgés.
Le
Président ugandais a fait alors d’une pierre deux coups. Premier coup :
il se sépare des rwandais mais les aide à conquérir le pouvoir dans leur pays
d’origine. Cela lui permet d’obtenir en retour la loyauté interne. Cette opération
de « dérwandisation » de l’armée ugandaise NRA a réussi grâce
notamment aux appuis financiers du FMI dans le cadre du programme d’ajustement
structurel. Deuxième coup : en portant la guerre au Rwanda, il compte
installer au pouvoir un allié sûr à sa frontière sud et agrandir en même
temps sa sphère d’influence dans les Grands Lacs, prologue à d’autres
aventures régionales, tel le renversement de Mobutu. Le prétexte honorable
d’invasion du pays était tout trouvé et convenait tout à fait avec la
conjoncture internationale : l’instauration de l’Etat de droit et de la
démocratie[17].
b.
L’endiguement
de l’islamisme.
Le
Soudan a été depuis longtemps considéré par les USA comme le bras avancé de
l’islamisme. Si celui-ci devait agrandir sa zone d’influence vers le sud par
le Congo Zaïre, frontalier avec huit autres pays, l’importance des valeurs
politiques et économiques majeures, à savoir la démocratie et le libre marché
pourraient se trouver très vite compromises en Afrique. La démocratisation et
le renouvellement de l’élite politique étaient donc considérés comme le
rempart idoine contre l’islamisme.
Le
Président Mobutu, infréquentable et maître d’un pays en déliquescence
politique et économique, ne voulait pas démocratiser son pays. Il ne trouvait
pas non plus l’urgence d’un tel combat contre l’islamisme. Il était de
surcroît convaincu que de toute façon cette religion finirait tôt ou tard par
être « africanisée » au sud comme il l’avait été dans la
plupart des pays d’Afrique de l’ouest. Ce n’était évidemment
pas l’avis des pays occidentaux qui voyaient déjà en l’autre géant
africain, le Nigeria, le futur foyer d’expansion de l’islamisme.
Le
Président Habyarimana, très lié à Mobutu, invité à participer à des
rencontres des groupes de prière organisées aux Etats Unis qui échangeaient
sur cette problématique, ne s’y rendit pas. Il refusa lui-même d’entrer
dans cette croisade anti-islamiste, non seulement du fait que son pays était
chrétien, catholique sans risque d’islamisation, ou qu’il entretenait des
bonnes relations diplomatiques et commerciaux avec le colonel Kadhafi, mais
surtout par amitié avec le Président Mobutu qu’il ne pouvait en aucun cas
combattre. Il partageait enfin la même réticence à démocratiser[18].
Le
Président Museveni, lui, avait vu l’intérêt politique et régional que
pourrait lui amener le renversement de Mobutu dans la lutte contre
l’islamisme. Il considérait le Rwanda comme le maillon faible du puzzle
francophone qui pouvait être déstabilisé sans s’attendre à trop
d’interventionnisme français. Et vu sa position géographique, il constituait
en même temps une porte d’entrée idéale pour l’éviction de Mobutu et la
continuation de sa campagne militaire vers l’Afrique centrale. Aussi le Président
ugandais a-t-il demandé que l’on l’aida à consolider son pouvoir
politique, lequel passait par l’appui militaire et politique du FPR et par
l’instauration au Rwanda d’un pouvoir satellite. Voici Museveni devenu le
seigneur de guerre régional, champion habillé sous les couleurs trompeuses de
nouveau démocrate issu d’une nouvelle race de leaders africains.
c.
L’effritement
du Mur de Berlin.
La
fin de la guerre froide et du communisme européen a écarté toute menace de
guerre mondiale et a laissé, sans rival, les Etats-Unis comme la seule
superpuissance mondiale. Le nouvel environnement international a remis en
question l’ancien partage des zones d’influence convenu entre les pays alliés
occidentaux pour contenir la percée du communisme. La fin de ce dernier
a ouvert désormais la concurrence politique, stratégique et économique.
Afin de gagner de nouvelles zones d’influence ou de renforcer celles
existantes, l’instauration de la démocratie en Afrique centrale et de
l’ouest permet, pour les uns, le renouvellement des élites, pour les autres
la légitimation de celles qui sont en place.
La
Grande Bretagne, développant de tout temps une politique étrangère souvent liée
à celle des Etats Unis ne sera pas atteinte dans ses intérêts géopolitiques.
Par contre la France, qui avait développé une politique plus autonome sera
confrontée à une rude compétition avec les deux pays. Toujours fidèles à la
théorie du maillon faible ou du domino, les Etats-Unis et la Couronne
britannique vont, afin de concurrencer sur leur propre terrain la France et l’Union
européenne en filigrane, attaquer les éléments faiblement arrimés à
l’influence de la francophonie, à savoir le Rwanda, le Burundi et le Zaïre.
Dans ces pays en effet, les intérêts économiques, politiques, voire culturels
français s’avèrent faibles d’autant qu’ils sont en concurrence avec ceux
d’un autre pays : la Belgique. Et si la France était arrivée à y
supplanter la Belgique sur le plan militaire et politique, cette dernière y
restait pourtant forte sur les plans économiques et culturels. On n’efface
pas non plus facilement soixante cinq ans de relations étroites.
d.
Le contrôle des approvisionnements stratégiques.
On
connaît bien les richesses naturelles de l’ex-Zaïre : un sol riche,
avec ses cours d’eau, ses forêts, un sous-sol qui reste un scandale géologique
avec ses diamants, son or, son cuivre et autres métaux à la base des
composants électroniques. Certes les richesses du Congo sont connues et intéressent
plus d’une firme multinationale qui seraient prêtes à se battre pour conquérir
ou pour garder des droits de les extraire et de les exporter. Cela est vrai. Ce
qui est nouveau cependant, c’est la question de la revivification quasi
soudaine des ressources potentielles de ce pays.
Il
convient de noter cependant que l’intérêt économique va bien au-delà de ce
seul pays. C’est, en effet, l’ensemble des pays qui entourent le Golfe de
Guinée qui est concerné. Il s’agit de : Angola, les deux Congo,
Cameroun, Gabon, Guinée Equatoriale, Nigeria, Bénin, Ghana, Togo, Côte d’Ivoire,
Liberia, Sierra Leone. Plus que les autres matières premières, c’est le pétrole
offshore qui est visé. Les découvertes
récentes, ou plutôt leur publication, seraient en passe de faire du Golfe de
Guinée, avec le Moyen Orient et les pays de l’Asie centrale, un des trois
principaux centres d’approvisionnement mondial.
Pourquoi
cette mise en avant soudaine du Golfe de Guinée ? La première explication
serait celle de sécuriser politiquement ces nouvelles zones stratégiques pétrolières
par l’instauration de régimes démocratiques et par le renforcement d’une
élite politique favorable aux nouveaux enjeux économiques. La deuxième résiderait
dans la montée irrésistible en puissance à moyen terme de quelques pays du
Moyen Orient qui pourraient développer durablement des politiques autonomes,
voire conflictuelles avec les Etats-Unis. Entendez l’Irak et l’Iran, voire
l’Arabie saoudite. Il s’agirait donc de développer et de contrôler
d’autres pôles d’approvisionnement pour diminuer la dépendance au Moyen
Orient, augmenter la sécurité d’approvisionnement et accentuer la pression
politique sur certains pays du Moyen Orient potentiellement hostiles.
1.
LA
CONFIGURATION POLITIQUE
a.
Les
caractéristiques.
La
scène politique rwandaise se répartissait, à partir de juillet 1991, en trois
pôles. Deux pôles sont à la fois politiques et militaires, il s’agit du
MRND et du FPR dans le sens où l’un et l’autre disposaient d’une armée.
Le troisième, non armé, était constitué principalement par les partis de
l’opposition MDR, PSD et PL. Les deux pôles MRND et FPR voulaient utiliser la
guerre comme outil de contrôle du processus politique. Le pôle non armé
voulait entrer au gouvernement afin de pouvoir gérer la guerre et ainsi ne pas
se trouver exclu du processus politique qui lui permettait de bénéficier, en
cas de cessation définitive des hostilités, de ses retombées positives.
Dans
un pays essentiellement rural dégageant peu de revenu net, où le secteur privé
formel restait réduit et où l’Etat constituait de loin le principal
employeur, la classe politique était composée essentiellement de
fonctionnaires aux ressources financières limitées qui avaient, de surcroît,
un même référentiel bureaucratique. Focalisés sur la gestion à court terme
du pouvoir[19],
entrer au gouvernement et « séquestrer l’Etat » restait la stratégie
commune qui permettait aux partis d’élargir les bases de la clientèle au
sein de l’administration et de trouver les moyens matériels et financiers de
leur action politique[20].
A voir les programmes politiques des partis[21],
les analyses des situations passées et présentes mises à part, les
propositions pour le futur étaient souvent identiques. Sans autre point de
chute dans l’économie privée ou sociale, les fonctionnaires ont eu aussi
tendance à s’affilier au parti politique titulaire du portefeuille ministériel
qui les emploie.
b.
Les
bases politiques et courants des formations dominantes :
MRND, FPR, MDR.
Le
MRND[22],
le FPR[23]
et MDR[24]
sont sans conteste les formations politiques dominantes du paysage politique de
la période 1990 à 1994. «MRND». S’inscrivant dans une sociologie politique
régionale et ethnique différentes, ce sont ces trois formations qui
cristallisent toute la lutte politique des années 50 à date. Plus que tous les
autres partis, ils tirent leur légitimité du parcours de l’histoire. Dans
l’imaginaire populaire et dans une représentation politique grossière, le
FPR représente le pouvoir tutsi qui a régné jusqu’à la Révolution sociale
de 1959. Le MDR représente le pouvoir hutu du sud qui a mis fin au système de
servage et à la monarchie. Le MRND représente le pouvoir hutu du nord qui a géré
le pouvoir depuis le coup d’Etat militaire de 1973. Ce sont donc des
formations politiques concurrentes, peu coopératives et maximalistes entre
elles qui se disputent la suprématie politique, sinon l’exclusivité.
i)
Le
MRND
Le
MRND, c’est le parti au pouvoir dont son président fondateur s’est hissé
au pouvoir en 1973 par un coup d’Etat militaire. Sa base politique est définie
sur un triple axe régional, ethnique et militaire. Il est traversé en son sein
par deux courants : le courant conservateur et le courant rénovateur. Sur
le plan régional, ses militants se recrutent principalement dans les trois préfectures
du nord : Gisenyi, Ruhengeri et Byumba[25].
Sur le plan de l’origine ethnique des adhérents, le parti mobilise l’électorat
essentiellement hutu[26].
L’armée est dominée, mais pas de manière exclusive, par le MRND. Sur les
574 officiers que comptait l’armée à la fin du premier trimestre 1993, 352
officiers, soit 61%, sont des ressortissants des 3 préfectures « fiefs »
du MRND[27].
Le
courant conservateur constitue les caciques de l’ancien parti unique,
allergique à l’évolution démocratique en cours. Réfractaire à tout
changement, il ne veut pas de compromis politique avec l’opposition et veut
assurer l’exclusivité du pouvoir. Il veut utiliser et conduire seul la guerre
pour assurer la suprématie militaire et politique du MRND[28].
Le leadership est assuré par « l’akazu », à savoir le cercle
rapproché du Président de la République. Son représentant est M. Joseph
Nzirorera, le futur secrétaire national, chef réel incontestable de la milice
« Interahamwe[29] ».
Le
courant réformateur voit lui l’intérêt politique du MRND à se comporter
comme tout autre parti normal et à chercher à élargir sa base populaire. Il
obligera même le Président de la République à démissionner[30]
du poste de président du parti pour que le MRND n’ait pas à assumer seul le
passif de l’action gouvernementale. Il est prêt à s’entendre avec les
autres partis intérieurs notamment sur la conduite de la guerre et des négociations.
Il recherche pour ce faire à imposer la neutralité de l’armée. Le représentant
de ce courant est M. James Gasana, ministre de la défense. Il sera évincé
plus tard par « l’akazu » et contraint à l’exil.
ii)
Le
FPR
Le
FPR, c’est le parti des réfugiés dont la majorité avait été obligée de
s’exiler suite à la Révolution sociale de 1959. Le FPR constitue
l’opposition armée extérieure. Sa base politique se définit sur le double
axe ethnique et militaire. Parti dont les membres sont soumis à une obéissance
sans faille au chef. Sur le plan ethnique, les militants se recrutent
essentiellement parmi les tutsi. Toutefois, quelques exilés d’origine hutu[31]
sont repérables dans la direction politique du parti mais non dans celle de
l’armée. Sur le plan intérieur, il est en concurrence avec le parti libéral
« PL » dans lequel il puise les jeunes éléments tutsi pour les enrôler
dans son armée.
Sur
le plan militaire, le FPR est propriétaire exclusive d’une armée :
l’armée patriotique rwandaise « APR ». Cette dernière constitue
la cheville ouvrière du mouvement politique. Le militaire est premier, le
politique suit. Celui-ci ne peut survivre en son absence. Le politique est pensé
à partir du militaire, et non l’inverse. Le leadership, de loin le plus
dominant, est constitué des militaires issus de l’armée ugandaise. Le chef
incontesté, après la mort du général charismatique Fred Rwigema, lequel fut
vice-ministre de la défense dans le gouvernement ugandais, est bel et bien le
major Kagame, un homme froid, sans horizon politique particulier mais efficace.
Il
est difficile d’affirmer qu’au sein du FPR il a existé des courants. On
peut glaner çà et là des réflexions et dire que le fait qu’il y ait des
personnalités de haut rang dans l’organigramme politique qui n’avaient pas
de place dans l’organigramme militaire, en l’occurrence le colonel Alexis
Kanyarengwe qui était de surcroît le président du FPR, est bien la preuve de
l’existence de courants au sein du FPR. Le fait que le chef politique prétendu
d’un front de lutte n’avait pas d’emprise sur la branche militaire
constitue l preuve a contrario de la primauté du militaire. Il n’en est rien,
M. Kanyarengwe, ancien dignitaire du régime Habyarimana, constituait davantage
la caution « hutu » dont le mouvement manquait cruellement
qu’autre chose. Tellement l’aspect militaire prédominait que les querelles
de chapelle et les rivalités claniques
étaient peu admises.
iii)
Le
MDR
Le
MDR, c’est le parti de l’opposition démocratique non armée. De son
ancienne dénomination MDR-Parmehutu, parti du mouvement de l’émancipation
hutu, dont la légitimité, tirée de la Révolution sociale de 1959 et de son
parti pris pour le menu peuple, était restée intacte, le nouveau parti, relooké,
se veut son héritier. Cet ancrage dans le mouvement social hutu faisait autant
peur au pouvoir de Habyarimana qu’au FPR. Si l’on adopte la même définition
par axe régional et ethnique, le MDR recrute sa base dans les régions du sud.
Sur le plan ethnique, il est composé majoritairement de hutu. Au départ, même
si plusieurs tendances s’y expriment, la volonté d’indépendance vis-à-vis
des deux autres formations dominantes, à savoir le MRND et le FPR,
l’emportait sur les forces centrifuges. Avec le temps, le MDR finira par éclater
en trois courants : un courant pro-FPR, un courant pro-MRND[32],
un courant indépendant.
Sur
le plan régional, le parti est dominé par l’axe dit « Umugongo[33] »
des préfectures Gitarama et Ruhengeri. Et si au départ, le leadership de M.
Faustin Twagiramungu, originaire de la préfecture de Cyangugu est largement
accepté, c’est avant tout parce qu’il est le gendre de l’ancien Président
de la République, feu Grégoire Kayibanda. Les préfectures de Gikongoro,
Butare constituent le second cercle de leadership et de recrutement. Les préfectures
de Kibuye, Kigali, Cyangugu, Kibungo et Byumba constituent le troisième cercle.
Vient enfin la préfecture de Gisenyi.
Le
courant pro-FPR, minoritaire, est composée surtout des adhérents tutsi, et
paradoxalement, de certaines familles des anciens politiciens de la première République,
celle-là même qui a été auteur de la Révolution sociale. Sous le leadership
de Faustin Twagiramungu, celui-ci est d’avis que toute alliance qui pourrait
venir à bout du régime de Habyarimana est la bienvenue. C’est la tendance
« jyogui ». Le courant pro-MRND qui se confirme surtout après la
mort du Président burundais, Melchior Ndadaye, survenue le 21 octobre 1993, est
composé d’adhérents hutu qui sont prêts à se liguer avec le MRND pour
faire barrage à la prise du pouvoir par le FPR. Le discours politique de cette
tendance a des relents ethniques. C’est le « hutu power » représenté
par le tandem Froduald Karamira et Donat Murego. Le troisième courant est
d’avis que la fin de la guerre et la confirmation du processus démocratique
roulent pour le MDR. Il voudrait donc maintenir la ligne d’indépendance vis-à-vis
des deux blocs militaires : le MRND et le FPR. L’exil forcé de son
leader, M. Dismas Nsengiyaremye, le 31 juillet 1993, affaiblira ledit pôle et
fera le lit des deux tendances restantes[34].
1.
LES
RELATIONS ENTRE LES PARTIS DOMINANTS.
a.
Les
stratégies majeures.
La
raison même de l’existence d’un parti politique, c’est l’exercice du
pouvoir. Pour ce faire, il doit exercer un rapport de force sur terrain qui lui
permet d’y accéder, seul ou en coalition avec d’autres. Comme cela a été
dit plus haut, le MRND, le FPR et le MDR sont les formations politiques hégémoniques
et concurrentes. Elles constituent les trois pôles d’attraction du jeu
politique. Les alliances se défont et se font autour ces trois bords
politiques.
De
ces trois pôles, deux sont militaires et privilégient la stratégie militaire
pour dominer les autres. Il s’agit du MRND et du FPR. Pour ces partis, gagner
la guerre constitue l’enjeu décisif qui leur permet de caporaliser les autres
formations politiques et d’occuper tout l’espace politique. Nous examinerons
plus tard cet aspect quand il sera question d’aborder la notion de complice et
d’analyser comment cette stratégie a été utilisée pour obtenir la loyauté
des masses. Pour les deux pôles militaires la démocratisation des institutions
publiques est donc considérée comme un pis aller. Et si le MRND peut espérer,
grâce à son ancrage régional et à son emprise sur l’administration
publique et l’économie, sauver les meubles dans une compétition démocratique
ouverte, le FPR sait, compte tenu de la faiblesse de son électorat[35],
qu’il est perdant dans le jeu démocratique.
Le
troisième pôle, central, dominé par le MDR, est non armé. C’est le pôle
des « Forces démocratiques de changement –FDC- », composé en
plus du MDR, du Parti social démocrate et du Parti libéral[36].
Il est partisan de la stratégie de compétition politique pacifique. Alors que
la guerre constitue un « atout » politique pour les deux premiers pôles,
pour le pôle non armé, tant que la guerre perdure, celle-ci constitue un
handicap majeur qui l’empêche de s’émanciper. D’où son parti pris en
faveur des négociations dont la conclusion favorable lui donnerait la suprématie
certaine sur le MRND et le FPR.
b.
Les
alliances
La
guerre ou la démocratie. Voilà la ligne majeure de partage sur laquelle les
relations et les alliances vont se nouer et se défaire. Quand le rapport de
force tire vers la persistance de l’état de guerre, le pôle MRND et le pôle
FPR sont renforcés et cherchent à contraindre le pôle de l’opposition non
armée à ne s’identifier que par rapport à l’un ou à l’autre. On est
complice de l’ennemi ou on est allié[37].
Le pôle FDC cherchera à son tour à prendre appui sur la puissance militaire
du FPR pour affaiblir la position du MRND. Il cherchera en même temps à
imposer les négociations afin d’éviter l’emprise de la guerre dans la détermination
des rapports de force. Aussi, quand le processus de paix prend le dessus, le pôle
FDC, s’appuyant sur les courants contradictoires internes des protagonistes,
cherchera à amener les deux pôles dans le processus démocratique[38].
Ces derniers sont par contre prêts à se liguer pour affaiblir le pôle FDC.
Ils utiliseront l’épouvantail de la satellisation des autres partis de
l’opposition démocratique par le MDR pour amener progressivement à la
dislocation du FDC.
De
manière succincte, l’on peut avancer que, tant pour le pôle MRND que pour le
pôle FPR, l’adversaire principal est constitué par le pôle FDC, particulièrement
le MDR, qu’ils cherchent à affaiblir et à disloquer, - et ils le réussiront
– afin d’imposer un jeu des acteurs réduit seulement à deux. Pour le pôle
FDC, l’adversaire principal est l’un quelconque des acteurs du pôle
militaire qui, suivant la conjoncture, est le plus fort[39].
L’alliance naturelle avec le FPR que le pôle FDC pouvait penser nouer reste
à cet effet un leurre vu que les éléments constitutifs de la force et des bénéfices
politiques attendus par l’un et l’autre s’avéraient diamétralement opposés.
L’histoire
politique. Voilà le deuxième élément qui détermine les alliances. On se
souvient de ce que le Président Habyarimana s’est hissé au pouvoir à la
faveur d’un coup d’Etat militaire et a assassiné la quasi-totalité de l’élite
politique du sud du pays dont l’ancien Président de la République, Grégoire
Kayibanda. Ce dernier, considéré par la population hutu comme l’homme
politique qui a mis fin au système de servage et de corvée que cette dernière
endurait sous la monarchie, est resté dans la mémoire collective comme son libérateur.
