Le Rwanda face aux élections : Les fissures dans le miroir

Kris Berwouts, Directeur EurAc

Rapport après mission, Mars 2010

 

 

 

La deuxième semaine du mois de mars 2010, j’ai visité le Rwanda. Les dernières années, je suis souvent passé dans ce pays que je fréquente depuis 1997, surtout en transit vers Goma, Bukavu ou Bujumbura. Chaque fois, j’en profitais pour rencontrer quelques contacts personnels ou professionnels. Mais je n’étais pas resté plus de 24 heures depuis fin 2007.

 

Bien sûr, j’avais toujours suivi ce qui se passait au Rwanda, et je m’étais investi sans cesse avec les collègues à EurAc pour fournir une information avec le leitmotiv de disponibiliser les éléments nécessaires pour mieux comprendre les enjeux et objectiver le débat. Ce leitmotiv est pertinent partout, mais il a une importance particulière  au Rwanda. Très souvent, le débat entre believers et non believers ne dépasse pas la discussion stérile entre sourds-muets.

 

Les dernières semaines avant mon arrivée, nous sentions qu’une grande nervosité commençait à régner dans le pays. On s’attendait tous à une fermeture de l’espace politique dans les mois avant les élections. La diabolisation de Victoire Ingabire après son retour au pays pour mener une campagne présidentielle comme candidate du parti d’opposition FDU-Inkingi accélérait aussi l’agression contre les autres partis d’opposition présents sur le terrain. Le 19 février, un vendredi soir, trois grenades visaient différents endroits très fréquentés dans la capitale, en pleine heure de pointe, faisant deux personnes mortes et plusieurs blessées. Les médias rwandais en accusaient d’abord les FDLR et puis Victoire Ingabire. Le jeudi 4 mars 2010 dans deux nouvelles attaques à la grenade, presque simultanées, dans la capitale rwandaise Kigali, seize autres personnes  ont été blessées. Ces actes de violence étaient suivis par des vagues d’accusations et d’arrestations.

 

Entre les deux attaques, le Général Faustin Kayumba Nyamwasa avait quitté le pays pour l’Afrique du Sud. Après son départ, cet ancien chef d’Etat-major de l’armée rwandaise était accusé par le régime d’être derrière les grenades du 19 février et d’être associé à l’ancien chef des renseignements extérieurs, le colonel Patrick Karegeya, qui se trouve en Afrique du Sud depuis 2007.

 

Le samedi 6 mars, les autorités rwandaises ont annoncé l’arrestation au Burundi d’un opposant, Déo Mushayidi, accusé par Kigali de faire partie des commanditaires des récentes attaques à la grenade. Tout doucement, les jeteurs de grenades commençaient à être plus nombreux que les grenades elles-mêmes.

 

Vous comprenez que je ne savais pas très bien à quoi m’attendre. Pendant que les journées passaient, j’avais des difficultés à comprendre pourquoi au juste la situation me semblait fondamentalement différente de toutes les autres fois que j’ai visité le pays. Je sentais une crainte dans la population, mais elle existe depuis longtemps. Je constatais une fermeture de l’espace politique qu’on avait vécue déjà maintes fois. Je ne me souvenais pas de grenades dans le passé récent (une petite recherche après mon retour m’apprend qu’il y en a eu en avril et décembre 2008 et en avril et juillet 2009), mais au même temps j’avais l’impression que les grenades étaient plus des symptômes que la cause des événements.  J’avais l’envie et le devoir d’intégrer tous ces morceaux d’information dans une analyse solide.

 

Finalement, j’ai compris ce qui était réellement nouveau : j’observais un régime qui ne se bat pas tout d’abord contre ses adversaires. Il se bat en premier lieu contre sa propre désintégration. Pendant dix ans, nous avions spéculé sur les divergences au sein de l’inner circle du pouvoir. Nous avons toujours senti des points de désaccord, mais personne n’a pu m’aider à définir précisément les clivages. Aujourd’hui, quand le régime se regarde dans le miroir, il voit les fissures qui troublent l’image intacte et sereine qu’il veut présenter à l’opinion publique, aussi bien rwandaise qu’internationale. Le régime se voit confronté à sa propre fragilité, il est nerveux et il réagit hors proportions.

 

Vous lirez dans les pages suivantes mes constats, mes impressions et mon analyse. Ce n’est pas une position officielle d’EurAc, mais le résultat des réflexions d’une seule personne, et qui n’engage qu’elle. Une personne qui, comme d’habitude, revient de mission avec plus de questions que de réponses.

 

 

 

Kris Berwouts

Directeur EurAc

 

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