En l’assassinant, Habyarimana apparaît, aux yeux de ladite population, comme
le fossoyeur de la Révolution sociale de 1959, image dont il ne se départira
jamais. Avec l’ouverture démocratique qui remet en selle le sud, il sait
qu’il devra répondre de ses crimes[40].
Le
FPR sait aussi que, malgré sa mue, en tant que représentant des réfugiés,
est identifié comme l’héritier de la monarchie et du système de servage qui
a prévalu avant la Révolution sociale. Il sait aussi
que le fait d’avoir déclenché la guerre contre le pays et sa
population ne lui sera guère pardonner. En outre, il sait qu’en cas d’élections,
il emporterait un nombre réduit de suffrages incapables de le hisser au
pouvoir. En ces circonstances, malgré leurs antagonismes, le MRND et le FPR
sont de manière objective prêts à faire cause commune pour contrer et casser
le leadership de l’opposition non armée. En temps de paix, en effet, elle ne
tarderait pas à s’imposer en tant que première force politique.
c.
Le
climat entre le MRND, le MDR et le FPR
Comme
cela a été dit plus haut, les trois mouvements politiques MRND, MDR et FPR
sont bel et bien les trois prétendants au trône. La concurrence s’avère
rude entre eux et chacun, compte tenu de ses atouts et de sa stratégie, fourbit
ses propres armes pour imposer et/ou légitimer son leadership. Cependant, cela
n’empêchera nullement que des ententes et des connexions d’intérêts
conjoncturelles vont se nouer. Comme dans une triangulaire, de manière
circonstancielle, des coalitions à deux se formeront souvent pour évincer le
troisième. Ensuite s’impose un jeu à deux acteurs dont l’issue et les bénéfices
appartiendront à celui qui pourra faire prévaloir le plus solide rapport de
forces.
Afin
d’illustrer les relations d’abord triangulaires, ensuite bipolaires entre
les principales forces politiques, il convient de dessiner trois périodes. La
première période va d’avril 1992 à janvier 1993. C’est la phase de
collusion objective entre le MDR et le FPR. La deuxième phase va de janvier à
octobre 1993 et correspond au tissage d’intelligences entre le MRND et le FPR[41].
La troisième phase va d’octobre 93 à avril 94. Elle cadre avec le triomphe
de la bipolarisation, laquelle fait engranger des bénéfices entre les deux
forces politico-militaires : le MRND et le FPR.
i)
La
période avril 1992 – janvier 1993
On
voit ainsi que, dans un premier temps, à savoir la période entre avril 1992 et
janvier 1993, le climat entre le MDR et le FPR est au beau fixe. Il est déplorable
avec le MRND. Les bénéfices du MDR et du FPR de cette collaboration sont entre
autres :
-
l’entrée
au gouvernement de l’opposition qui occupent la moitié des postes ministériels
le 16 avril 1992,
-
la
conclusion à Bruxelles les 29 mai - 3 juin 1992 d’un partenariat politique
entre les partis d’opposition et le FPR,
-
l’attaque
de la ville de Byumba par le FPR le 5 juin 1992,
-
la
signature d’un accord de cessez-le feu le 12 juillet 1992,
-
le
début des négociations de paix et la signature du protocole d’accord sur
l’Etat de droit le 18 août 1992,
-
la
signature du protocole d’accord sur l’organisation des institutions démocratiques
le 30 octobre 1992,
-
la
signature du protocole d’accord sur le partage du pouvoir le 9 janvier 1993.
La
collusion d’intérêts momentanés entre le MDR et le FPR a eu pour résultats
défavorables pour le MRND :
-
la
mise à la retraite des chefs d’états-majors de la gendarmerie et de l’armée,
-
la
réintégration des officiers militaires abusivement renvoyés,
-
l’enquête
internationale sur les violations des droits de l’homme.
i)
La
période janvier 1993 – octobre 1993
Dans
un deuxième temps, la période entre janvier 1993 et octobre 1993 est marquée
par une collusion d’intérêts objective[42]
entre le MRND et le FPR. Ces deux derniers, redoutant l’application effective
des accords de paix[43]
et l’avantage très comparatif que cela apporterait, s’accordent pour
affaiblir le gouvernement, ressusciter le climat de guerre et disloquer le pôle
FDC, en particulier le MDR.
Les
avantages tirés par le MRND et le FPR sont :
-
l’organisation
par le MRND de manifestations caractérisées par la destruction des biens et
des tueries de membres des partis d’opposition dans les préfectures de
Gisenyi, Ruhengeri, Byumba, Kibuye en dates du 18 au 27 janvier 1993[44],
-
l’obtention
de la direction des négociations de paix à Arusha par James Gasana, membre du
MRND fin janvier 1993,
-
la
violation du cessez-le-feu et l’attaque de grande envergure du FPR qui
massacre près de 40'000 habitants et met sur le chemin de l’exil intérieur
1'000’000 de déplacés le 8 février 1993,
-
le
FPR occupe une grande partie de la préfecture de Byumba ainsi que de Ruhengeri
dès le 8 février 1993,
-
la
signature de l’accord de Kinihira créant la zone démilitarisée le 30 mai
1993,
-
l’alliance
avec Faustin Twagiramungu du MDR, juin 1993,
-
l’éviction
de James Gasana comme Ministre de la défense qui est contraint à l’exil le
20 juillet 1993,
-
la
signature de l’Accord de paix d’Arusha qui désigne Faustin Twagiramungu
comme Premier ministre du gouvernement de transition le 4 août 1993,
-
le
jeu politique triangulaire MRND-MDR- FPR devient progressivement bipolaire
MRND-FPR après l’éviction du MDR,
-
l’émergence
du courant pro-hutu « Power » proche du MRND le 23 octobre 1993.
Les
retombées négatives que le MDR connaîtra, sont :
-
l’effritement
de la coalition des partis de l’opposition intérieure dès fin janvier 1993,
-
Le
million de déplacés de guerre par la guerre devient un casse-tête de gestion
humanitaire et politique,
-
l’assassinat
d’Emmanuel Gapyisi, membre éminent du MDR et fondateur du Forum Paix et Démocratie,
le 18 mai 1993,
-
l’accord
d’éviction du Premier ministre Dismas Nsengiyaremye est scellé entre le MRND,
le PSD et le PL, mi-juin 1993, avec un « visto bueno » du FPR.
-
l’éviction
du MDR qui éclate en deux, un pôle putschiste pro-MRND et pro-FPR représenté
par Faustin Twagiramungu et un pôle du refus représenté par Dismas
Nsengiyaremye, lors du Congrès MDR de Kabusunzu les 23-24 juillet 1993,
-
l’éviction
suivie de l’exil en France de Dismas Nsengiyaremye en juillet 1993,
-
la
signature de l’Accord de paix du 4 août 1993 dont le principal artisan, le
MDR légitime, est exclu,
-
l’éviction
définitive du MDR en tant que troisième pôle de pouvoir.
i)
La
période octobre 1993 – avril 1994
Enfin,
la période octobre 1993 à avril 1994 est marquée par la victoire de la
bipolarisation entre le MRND et le FPR. Le MDR, disloqué, est complètement évincé
en tant que pôle central d’attraction politique. Ses différentes factions
sont désormais satellisées. Cela correspond au triomphe des pôles les plus
radicaux. Le MRND et le FPR monopolisent le jeu politique et militaire. On est
pour l’un et l’on est contre l’autre[45].
Les éléments plus circonspects n’ont plus de place, ils n’ont d’autre
choix que de se taire. Le processus de paix risque de s’effondrer définitivement.
La force militaire reprend le dessus. Malgré l’effort de rapprochement au
sein du MDR[46],
malgré la pression des Eglises et de la société civile afin de privilégier
un processus politique pacifique, le risque de reprise de la guerre devient plus
probable. Ajouter à cela le rôle ambigu de la MINUAR[47]
qui donnait l’impression qu’elle n’assurerait pas la sécurité, les
signaux du triomphe de l’option de la violence semblent l’emporter.
Il
s’agit d’une période d’extrême tension entretenue par les deux acteurs
de la bipolarisation en vue de s’arroger l’exclusivité du pouvoir. Elle est
caractérisée notamment par les événements majeurs ci-après :
-
la
mort du Président burundais, Melchior Ndadaye, le 21 octobre 1993,
-
le
premier groupe de la MINUAR arrive à Kigali, le 27 octobre 1993,
-
les
partis d’opposition éclatent en courants pro-FPR et pro-MRND, dès octobre
1993
-
le
retrait des troupes françaises du détachement Noroît, le 15 décembre 1993,
-
l’arrivée
à Kigali des autorités et du détachement militaire du FPR, le 28 décembre
1993,
-
l’entraînement
militaire des milices « Interahamwe », novembre 1993,
-
l’infiltration
des éléments FPR dans la population urbaine, janvier 1994,
-
la
prestation de serment du Président J. Habyarimana dans le cadre de la
transition politique, le 5 janvier 1994,
-
le
climat de violence et de terreur qui s’installent surtout depuis janvier 1994,
-
l’assassinat
de M. Félicien Gatabazi, secrétaire exécutif du PSD, le 21 février 1994,
-
l’assassinat
de M. M. Bucyana, président de la CDR, le 23 février 1994,
-
l’assassinat
du Président rwandais M. J. Habyarimana et du Président burundais M. C.
Ntaryamira dans un attentat aérien, le 6 avril 1994,
-
la
violation du cessez-le-feu par le FPR et reprise de la guerre, le 6 avril 1994,
-
le
génocide, dès le 7 avril 1994.
TITRE
3 : LE PROTOCOLE D’ENTENTE
1.
LES
MOBILES A L’ORIGINE DU PROTOCOLE D’ENTENTE[48].
L’on
se souvient que c’est la Constitution du 10 juin 1991 et la loi sur les partis
politiques[49]
qui ont permis l’existence légale des formations politiques. Les premiers
partis à avoir organisé leur assemblée constitutive sont le PSD, le MDR, le
MRND et le PL. C’était en juillet 91, non sans difficultés[50].
Si par la suite, le Président Habyarimana s’est résolu à accepter le
multipartisme, c’est sur pression interne et internationale et s’il a permis
leur exercice libre, c’est surtout qu’il espérait en contrôler le
processus politique. C’est de cette manière qu’il convient d’interpréter
la constitution du gouvernement Sylvestre Nsanzimana du 31 décembre 1991, présenté
comme multipartite alors qu’il était formé de manière quasi exclusive par
le MRND. Ce dernier avait coopté un seul membre d’un parti lilliputien, le
PDC[51].
Aussitôt
constitué, le gouvernement Nsanzimana, fragilisé de par même sa composition,
a été ensuite largement contesté par l’opposition. Et la très mince brèche
ouverte en admettant au gouvernement une formation politique autre que le MRND a
été exploitée par les autres partis pour exiger la formation d’un
gouvernement élargi à l’opposition démocratique. C’est ainsi que, le 8
janvier 1992, cette dernière a organisé une manifestation monstre qui paralysa
pratiquement la ville de Kigali[52].
A regarder de près, la première raison qui a amené à la formation d’un
gouvernement multipartite réside dans la faiblesse même du gouvernement
Nsanzimana, incapable de contenir la pression de l’opposition.
La
deuxième raison est l’enlisement du conflit dans le nord. L’opposition
n’acceptait pas d’être taxée de complice avec l’ennemi, à savoir le FPR,
dans une guerre dont elle ignorait les contours. De même, certaines personnes,
voire au sein même du clan présidentiel, laissaient penser qu’il existait
une certaine collusion entre le Président rwandais et le Président ugandais[53],
lesquels profiteraient de la persistance de l’état de guerre. Pour
l’opposition son entrée au gouvernement permettrait de négocier, sans arrière
pensée, la fin de la guerre et de rasséréner le climat social et politique.
La
troisième raison, sans doute la plus importante, a trait au fort émoi qu’ont
suscité les massacres de tutsi au Bugesera. La tragédie a été déclenchée
le 4 mars 1992 à la suite d’un communiqué diffusé sur les antennes de la
radio nationale, lequel communiqué faisait état d’un prétendu projet élaboré
par les tutsi de massacrer les hutu. Ces violences ont été marquées par des
tueries qui ont fait plus de quarante victimes et des déplacements de
populations de plus de dix mille personnes[54].
Ces tragiques événements déclenchèrent de la part de la société civile et
de la communauté internationale une énorme dénonciation de la réaction
faible et tardive du gouvernement et de fortes pressions furent exercées envers
le Président Habyarimana et l’obligèrent à nommer un Premier ministre issu
de l’opposition et à ainsi mettre sur pied un gouvernement multipartite.
2.
LES
CLAUSES MAJEURES DU PROTOCOLE.
a.
Le
Président Habyarimana reste le chef incontesté de l’exécutif.
Contrairement
aux idées reçues, le Premier ministre n’est pas l’homme clé de l’exécutif.
Il a un rôle de coordinateur de l’action gouvernementale et doit recueillir
le consensus, ainsi que le stipule l’article 7 du protocole, sur tout objet
examiné au conseil des ministres. Dans une équipe composée de manière
paritaire par l’opposition et par la majorité présidentielle, il n’était
pas évident de rassembler un tel consensus. Ce qui a souvent entraîné des
blocages au sein de l’équipe exécutive et une guerre de tranchées entre les
deux têtes de l’exécutif[55].
Le véritable rôle de chef de l’exécutif est, conformément au protocole, dévolu
au Président de la République.
Cela
est consacré par les paragraphes premier et quatrième, mais aussi les articles
4 et 8. Ces dispositions affirment en effet que :
-
C’est
la Constitution du 10 juin 1991 qui a donné mandat au Président de la République
le mandat de gérer la transition et que l’association à la gestion de la période
ressort de son initiative,
-
La
nomination d’un Premier ministre ne signifie pas transfert du pouvoir présidentiel
au gouvernement,
-
Le
choix des ministres ne doit en rien empêcher au Président d’exercer ses prérogatives
constitutionnelles,
-
Les
ministres sont responsables devant le Premier ministre et le Président de la République,
-
Le
Premier ministre est responsable devant le Président de la République.
L’on
notera également que, sans doute pour afficher qu’il est d’un piédestal
plus élevé, le Président de la République a choisi de ne pas signer en mains
propres le protocole d’entente. Il a préféré se faire représenter par ses
proches collaborateurs, à savoir le ministre chef de cabinet à la Présidence,
Enoch Ruhigira, le ministre de l’intérieur, Faustin Munyazesa, le conseiller
politique à la Présidence, Juvénal Renzaho. D’autres personnes ont voulu
voir dans ce geste, le refus du pluralisme politique et un certain mépris de
l’opposition affichés par le Président de la République.
a.
Le
mandat du gouvernement de transition.
Le
protocole d’entente a défini le mandat du gouvernement dans un programme
minimum de sept points consigné dans l’article premier. Le programme se révèle
ambitieux et doit se réaliser dans un délai impossible de douze mois. Il
s’agit de :
-
Négocier
la paix,
-
Assurer
la sécurité intérieure,
-
Assainir
l’administration publique et assurer son efficacité et sa neutralité,
-
Relancer
l’économie,
-
Organiser
un débat national sur l’opportunité de tenir une conférence nationale,
-
Régler
le problème des réfugiés,
-
Organiser
les élections générales.
A
regarder de près, le point relatif à la négociation de la paix a été le
seul réalisé. Et dans une certaine mesure des tentatives d’évaluation et
d’assainissement de l’administration publique ont été effectuées[56].
1.
LA
REPARTITION DES PORTEFEUILLES
Les
dix-neuf[57]
portefeuilles ministériels ont été répartis entre les cinq partis
signataires du protocole d’entente, à savoir le MRND, le MDR, le PSD, le PDC
et le PL. La moitié des ministères était allouée au camp présidentiel,
l’autre à l’opposition. Ainsi la répartition était la suivante :
a.
Le
MRND.
-
Ministère
de la défense,
-
Ministère
de l’intérieur et du développement communal,
-
Ministère
du plan,
-
Ministère
de la jeunesse et du mouvement associatif,
-
Ministère
de la fonction publique,
-
Ministère
de la santé,
-
Ministère
des transports et des communications
-
Ministère
de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la culture,
-
Ministère
de la famille et de la condition féminine[58].
a.
Le
MDR.
-
Ministère
des affaires étrangères et de la coopération,
-
Ministère
de l’enseignement primaire et supérieur,
-
Ministère
de l’information.
a.
Le
PSD.
-
Ministère
des finances,
-
Ministère
de l’agriculture et de l’élevage,
-
Ministère
des travaux publics et de l’énergie.
a.
Le
PDC.
-
Ministère
de l’environnement et du tourisme.
a.
Le
PL.
-
Ministère
du travail et des affaires sociales,
-
Ministère
de l’industrie, du commerce, des mines et de l’artisanat,
-
Ministère
de la justice.
1.
LES
MOBILES.
Parmi
les principales accusations portées par le Président Habyarimana contre le régime
de son prédécesseur, le Président Grégoire Kayibanda, le régionalisme
figurait en première place. Depuis son coup d’état de juillet 1973, les
gouvernements successifs[59]
qu’il a formés appliquaient une représentation régionale quasi-arithmétique
dans lequel chaque préfecture se voyait accordé un portefeuille ministériel.
Bien entendu, la part du gâteau revenait aux préfectures du nord, en
l’occurrence Gisenyi et Ruhengeri, car ces derniers, fiefs du régime,
s’octroyaient plus les ministères de grande importance.
Avant
la venue du multipartisme, cette politique dite d’équilibre régional, au delà
des intentions proclamées, était un excellent moyen de contrôle politique des
régions « récalcitrantes » du sud. De fait, les ministres nommés
n’étaient pas issus des anciennes élites politiques. C’est dire qu’en
quelque sorte, ils avaient mandat de les surveiller. Avec le pluralisme
politique, le Président Habyarimana a continué d’appliquer la même recette
politique, cette fois-ci non pour les besoins de contrôle politique, mais pour
pouvoir affronter, sur leur propre terrain, les nouveaux leaders de
l’opposition. Cela explique notamment pourquoi, malgré qu’il savait qu’il
n’avait pas beaucoup de chance de récolter des suffrages significatifs dans
les préfectures de Gitarama et de Butare, fiefs de l’opposition,
respectivement bastions du MDR et du PSD, ces préfectures ont tout de même
conservé au sein du MRND la dotation d’un portefeuille ministériel.
On
peut aussi constater voir que le gouvernement qui a été composé le 8 avril,
en ce qui concerne le MRND, a appliqué le même dosage régional.
2.
LA
REPARTITION REGIONALE APPLIQUEE
Origine |
Gouv. de 5.87 |
Gouv.du15.1.89 |
Gouv.du9.7.90 |
Gouv.du 4.2.91 |
Gouv. du 31.12.91[60] |
Gouv. du 16.4.92 |
Gouv.du 18.7.93 |
Gouv.du 8.4.94 |
Gouv.du25.5.94 |
Kigali |
1 |
2 |
2 |
2 |
2 MRND |
3 dont 1 MRND et 1 tutsi |
2 dont 1 MRND et 1 tutsi |
2 dont 1 MRND |
2 dont 1 MRND |
Gitarama |
1 |
2 |
2 |
2 |
2 dont 1 MRND |
5 dont 1 MRND |
4 dont 1 MRND |
3 dont 1 MRND |
3 dont 1 MRND |
Butare |
2 |
2 |
2 |
2 |
1 MRND |
3 dont 1 MRND |
3 dont 1 MRND |
4 dont 2 MRND |
4 dont 2 MRND |
Gikongoro |
2 dont 1 tutsi |
2 dont 1 tutsi |
2 dont 1 tutsi |
2 |
2 MRND |
2 dont 1 MRND |
2 dont 1 MRND |
1
MRND |
1
MRND[61] |
Cyangugu |
1 |
2 |
2 |
2 dont 1 tutsi |
2 MRND |
1
MRND |
1
MRND |
1
MRND |
1
MRND |
Kibuye |
1 |
1 |
1 |
1 |
1
MRND |
1 MRND[62] |
2 dont 1 MRND[63] |
3 dont 1 MRND[64] |
3 dont 1 MRND |
Gisenyi |
3 |
3 |
2 |
3 |
3
MRND |
2
MRND |
2 MRND |
3 dont 1 MRND |
3
dont 1 MRND |
Ruhengeri |
3 |
2 |
2 |
2 |
2
MRND |
2 dont 1 MRND |
1 MRND |
2 dont 1 MRND |
2 dont 1 MRND |
Byumba |
1 |
1 |
2 |
1 |
2
MRND dont 1 tutsi |
1
MRND |
2 dont 1 MRND |
1 MRND |
1 MRND |
Kibungo |
1 |
1 |
1 |
1 dont 1 tutsi |
1 MRND dont 1 tutsi |
1 MRND |
2 dont 1 MRND |
2 dont 1 MRND |
2 dont 1 MRND |
1.
LES
RAISONS INTERNES.
a.
Le
problème des déplacés de guerre.
Le
8 février 1993, rompant unilatéralement le cessez-le-feu, le FPR massacre plus
de 40'000 personnes et met sur la route un million de déplacés de guerre[65].
C’est 1/7 de la population qui est contraint à l’errance interne. Les déplacés
arrivent aux portes de Kigali, à moins de vingt kilomètres. Ils ont par la
suite vécu très misérablement. La plupart des observateurs, devant ce
dramatique spectacle, n’ont pas compris pourquoi le FPR avait choisi de
recourir à l’expulsion de leurs terres de paisibles paysans. A partir de ce
moment, beaucoup de gens ont été persuadés que le FPR était prêt à tout
pour s’accaparer du pouvoir. De même, pour ceux qui avaient toujours pensé
que la guerre allait se confiner aux seules communes Muvumba et de Ngarama, la
guerre est devenue, à travers le million de déplacés et l’occupation de
plusieurs communes de Byumba et de sept communes de Ruhengeri, une réalité
nationale désormais palpable.
Au
sein du MRND en particulier, l’on craignait que la future étape ne soit une
guerre portée contre les populations de Gisenyi et de Ruhengeri, ce qui
laminerait complètement sa base politique. Il en est de même pour le MDR qui
disputait les adhérents avec le MRND dans la préfecture de Ruhengeri qui
risquerait à son tour de perdre son bastion politique. Pour l’ensemble des
partis d’opposition, ils avaient peur qu’une nouvelle reprise des hostilités
ne conduise à de nouveaux déplacements de populations vers le sud, y aggravant
ainsi la famine. Au niveau du Gouvernement, l’aide humanitaire en faveur des déplacés
constitue un poids économique, social et politique énorme qu’il ne peut
endurer très longtemps.
Cette
dramatique situation de déplacés de guerre venait s’ajouter à la situation
alimentaire très précaire causée par le déficit alimentaire chronique.
L’on notera aussi que le négociateur clé des accords d’Arusha, Monsieur
Boniface Ngulinzira[66],
membre du MDR et ministre des affaires étrangères, avait perdu plusieurs de
ses parents dans la reprise des hostilités par le FPR.
b.
La
faiblesse de l’armée.
La
guerre de février 1993 a montré la faiblesse patente de l’armée
gouvernementale. En moins d’une semaine, le FPR a effectué une attaque de
grande envergure qui l’a fait gagner un quart du territoire national et l’a
positionné à près de cinquante kilomètres de la Capitale. Le spectre d’une
offensive future sur Kigali faisait peser une peur insoupçonnée dans la
population, y compris chez des leaders de l’opposition, pourtant favorables au
FPR. Celui-ci a pris beaucoup de matériel militaire sur l’ennemi. On a assisté
ensuite à plusieurs désertions dans l’armée. Désormais, les partisans du
FPR, dopés par l’avancée militaire spectaculaire de leur armée, n’éprouvaient
plus aucune crainte d’afficher ouvertement leur militantisme. Le journal
« Kanguka », très favorable à la rébellion, appellera à la
victoire du FPR, et dans un ton franchement ethniste, souhaitera l’exil
pour trente ans des populations hutu[67].
La
dramatique situation militaire renforcera la position politique de ceux qui,
dans le camp présidentiel, étaient contre la poursuite de la guerre et plutôt
favorable à une issue négociée du conflit. Cette tendance viendra renforcer
le camp de l’opposition intérieure favorable au même aboutissement
pacifique. La conjugaison des forces donnera une impulsion effective aux négociations.
c.
La
logique de positionnement politique
Le
gouvernement de transition avait été obtenu par les pressions intenses tant au
niveau interne qu’international. Le processus de sa mise en place avait été
très laborieux et le Président Habyarimana avait fini par céder. Il convient
de noter cependant qu’en vue de s’assurer la maîtrise de l’ouverture
politique, il avait tenu à lui donner une durée d’exercice bien circonscrite
dans le temps, à savoir une année.
Pendant
qu’ils participaient au gouvernement, les partis politiques, ceux de
l’opposition principalement, avaient engrangé des bénéfices politiques et
économiques certains. Ils n’avaient par contre aucune assurance que le
protocole d’entente entre les partis politiques de gestion de la transition
entre les partis politiques allait être prorogé au-delà d’une année. Déjà,
en janvier 1993, le Président de la République était entré en conflit avec
le Premier ministre sur la conduite des négociations de paix. Ecartant des négociations
de manière unilatérale le ministre des affaires étrangères, Boniface
Ngulinzira, il avait désigné le ministre de la défense, James Gasana, chef de
la délégation gouvernementale aux négociations d’Arusha[68].
Les
partis d’opposition redoutaient que l’échéance annuelle ne soit
l’occasion pour le camp présidentiel de reprendre l’initiative et, partant,
le contrôle total du processus politique. Ils craignaient donc de se voir écarter
du gouvernement et ainsi être sevrés de la manne étatique, réticents
qu’ils étaient à compter sur leurs propres forces et à faire la politique
en dehors du gouvernement.
Le
bilan du gouvernement sur les huit points du programme retenu par le protocole
d’entente est faible. Compte tenu de la configuration politique, du rapport
des forces des partis ainsi que de la conjoncture internationale, le seul point
sur lequel le gouvernement de transition a obtenu des résultats tangibles reste
celui relatif à la négociation de la paix. Ces partis avaient donc intérêt
à profiter de l’appui relatif de la communauté internationale au processus
de paix pour obtenir des résultats substantiels dans les négociations qu’ils
verseraient ensuite à leur actif afin de s’imposer dans la gestion postérieure.
1.
LES
RAISONS EXTERIEURES.
a.
Les
élections au Burundi.
En
juin 1991, le Front démocratique burundais « FRODEBU », parti
d’opposition, l’emporte haut la main les élections législatives et présidentielles
au Burundi. Cet événement est accueilli très favorablement par l’ensemble
de la classe politique intérieure rwandaise. Dans les rangs de l’opposition
interne, cette victoire confirme la justesse de l’approche pacifique adoptée
dans la lutte politique. Elle est aussi perçue comme prémonitoire de leur
propre victoire en cas d’organisation d’élections générales à l’issue
de la période de transition. Le succès électoral du FRODEBU dope
l’opposition et la stimule à accélérer la conclusion des négociations.
Le
camp présidentiel est réconforté par la perspective d’avoir à son flanc
sud un nouveau pouvoir burundais qui n’avait pas développé antérieurement
des intelligences avec le FPR. Il était, en effet, de notoriété publique que
le pouvoir burundais défait soutenait la rébellion, notamment par la
facilitation dans le recrutement militaire et par l’autorisation octroyée
d’installation sur son territoire d’une radio de propagande militaire et
politique : la radio « Muhabura ». Aussi, le pouvoir burundais
fournissait-il un appui politique et diplomatique indéniable en faveur du FPR.
La probabilité forte que tous ces soutiens allaient cesser renforçait la
position politique et militaire du MRND.
Le
pôle FPR, par contre, se trouvait affaibli par le succès politique du FRODEBU
et l’élection de Monsieur Melchior Ndadaye à la magistrature suprême. L’éviction
du Président Pierre Buyoya signifiait, d’une part, pour la rébellion, comme
cela vient d’être mentionné ci-dessus, la perte d’un allié régional, à
court et à moyen terme. D’autre part, il lui serait désormais difficile de
ne pas admettre le règlement pacifique des différends. Devant sa porte, il était
aisé de voir, qu’un parti d’opposition, de surcroît pacifique, avait pu,
par les urnes, faire valoir ses prétentions et conquérir le pouvoir sans
devoir prendre les armes. La pression pour la conclusion des négociations et la
mise en place d’une transition politique à laquelle le FPR allait être
confronté, devenait plus forte encore.
b.
La
fatigue des pays limitrophes.
Trois
ans de guerre, s’en est trop. Pour les pays voisins du Rwanda, l’enlisement
du conflit pouvait faire craindre que ce dernier ne s’exporte chez eux et ne
les plonge à leur tour dans des guerres internes. Le Burundi venait de réussir
une transition pacifique encore fragile qu’il cherchait à consolider. Il
n’aurait pas aimé que le conflit à sa frontière soit exploité par les
perdants en portant les armes contre les nouvelles institutions, remettant ainsi
en cause les fruits d’un investissement politique de longue haleine.
Le
Congo, ex-Zaïre, reste un patchwork de régions vastes non encore intégrées
dont la propension au séparatisme reste encore forte. Il ne souhaitait pas que
le conflit civil rwandais alimente des foyers de tension centrifuge, notamment
dans le Kivu et le Shaba, régions dont l’histoire politique reste très
tourmentée. Plus que quiconque, le Congo était très conscient de la nature régionale
du conflit rwandais ainsi que des visées géopolitiques qui le concernaient.
Cela explique pourquoi il s’est impliqué dès les débuts à la résolution
rapide du conflit rwandais[69].
La
Tanzanie a toujours développé une politique active d’intégration régionale
pacifique. La guerre, avec la défense des intérêts contradictoires
conjoncturels de chaque pays dans le conflit, empêche la construction soutenue
d’une dynamique favorable à l’intégration économique, encore moins
politique. En outre, la persistance du conflit, compte tenu de l’implication
forte d’une autre Puissance régionale, à savoir l’Uganda, semblait dérouler
le tapis rouge en faveur de ce nouvel acteur concurrent autour duquel la future
politique régionale risquait de se construire. Ce dernier semble être le seul
pays à tirer un bénéfice net de la guerre dans le sens qu’il résout par ce
biais ses propres problèmes internes et, par ricochet, agrandit l’influence
dans son arrière-cour.
c.
Le compromis entre les Puissances occidentales.
Les
Puissances occidentales, en l’occurrence les USA, la France et la Belgique ne
sont pas des ennemis. Ils ont plus d’éléments de convergence et de points de
rencontre qu’ils aimeraient régler au plus vite qu’à s’opposer sur des
enjeux secondaires tels que le conflit rwandais. L’OTAN, l’Union européenne,
l’Organisation mondiale du commerce, les conflits des Balkans et l’ouverture
à l’économie de marché des anciens pays du bloc soviétique sont des enjeux
de loin plus importants qui ne devraient pas souffrir des oppositions mineures.
L’on
se souvient de ce que la France, en mai 1992, afin d’obliger le Président
Habyarimana à négocier avec la rébellion, avait permis à cette dernière de
s’emparer d’une portion du territoire rwandais en commune Muvumba[70].
De plus, lors de la grande attaque du mois de février 1993 par le FPR, il avait
été convenu entre ce dernier et le gouvernement rwandais que les troupes françaises
du détachement Noroît devaient avoir quitté le territoire rwandais avant la
fin de l’année 1993. Elles quitteront Kigali précisément le 15 décembre.
L’on sait enfin que les trois pays avaient mis sur pied un cadre de
concertation et de pression commune sur le Président rwandais ainsi que
l’atteste ce mémorandum confidentiel[71] :
United
States Department of State
Washington
D.C. 20520
July
15, 1992
CONFIDENTIAL
MEMORANDUM
TO
AF - Mr. Cohen
THRU
AF - Robert Houdek
FROM
AF/C - Robert M. Pringle
SUBJECT
Calls to Claes and Dijoud.
I.
PURPOSE
We
suggest you call Belgian FM Claes and French Africa Director Dijoud to urge them
to keep pressure on Habyarimana to implement the Rwanda-RPF accords and to help
support the peacekeeping mechanisms.
IIA.
Key Points for Dijoud
(...)
à
Congratulations
on the Rwanda cease fire agreement. Your efforts seem to be paying off faster
than anyone could have expected. But it is also apparent that the agreement is
fragile and will require much further care and support from foreign friends.
à
We
are especially worried that the Rwandan political leadership, especially
President Habyarimana, may reject what their negociators have accomplished
because it yields too much to the RPF.
à
We
think it would help greatly if you call Habyarimana and urge him to support
implementation of the agreement. We plan to do something similar, either a call
or letter from a senior personnality.
à
(If
asked about U.S. support). We plan to continue our current level of technical
assistance throughout the peace process.
IIB.
Key Points for Claes
à
Western
diplomatic efforts to encourage peace in Rwanda seem to be paying off faster
than anyone expected. Nevertheless, the agreement is obviously fragile and the
peace process will need lots of additional support from Rwanda’s foreign
friends.
à
We
are especially worried that the Rwandan political leadership, especially
President Habyarimana, may reject what their negociators have accomplished
because it yields too much to the RPF.
à
We
think it would help greatly if you would raise this subject with Habyarimana and
urge him to support implementation of the agreement. ( We understand he will be
in Brussels next week.) We plan to do something similar, either a call or letter
from a senior personnality.
à
We
hope you will be able to help fund the monitoring group.
à
(If
asked) While we plan to continue our current level of technical assistance,
doing anything more than that will be difficult for us due to the decreased
level of security assistance available for Africa.
BACKGROUND
We
believe you should call Dijoud and Claes, congratulate them on their role to
date in the negociations, and urge them to keep pressure on Habyarimana, who (it
is widely feared) may conclude that his negociators got carried away and yielded
to much to the RPF. (...)
1.
LE
CLIMAT DE PEUR ET DE BLOCAGE AVANT AVRIL 1994.
a.
L’assassinat
du Président burundais.
L’assassinat
du Président burundais Melchior Ndadaye en octobre 1993[72],
faut-il le souligner, constitue l’événement majeur qui a le plus contribué
au bouleversement des rapports entre les partis. Il a atténué les antagonismes
régionaux et a induit l’incrustation d’un climat de radicalisation et de
bipolarisation ethnique. Dans le camp présidentiel où l’on parle sans ambiguïté
de l’implication du FPR dans le coup, la confiance dans les institutions de
transition élargie au FPR s’est effritée par crainte de voir ce dernier les
utiliser afin d’opérer un coup d’état et s’accaparer seul du pouvoir. Il
en était de même pour le FPR qui n’était plus assuré de disposer dans les
institutions de transition, avec ses alliés devenus moins sûrs, de la majorité
des deux tiers[73]
afin de mener la politique à sa convenance. Il redoutait que sa supériorité
militaire ne soit transformée par la nouvelle redistribution des cartes en une
défaite politique. Chacun des deux adversaires se préparait à une nouvelle épreuve
de force.
b.
Les
entraînements et infiltrations de milices.
Dans
le camp présidentiel, en prévision de la démilitarisation et de la
consignation des armes par la MINUAR, l’entraînement militaire des « Interahamwe »
pour s’assurer d’une force paramilitaire propre avait commencé dès le mois
de novembre. Ils étaient estimés à un nombre équivalent à 3 bataillons[74].
C’est cette force, plus la garde présidentielle, qui se transformeront, à
partir du 7 avril 1994, en fer de lance du génocide. Du côté FPR, aussitôt
arrivé à Kigali, son bataillon de sécurité a commencé à creuser les tranchées
tout autour de son nouveau quartier général : le CND. Des infiltrations
en ville par des éléments armés complémentaires au bataillon avaient été déployées.
Ils étaient évalués par la MINUAR à près de 1’400 personnes dans la seule
ville de Kigali, et à près de 7'200 sur l’ensemble du territoire[75].
c.
Le
blocage des institutions de transition.
La
mise en place des institutions de transition a été au début freinée par le pôle
présidentiel. En effet, le FPR ne lui garantissait plus l’amnistie négociée
dans le plus grand secret, le Président de la République craignait désormais
que son immunité ne soit levée et que lui-même ne soit poursuivi pour
l’assassinat des dignitaires de la Première République. Il ne cherchera pas
à mettre en place les institutions de transition tant qu’il ne sera pas sûr
de détenir dans le futur parlement le tiers des voix nécessaires au blocage
des décisions importantes. Par la suite, ce sera le tour du FPR de s’opposer
à leur mise en place. Il était, en effet, en train de perdre la majorité
qualifiée des deux tiers dans le sens où le pôle MDR était en train de se
reconstituer grâce aux rapprochements de M. F. Twagiramungu
et de M. D. Nsengiyaremye[76]
et où les partis PL et PSD n’étaient plus totalement acquis aux stratégies
du FPR.
d.
L’insécurité
généralisée.
Comme
s’il s’agissait d’un signe des temps, le départ du détachement militaire
français a coïncidé avec l’arrivée des troupes d’élite du FPR.
L’incapacité de la MINUAR à assurer la sécurité était devenue patente. A
Kigali, les quartiers dont les habitants disposaient de moyens organisaient déjà
leur propre sécurité et engageaient des gardes de nuit supplémentaires qui
patrouillaient et contrôlaient les différentes artères d’accès à leur
quartier. Ceux qui ne pouvaient se payer de tels services faisaient des rondes
nocturnes. Presque toutes les soirées étaient caractérisées par des
explosions de grenades, des mines anti-personnelles ou de bruits d’armes à
feu. La criminalité politique reprenait ses droits. Le sommet a été atteint
par l’assassinat à deux jours d’intervalle de deux leaders politiques, à
savoir M. F. Gatabazi, secrétaire exécutif du PSD et M. M. Bucyana de la CDR.
Ces deux événements se sont transformés en émeutes dans certains quartiers
comme Gikondo et ont failli se transformer en guerre civile généralisée.
e.
Le
climat de guerre.
L’insécurité
généralisée a donné lieu à l’installation d’un climat de guerre
s’installe. Les deux camps opposés renchérissaient dans la propagande fondée
sur des discours d’incitation à la violence et à la haine ethnique[77].
Le
FPR, sans conteste militairement plus fort, donnait l’impression d’être le
plus déterminé à reprendre la guerre puisqu’il affirmait déjà dans deux
journaux ugandais que « les chances de Kagame de prendre Kigali se sont
multipliés par 100[78] »
et qu’il était prêt à foncer et à s’emparer de Kigali en un jour. Il était
déterminé à reprendre les hostilités, quel qu’en fut le prix pour les
tutsi de l’intérieur et pour l’opposition. Devant les délégués de la
société civile qui lui proposaient de privilégier le compromis politique à
la force militaire afin d’éviter le sort tragique qui ne manquerait pas de
s’abattre sur l’opposition et les tutsi de l’intérieur, il avait déclaré
que : « même dans l’Allemagne nazie, il y avait eu des survivants
des camps de concentration »[79].
Le
camp présidentiel qui avait bien armé ses milices se préparait à son tour à
liquider l’opposition et les tutsi en cas de rupture de cessez-le-feu par le
FPR. Cette résolution à s’en prendre aux tutsi et à l’opposition en cas
d’attaque avait été confiée aux mêmes membres de la société civile venus
faire le plaidoyer de l’Accord de paix à qui il avait été confié que :
« Nous n’agresserons personne de notre première initiative. Le FPR se prépare à la guerre et vous devez savoir qu’en cas de reprise de la guerre, nous ne resterons pas inertes »[80].
f.
La
dégradation de la situation économique et sociale.
En
ce premier trimestre de l’année 1994, la situation socio-économique n’a
pas cessé de se détériorer. Cette situation provient en premier lieu du déficit
alimentaire chronique connu dans le pays. En deuxième lieu, il s’agit des
effets négatifs de la politique d’ajustement structurel imposé par le FMI
qui, vu la dévaluation de plus de 70% de la monnaie nationale, a alourdi la
facture d’importation des biens de première nécessité, cela frappe autant
la classe paysanne que la classe moyenne. En troisième lieu, il convient de se
souvenir de ce qu’en février 1993, le FPR s’est accaparé de près d’un
quart du territoire national. Cette portion n’est plus utilisée pour nourrir
la population. Et le fait aggravant est que la région occupée constituait le
principal grenier du pays. En quatrième lieu, les déplacés de guerre grèvent
énormément le budget de l’Etat et l’aide humanitaire. En cinquième lieu,
depuis le 21 octobre 1993, date de la mort du Président burundais, près de
350'000 réfugiés burundais se trouvent encore sur territoire rwandais.
Le
Premier ministre, Madame Agathe Uwilingiyimana, confiait déjà ceci le 6 décembre
1993 à au jour belge « Le Soir » :
« …
nous allons devoir faire face à une famine dans le sud du pays. Les régions de
Butare, de Kibuye, de Gikongoro sont ravagées par la sécheresse. Le nord,
jadis grenier du pays, est sinistré par la guerre ; le sud fait face à la
sécheresse et au surpeuplement. Sur les marchés, les vivres commencent à
manquer et notre déficit alimentaire s’élève à 590'000 tonnes. En outre
les réfugiés déboisent tout : des collines sont rasées, des forêts brûlées… »[81].
Le
4 avril 1994, l’ONG OXFAM annonçait qu’entre 800'000 et 2'500'000 personnes
allaient être directement affectées par la famine.
« Au moins 500.000 personnes sont menacées de famine au Rwanda, en raison de la sécheresse, d’un déficit alimentaire chronique, des mouvements de déplacés de la guerre civile rwandaise et de l’afflux de réfugiés burundais, a-t-on estimé lundi de sources humanitaires.
Ce
chiffre de 500.000 correspond aux « personnes en situation d’extrême
urgence », a-t-on ajouté de mêmes sources. Le nombre de personnes affectées
à des degrés divers se situe entre 800.000 et 2,5 millions, selon différentes
sources.
Un
rapport établi par l’association humanitaire Oxfam en collaboration avec le
Gouvernement et divers autres organismes fixe à plus de 800.000 le nombre de
personnes nécessitant une aide alimentaire d’urgence. Selon les responsables
d’Oxfam à Kigali, ce rapport et ses recommandations doivent être publiés en
début de semaine.
Une
autre étude de l’association humanitaire Caritas fixe à plus d’un million
le nombre de personnes dans le besoin, le Gouvernement réclamant de l’aide
alimentaire pour au moins 2,5 millions de personnes, a-t-on indiqué de différentes
sources humanitaires.
Il
y a deux semaines, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO) avait jugé « critique » la situation alimentaire dans
l’ensemble du Rwanda et estimé que seule une aide urgente pouvait éviter la
famine[82] ».
1.
LE
CLIMAT DE TERREUR D’AVRIL A JUILLET 1994.
a.
La
représentation du climat de terreur.
Le
6 avril 1994, un attentat, véritable acte de piraterie aérienne coûte la vie
aux Présidents rwandais et burundais. En moins de six mois, c’était trois Présidents
hutu tués, diront les partisans de l’ethnicité. Cet attentat a été suivi
immédiatement par la violation du FPR du cessez-le-feu et de l’Accord de paix
puisqu’il a repris tout de suite la guerre et a attaqué dès le matin même
sur tous les fronts. La question lancinante reste toujours la suivante :
que cherchait à obtenir l’auteur de cet acte extrême qui a semé le
chaos et la terreur et a déclenché un cataclysme inouï dont les éléments
les plus graves et les conséquences immédiates sont la guerre, le génocide et
les crimes contre l’humanité ?
Afin
de permettre à la Cour de se représenter le climat de terreur qui prévalait
en cette période là, j’aimerais l’illustrer par l’allégorie suivante :
« En
pleine crise américano-soviétique lors de la crise cubaine en 1962 ou des
euromissiles en 1986, rentrant d’une mission de résolution de la crise
cubaine ou des euromissiles à laquelle participaient les Chefs d’Etat de l’Alliance
atlantique, un commando d’élite soviétique abat au moment de l’amorce
d’atterrissage à la Maison Blanche l’avion du Président américain dans
lequel figurait aussi le Premier ministre britannique qui meurent sur-le-champ.
Le chef d’état major des armées, le chef du contre-espionnage et le
conseiller politique américains se trouvent dans le même avion ainsi que deux
ministres britanniques qui tous périssent dans l’attentat. Au moment des
faits, le secrétaire d’Etat à la défense américaine, le chef des opérations
militaires à l’état major, le chef des renseignements militaires sont en
voyage en Amérique latine.
Après
l’attentat perpétré par le commando soviétique, l’armée soviétique
attaque les troupes américaines à partir de la Floride. Sont restés sur place
aux commandes de l’Etat, le vice-Président et le Président de la Cour
constitutionnelle. Ceux-ci sont immédiatement éliminés. Le général Douglas
Mac Arthur, le champion toutes catégories de la lutte anti-soviétique, et le
chef du Ku Klux Klan s’accaparent de l’Etat. Ceux-ci répliquent non
seulement par l’entrée en guerre contre l’Union soviétique, mais aussi par
l’élimination des leaders démocrates et des populations d’origine slave.
Pendant ce temps, les troupes de l’OTAN qui stationnaient à Washington sont
rappelées. Les seuls véhicules d’information sont monopolisés par la presse
du Ku Klux Klan et par l’armée soviétique. Ajoutons aussi que depuis trois
mois des experts français du renseignement ont établi que, en cas de guerre
ouverte, près de 8% de la population américaine allait périr ».
Quelles
seraient, de votre point de vue, les conséquences qu’une telle crise pourrait
induire aux Etats Unis d’Amérique ?
b.
Les
éléments facilitateurs de la terreur.
i)
L’assassinat
du Chef de l’Etat
Depuis
le 5 janvier 1994, date de sa prestation de serment dans le cadre de l’entrée
en vigueur des institutions de
transition, l’institution de Présidence de la République, parce que ni
l’assemblée nationale ni le gouvernement de transition n’avaient été
constitués, la présidence était, à cette date, la seule légale. En outre,
depuis le 7 janvier 1994, arguant qu’il n’existait plus de cadre juridique
pour la tenue de conseils des ministres, le Premier ministre, Agathe
Uwilingiyimana, ne réunissait plus depuis longtemps son conseil des ministres[83].
L’assassinat du Président de la République qui survient le 6 avril, suivi le
lendemain par celui du Premier ministre, a donc créé un vide institutionnel et
politique qui ne pouvait être régulièrement comblé. Ce vide, voulu par
l’auteur de l’attentat, a induit le blocage complet des institutions et a
permis aux éléments les plus radicaux d’accéder aux commandes de l’Etat,
de séquestrer celui-ci sans imputabilité, d’étendre la terreur et
d’organiser les massacres.
ii)
La
faillite des Casques bleus
La
MINUAR était la seule institution qui disposait d’un commandement cohérent
et d’une force de frappe dissuasive. On se serait attendu à ce qu’elle
allait s’opposer aux massacres notamment par la création d’une zone de sécurité
pour les personnes fuyant les massacres et la guerre[84].
En cela, elle aurait certainement obtenu le concours des officiers de l’armée
opposés aux tueries et à la prise du pouvoir par les éléments ultra[85].
Des zones comme les préfectures de Gitarama ou de Butare où la résistance
contre les tueries ethniques était bien réelle pendant les deux premières
semaines auraient pu servir de territoire de sécurité. La MINUAR avait aussi
la capacité de brouiller les radios qui diffusaient la propagande ethnique et
guerrière[86].
Elle pouvait surtout créer l’espace médiatique et social pour les
organisations et les individus jouissant d’un pouvoir moral certain sur les
populations afin de créer et de diffuser un courant d’opinion opposé au génocide
et aux massacres.
Elle
n’a rien fait de tout cela, elle a choisi de manière délibérée de plier
bagage, de laisser le champ libre à l’expression de la violence extrême, de
laisser se dérouler le génocide et des crimes contre l’humanité dirigés
contre des innocents. Tout cela, peut-être, dans un calcul cynique de ne pas gêner
la victoire militaire d’un camp sur l’autre.
a.
Les
traits de la terreur.
i)
le
triomphe des violents
De
manière globale, tout l’espace politique et médiatique a été occupé par
les extrémistes. Aucun n’a été concédé aux partisans d’une pensée
critique. C’était la tyrannie au sommet et l’empowerment des violents et
des laissés pour compte. C’était le règne de la peur, du soupçon. La
violence a révélé plusieurs facettes entremêlées : violence ethnique,
guerre, vengeances, règlements de comptes, accaparement de biens d’autrui,
revanche sociale des plus pauvres. Elle a recouru quasi systématiquement à
l’homicide. Les gens n’ont même pas pu choisir lequel des deux camps
violents les protégerait. Ils ont subi la protection et/ou la répression
implacable de la partie violente maîtresse des lieux. C’est dire que les
populations ont véritablement subi, sans la moindre défense, la loi des deux
extrémismes armés. En ce qui concerne le côté gouvernemental, l’érection
des barrières sur les artères de circulation et la réduction très rigoureuse
des déplacements ont été les moyens utilisés efficaces dans le contrôle des
populations.
ii)
L’érection
de barrières
Au
début, des ordres radiodiffusés ont été passés défendant de quitter le
domicile. Comme dans la période précédant le 6 avril, tout au début, les
gens ont continué d’assurer leur propre sécurité dans les quartiers. Dans
les endroits qui n’étaient pas dominés par les « Interahamwe »,
on pouvait au début voir ensemble des tutsi et des hutu, jour et nuit, comme
dans la période précédente, veiller à la tranquillité de leur quartier.
Cependant les voies d’accès ont été ensuite maîtrisées par les « Interahamwe ».
Ces derniers ont érigé les barrières pour filtrer les déplacements, à la
recherche de tutsi. Des fouilles étaient organisées dans les maisons chez des
gens soupçonnés d’abriter « l’ennemi ».
Malheur
arrivait à quiconque était pris en flagrant délit de cacher un tutsi. Il
pouvait être tué en même temps que son fugitif. Il pouvait même, avant sa
propre mort, lui être obligé de tuer son hôte. Malheur arrivait à une
personne qui, sorti de son quartier, se faisait reconnaître sur une barrière
quelconque comme appartenant à l’opposition ou ayant des affinités avec un
membre du FPR. C’était presque toujours la sanction suprême qui était
appliquée, à savoir la mort.
iii)
La
réduction des déplacements.
Sauf
pression avérée des combats, les déplacements d’une préfecture à une
autre, voire d’une commune à une autre, ont été ensuite limités de manière
drastique[87].
Quand sur les barrières, l’on découvrait que la personne n’était pas
originaire de la préfecture du lieu de contrôle, il lui était souvent demandé
de fournir la pièce d’identité de la commune d’origine, une autorisation
de résidence, une attestation de travail, un laisser passer, un ordre de
mission signé par des autorités compétentes ou une preuve d’attache à la
localité. La régularité des preuves présentées ressortait de l’appréciation
personnelle du chef de la barrière.
Quant
aux personnes qui souhaitaient se rendre à l’extérieur du pays, s’il
s’agissait de se rendre dans les pays limitrophes, Burundi et Zaïre
principalement, elles devaient détenir la carte de circulation CEPGL ou obtenir
un laisser passer de l’autorité préfectorale qui partage la frontière avec
ledit pays. S’agissant des autres pays, il fallait une invitation du
partenaire extérieur et une autorisation expresse de l’autorité compétente.
En tous les cas, un ordre de mission signé par le Président de la République
était exigé pour les agents de l’Etat.
iv)
Le
génocide et les crimes contre l’humanité
Le
chaos et la terreur ont créé des occasions pour les extrémistes de tous bords
d’effectuer des éliminations inouïes de nombreuses personnes, principalement
sur base ethnique. Du côté gouvernemental, l’organisation des massacres
s’est transformée en un plan systématique de génocide massif contre les
tutsi[88].
Du côté sous contrôle du FPR, la direction des tueries s’est muée en un
schéma méthodique de vastes crimes contre l’humanité contre les hutu.
Cela
a été rendu en ces termes :
« D’une
part, des tutsi sont morts du fait de leur appartenance ethnique. Ils sont allés
au supplice suprême, sans broncher, sans défense. L’on ne peut nier une évidence
d’un génocide massif qui s’est déroulé « en direct », souvent
à l’arme blanche et a impliqué des gens, y compris de conditions modestes,
par dizaine de milliers. Ces crimes se sont passés comme tels dans la partie
contrôlée et administrée par l’ancien régime dès le 7 avril, au lendemain
de l’assassinat, non encore élucidé, du Président Habyarimana [89] ».
« Au
même moment, dans les zones vite contrôlées par les troupes du FPR, les
massacres des populations de la préfecture de Byumba débutent systématiquement,
discrètement et sélectivement. Sous le slogan « wuwa wote »,
« rasez-les tous », à abri des caméras et au fur et à mesure de
la progression militaire, des tueries massives sont opérées dans Kibungo où
des corps de cadavres sont jetés dans la rivière Akagera. Les gens sont triés,
rassemblés dans des simulacres de réunions et sont éliminés. Ils sont
conduits vers des destinations où ils n’arriveront jamais[90] ».
v)
L’arrivée
salvatrice de l’opération turquoise
A
la mi-juin 1994, l’armée française, sur mandat des Nations Unies, instaura
une zone humanitaire sûre au sud-ouest du pays, appelée « opération
turquoise ». Cette opération comportait sans doute des mobiles militaires
latents, notamment celui d’arrêter la progression du FPR pour ensuite imposer
des négociations directes entre les belligérants. Cependant, il convient de
constater qu’en levant de force les barrières gardées par les miliciens,
l’opération turquoise a permis aux populations de fuir à temps la
progression des combats et à éviter un désastre humanitaire sans précédent
puisqu’elles auraient été prises dans l’étau entre les combats et le lac
Kivu. Depuis l’intervention de l’armée française, les déplacements ont été
plus aisés. L’idée répandue selon laquelle l’opération aurait permis
d’exfiltrer des miliciens semble courte dans le sens où ce sont ces derniers
qui étaient maîtres des barrières et du territoire, conservaient plutôt leur
liberté de mouvement.
-
D’octobre
1990 à juin 1991,
-
de
juin 1991 à octobre 1993,
-
d’octobre
1993 au 6 avril 1994,
-
du
6 avril à juillet 1994.
1.
ETRE
COMPLICE ENTRE OCTOBRE 1990 ET JUIN 1991.
Quand
la guerre éclate en octobre 1990, le Président Habyarimana, de retour de New
York, simule dans la nuit du 4 au 5
octobre une attaque du FPR dans la ville de Kigali. Des tirs intenses sont
entendus et provoquent une grande panique dans la population. Profitant de cette
panique, le pouvoir appréhende près de 8'000 personnes. Elles constituent pour
l’essentiel l’élite intellectuelle et commerciale. Ces personnes sont accusées
de complicité active avec l’ennemi et de constituer la cinquième colonne du
FPR. Un climat de terreur s’installe puisque ce ne sont pas les seuls
prisonniers qui sont maltraités et subissent une situation sanitaire précaire,
leurs familles sont aussi brutalisées. L’analyse de l’origine ethnique et géographique
des prisonniers établie par l’organisation de défense des droits de
l’homme, « ADL » a révélé plus tard que la quasi totalité des
détenus étaient originaires du sud du pays. 39% d’entre eux étaient tutsi
et 61% restant était hutu[91].
Pendant
cette période, le climat socio-politique se détériore. La presse favorable au
régime se déploie à ternir l’image de personnalités du sud et/ou tutsi, y
compris des ministres au gouvernement, accusant certains d’avoir menti sur
leurs vrais origines ethniques. La complicité se lit donc à travers la double
lunette, ethnique tutsi, et régionale du sud. Quand, dès le début de l’année
1991, les revendications démocratiques deviennent plus insistantes et que
certains courants d’opinion laissent transparaître leur compréhension envers
certaines revendications du FPR, la notion de complicité s’étend et à prend
une connotation politique, celle de lier opposition et connivence avec la rébellion.
2.
ETRE
COMPLICE ENTRE JUIN 1991 ET OCTOBRE 1993
Dès
le 10 juin 1991, le pluralisme politique se confirme et est formellement reconnu
par la Constitution de la République. Les partis qui naissent en ce moment-là
s’affichent au départ dans l’opposition sont le MDR et du PSD. Les
partis PL et PDC, et bien sûr le MRND, se réclament au début proches de la
majorité présidentielle. Peu après cependant, le PL et le PDC rejoindront
l’opposition. Plus tard, d’autres minuscules partis satellites créés par
le MRND et le FPR, verront le jour.
Ce
qui caractérise cette période d’euphorie démocratique est que la notion de
complice disparaît complètement du vocabulaire politique. Même si les tenants
d’une ligne dure au sein du MRND et de la CDR continuent de taxer certains
partis de complice de l’ennemi, cela n’a pas d’impact réel. Au contraire[92].
La dissension à la norme MRND est acceptée comme choix politique et chaque
choix politique est considéré comme légitime. Cela correspond à la période
où l’opposition s’impose sur la scène politique, entre au gouvernement et
négocie avec la rébellion la fin de la guerre. C’est aussi la période où
le camp présidentiel et le FPR, non contents d’un pluralisme politique qui
les considérait comme des acteurs au même titre que les autres formations,
vont chercher à affaiblir le camp de l’opposition démocratique afin
d’imposer la bipolarisation.
3.
ETRE
COMPLICE ENTRE OCTOBRE 1993 ET LE 6 AVRIL 1994
Le
MRND et le FPR sont arrivés à briser l’indépendance de l’opposition et à
la soumettre à leurs stratégies. La notion de complice refait surface. Au
niveau interne, le camp présidentiel récupère le concept de complice développé
au début de la guerre et commence à l’imposer. Elle a une forte connotation
ethnique et une grande résonance anti-FPR. L’alliance du pôle MRND avec le
courant MDR pro-Twagiramungu, tissée pendant la période précédente, s’évanouit
progressivement pour céder la place à l’émergence des courants[93]
pro-MRND dénommé « hutu power » et pro-FPR appelé « jyojyi ».
Pendant
cette période, les gens qui ont des contacts avec le FPR sont fichés par les
services spéciaux de « l’akazu ». A Kigali, dans le quartier
Gishushu par exemple, les « Interahamwe » font bien la
reconnaissance des personnes et des véhicules des personnes qui se rendent au
nouveau siège du FPR, à savoir l’immeuble du parlement CND situé à
Kimihurura. Il en est de même des familles soupçonnées de loger des membres
des brigades clandestines du FPR ou d’avoir envoyé leurs enfants s’enrôler
dans l’armée de ce dernier.
4.
ETRE
COMPLICE ENTRE LE 6 AVRIL ET JUILLET 1994.
Comme
cela a été développé plus haut, cette période est caractérisée par le
triomphe de la terreur. La notion de complice couvre toutes les facettes de la
violence qui se développent en ce moment-là : violence ethnique, violence
politique, guerre, vengeances, règlements de comptes, accaparement de biens
d’autrui, revanche sociale des plus pauvres. Le complice est celui qui n’est
pas du côté de celui qui impose la terreur. Comme cette dernière est devenue
multiforme et est détenue par différents pôles de la violence, les critères
de la complicité se sont aussi diversifiés suivant que l’on est ou que
l’on n’est pas du côté du détenteur de la violence. Celui-ci trouvera ses
critères pour exclure tel ou tel groupe ou personne et lui imposer la mort. La
violence est donc politique, ethnique mais sévit aussi contre toute personne
considérée comme non sûre par les multiples détenteurs de la violence.
Quand
on regarde de manière diachronique le déroulement des massacres, l’on peut
essayer de s’expliquer les différentes notions de complice qui sont à l’œuvre.
On
voit que la violence est d’abord politique. Les premières victimes et les
personnes pourchassées sont en effet les personnalités de l’opposition
politique. Il s’agit entre autres du Premier ministre Mme Agathe
Uwilingiyimana (MDR), du président de la Cour constitutionnelle M. Joseph
Kavaruganda, des ministres Frédéric Nzamurambaho (PSD), Landoald Ndasingwa
(PL), Faustin Rucogoza (MDR), Boniface Ngulinzira (MDR), des membres de la
direction des partis, MM. Félicien Ngango (PSD) et Théoneste Gafaranga (PSD),
mais aussi des hauts fonctionnaires tel M. Déogratias Havugimana (MDR). Ont été
également éliminés les personnes arrêtées en octobre 1990 et qui avaient été
élargies ensuite grâce à la pression politique.
L’épuration
devient ensuite ethnique. Dans un dispositif systématique d’extermination,
les tutsi de l’intérieur sont éliminés pour le seul fait de leur
appartenance ethnique. Alors qu’auparavant les massacres s’étaient
circonscrits à Kigali et dans quelques endroits où il y avait des « Interahamwe »
armés, comme la ville de Gisenyi ou la commune de Murambi, les massacres se
sont étendus progressivement sur l’ensemble du territoire par l’exportation
des tueries par ces mêmes éléments armés. C’est le génocide qui emporte
près de six cent mille âmes tutsi : hommes, femmes, enfants, vieillards,
sans distinction.
La
complicité devient aussi collatérale dans le sens où la violence se dirige
aussi contre ceux qui protègent les tutsi ou ceux qui sont considérés comme
leurs alliés. Afin de briser la sédition, les ménages dont un des parents était
hutu ainsi que d’autres personnes cachant des tutsi ont été sommées à les
livrer à la mort sous peine d’être tués
à leur tour. Nombreuses sont des personnes, voire des enfants, qui,
avant de subir eux-mêmes la mort ou des traitements dégradants et cruels, ont
été forcés à tuer leur parent ou la personne qu'ils protégeaient. Souvent,
la mise à mort était précédée par le pillage de leurs biens. Il en allait
de même pour la personne, parente ou amie, soupçonnée d’avoir des liens étroits
avec un militant connu du FPR, voire avec un opposant au régime Habyarimana[94].
La
complicité devient enfin une notion dont les liens avec les événements
politico-ethniques qui se déroulent s’avèrent lâches. La violence poursuit
des mobiles de revanche, de règlement de comptes et d’accaparement des biens
d’autrui. Bien entendu, la justification de la mort de ces innocents ne se présentera
pas de manière aussi manifeste sous ce vocable. Le détenteur de la violence,
afin de se légitimer, devra inventer les charges au goût des faits politiques
et ethniques qui sont en train de se dérouler. M. Marc Vaiter[95]
a trouvé les termes justes pour rendre cet appât du butin :
« Tu
es plus riche que moi : je te tue. Tu es plus instruit : je te tue.
Nous sommes brouillés : je te tue, ….. On tue pour le pillage. Et
ensuite on s’entre-tue pour le butin. On recherchera aussi les héritiers des
parcelles volées, et les témoins des anciennes propriétés pour les éliminer ».
En
fin de compte, c’est celui qui détient l’arme qui désigne à sa guise qui
est complice. Ceci est tellement réel qu’au moins de juin 1994, de simples
paysans de la préfecture de Gitarama fuyant les combats se sont vus refuser le
droit d’entrée et de refuge dans la préfecture de Gisenyi. Des gens ont même
été tués. Pour les habitants de Gisenyi qui tenaient les barrières, les
ressortissants de la préfecture de Gitarama étaient considérés comme des
complices du FPR. Ces incidents ont fait que, avant la fuite générale en
juillet vers le Zaïre, les habitants de cette préfecture et « toute
autre personne peu sûre », ont préféré emprunter la voie du sud-ouest
Cyangugu – Bukavu au lieu de se diriger vers le nord –ouest Gisenyi – Goma,
pourtant plus proche.
Dans
de telles circonstances d’abandon par les armées onusiennes et étrangères où
tout l’espace est occupé par la violence et les armes, quelle était la marge
de manœuvre laissée à ceux qui étaient contre les tueries ? Compte tenu
de la force irrésistible des tenants de la violence et du danger réel d’anéantissement
physique prévalant pendant ce temps de guerre et de tueries massives, il ne
pouvait y avoir de lutte armée ouverte possible. Résister exigeait
d’emprunter des voies et des attitudes actives mais indirectes et non
manifestes[96].
Cela pouvait être fournir de manière clandestine de la nourriture à une
personne pourchassée. Cela pouvait être protéger une victime potentielle en
cachette et à l’insu de tout le monde. Cela pouvait être de se servir du
poste que l’on occupe pour sauver des gens et ne pas édicter de mesures ni exécuter
d’ordres d’élimination. Cela pouvait être de donner l’impression de coopérer
alors que l’on ne coopérait pas du tout, notamment aller à une barrière
pour créer le doute chez le tueur, voire le soudoyer pour la vie sauve d’un
innocent.
1.
UNE
SITUATION INSTITUTIONNELLE INEDITE.
Le
5 janvier 1994, une situation institutionnelle inédite se présente. Après
prestation de serment, la Présidence de la République est la seule institution[97]
prévue par les accords d’Arusha à entrer dans la transition. Le Gouvernement
de transition à base élargie « GTBE » et l’Assemblée nationale
de transition « ANT », en l’absence d’un accord entre les partis
politiques participant au gouvernement de coalition du 16 avril 1992 et le FPR,
ne peuvent entrer en fonction. En ce qui concerne les institutions du Pouvoir
judiciaire[98],
vu que la loi sur la Cour suprême n’avait pas encore été élaborée, ces
dernières devaient en principe entrer en fonction ultérieurement.
Le
6 avril 1994, deux situations encore plus inédites surgissent. Premièrement,
le Président de la République, seule autorité légale de transition, est
assassiné. Nous sommes en face d’un cas de vacance avéré du pouvoir présidentiel
qui demande son pourvoi. Deuxièmement, le FPR attaque sur les tous les fronts
et rompt unilatéralement l’accord sur le cessez-le feu. Cet acte constitue
une violation flagrante, voire une rupture essentielle, de l’Accord de Paix.
On se situe dans quel ordre juridique à partir de ce moment là ?
Face
à ces événements majeurs, la question est de savoir laquelle de la
Constitution du 10 juin 1991 ou de l’Accord de Paix d’Arusha du 4 août 1993
est applicable afin d’éviter le vide du pouvoir ? Quelle est la légalité
du gouvernement intérimaire ? L’on peut aussi poser la question de la
manière suivante : La Constitution du 10 juin 1991 et l’Accord de paix
sont-ils si incompatibles pour devoir se poser la question même de la loi
applicable en 1994 ? La présente analyse va essayer d’élucider l’énigme
constitutionnelle.
2.
LA
CONSTITUTION DU 10 JUIN 1991.
Les
articles 42, 43 et 101 indiquent la procédure à suivre, les organes habilités
à la vacation du pouvoir présidentiel, les compétences et la durée
d’exercice de ses compétences. L’article 42 alinéa 2 stipule qu’en cas
de décès, de démission, d’empêchement ou d’incapacité du Président de
la République, il est remplacé par le Président de l’Assemblée nationale.
L’incapacité est prononcée par la Cour constitutionnelle. L’article 43 prévoit
aussi qu’en cas de vacance simultanée des deux présidents, le Premier
ministre assure les charges du Président de la République. L’article 101
stipule enfin que le Président de la République et le Conseil national de développement,
c’est-à-dire le Parlement, restent en place et exercent pleinement leurs prérogatives
jusqu’aux prochaines échéances.
Si
l’on s’en tient à ces trois dispositions constitutionnelles, le Président
du CND peut régulièrement remplacer le Président de la République frappé
d’incapacité définitive absolue par le décès. Dans ces circonstances, il
n’y a pas de prescription légale enjoignant que le Président de la République
vacataire soit issu des rangs du MRND. En conclusion, la formation du
gouvernement intérimaire est conforme à la Constitution du 10 juin 1991. Sans
juger des convictions politiques des titulaires, la répartition des
portefeuilles s’est déroulée dans le strict respect du Protocole d’entente
entre les partis politiques appelés à participer au gouvernement de transition
signé le 7 avril 1992.
3.
L’ACCORD
DE PAIX D’ARUSHA
Le
Protocole sur le partage du pouvoir du 30 octobre 1992 et l’Accord de Paix du
4 août 1993, à l’instar de la Constitution du 10 juin 1991, indiquent la
procédure à suivre, les organes habilités à la vacation du pouvoir présidentiel,
les compétences et la durée d’exercice de ses compétences.
Que
dit le Protocole sur le partage du pouvoir lequel fait partie intégrante de
l’Accord de Paix ? L’article 2 accepte le maintien de la structure du
gouvernement de coalition tel que régit par le protocole d’entente entre les
partis du 7 avril 1992 jusqu’à la mise en vigueur des institutions de
transition stipulées dans l’article 3 dudit protocole sur le partage du
pouvoir. L’article 5 dit que le Président en exercice reste en place jusqu’à
la fin de la transition.
L’article
14 enjoint les partis politiques de gouvernement et le FPR de mettre en place le
GTBE. L’article 48 prévoit les modalités de remplacement du Président de la
République en cas d’empêchement définitif. En cas de démission, de décès,
d’incapacité ou d’empêchement définitifs du Président de la République,
la vacance de poste est constatée par la Cour suprême sur saisine du
Gouvernement de transition à base élargie et l’intérim est assuré par le
Président de l’Assemblée nationale de transition. En cas de son
remplacement, le parti de l’ancien Président présente deux candidats au
Bureau de l’ANT dans les trois semaines. Il est ensuite élu à la majorité
absolue par l’ANT et le GTBE réunis.
Les
dispositions du Protocole sur le partage du pouvoir sont assez claires. A
l’instar de la Constitution du 10 juin 1991, c’est le Président de l’Assemblée
nationale qui remplace le Président de la République. Toutefois l’on notera
que la disposition s’applique en cas d’entrée en fonction et d’effectivité
de l’ANT et du GTBE. Ce qui n’était pas encore le cas en date du 6 avril
1994. Il convient donc de se tourner vers l’Accord final de Paix du 4 août
1993 pour voir ce qui est prévu dans le cas où le GTBE et l’ANT ne seraient
pas encore mis en place.
L’Accord
de Paix en son article 8 prévoit que le gouvernement de transition formé le 16
avril 1992 reste en fonction jusqu’à la mise en place du GTBE. L’article 9
stipule que l’Assemblée nationale prévue dans la Constitution du 10 juin
1991, le Conseil national de développement « CND » en
l’occurrence, reste lui aussi en place jusqu’à l’installation de l’ANT.
Il ne peut toutefois pas légiférer. L’article 3 dit que la Cour
constitutionnelle vérifie la conformité des lois et des décrets-lois à la
Loi Fondamentale. En attente de l’élaboration et de l’entrée en vigueur de
la loi sur la Cour suprême, il est prévu que la Cour constitutionnelle définie
dans la Constitution du 10 juin 1991 reste compétente pour juger de la
constitutionnalité des lois et décrets.
Il
ressort de ces dispositions que les organes exécutif, législatif et judiciaire
de la Constitution du 10 juin 1991, en attente de l’instauration des
institutions de transition qui devraient les remplacer définitivement, sont régulières
et restent en fonction.
4.
LA
LOI APPLICABLE
Il
n’existe donc de contradiction ni dans le libellé ni dans l’interprétation
des dispositions de la Constitution du 10 juin 1991 et de celles de l’Accord
de Paix. Bien au contraire faut-il voir des complémentarités et, en cas de
conflit, l’interprétation doit se faire dans un sens téléologique. S’il y
avait eu conflit, l’Accord de Paix aurait prévalu. C’est d’ailleurs la
raison pour laquelle l’article 3 de l’Accord de Paix reconnaît leur indéfectibilité
en ces termes :
« Les
deux parties acceptent que la Constitution du 10 juin 1991 et l’Accord de Paix
d’Arusha constituent indissolublement la loi fondamentale qui régit le pays
durant la période de transition ».
La
loi applicable est donc bel et bien la Loi fondamentale, à savoir la
Constitution du 10 juin 1991 et l’Accord de Paix du 4 août 1993. Et étant
donné que les dispositions légales de l’une et l’autre ne sont pas en
opposition, il est loisible d’invoquer indistinctement l’applicabilité de
l’une ou l’autre puisque les dispositions prévues par les deux parties de
la Loi fondamentale restent complémentaires.
Le
gouvernement intérimaire s’était tellement convaincu de sa conformité avec
la Constitution à telle enseigne qu’il a créé des situations parfois surréalistes.
Le 3 juillet 1994, alors que la Capitale du pays était en train de tomber aux
mains du FPR, à Gisenyi, les députés concourraient dans des élections
burlesques du nouveau président de l’Assemblée nationale. Il fallait,
disait-on, remplacer le Président intérimaire dont le mandat constitutionnel
devait expirer dans 5 jours, à savoir le 8 juillet ! Tout cela pour se
conformer à l’article 42 de la Constitution qui fixe le mandat intérimaire
à 90 jours !
On
notera cependant que sous le couvert de la conformité à la loi, «l’akazu »,
en faisant élire son leader, M. J. Nzirorera à la présidence du CND, hissait
ainsi au sommet son nouveau chef incontesté. Le pouvoir réel se confondait désormais
avec le pouvoir légal.
Une
question reste cependant non résolue. L’article premier de l’Accord de Paix
stipule : « Il est mis fin à la guerre entre le Gouvernement
rwandais et le Front patriotique rwandais ». L’on sait que dès le 6
avril 1994 le FPR a décidé de porter à nouveau les armes contre le pays.
L’entrée
en guerre, après que l’Accord final de Paix a été conclu, constitue-t-elle
simplement une violation du cessez-le-feu ou est-elle en même temps une rupture
essentielle de l’Accord de Paix, et partant, de la Loi fondamentale ?
Dans l’affirmative, s’il avérait que la partie qui a violé l’Accord de
Paix par l’entrée en guerre était en même temps l’auteur de
l’assassinat du Président de la République, assassinat à la base de la création
du vide institutionnel, l’Accord de Paix serait-elle opposable à l’autre
Partie en ce qui concerne en particulier les dispositions relatives au vide
institutionnel ? Quelle validité aurait cette application si l’accord conclu
continuait à être vidé en même temps de sa substance fondamentale : la paix ?
L’analyse
du génocide rwandais a fourbi beaucoup de thèses. Elles vont des plus
farfelues telles celles qui situent sa préparation depuis 1959 aux plus
criminelles, à savoir celles qui nient purement et simplement sa réalité même.
Si le génocide est bien une réalité rwandaise, c’est la preuve de sa
planification qui reste toujours problématique à telle enseigne qu’il se
trouve des thèses qui stigmatisent le caractère spontané et « fou »
des tueries pour refuser d’attribuer la qualification de génocide à une tragédie
qui a pourtant emporté de manière systématiques en moins de cent jours des
centaines de milliers de tutsi.
Si
le terme planification signifie préparation méthodique et bureaucratique de
longue date par l’Etat, je dis qu’une telle planification n’a pas eu lieu.
Ici le génocide devient un fait d’Etat qui se situe de manière diachronique.
Si par contre le même terme peut aussi traduire une préparation méthodique de
longue date par des groupements privés qui attendent le moment de prise de
pouvoir pour mettre à exécution leur plan, alors j’affirme qu’une telle
planification a bien eu lieu. Dans cette acception, le génocide est un fait
d’Etat qui se lie de manière synchronique. Dans la première hypothèse, l’élément
criminel de qualification est bien la planification, par contre dans la deuxième,
il s’agit de l’ordre ou de l’organisation. Ce sont ces aspects que je vais
tenter d’élucider dans les lignes qui suivent.
1.
CE
QUE LE GENOCIDE TUTSI N’EST PAS.
a.
Le
génocide tutsi n’a pas été planifié par l’Etat avant avril 1994.
Avant
le 6 avril 1994, on ne peut trouver de traces, ni de plan bureaucratique, ni
d’ordonnances ni de décisions prises qui redescendraient et remonteraient
ensuite les échelons administratifs pour former enfin une voûte et une
planification stratégique d’une politique d’Etat d’élimination. Il
n’existe pas, avant cette date, au niveau de l’Etat, une mobilisation idéologique
de son appareil ni d’ordre efficace, explicite ou implicite, théorisé et véhiculé
par les organes de l’Etat dans le sens de rendre le Rwanda « pur de tout
tutsi ». S’il avait existé une pareille mobilisation de l’Etat, il
serait alors aisé de comprendre le pourquoi de la guerre qui a éclaté en
octobre 1990. Elle aurait eu l’objet de réaliser une telle idéologie. Or, à
ce que l’on sache, ce n’est pas le gouvernement rwandais qui a eu
l’initiative de la guerre en 1990. C’est plutôt le FPR qui, à partir
d’un pays voisin, a préparé et porté la guerre au Rwanda.
Aussi,
avant la même date, il n’y avait pas d’homogénéité ni de cohérence
politique au même niveau de l’Etat. Celui-ci, par l’entrée au gouvernement
de l’opposition le 16 avril 1992, était devenu bicéphale et était devenu le
lieu de compétition de plusieurs partis politiques, voire de factions rivales
au sein même d’une même formation politique. Or, le moins que l’on puisse
dire est que ces partis et courants, participant au gouvernement, ne
partageaient pas tous une unité idéologique. Ils connaissaient aussi une
diversité ethnique qui les aurait empêchés de mijoter de tels plans macabres.
On se souviendra du tollé général de condamnation du discours incendiaire et
d’appel au meurtre des tutsi prononcé le 22 novembre à Kabaya par Léon
Mugesera, membre du bureau politique préfectoral du MRND à Gisenyi.
Affirmer
que le génocide aurait été planifié par l’Etat voudrait dire que ce serait
l’opposition démocratique, parce que c’était elle qui dirigeait le
gouvernement et l’administration au moment des faits qui aurait planifié le génocide.
Ce qui nous situerait devant une absurdité impensable selon laquelle les
planificateurs du génocide seraient en même temps les ordonnateurs de leur
propre mort puisque ce sont eux-mêmes qui figurent parmi les premières
victimes. Ce qui est inacceptable. Faut-il rappeler que le Premier ministre,
Madame Agathe Uwilingiyimana, les ministres et ses collaborateurs les plus
proches, ont tous été massacrés dès les premières heures du déclenchement
de la tragédie ? Comment
auraient-ils pu donner de tels ordres à leur administration ?
Et
si beaucoup de faits plaident qu’ils ne sont nullement les auteurs du génocide
mais les victimes, comment peut-on leur prêter l’intention d’avoir laissé
leur administration préparer un tel drame ? En outre, le chef de la sûreté
intérieure au moment des faits, était monsieur Augustin Iyamuremye, un des
leaders du PSD, aujourd’hui dignitaire du pouvoir en place à Kigali. A
supposer qui plus est qu’il se serait trouvé dans l’incapacité de déjouer
le plan génocide secret peaufiné par l’autre tête de l’Etat, à savoir le
Président de la République, comment n’aurait-il pas au moins cherché à dénoncer
un tel plan bureaucratique ?
Ceci
m’amène à avancer en même temps que la prétention selon laquelle ce serait
le Président Habyarimana, en tant que Chef d’Etat, qui aurait planifié le génocide
ne résiste pas non plus au même argumentaire. Comment aurait-il pu planifier
une catastrophe dont le lancement devait dépendre de sa mort préalable ?
Le Président Habyarimana n’est pas mort, en effet, à la suite d’un
accident fortuit, mais bien d’un attentat criminel prémédité.
Certains
ont tenté de voir dans la définition de l’ennemi « ENI » établi
après l’éclatement de la guerre par la commission militaire la confirmation
de la planification du génocide. Mais cette preuve reste fragile dans la mesure
où la lecture attentive de ce document fait une distinction précise entre la
prise de pouvoir par les armes, laquelle est propre à l’ennemi, et la prise
du pouvoir par la voie démocratique et pacifique, laquelle est acceptée. A
supposer qui plus est que le bénéfice du doute profitant aux tenants de la thèse
de la planification bureaucratique du génocide, il faudrait qu’ils montrent
ensuite quelles sont les décisions, décrets, ordonnances, arrêtés ou
instructions d’application concrète et pratique qui s’en sont suivis.
On
a aussi voulu voir dans la distribution des armes par le Gouvernement en 1991
dans la région de Byumba les éléments d’une préparation de longue date. Il
conviendrait, avant d’avancer une telle affirmation, dire qui, du FPR ou du
Gouvernement, a pris l’initiative de la guerre et quelles sont les
instructions données de leur usage. Il faudrait aussi rappeler que les armes
ont été distribuées dans une région bien circonscrite en guerre, région qui
a ensuite été occupée par le FPR dès février 1993, c’est-à-dire plus
d’une année avant le déclenchement du génocide.
Par
un autre procédé, James Gasana[99]
arrive à la même conclusion :
« Pour
montrer que la réalisation d’un génocide était impossible avant fin 1993,
je reviendrai au problème du régionalisme. J’ai montré que comme facteur de
tension politique, l’antagonisme régional nord - sud venait avant
l’antagonisme ethnique. Mais ces deux antagonismes étaient concurrents, et
quand l’occasion se présentait, l’un utilisait l’autre comme instrument
politique. C’est ainsi que depuis fin 1990, les politiciens extrémistes
recouraient à l’ethnisme pour contenir une puissante dissension contre le régime
mis en place en juillet 1973. Le centre de gravité de cette dissension était
une région qui jouissait d’un accès très limité au pouvoir. Comme le
gouffre entre le nord politique et les dissidents était important et que le piège
tendu par les tenants du pouvoir avait été dévoilé, notamment par les
arrestations arbitraires du 4 au 5 octobre 1990, la poussée vers la dérive
ethnique fomentée par les conservateurs des deux bords fut un échec. Comme
nous l’avons vu, il s’est créé plutôt une alliance objective entre
l’opposition politique interne et l’opposition armée externe pour renverser
un régime attribué au nord. C’est d’ailleurs l’échec de l’ethnisme
comme facteur politique qui a facilité la progression du FPR dont la véritable
force a été l’appui politique que lui a apporté l’opposition politique
intérieure ».
b.
Le
génocide tutsi n’est pas basé sur une idéologie éliminationniste meurtrière.
Aujourd’hui,
des explications tendant à faire accréditer la thèse selon laquelle le génocide
tutsi relèverait du même ressort idéologique éliminationniste[100]
que celui du génocide juif sont prodiguées. Certaines même ont élaboré le
concept malheureux de « nazisme tropical[101]»
sans se soucier d’en vérifier les éléments constitutifs. Pour accréditer
une telle thèse, il faudrait examiner si les éléments constitutifs sont bien
réunis.
L’idéologie
éliminationniste est caractérisée par quatre éléments essentiels, à savoir :
-
la
conscience collective de supériorité,
-
la
magnificence de cette dernière,
-
la
tradition politique d’extermination de groupes,
-
le
dessein expansionniste.
Ces
éléments sont totalement absents dans le génocide tutsi. Il n’existe pas,
en effet, ce que nous appellerions un nationalisme hutu, une sorte de darwinisme
social hutu fondateur qui conférerait à l’ethnie hutu, telle une race
aryenne, une conscience collective d’appartenir à un groupe culturellement
supérieur à la base de laquelle, parce que meilleure, plus forte et plus
belle, elle justifierait son droit ou son devoir de gouverner et de régner sur
les autres groupes ethniques ou culturels. Il n’existe pas non plus dans la
tradition des royaumes hutu une pratique d’extermination collective de groupes
dans le but d’assumer la suprématie politique. Les cas connus les plus récents
de suppression de groupes, comme ceux des Abagereka[102]
ou de Rucunshu[103]
qui ont eu lieu dans la deuxième moitié du 19ème siècle, ne
peuvent en aucun cas être attribuables à la tradition politique hutu.
Les
théories racistes qui se sont développées et pratiquées pendant la
colonisation n’ont pas été utilisées pour magnifier les hutu. Bien au
contraire, elles ont été utilisées pour les marginaliser. La Révolution
sociale de 1959, à la base de laquelle les hutu se sont émancipés ne pouvait
pas non plus en conséquence puiser dans ce registre. Même dans ses excès,
c’est au nom des principes d’égalité et de justice sociale que ladite Révolution
a été menée et justifiée. Enfin, il n’existe pas de mythes ni de desseins
expansionnistes pan-hutu dont la réalisation serait entravée par une
quelconque présence de tutsi pour justifier ensuite leur élimination. Même si
l’on peut déceler des sentiments anti-tutsi latents ou manifestes, nous le
verrons quand nous aborderons la question du lit du génocide, il convient de
constater qu’à la base du génocide tutsi, ce n’est donc pas l’idéologie
pure enracinée dans un imaginaire fantasmagorique qui est à l’œuvre.
C’est autre chose.
1.
CE
QUE LE GENOCIDE TUTSI EST.
a.
Le
génocide tutsi est un projet factieux de « l’akazu ».
Dès
le moment où une élite factieuse, pourvue d’un plan génocidaire, explicite
ou implicite, fut-il sommaire, prend le pouvoir et veut mettre en pratique son
projet dans une société en crise et en état de psychose collective pour des
motifs variés, le génocide deviendra possible dès lors que cette élite
s’accapare brutalement de l’Etat et attire les éléments de violence pour
la besogne. Dans ce contexte particulier, le génocide n’a pas à être élaboré
longtemps en avance par l’Etat dans une sorte de « Generalplan Ost »
de je ne sais quel commis d’Etat comme celui soumis au führer nazi par M.
Konrad Meyer-Hetling[104],
pour être exécuté ensuite. Il suffit, pour que cela soit possible, que le
groupe porteur du projet maîtrise les instruments de violence, ordonne et
entretienne, par la pression des armes et la communication, la panique générale.
Dans
le cas qui nous concerne, il est indiscutable que depuis le début de la guerre
en 1990 et l’ouverture au multipartisme, s’est constitué autour du clan présidentiel
un groupe politique qui envisageait l’élimination de membres de
l’opposition et de tutsi comme un moyen d’affaiblissement du FPR et de
l’opposition politique et, partant, de son maintien au pouvoir. A combien de
reprises, profitant d’événements tels que la violation du cessez-le feu ou
de tensions politiques, n’a-t-il pas été tenté par le passage à l’action[105] ?
Il
s’agissait bien d’un dessein non d’une institution publique mais d’une
faction politique, bénéficiant certes, directement ou indirectement, des
dividendes versés par l’Etat. Ce groupement politique agissait cependant à
titre privé, telle une société secrète, et non en raison de normes publiques
bureaucratiques d’écartement systématique de tutsi qu’il aurait
introduites et imposées à l’administration publique avant le 6 avril 1994.
De telles normes bureaucratiques n’ont jamais existé.
A
partir de cette dernière date du 6 avril, nous sommes en face d’une rupture
institutionnelle essentielle : le vide du pouvoir. Tirant parti du vide de
pouvoir survenu après l’assassinat du Président de la République, ce groupe
politique a opéré tout de suite un coup d’Etat, a pris de fait les rênes du
pouvoir, a soumis la population et l’administration sous son emprise et a mis
en place une « équipe » gouvernementale sous ses bottes. A mon
humble avis, c’est à partir de ce moment, à savoir le 7 avril, et de ce
moment-là seulement, que le génocide qu’il ordonne devient un crime d’Etat
et est organisé progressivement sur l’ensemble du territoire.
Le
génocide devient possible puisque ledit groupe se hisse au pouvoir et envahit
l’Etat grâce à l’élimination du Chef de l’Etat. L’acte fondateur du génocide[106]
est donc bel et bien l’assassinat du Président de la République. Cet
assassinat permet à la faction politique en question de dominer les rouages de
l’administration, d’exercer ensuite le pouvoir réel sur l’Etat, de donner
les ordres et de conduire enfin son projet génocidaire, fut-il sommaire. Le génocide
se pose donc en termes de synchronie et non de diachronie comme si c’était
dans son exécution même qu’il avait été planifié.
Dans
une analyse antérieure, je notais :
« Que
l’on croit ou non au phénomène ethnique dans notre pays, la réalité est
qu’un groupe de population identifié comme Tutsi de l’intérieur,
constituant une population de près de 800.000 âmes a été exterminée au 3/4,
soit 600.000 personnes, suivant les plans et les ordres d’une élite
politico-militaire secrète et raciste, dominant, paralysant et doublant les
rouages de l’administration civile et militaire et qui à n’importe quel
prix voulait se maintenir aux commandes de l’Etat. Les grands courtisans de
l’ « Akazu » présidentielle, le bloc militaire des officiers
ultra des « Amasasu », restent jusqu’à preuve du contraire les
auteurs du génocide. Le Gouvernement intérimaire, mis en place trois jours après
le déclenchement des massacres, emporte la responsabilité de ne les avoir pas
arrêtés ».
Si
l’on doit parler du génocide comme fait de planification par l’Etat ou de
crime d’Etat, c’est bien à partir du 7 avril 1994 et non pas avant que
l’on doive voir comment les instruments d’Etat ont été ensuite utilisés
dans cette horrible besogne. Certes, ce sont des motivations politiques à la
base des massacres et il n’existe pas de doute que certains courants
politiques avaient, avant cette date, l’intention d’éliminer tout ou partie
de l’opposition et de la population intérieure tutsi. Ce sont ces courants
qu’il faut viser et pourchasser sans la moindre faille.
Cependant,
faut-il insister une nouvelle fois, il n’existait pas auparavant de plan étatique
d’extermination. Il y a lieu même de penser qu’au niveau des auteurs de
« l’akazu », vu la manière dont les tueries, après avoir été
lancées au niveau central, ont ensuite été gérées d’une manière décentralisée,
il n’existait pas de plan détaillé[107].
Ce serait plutôt, vu l’initiative laissée au chef local, une instruction
globale qui aurait été donnée et non un mode d’emploi établi par je ne
sais quel expert ès ethnies comme le fit un certain Erhard Wetzel.
Au
fait, vu la réification ethnique rwandaise séculaire, le véhicule de
l’histoire au moyen de la culture orale, l’ethnisme latent entre groupes, la
conception très verticale du pouvoir, l’indifférenciation géographique
ethnique, la misère et la famine ambiante, et surtout la psychose générale,
la situation de guerre et le déplacement massif des populations, bref, tous ces
éléments qui ont formé le lit du génocide, y avait-il encore besoin d’un
plan d’extermination détaillé ou de listes de personnes à tuer pour exécuter
ensuite les tueries ? Est-ce que le génocide a besoin d’une
planification préalable de longue date par l’Etat pour être qualifié comme
tel ? Est-ce que le fait que l’Etat ait ordonné les massacres et les ait
ensuite encadrés ne suffit-il pas pour les qualifier de génocide ?
Ne
sommes-nous pas en fin de compte prisonnier des tenants de la thèse aveuglante
de la culpabilité collective hutu et du génocide rédempteur[108]
lesquels pour se réaliser nécessitent, il est vrai, une théorisation préalable
ainsi qu’une longue préparation ? Ne faudrait-il pas se rendre à l’évidence
qu’une telle thèse est difficile à retenir et à prouver dans le sens où
elle reste en définitive infirmée par la gouvernance antérieure, l’évolution
sociale récente et le déroulement des faits ? La meilleure approche
n’est-elle pas plutôt de partir des faits et tirer des conclusions théoriques
si besoin est ?
b.
Le
génocide tutsi est de type pragmatique.
Quand
on regarde la succession des événements qui ont conduit au génocide, il
apparaît clairement que son exécution est basée sur des motivations
essentiellement pragmatiques, c’est-à-dire politiques et économiques.
Politique
d’abord, dans le sens où les
premières personnes à être assassinées par les éléments de la garde présidentielle
sont des leaders[109]
de l’opposition politique ou des personnes ayant une position institutionnelle
non contrôlable autrement que par la liquidation physique. Politique ensuite,
dans le sens où la liquidation de tutsi fait partie d’une stratégie de
sauvegarde du pouvoir et de dissuasion du FPR, lequel risquait de voir détruite
son réservoir politique. Politique toujours, dans le sens où « l’akazu »
cherche à se rallier le plus grand nombre de personnes possible dans le crime
et ainsi ne pas à devoir répondre ultérieurement de l’élimination des
leaders de l’opposition hutu du sud survenu dès l’aube du 7 avril.
Politique enfin, dans le sens où, dans les régions exemptes de milices
« Interahamwe », les massacres ne s’y dérouleront qu’après les
y avoir exportés. Les cas de résistance contre les massacres opposés par les
populations des préfectures de Butare et de Gitarama ont été cités plus haut
dans le texte.
Les
motivations sont aussi économiques dans le sens où, surtout en milieu rural,
les massacres sont d’abord précédés de pillage de biens meubles, suivis
ensuite d’accaparement des terres des personnes éliminées. M. Niwese[110]
le rend dans ces termes :
« Il
fallait voir avec quelle rapidité, hommes, femmes, et enfants pillaient la
maison de quelqu’un à qui on collait l’étiquette de tutsi. … Quelqu’un
pouvait être appelé tutsi tout simplement parce que sa vache était convoitée.
Il était illogique de lui ravir son bétail sans qu’il soit appelé ainsi. Et
lorsqu’il était appelé ainsi, son sort était connu ».
La
paysannerie était en effet entrée depuis longtemps dans une situation extrême
de pression sur les ressources[111]
marquée par des conflits fonciers, par un déficit alimentaire chronique et par
une famine endémique. C’est dire que la spéculation foncière reste un
ressort important de l’implication de beaucoup de personnes de conditions
modestes dans les massacres. Assurés par avance de l’impunité, on peut
notamment saisir pourquoi ces personnes ont été enrôlées en grand nombre
dans le crime et pourquoi les massacres ont été exécutés avec une telle
ampleur et avec autant de rapidité.
c.
Le
génocide tutsi est de type rétributif.
Le
génocide rwandais est aussi rétributif[112]
dans le sens où il a été organisé et a pris forme en réaction à une menace
- réelle ou imaginaire – en provenance du groupe victime. A la suite de
l’assassinat du Président Habyarimana, assassinat qui est plus qu’un coup
d’Etat, son auteur, en l’occurrence le FPR, veut accéder aux commandes de
l’Etat après avoir décapité complètement les institutions publiques et après
avoir lancé une guerre éclair. Voyant la probabilité élevée pour le FPR de
victoire militaire et de prise de pouvoir, à son tour « l’akazu »,
opère son propre coup d’Etat et procède à l’élimination de la base
politique potentielle du FPR, à savoir les tutsi, et de ses alliés politiques,
c’est-à-dire les hutu de l’opposition.
L’on
se rappellera effectivement qu’en date du 15 février 1994, M. Joseph
Nzirorera, secrétaire national du MRND, chef incontesté des « Interahamwe »
et ténor du courant ultra de « l’akazu », avait tenu aux délégués
de la société civile des propos accréditant cette vision défensive de la
commission du génocide[113].
Aussi, la radio RTLM, dans le but d’inciter au génocide, a-t-elle puisé
dans le registre de la résistance populaire contre un nouvel asservissement des
hutu en cas de victoire du FPR. Il a martelé la cervelle des gens en parlant
des tueries systématiques réelles perpétrées des hutu de la zone sous son
contrôle par la rébellion. Il a stigmatisé le sort du million de réfugiés,
déracinés, tombés dans la misère et dans l’errance à cause du FPR,
fatalité que risquait de subir ensuite l’ensemble de la population hutu.
Ainsi la RTLM justifiait-elle l’appel au meurtre en réaction aux exactions du
FPR.
C’est
dans ce sens que le génocide tutsi peut-être qualifié de rétributif ou de défensif.
C’est aussi peut-être un des mobiles de son caractère massif et très
meurtrier.
1.
LE
GENOCIDE AURAIT PU ETRE EVITE.
a.
Les
massacres ne furent pas une surprise.
Bien
avant le 6 avril 1994, la communauté internationale était au courant d’une
forte probabilité de massacres de tutsi et de l’opposition, en cas de reprise
des hostilités. Un rapport des services secrets américains[114]
avait, déjà fin janvier 1994, donné une estimation de 500’000 pertes de
vies humaines en cas de recrudescence des affrontements entre le FPR et les FAR.
Des organisations de la société civile, après avoir recueilli les projets des
différents protagonistes, avaient alerté la communauté internationale de
l’imminence d’une catastrophe humanitaire et avaient, en vue de sa prévention,
demandé le maintien et le renforcement de la mission de la MINUAR[115].
Début avril 1994, l’approche menaçante d’une guerre lancée par le FPR[116]
était la chose la plus communément partagée au sein des chancelleries en
place à Kigali.
Tout
cela pour dire que nul ne fut surpris par la guerre et par les massacres qui
suivirent. Il est vrai que personne, sauf peut-être ceux qui ont préparé et
exécuté l’attentat aérien, ne pouvait penser que la guerre et les tueries
allaient être d’abord précédées par un crime d’une très haute portée
symbolique et d’une extrême gravité : l’assassinat du Président de
la République. Alors peut-être aurions-nous pu faire des prévisions d’une
catastrophe humanitaire d’une très grande ampleur. Cependant, quel que soit
le scénario retenu, il n’est pas compréhensible que la MINUAR qui était sur
place et dont la mission était le maintien de la paix n’ait envisagé
d’autres esquisses que celui de plier bagage et de laisser le Rwanda baigner
dans le sang.
b.
Il
existait une force consistante d’arrêt des massacres.
Certainement.
Le génocide aurait pu être évité si la communauté internationale avait
cherché à exercer la pression nécessaire sur les belligérants. Et elle en
avait les moyens. La MINUAR avait une force de 2'486 militaires. La veille de
l’attentat présidentiel un corps de près de 400 marines américains s’était
positionné à Bujumbura. Le 9 avril, un contingent de 590 hommes d’élite
français était arrivé à Kigali. Le 10 avril, 1'100 militaires belges avaient
déjà pris place à Kigali. Le 13 avril, un contingent de près de 100
militaires italiens était venu lui aussi participer à l’opération d’évacuation
des étrangers. Il semble aussi que des militaires canadiens étaient aussi présents.
Cela fait un total de plus de 4'536 soldats étrangers d’élite qui étaient
stationnés à Kigali au début des massacres.
Des
experts militaires[117]
ont estimé qu’il aurait suffit de 2'000 à 2'500 « hommes décidés »
pour mettre fin aux massacres. Le chiffre le plus élevé a été estimé à
5'000 soldats dans le cas de massacres généralisés à l’ensemble du
territoire. Ceci pour dire que, s’il y avait eu volonté politique, dans tous
les cas d’hypothèse, le nombre de militaires nécessaires pour arrêter les
tueries était disponible depuis le début. Au contraire, au lieu de sauver des
innocents, après avoir assuré le rapatriement des étrangers, toutes les
troupes s’envolèrent[118].
La Belgique, le 14 avril, devait ensuite annoncer le retrait de ses troupes,
lesquelles constituaient pourtant son noyau dur. Les Etats Unis et la Grande
Bretagne soutenaient au Conseil de sécurité >
le démantèlement des Casques Bleus. Et le 21 avril, l’effectif de la
force onusienne était réduit à 270 personnes ! La non intervention pour
arrêter le génocide, les massacres et la guerre n’a donc pas été commandé
par des considérations techniques. Il s’est agi bel et bien de choix
politique.
c.
Les
tentatives de la MINUAR de cessez-le-feu.
Le
commandant de la MINUAR, Roméo Dallaire, a fait tout de même quelques
tentatives d’obtenir un cessez-le-feu entre les belligérants. Il n’a pas
toutefois été capable de mettre dans la balance la force de frappe onusienne
ni celle d’autres Puissances qui étaient toujours présents au moment où il
commençait les pourparlers. Quels sont les faits à notre connaissance pour
illustrer ces tentatives.
Le
9 avril, c’est-à-dire deux jours avant la prestation de serment du nouveau
gouvernement, le nouveau président intérimaire, M. Thédore Sindikubwabo, a
invité le général Dallaire dans ses appartements à l’hôtel des Diplomates
pour lui demander entre autres d’établir les contacts avec le FPR pour
obtenir le cessez-le-feu. Le 12 avril, à savoir le jour même où les troupes
du FPR faisaient la jonction entre Mulindi et Kigali à partir de la vallée de
Nyabugogo et du plateau de Kacyiru, dix officiers supérieurs du commandement
des forces rwandaises ont diffusé à la radio nationale et remis au général
une lettre qui lui demandait de servir d’intermédiaire pour faciliter des
rencontres avec le FPR aux fins de suspension des hostilités et de pacification
du pays. Le communiqué était libellé comme suit :
Suite aux événements tragiques qui ont endeuillé le pays à partir du
06 avril 1994, fait de nombreuses victimes innocentes, et entraîné la détresse
de tout le peuple rwandais, ainsi que l’assassinat ignoble de 10 militaires de
la MINUAR et d’autres ressortissants étrangers, le Commandement de Forces Armées
Rwandaises estime qu’il est plus que temps de mettre fin à cette tragédie.
A cet effet, il est hautement souhaitable que le Commandement des Forces
Armées Rwandaises et le Commandement du FPR se rencontrent immédiatement pour
examiner ensemble comment pacifier le pays sans plus tarder, et contribuer à la
mise en place rapide des institutions de transition à base élargie, pour éviter
de continuer à verser inutilement le sang des innocents.
Le Commandement des Forces Armées Rwandaises reconnaît les efforts inlassables de la MINUAR, parfois contrariés, pour l’application intégrale de l’Accord d’Arusha, et lui demande de servir d’intermédiaire pour les rencontres proposées ci-haut.
Afin de faciliter ce dialogue et arrêter des mouvements de panique de la
population, il est souhaitable que les combats soient suspendus. Pour ce faire,
une trêve est proposée par les Forces Armées Rwandaises aux Forces du FPR,
qui commencerait à partir du 13 avril 1994 à 12 heures.
Au nom du Commandement des Forces Armées Rwandaises, les Officiers Supérieurs
qui ont participé à la Réunion:
Colonel
Léonidas RUSATIRA, Colonel BEM Marcel GATSINZI, Colonel BEMS Félicien MUBERUKA,
Colonel BEMSG Aloys NTIWIRAGABO, Colonel André KANYAMANZA, Colonel Joseph
MURASAMPONGO, Colonel Edouard HAKIZIMANA, Lieutenant-colonel BEM Ephrem
RWABALINDA, Lieutenant-colonel BEMS Augustin RWAMANYWA, Lieutenant-colonel
Emmanuel KANYANDEKWE.
Fait
à Kigali, le 12 Avril 1994.
Une
première rencontre fut ensuite fixée le 14 avril. Mais le FPR n’y vint pas.
Le 15 avril, le FPR imposa les conditions préalables au cessez-le-feu, à
savoir : l’arrêt des
massacres dans tout le pays, la dissolution de la garde présidentielle. L’armée
rwandaise accepta le 18 avril les conditions d’ « arrêter et faire arrêter
les massacres par l’un et par l’autre » et demanda que soit observée
une trêve afin d’arrêter les massacres et de conclure enfin un
cessez-le-feu. La MINUAR, l’OUA et la Tanzanie élaborèrent les 24 et 25
avril un projet d’accord de cessez-le-feu et son opérationnalisation. Ce fut
peine perdue, car le FPR refusa d’entrer en matière[119].
Et toutes les initiatives tentées ultérieurement en mai et en juin par les
Nations unies connurent le même sort.
L’obtention
de trêve échouée, aucune autre initiative salvatrice ne fut non plus lancée.
Sans s’engager dans les combats, on aurait pourtant pu tenter de brouiller la
radio RTLM. On aurait pu, pourquoi pas, lancer une radio concurrente de paix,
cette fois-ci. On aurait pu créer des espaces, notamment dans les préfectures
comme Gitarama ou Butare qui ont connu des massacres ultérieurement, des
espaces exempts de violence ethnique ou militaire. On aurait pu offrir des
sauf-conduits et un espace médiatique à des personnes civiles et politiques
opposées au génocide pour que ces dernières dénoncent le meurtre
d’innocents. Non, rien n’y fit. Les tutsi de l’intérieur, sans qu’aucun
effort international vraiment sérieux ne soit entrepris pour les sauver, furent
abandonnés, livrés à eux-mêmes, et succombèrent, sans que leurs cris purent
être entendus, dans un génocide à huis-clos.
Et
le FPR dont certains pouvaient penser qu’il allait intervenir ou obtempérer
aux propositions de trêve et de cessez-le-feu, les sacrifia à la victoire
militaire. Comme s’il s’agissait du prix à payer pour légitimer ensuite sa
prise de pouvoir. Monsieur Jacques Castonguay le rend si bien
[120] :
« Mais
demander à une armée en voie de gagner une guerre de cesser le feu, alors même
que ses objectifs initiaux ne sont pas encore atteints, n’est pas une mince tâche ».
Ou
encore Alison Des Forges[121] :
« La
stratégie du FPR, admirée par d’autres experts militaires, offrait peut-être
la meilleure chance de remporter une victoire militaire, mais ne représentait
pas le meilleur programme pour sauver des tutsi ».
Comme
quoi devant les enjeux de pouvoir, sont insignifiantes les solidarités
ethniques.
_______________________________________________________________________________
Tous
les facteurs et stratégies politiques des acteurs internes et externes ont
donc eu pour effet vicieux de freiner le processus politique de démocratisation
des institutions publiques rwandaises. Démocratie et guerre ont été, dans
ce contexte de concurrence interne et externe, intimement liés et
conflictuels.
Dans
la perspective interne, le pouvoir de Habyarimana et la rébellion du FPR, les
deux seuls qui possédaient les moyens de violence, à savoir l’armée, ont
été les seuls à pouvoir en bénéficier. Ils se sont les deux servis de la
guerre pour contrôler le processus politique. On ne gère pas la guerre dans
un contexte de compétition libre. La guerre requiert principalement la
discipline excessive et restreint les libertés de manière implicite ou
explicite. La guerre est avant tout un Etat d’exception, voire de
radicalisation qui profite à ceux qui disposent déjà d’un pouvoir de
coercition. On ne démocratise pas en tant de guerre. Il s’agit d’un
axiome politique. Cela les démocrates et l’opposition l’ont appris à
leurs dépens[122].
Ils en ont payé les deux prix les plus forts : le génocide et les
crimes contre l’humanité commis par les deux acteurs armés et la fin de
l’expérience démocratique dont on ne voit pas comment il renaîtra.
Dans
la perspective géopolitique, la démocratie a été considérée non
seulement comme le système idéal de garant de la stabilité politique et économique,
mais aussi comme une possibilité de renouvellement ou de confirmation de l’élite
politique aux fins de sauvegarde des intérêts des acteurs internes et
externes. La guerre au Rwanda n’aurait pas été possible sans la mise en
avant des intérêts subits de ces Puissances. Le génocide rwandais qui a
emporté certainement plus de deux millions et demi de vies humaines
n’aurait pas pu se passer sous les yeux fermés et la voix aphone, peut-être
permissive, de la communauté internationale s’il n’y avait pas des
avantages supérieurs de real politik
à conquérir. Peut-être ces Puissances ont-elles atteint leurs buts. Mais à
quel prix humain, pour le Rwanda, le Congo et le Burundi ?
La
notion de complice, la bipolarisation ethnique, le climat de terreur et la
stratégie du chaos que les courants radicaux des deux pôles politiques, à
savoir le pôle présidentiel et le FPR ont réussi à imposer, montrent à
quel point le respect de l’intégrité personnelle et les valeurs démocratiques
ont été de manière drastique réduites, sinon annihilées. Le génocide et
les autres graves violations du droit humanitaire ont été facilités par
l’instauration progressive de cet environnement favorable à leur éclosion.
Dans
un tel climat, l’attentat contre l’avion présidentiel et la reprise de la
guerre par les belligérants restent les actes majeurs qui ont rendu possible
la commission de crimes tant odieux que massifs. Les auteurs de tels actes ne
pouvaient pas ne pas savoir les conséquences tragiques qui allaient survenir,
ils doivent répondre de leurs crimes devant la justice internationale. Le génocide
aurait pu être évité si la communauté internationale avait déployé les
moyens dont elle disposait sur place et si elle avait crée l’espace
physique et médiatique pour les personnalités et les organisations civiles
et politiques favorables à la paix et opposées aux massacres. La non
intervention internationale a laissé le libre champ aux tueurs, lesquels ne
toléraient aucune résistance ouverte.
Trop
de sang ont coulé et beaucoup de parents de victimes crient toujours justice.
Le Rwanda est en train dans une dictature des plus opaques qui refuse toute
imputabilité et nie aux citoyens les libertés fondamentales. L’auguste
Tribunal que vous constituez sera-t-il capable de ressusciter cet espoir de
justice et de démocratie profondément enfoui par l’exclusion et la
violence ? J’ai la certitude qu’elle le pourra si elle juge, sans épargner
aucun bloc politique et/ou militaire, les vrais cerveaux et les principaux
auteurs de violation grave du droit humanitaire et si elle instaure les
fondements d’une réconciliation nationale basée sur la justice, la démocratie
et la non discrimination des victimes. C’est le minimum que nous puissions
lui exiger. C’est sa mission principale. Il n’existe pas à ce que je
sache dans le droit international de pratique similaire à la « real
politik » qui serait la
« real justice » à laquelle le tribunal se conformerait et
s’interdirait de rendre justice.
La
seule pratique judiciaire que je connaisse est, quel que soit l’auteur et
quelle que soit sa puissance, celle de dire le droit par l’application de la
rigueur de la loi et le respect scrupuleux de la procédure pour condamner le
coupable, acquitter l’innocent et réhabiliter la victime. En agissant
ainsi, le Tribunal aura certainement contribué à restaurer dans l’autorité
l’état de droit et, partant, le courant démocratique aujourd’hui dans
l’impossibilité d’éclore et de s’exprimer tant que subsiste
l’impunité.
LISTE
DES ABREVIATIONS
ADL |
Association
rwandaise pour la défense des droits de la personne et des libertés
publiques |
AFP |
Agence
France Presse |
ANT |
Assemblée
nationale de transition |
CCOAIB |
Conseil
de concertation des organisations d’appui à la base |
CEPGL |
Communauté
économique des pays des Grands Lacs |
CDR |
Coalition
pour la défense de la République |
CIA |
Central
Intelligence Agency (Etats-Unis
d’Amérique) |
CLADHO |
Comité
de liaison des associations de défense des droits de l’homme |
CND |
Conseil
national de développement |
FAR |
Forces
armées rwandaises |
FAO |
Organisation
des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture |
FDC |
Forces
démocratiques de changement |
FMI |
Fond
monétaire international |
FRODEBI |
Front
démocratique burundais |
FPR |
Front
patriotique rwandais |
GP |
Garde
présidentielle |
GTBE |
Gouvernement
de transition à base élargie |
MDR
|
Mouvement
démocratique républicain |
MINAGRI |
Ministère
de l’Agriculture, de l’Elevage et des Forêts |
MINADEF |
Ministère
de la Défense |
MINUAR |
Mission
des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda |
MRND |
Mouvement
révolutionnaire national pour le développement (1975-91); Mouvement
républicain national pour le développement et la démocratie (depuis
1991) |
NRA |
National
resistance army (Ouganda) |
ONG |
Organisation
non-gouvernementale |
OTAN |
Organisation
du traité de l’Atlantique Nord |
ONU |
Organisation
des Nations Unies |
OUA |
Organisation
de l’Unité africaine |
PARMEHUTU |
Parti
du mouvement de l’émancipation hutu |
PDC |
Parti
démocrate chrétien |
PECO |
Parti
écologique |
PL |
Parti
libéral |
PNUD |
Programme
des Nations Unies pour le développement |
PSD |
Parti
social démocrate |
RPF |
Rwandese
patriotic front |
RTLM |
Radiotélévision
libre des Mille Collines |
TPIR |
Tribunal
pénal international pour le Rwanda |
USAID |
United
States Agency for International Development |
PRINCIPAUX
DOCUMENTS CONSULTES.
1.
Accord de cessez-le-feu de Nselé (ex-Zaïre) du
29 mars 1991 et du 16 septembre du 16 septembre 1991 de Gbadolité (ex-Zaïre).
2.
Accord de Paix d’Arusha du 4 août 1993 entre
le Gouvernement rwandais et le Front patriotique rwandais.
3. Agence de presse AFP du 4 avril 1994.
4.
Association des droits de l’homme et des
libertés publiques « ADL », Rapport sur les droits de l’homme
au Rwanda, Kigali, septembre 1991 – septembre 1992.
5.
Avant-projet de Manifeste Programme et Statuts
du MDR, Kigali, février 1992.
6.
BAUER, Yehuda, Repenser l’holocauste, Paris,
Autrement, 2002.
7. CASTONGUAY, Jacques, Les Casques bleus au Rwanda, Paris, L’Harmattan.
8. Collectif de la société civile représenté par les organisations de femmes « Pro Femmes Twese Hamwe », les Organisations de droits de l’homme « CLADHO » et les ONG de développement « CCOAIB », Déclaration publique du 8 janvier 1994 relatif au retard de la mise sur pied des institutions de transition définies dans l’Accord de paix d’Arusha.
9. Communiqué du haut commandement des Forces armées rwandaises du 12 avril 1994, Kigali.
10. Constitution de la République rwandaise du 10 juin 1991.
11. Déclaration des organisations rwandaises et internationales œuvrant pour le développement au Rwanda du 11 mars 1992.
12. DES FORGES, Alison, Aucun témoin ne doit survivre, Paris, Karthala.
13.
GASANA, James, Rwanda : du Parti-Etat à
l’Etat Garnison, L’Harmattan, Paris, 2002
14.
GASANA,
James, World Watch Review, « Remember
Rwanda ? », volume 15, Number 5, September/October 2002,
Washington DC.
15. GUICHAOUA, André, Les crises politiques au Burundi et au Rwanda, Paris, Karthala, 1995
16.
Journal Kanguka n°73, février 1993 :
« A quand l’arrivée du FPR pour que les hutu prennent aussi l’exil
de trente ans » ?
17.
Journal The People du 4-8 mars 1994, Kampala.
18.
Journal Uganda Confidential du 28 février au 7
mars 1994, Kampala.
19.
KAJEGUHAKWA, Valens, De la terre de paix à la
terre de sang et après ?, Paris, Rémi Perrin, 2001, 359 p.
20. La Libre Belgique : « Rwanda : la république a trente ans. Une révolution inachevée ? Une atmosphère de fin de règne », 31 octobre 1989.
21.
Le Soir du 6 décembre 1993.
22.
LEMARCHAND, René, Les génocides se suivent et
ne se ressemblent pas : l’holocauste et le Rwanda, Document m’envoyé
par l’auteur.
23.
Les productions agricoles, Rapports de la
Commission nationale d’agriculture, République rwandaise, 1991.
24. Lettres du Premier ministre adressées au Président de la République les 22 octobre 1992 et 27 mars 1993.
25. Loi n° 28/91 du 18 juin 1991 sur les partis politiques
26.
Manifeste et Programme du PSD, mai, 1991.
27. NIWESE, Maurice, Le peuple rwandais un pied dans la tombe, Récit d’un réfugié étudiant, Paris, L’Harmattan.
28. NSENGIMANA, Nkiko « La libération de M. Jean Bosco Barayagwiza », Revue Dialogue, Bruxelles, décembre 1999.
29. NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, « Contributions au combat contre le négationnisme du génocide et la délation politique », Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs, IUED, Genève, juin 1999.
30. NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, « Pour une démocratie de concordance et citoyenne ». Propositions provisoires pour la constitution d’une plate-forme alternative à la dérive du régime de Kigali, Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs, IUED, Genève, juillet 1998.
31. NSENGIMANA, Nkiko « La guerre du Rwanda : les déterminants internes et externes », Revue Dialogue, Bruxelles, décembre 1997.
32. NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, « Breaking Hutu-Tutsi enmity in Rwanda through reconciliation », Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs, IUED, Genève, octobre 1997.
33. NSENGIMANA, Nkiko, et GASANA, James, NOUER 1997. D’un génocide, l’autre. Plaidoyer pour une justice juste et pour le rétablissement dans le droit d’un courant démocratique au Rwanda,
34. NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, « D'un génocide l’autre. Plaidoyer pour une justice juste et pour le rétablissement dans l'autorité d'un courant démocratique au Rwanda », Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs, IUED, Genève, Mai 1997.
35. NSENGIMANA, Nkiko, « Se souvenir sans tronquer sans tricher », Revue Dialogue, Bruxelles, avril-mai 1996.
36. NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James « Les voies pacifiques de la résolution de la crise politique rwandaise », Propositions pour la relance du processus de réconciliation nationale, Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs, IUED, Genève, mai 1996.
37. NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, « Bâtir une nouvelle espérance pour le Rwanda. Eléments de propositions pour un contrat social ». Africa Diasporama N° spécial 5&6, Lausanne, juin 1995.
38.
Programme politique du FPR, Muvumba, mai 1992.
Manifeste et Statuts du MRND, Journal officiel du 15 août 1991.
39. Protocole d’accord du 30 octobre 1992 sur le Partage du pouvoir entre le Gouvernement rwandais et le Front patriotique rwandais..
40.
Protocole d’accord entre le Gouvernement de la
République rwandaise et le Front patriotique rwandais sur le partage du
pouvoir dans le cadre d’un gouvernement de transition à base élargie du 30
octobre 1992
41. Protocole d’entente entre les partis politiques appelés à participer au gouvernement de transition ». Il est daté du 7 avril 1992.
42.
PRUNIER, Gérard, Rwanda : le génocide,
Dagorno
43.
Rapport de la Commission
politico-administrative sur les troubles dans les préfectures de Gisenyi,
Ruhengeri et Kibuye suite à la décision du Conseil des ministres du 3 février
1993
44.
Société civile, c/o Centre Iwacu, Déclaration
de la société civile au Rwanda dans sa réunion du 31 mars 1994.
45. VAITER, Marc, Je n’ai pas pu les sauver tous, Paris, Plon, 1995.
46. VANSINA, Jan, Le Rwanda ancien, Paris, Karthala, 2001.
[1] ICTR, Offer of Appointment under a Consultant Contract, Ref. ICTR/PER/02/fm, 25 June 2002.
[2] Elle le manifestera notamment à travers la rencontre de Bruxelles du 29 mai au 3 juin 1992, dans laquelle l’opposition non armée, appelée « Forces démocratiques de changement – FDC- » scellera dans le communiqué conjoint du 3 juin un accord politique avec la rébellion de concertation et de coordination permanente de l’information, la diplomatie et la sensibilisation de la population.
[3] La journaliste belge de la « Libre Belgique » dans sa livraison du 25 mai fait la même analyse et avance que la vielle opposition hutu-tutsi d’antan qui entraîna en 1959 la révolte des premiers n’était plus le premier élément de tension politique. Elle avait cédé le pas à l’antagonisme entre sud et nord.
[4] Une loi non écrite inaugurée dès l’avènement de la deuxième République en 1973 voulait que, en vue de s’assurer une clientèle politique docile, chaque préfecture dispose d’au moins d’un portefeuille au niveau du Gouvernement, du Comité central du parti unique MNRD et de la haute administration. Les préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri disposaient bien entendu de plusieurs. Cela explique notamment pourquoi le Président Habyarimana, à la faveur de la constitution du premier gouvernement multipartite du 16 avril 1992, pour s’assurer de la représentation de chaque préfecture, exigea parité dans la répartition des 19 portefeuilles ministériels entre l’opposition politique et son parti. Avec le multipartisme, cela répondait bien sûr aussi à une stratégie électorale.
[5] L’appellation « sud » recouvre en fait le sud et le centre du pays, c’est-à-dire principalement les préfectures de Gitarama, Butare, Gikongoro, Kibuye. Par extension, elle incluait aussi les préfectures de Cyangugu, Kigali et Kibungo.
[6] Elle meurt en 1989 dans un accident de voiture jamais élucidé. Sont aussi morts dans des accidents de route non expliqués le ministre de la santé François Muganza ainsi que l’abbé Silvio Sindambiwe, journaliste de l’illustre journal Kinyamateka. Ils représentaient tous les têtes montantes de l’opposition.
[7] Journal, La Libre Belgique : « Rwanda : la république a trente ans. Une révolution inachevée ? Une atmosphère de fin de règne », 31 octobre 1989.
[8] Nota bene. Le café intervenait pour plus de 70% des exportations totales du pays.
[9] Dès le coup d’Etat de juillet 1973, afin de mieux contrôler l’opposition hutu du sud, le régime Habyarimana noue alliance avec l’élite commerciale tutsi et soutien sa consolidation en lui accordant beaucoup d’avantages commerciaux et fiscaux qui lui permettent de dominer les secteurs pétrolier, bancaire, import/export et les marchés publics. La contrepartie est la prise de participation fictive dans les sociétés, la distribution de dividendes et de prébendes ainsi que l’entretien du réseau de contre-espionnage privé du régime.
[10] Lire le livre de Kajeguhakwa, Valens, De la terre de paix à la terre de sang et après ?, Paris, Remi Perrin, 2001, 359 p. Une véritable épopée et une construction patiente de la revanche politique !
[11] Les productions agricoles, Rapports de la Commission nationale d’agriculture, République rwandaise, 1991.
[12] Ce sont les représentants de la société civile qui les premiers, à savoir les 20 et 21 décembre 1990 dans une table ronde tenue à Kigali, proposèrent la modification de la Constitution afin de consacrer juridiquement le pluralisme politique et réclamèrent la tenue d’une conférence nationale souveraine « Rukokoma » chargée de rédiger la Constitution et de déterminer la conduite de la transition. Cette idée de la Conférence nationale sera ensuite reprise par l’opposition. Aucun des partis politiques n’ayant l’assurance de maîtriser ses conclusions, les partis renoncèrent à la tenir. Voir lettre du conseil de concertation des ONG « CCOAIB » du 4 janvier 1991 adressée au président de la commission nationale de synthèse.
[13] Sur le lien entre violence et rareté des ressources, voir GASANA, James, World Watch Review, « Remember Rwanda ? », volume 15, Number 5, September/October 2002, Washington DC, pp.24-33.
[14] Entretien au mois d’octobre 1990, juste après le déclenchement de la guerre, avec le journaliste Bob Scot de la radio « Voice of America ». L’enregistrement est disponible auprès de l’auteur.
[15] Confusion sans doute avec Bashiru.
[16] Il s’agit des commandants Chris Bunyenyezi et de Stephen Nduguta. Voir notamment, PRUNIER, Gérard, Rwanda : le génocide, Dagorno, p.93.
[17] Il s’agit bien de prétexte. En effet, ni leur conception politique ni leur pratique politique ne peut leur conférer un statut démocratique. Je me souviens combien en 1992 dans les négociations politiques d’Arusha leurs émissaires se sont vigoureusement opposés au premier protocole sur l’Etat de droit. N’eût été la pression des pays occidentaux, les dés étaient pipés pour le début des négociations. Les chefs politiques et militaires du FPR avaient auparavant servi des régimes qui étaient loin d’être des exemples de démocratie, à savoir ceux d’Oboté I en 1966, d’Amin Dada en 1971 et de Museveni en 1986 partisan du « no party system » !
[18] Au sommet franco-africain de la Baule en France en 1990, il s’était fait le porte-parole des Chefs d’Etat réticents à la démocratisation. Il y a défendu le paradigme surprenant de « démocratie à l’africaine » à son sens déjà appliqué dans les pays africains.
[19] On verra comment, dans le sens de s’assurer le maximum de sièges dans le parlement de transition, les formations politiques qui redoutaient le renforcement de l’opposition non armée dans la période de transition ont créé une myriade de minuscules partis politiques satellites. Pour le MRND, il s’agit de : MFBP, PD, PARERWA, PDI/1, PECO, PPJR, RTD. Pour le FPR, il s’agit de : UDPR, PSR, PDI/2. Le cas de la CDR, proche de l’aile dure du MRND est à mettre à part, compte tenu de l’autonomie réelle qu’il a développée ultérieurement.
[20] Craignant que les militants à la base ne soient détournés par les partis politiques concurrents moins exigeants, les partis politiques n’ont pas instauré ni exigé à leurs adhérents de s’acquitter de la moindre cotisation. Il n’était pas rare de voir des militants échanger les bons publics d’essence aux stations. Cela accrédite la stratégie de la séquestration de l’Etat empruntée par les formations politiques.
[21] Avant-projet de Manifeste Programme et Statuts du MDR, Kigali, février 1992. Programme politique du FPR, Muvumba, mai 1992. Manifeste et Statuts du MRND, Journal officiel du 15 août 1991. Manifeste et Programme du PSD, mai,1991.
[22] Se dénomme désormais Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement en remplacement de l’ancien parti unique du Mouvement révolutionnaire national pour le développement. Il ne change pas de sigle cependant.
[23] Se dénomme Front Patriotique Rwandais. Il s’agit de la mutation militaire du « Rwandese Alliance for National Unity).
[24] Mouvement Démocratique Républicain. Se veut la rénovation du MDR Parmehutu, Parti du mouvement de l’émancipation hutu, à la base de la Révolution sociale de 1959.
[25] Les préfectures de Cyangugu, Kigali et Kibungo viennent en deuxième position. Les adhérents sont par contre marginaux dans Gitarama, Butare, Gikongoro et Kibuye.
[26] Alors qu’au début du processus démocratique, un bon nombre de tutsi avait adhéré au MRND et que l’on pouvait même les trouver au sein de l’appareil dirigeant du parti, celui-ci se verra vider de presque ses adhérents tutsi après le discours pyromane et raciste prononcé le 22 novembre 1992 lors d’un meeting politique à Kabaya Gisenyi par M. Léon Mugesera, un des pontes politiques du MRND. Jean Rumiya, tutsi, ancien membre du comité central claquera la porte après avoir accusé Mugesera d’appeler ouvertement au meurtre et de lancer l’épuration ethnique.
[27] Voir GASANA, James, Rwanda : du Parti-Etat à l’Etat Garnison, L’Harmattan, Paris, 2002, pp. 192 et 217.
[28] Et ainsi, faire admettre aux yeux de l’opinion que le MRND reste le parti à la fibre patriotique qui défend seul la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale du pays.
[29] « Interahamwe » signifie : « Ceux qui partagent un dessein commun » ou « Ceux qui ont grandi ensemble ». Cette milice sans lien juridique mais proche du MRND, a été créé par deux anciens membres éminents du MRND Kigali : M. Désiré MURENZI et M. A. GASANA. Ces derniers disputaient le leadership préfectoral à une autre grande figure du MRND, M. Faustin Munyazesa. Les deux premiers sont ressortissants de la même commune Gikomero. M. Murenzi était le président des « Interahamwe ». Directeur général d’une importante société publique de lubrifiants « PETRORWANDA », il y a été ensuite évincé par « l’akazu » et a rejoint le FPR. M. Gasana, après avoir été ministre des affaires étrangères est aujourd’hui ambassadeur du gouvernement rwandais à Washington.
[30] C’est lors du congrès du parti tenu les 3-4 juillet 1993 que le courant réformateur obtint le départ du Chef de l’Etat au poste de président du parti. Ce dernier sera assumé par M. Mathieu Ngirumpatse. Il était le candidat du compromis entre les deux tendances.
[31] C’est le cas notamment du colonel Alexis Kanyarengwe, propulsé, sans base, à la tête du FPR. Mais aussi du fonctionnaire international Seth Sendashonga ou du banquier Pasteur Bizimungu. Les militants hutu au sein du FPR se comptent finalement sur les doigts d’une seule main !
[32] L’appellation pro-hutu pourrait aussi convenir.
[33] Géographiquement, appelé le « Plateau dorsal ».
[34] Quand M. Nsengiyaremye rentre d’exil fin novembre 1993, il s’évertuera, sans beaucoup de succès à colmater les brèches d’un parti qui était en train de prendre l’eau d’un peu partout. Il réussira néanmoins à empêcher la tenue d’un congrès extraordinaire qui allait consacrer la légalité de la tendance pro-MNRD et renouer le contact politique avec M. Twagiramungu. Lorsque la guerre éclate le 6 avril 1994 et le génocide se déverse ensuite sur l’étendue du territoire national, ces deux événements empêcheront définitivement la mise en application des modalités de réforme du parti et de participation commune au gouvernement de transition que les deux leaders venaient de convenir. Voir liste des membres du gouvernement de transition à base élargie du 18 mars 1994 dans GUICHAOUA, André, Les crises politiques au Burundi et au Rwanda, Paris, Karthala, 1995, p.755.
[35] Le FPR ne puise en effet que dans l’électorat des réfugiés qui représentent un pourcentage très faible par rapport à la population totale. Et si l’on étend son électorat à l’ensemble la population tutsi de l’intérieur, il convient de souligner que cette dernière reste minoritaire en termes de poids démographique dans le sens où la population tutsi constituait seulement près de 10% de la population nationale. Il convient d’ajouter aussi que sur ce même terrain, il se trouve en position faible, car en compétition avec le PL.
[36] Le Parti démocrate chrétien a souvent joué l’ambivalence entre le pôle présidentiel et le pôle de l’opposition non armée. Le parti socialiste rwandais a aussi flirté un peu avec l’opposition non armée, beaucoup avec le FPR.
[37] Le PSD, le PL, mais aussi le courant Twagiramungu, selon la conjoncture, seront utilisés à cette fin par le MRND et le FPR.
[38] Les excellents rapports entre le Premier ministre Dismas Nsengiyaremye du MDR représentant le courant indépendant et le Ministre de la défense James Gasana du MRND, chef de file du courant rénovateur, faciliteront les rapprochements.
[39] Emmanuel Gapyisi, un autre membre éminent du courant indépendant au sein du MDR, essaiera de développer et d’appliquer la stratégie du « ni le MRND, ni le FPR » à travers le forum « Paix et Démocratie », lequel voulait amener à la mise en quarantaine des deux pôles militaires. Il sera assassiné le 18 mai 1993, probablement par le FPR. Cependant le MNRD ne fit rien non plus pour lever les soupçons qui pesaient sur lui dans cet assassinat politique. Voir aussi Gasana, J. op. cit., p.198.
[40] Le MRND a négocié avec le FPR, de manière exclusivement bilatérale et secrète, une loi d’amnistie générale couvrant les crimes politiques commis durant le long règne du Président Habyarimana. Celui-ci n’a jamais daigné évoquer cette question très sensible avec l’opposition interne. L’assassinat des politiciens du sud par le régime Habyarimana est resté comme un boulet politique indécrottable qui a empêché ensuite une quelconque sérénité des rapports entre le Président Habyarimana et son opposition interne.
[41] C’est paradoxalement la période où la stratégie pacifique du MDR est en train de gagner des points, notamment l’acquisition de la conclusion de l’Accord de paix, que le MDR perd le terrain.
[42] A côté des négociations officielles entre le Gouvernement rwandais et le FPR se déroulent des négociations secrètes parallèles entre le MRND et le FPR. Deux rwandais ont joué un rôle majeur dans ces contacts. Il s’agit du consul honoraire Charles Shamukiga et du banquier Pasteur Musabe.
[43] Ceci explique pourquoi, redoutant l’entrée en vigueur de l’Accord de paix, lequel aurait renforcé le processus démocratique et, partant, l’opposition interne, les mouvements politiques MRND et FPR ont créé beaucoup de partis lilliputiens pour s’assurer des soutiens et accroître leur capacité de contrôle du parlement de transition prévu par les accords de paix. Ces partis existaient parce qu’ils avaient été créés mais ne jouissaient d’aucun poids politique réel. Du fait même de leur existence, ils avaient droit à un siège au sein du futur parlement !
[44] Voir, Rapport de la Commission politico-administrative sur les troubles dans les préfectures de Gisenyi, Ruhengeri et Kibuye suite à la décision du Conseil des ministres du 3 février 1993.
[45] A supposer qui plus est que le MRND et le FPR étaient parvenus à se mettre d’accord pour mettre en place le gouvernement de transition, ils l’auraient fait après s’être entendu d’anéantir le troisième pôle afin que ce dernier n’ait aucune possibilité d’influence future des les institutions. Chacun des deux pôles dominants veut s’assurer l’exclusivité politique.
[46] De son retour d’exil, M. D. Nsengiyaremye et F. Twagiramungu ont tenté de se rapprocher afin d’imposer à nouveau un pôle démocratique pacifique, de briser la bipolarisation et de sauver le processus de paix. Ils ont réussi entre autres d’empêcher la tenue d’un congrès du MDR qui aurait consacré la légalité du MDR « Power » et l’alliance avec le MRND. Trois semaines avant l’effondrement du processus de paix et le génocide, ils étaient parvenus à s’entendre sur la composition du gouvernement de transition dans lequel leurs deux tendances se retrouveraient. Bloqués par le MRND et le FPR, ils n’ont pas pu faire prévaloir l’application des accords de paix. Voir la composition du Gouvernement du 18 mars 1994. Il convient aussi de noter les initiatives d’indépendance par rapport au FPR développée par le PSD, en particulier par son secrétaire exécutif, Félicien Gatabazi. Cette tentative d’émancipation lui sera fatale. Il mourra, en effet, assassiné, le 21 février 1994.
[47] Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda.
[48] Le document s’intitule : « Protocole d’entente entre les partis politiques appelés à participer au gouvernement de transition ». Il est daté du 7 avril 1992.
[49] Voir la Loi n° 28/91 du 18 juin 1991 sur les partis politiques.
[50] En effet, injonction avait été faite aux préfets et aux bourgmestres de n’accorder ni autorisation ni lieux publics aux partis politiques désireux d’organiser leurs premiers congrès constitutifs. Les Eglises avaient aussi reçu des pressions du même genre. Bravant une prohibition non légale, le Centre IWACU ouvrira, dans la matinée du 1er juillet 1991, les portes au PSD et sera suivi par l’hôtel Mille Collines qui l’accordera au MDR. Quatre jours plus tard ce sera le tour du PL au Centre IWACU.
[51] Le PDC était, en ce moment, un minuscule parti satellite du MRND.
[52] Cette manifestation gigantesque et rare, qui regroupait entre 50'000 personnes (selon les forces de l’ordre) et 100'000 personnes (selon les organisateurs) a ébranlé, de par son nombre et de par sa discipline, le camp présidentiel.
[53] Les faits que le Président Habyarimana lui-même se soit rendu en 1988 en Uganda élever au rang de Général, Fred Rwigema, chef incontesté du FPR et qu’il ait élevé une année plus tard le Président ugandais Museveni à la distinction rwandaise la plus haute de «Grand Officier de l’Ordre des Mille Collines » en 1989, sont largement commentés.
[54] Voir notamment Déclaration des organisations rwandaises et internationales oeuvrant pour le développement au Rwanda du 11 mars 1992.
[55] Voir notamment les lettres du Premier ministre adressées au Président de la République les 22 octobre 1992 et 27 mars 1993.
[56] Voir les différents protocoles d’accord entre le Gouvernement et le FPR. De même une commission nationale d’évaluation des agents de l’Etat a été mise en place en juillet 1992. Elle s’est principalement penchée sur l’administration territoriale. Quant à la fonction publique, vu que souvent les hauts fonctionnaires adhéraient au parti de leur ministre, un consensus tacite semble s’être conclu entre les partis pour gérer la situation telle quelle.
[57] Il convient d’ajouter bien entendu : le Président de la République qui est MRND, le Premier ministre qui est issu du MDR et le chef de cabinet à la Présidence de la République qui est membre du MRND.
[58] Il a été convenu que les attributions du ministère de la famille (MRND) ne devaient pas empiéter celles du ministère des affaires sociales (PL).
[59] Voir Guichaoua, André, Les crises politiques au Burundi et au Rwanda, Paris, Karthala, p.750 sq.
[60] Avant cette date tous les ministres étaient issus du parti unique MRND.
[61] Le chef de cabinet a rang de ministre. Il s’agit de Monsieur Daniel Mbangura.
[62] Il s’agit du chef de cabinet à la Présidence, Monsieur Enoch RUHIGIRA :
[63] Il s’agit de M. Enoch Ruhigira.
[64] Toujours le chef du cabinet présidentiel.
[65] C’est parmi ces déplacés, appauvris et désespérés que le gros des recrutements des « Interahamwe » sera opéré.
[66] Il a été tué par « l’akazu » en avril 1994 lors du génocide.
[67] Journal Kanguka n°73, février 1993 : « A quand l’arrivée du FPR pour que les hutu prennent aussi l’exil de trente ans » ?
[68] Cela s’est effectué en connivence avec le PSD et le PL et Faustin Twagiramungu. Nous ne sommes pas à la première contradiction et aux alliances changeantes.
[69] Voir notamment l’accord de cessez-le-feu de Nselé (ex-Zaïre) du 29 mars 1991 et du 16 septembre du 16 septembre 1991 de Gbadolité (ex-Zaïre). Mais aussi les autres rencontres de très haut niveau à Gbadolité le 26 octobre 1990 et à Goma (ex-Zaïre) le 20 novembre 1990.
[70] Voir Gasana, James, Rwanda, du Parti-Etat à l’Etat-Garnison, p.128.
[71] Tiré tel quel de Gasana, James, op. cit., p.135.
[72] La mort du Président burundais Ndadaye entraîne un flux de 350'000 réfugiés burundais dont certains excitent la population hutu à s’en prendre aux tutsi. Des troubles éclatent au Bugesera et font cinq morts tutsi, des maisons sont incendiées et près de 400 personnes se réfugient à la paroisse de Ruhuha. Voir aussi le journal Le Soir du 6 décembre 1993, l’interview du Premier ministre Madame Agathe Uwilingiyimana.
[73] Article 21 du protocole d’accord entre le Gouvernement de la République rwandaise et le Front patriotique rwandais sur le partage du pouvoir dans le cadre d’un gouvernement de transition à base élargie du 30 octobre 1992.
[74] C’est le commandant de la gendarmerie de Rwamagana, le major Michel Havugiyaremye, qui en novembre 1993 a, le premier, rapporté notamment au Parquet général de Kigali des entraînements de miliciens effectués par la garde présidentielle en la personne du major L. Nkundiye, lequel venait d’être affecté dans la région du Mutara. L’essentiel des troupes « Interahamwe » est composé de jeunes déplacés de guerre, de réservistes et de déserteurs de l’armée.
[75] Selon Des Forges, Alison, Aucun témoin ne doit survivre, Paris, Karthala, p.214, « Avant le début du mois d’avril, le FPR disposait d’environ 600 cellules dans tout le pays, dont 147 à Kigali. Chaque groupe rassemblant de six à douze membres, on comptait donc entre 3'600 et 7'200 personnes qui avaient déclaré ou ouvertement ou en privé leur soutien au FPR. La capitale abritait le plus grand nombre d’entre eux, c’est-à-dire entre 700 et 1'400 personnes ».
[76] Certes le courant Power du MDR représenté par M, F. Karamira et M. D. Murego a passé alliance avec le MRND, mais la revivification, timide il est vrai, du tandem Twagiramungu – Nsengiyaremye commence à être redouté du fait de l’indépendance qu’il allait pouvoir développer dans la suite.
[77] Dans leur déclaration publique du 8 janvier 1994 relatif au retard de la mise sur pied des institutions de transition définies dans l’Accord de paix d’Arusha, le collectif de la société civile représenté par les organisations de femmes « Pro-femmes Twese Hamwe », les Organisations de droits de l’homme « CLADHO » et les ONG de développement « CCOAIB » demandent notamment à la Radio Muhabura du FPR et la Radio RTLM du camp présidentiel de cesser de propager des discours ethnisants. Le collectif condamne aussi la distribution des armes qui était en train de se dérouler.
[78] Journal Uganda Confidential du 28 février au 7 mars 1994 et le journal The People du 4-8 mars 1994.
[79] Propos tenus par M. P. Mazimhaka en date du 12 février 1994 devant les délégués de la société civile dont je faisais partie. Nous rendions visite au FPR dans le cadre de pression politique en vue de la mise en place des institutions de transition.
[80] Propos nous tenus par M. J. Nzirorera, secrétaire national du MRND, en date du 15 février 1994 dans le même cadre au moment de la rencontre avec les responsables du MRND.
[81] Journal Le Soir du 6 décembre 1993, op. cit.
[82] Agence de presse AFP du 4 avril 1994.
[83] Voir lettre des membres MRND du gouvernement au Premier ministre dans Gasana, James, op. cit. p.242.
[84] Beaucoup de gens croyaient, à tort, que le FPR pouvait créer ses propres zones de sécurité pour accueillir les fuyards. Rien n’y fit. On a assisté par contre à des liquidations massives de populations civiles sous son contrôle dont les plus spectaculaires sont celles qui ont eu lieu au stade de Byumba en mai 1994. L’on a aussi constaté que plusieurs personnes qui s’étaient réfugiées dans les enceintes de la MINUAR à Kigali étaient ensuite extraites et éliminées par le FPR. Des centaines de cadavres auraient été notamment découverts entassés dans le bâtiment appartenant au colonel Aloys Nsekalije sis au quartier commercial Remera III.
[85] Certains officiers, qui par ailleurs se sont illustrés ultérieurement dans le sauvetage de vies humaines, auraient pu coordonner leurs forces respectives et apporter un concours important à la MINUAR. Il s’agit à l’époque notamment des officiers supérieurs : Rusatira, Gatsinzi, Rwabalinda, Murasampongo, Habyarimana, Ndengeyinka, Nzapfakumunsi, Cyiza, Nsanzimfura, Kanamugire. Des officiers belges nous avaient également assurés qu’en cas de massacres et de reprise de la guerre, si la décision des Nations Unies était de retirer la MINUAR, ils allaient échanger le béret bleu (des Nations Unies) contre le béret rouge (belge).
[86] Surtout les radios RTLM et Muhabura.
[87] La radio RTLM fustigeait les gens qui de leur propre initiative fuyaient leurs habitations pour des zones plus sûres. A Kigali, les « Interahamwe » étaient en train d’instituer une carte de résistants pour les personnes qui y étaient restés malgré la guerre avec le FPR. En cas de victoire sur ce dernier, le retour des fuyards devait être sanctionné par une amende salée.
[88] Les « Interahamwe » font subir des traitements dégradants inimaginables à leurs victimes, avant de les achever. Des tortures, des viols, des enterrements alors que la victime vit toujours, des brûler à vif, l’utilisation des fosses communes, l’éventrement de femmes enceintes.
[89] Gasana, James et Nsengimana, Nkiko, NOUER 1997. D’un génocide, l’autre. Plaidoyer pour une justice juste et pour le rétablissement dans le droit d’un courant démocratique au Rwanda, p.7.
[90] Nsengimana, Nkiko, « Se souvenir sans tronquer, se souvenir sans tricher », Revue Dialogue, Bruxelles, avril-mai 1996.
[91] Association des droits de l’homme et des libertés publiques « ADL », Rapport sur les droits de l’homme au Rwanda, Kigali, septembre 1991 – septembre 1992, p.12.
[92] On se souvient de ce qu’en novembre 1992, M. L. Mugesera, leader du MRND à Gisenyi, après avoir prononcé un discours incendiaire contre l’opposition démocratique et contre l’ethnie tutsi, a été obligé de s’exiler parce qu’un mandat d’amener lui avait été établi. A la suite, un tutsi éminent et membre du MRND, M. J. Rumiya, dénonçant le comportement raciste de son collègue de parti, avait solennellement claqué la porte du MRND.
[93] Les partisans d’une position centrale et indépendante des deux blocs sont marginalisés et réduits au silence.
[94] Les familles de Emile Rwagasana ou de François Ndolimana ont été éliminées parce qu’on les savait proches de M. D. Nsengiyaremye. D’autres sont mortes, parce que proches de M. F. Twagiramungu. D’autres, parce que l’on avait entendu à la radio Muhabura la voix d’un parent proche.
[95] Vaiter, Marc, Je n’ai pas pu les sauver tous, Paris, Plon, 1995, p.99.
[96] On se rappelle le cas de l’allemand antinazi Friedrich Hielscher qui, par des mobiles fallacieux, réussit à entrer dans les rouages nazis, se rendit par deux fois en 1941 et en 1942 dans le ghetto de Lodz, rencontra des membres du corps de police et les employés du camp de concentration et put savoir le sort qui était réservé à tous les juifs déportés. Il découvrit et témoigna plus tard que les juifs déportés étaient gazés !
[97] Article 3 du Protocole d’accord du 30 octobre 1992 sur le Partage du pouvoir.
[98] Article 3 de l’Accord de Paix du 4 août 1993.
[99] Gasana, James, op. cit., p.282.
[100] Le terme est emprunté à Bauer, Yehuda, Repenser l’holocauste, Paris, Autrement, 2002, 291p.
[101] Malheureux dans le sens où le terme « tropical » employé fait référence à quelque chose d’exotique, de pas froid du tout, mais plutôt ensoleillée et effleurée par un bel alizé.
[102] Il s’agit d’un lignage du clan des «bega » exterminé au début du règne de Rwabugiri vers l’année 1869.
[103] Ce coup d’Etat qui eut lieu en 1896 fut marqué par le massacre du roi Rutalindwa lui-même et beaucoup de membres de son lignage du clan des « nyiginya ». Voir aussi Vansina, Jan, Le Rwanda ancien, Paris, Karthala, 2001, p 210 sq.
[104] C’est le plan d’extermination des polonais présenté à Hitler en 1941 par M. Meyer-Hetling a présenté en 1941.
[105] Les événements tragiques de Kibilira en 1990, Bugesera en mars 1992, Ruhengeri-Gisenyi en janvier 1993, Kigali en février 1994 sont là pour l’attester.
[106] Compte tenu de la situation institutionnelle brouillée, de l’expérience de tueries et du climat de psychose prévalant avant le 6 avril 1994, la personne qui a descendu l’avion présidentiel avait sans doute le dessein de provoquer le vide de pouvoir et ne pouvait pas ne pas savoir qu’il facilitait en même temps les massacres de populations innocentes.
[107] A moins bien sûr, que ce soit « l’akazu » elle-même qui aurait décidé de l’élimination de son fédérateur, hypothèse de jour en jour fragile et invraisemblable.
[108] Terme emprunté à Bauer, Y., op. cit., pp51-79.
[109] Il s’agit, ainsi que je l’ai présenté plus haut : du Premier ministre, Mme A. Uwilingiyimana, des ministres F. Nzamurambaho, F. Rucogoza, L. Ndasingwa, B. Ngulinzira, des chefs de partis comme F. Ngango, T. Gafaranga, du président de la Cour constitutionnelle J. Kavaruganda, du directeur de cabinet ministériel D. Havugimana.
[110] Niwese, Maurice, Le peuple rwandais un pied dans la tombe, Récit d’un réfugié étudiant, Paris, L’Harmattan, p.55.
[111] Sur les liens, entre la gestion des ressources naturelles et les conflits, voir Gasana, James, « Remember Rwanda ? », World Watch, vol.15, n°5, Washington DC, septembre/octobre 2002, pp.24-33.
[112] Le terme est emprunté dans une analyse de Lemarchand, René, Les génocides se suivent et ne se ressemblent pas : l’holocauste et le Rwanda.
[113] A ce propos, lire le titre 6 en haut dans le texte.
[114] Des Forges, Aucun témoin ne doit survivre, Paris, Karthala, p.187.
[115] Société civile, c/o Centre Iwacu, Déclaration de la société civile au Rwanda dans sa réunion du 31 mars 1994.
[116] Le chef d’état major des FAR avait confirmé l’information au commandant du secteur Kigali de la MINUAR. Dans les chancelleries que je visitais, le projet d’une guerre éclair de 72 heures dont le prix maximum serait de 20'000 morts avait été diffusé par le FPR. Dans le journal Ugandais « The People » cité plus haut, le général Kagame disait qu’il pouvait prendre le pouvoir à tout moment.
[117] Voir Des Forges, Alison, op. cit., p.713.
[118] Est-ce que les troupes étrangères n’intervinrent pas parce que le 10 avril 1994 le FPR le leur avait empêché ? Ou était-ce délibéré ? Il est vrai en effet qu’en date du 10 avril, le FPR avait enjoint aux troupes belges et françaises de se retirer dans les soixante-douze heures, au quel cas, elles seraient traitées comme des troupes hostiles. Voir aussi, Des Forges, Alison, op. cit. p.713.
[119] « Le FPR continua jusqu’à la fin du mois de mai à exiger que la force de maintien de la paix se limite strictement à des tâches d’assistance humanitaire, plutôt qu’elle entreprenne des efforts plus actifs pour protéger les tutsi ». Des Forges, Alison, op. cit., p.816.
[120] Castonguay, Jacques, Les Casques bleus au Rwanda, Paris, L’Harmattan, p.163. Pour de plus amples informations sur la négociations de cessez-le-feu, consulter les pp. 162-173.
[121] Des Forges, Alison, op. cit., p.814.
[122] J’ai moi-même essayé d’attirer l’attention à l’opposition sur les conséquences graves qui pouvaient survenir de sa participation au gouvernement en tant de guerre, de la persuader à mettre à profit cette période pour la construction de projets de société de sortie de guerre. J'ai aussi cherché à la convaincre de laisser le pouvoir en place et la rébellion gérer une guerre dont ils connaissaient seuls les dimensions ainsi que les tenants et les aboutissants. Ce fut en vain.