• Lecture critique du Rapport de l’International Crisis Group (Newsletter n°9)
     

    Les auteurs du rapport

    C’est en me soumettant aux habitudes de la recherche en matière d’analyse de documents que j’ai été conduit à identifier les auteurs du rapport. En lisant le rapport l’on aurait pensé à de gentils chercheurs babas cool perdus dans la savane africaine en train d’analyser un conflit entre peuples sauvages de l’Afrique centrale, ce n’est pas le cas. Il s'agit d'une machine de propagande bien huilée. Les auteurs du rapport ne sont pas indiqués, mais par contre j’ai trouvé un panel de personnalités qui pilotent l’ICG. Ayant suivi au jour le jour le développement de la crise rwandaise depuis 1990 et connaissant les acteurs principaux ainsi que les décideurs internationaux qui ont trempé de près ou de loin dans la crise rwandaise, j’ai tout simplement été surpris par l’ampleur de la manipulation. Le panel de personnalités comprend entre autres : 1- Louise Arbour, Présidente de l’ICG, ex Procureur du TPI (à l’époque le TPIY et le TPIR étaitent regroupés sous une même juridiction) : c’est elle qui a mis sous séquestre les poursuites contre les membres du Front Patriotique rwandais pour crimes de guerre, et surtout les auteurs de l'attentat contre l'avion du Président Habyarimana ; 2- Koffi Annan, membre de Comité de Direction de l’ICG, ex Secrétaire général de l’ONU et ancien Responsable des Opérations de maintien de la Paix de l’ONU pendant le génocide rwandais : c’est lui qui a mis sur pied la MINUAR, c’est lui qui a géré de bout en bout les opérations de l’ONU au Rwanda, le dossier de l’attentat contre le Président Habyarimana et son homologue burundais Cyprien Ntaryamira pour lequel on attend toujours une enquête internationale neutre ; 3- Christine Ockrent, Membre du Comité de Direction de l’ICG, Directrice générale de l’Audiovisuel Extérieur de la France, épouse de l’inénarrable Bernard Kouchner, l’avocat impénitent du régime de Kigali ; 4- Michel Rocard, Conseiller de l’ICG, dont on connaît les accointances avec le pouvoir de Kigali par le biais de l’association « Survie « et depuis qu’il a produit en 1997 un rapport favorable au pouvoir de Kigali pour l’Union Européenne.


    A ajouter le défenseur belge pour toujours du diable: Alain Destrexhe

    La présence de ces quelques personnalités averties de la question rwandaise, sans oublier les Britanniques et les Américains dans le Conseil d’Administration de l’ICG, suffit pour invalider le rapport, à mes yeux. Il s’agit-là de décideurs qui ont conduit à la déflagration de l’Afrique centrale en faisant délibérémment les mauvais choix contre les peuples de la région. Ces personnalités ne remettent nullement en question leurs actions posées qui ont conduit au désastre humanitaire qui jusqu’à présent n’a pas été résorbé. Ils ne remettent pas en cause le pouvoir sanguinaire et dictatorial qu’ils ont participé à mettre en place à Kigali contre la volonté du peuple rwandais. Or c’est ce pouvoir dirigé par Paul Kagame, qui a mis le feu aux poudres depuis 1990, en prenant la tête de l’invasion du Rwanda à partir de l’Ouganda voisin, contre toutes les règles du droit international, alors que le problème des réfugiés rwandais qui a servi comme prétexte était en voie de solution par la voie des négociations. Ce sont ces mêmes personnalités qui refusent la poursuite des criminels du Front Patriotique Rwandais. Or ceux-ci, non contents d’avoir mis à feu et à sang le Rwanda, ils ont étendu le conflit en dehors de ses frontières dans leurs velléités de conquête de l’Est Congolais, dont le sous-sol est riche en matières premières. Ce sont eux que pointe le discours du Président Obama à Accra :

    Soyons bien clairs : l'Afrique ne correspond pas à la caricature grossière d'un continent perpétuellement en guerre. Mais si l'on est honnête, pour beaucoup trop d'Africains, le conflit fait partie de la vie ; il est aussi constant que le soleil. On se bat pour des territoires et on se bat pour des ressources. Et il est toujours trop facile à des individus sans conscience d'entraîner des communautés entières dans des guerres entre religions et entre tribus.

    Le conflit a produit jusqu’à présent plus de 5 millions de morts et n’est pas prêt de s’éteindre. Bref il y a des intérêts à défendre derrière le rapport de l’International Crisis Group. Car ce sont ces mêmes personnalités, qui font partie de son Conseil d’Administration, qui ont servi à manipuler l’opinion internationale, par la diffusion de fausses informations, par l’obstruction à la vérité.  On ne peut donc pas s’étonner qu’au lieu de trouver les bonnes solutions pour résoudre le conflit en Afrique Centrale, l’ICG défend les intérêts de ces personnalités, en ciblant les FDLR comme le seul et unique obstacle à la paix en Afrique Centrale.
     

    Consolider la paix ? Quelle paix ?

    Dès le premier paragraphe le rapport parle de « consolidation de la paix dans la région des Grands Lacs » ! C’est vrai que l’arrivée au pouvoir de Paul Kagame a soulagé certains décideurs internationaux qui profitent de l’exploitation minière illégale du Congo, quel qu’en soit le prix humain. Ils ont donc ainsi intérêt à le maintenir au pouvoir, et le discours actuel est celui de « consolider la paix », c’est-à-dire « consolider son pouvoir », en éliminant toute menace militaire, toute velléité de l’opposition démocratique de le renverser même par les urnes. Avec l’avènement au pouvoir de Paul Kagame, l’obnubilation des chercheurs de l’ICG est telle qu’ils parlent de « consolider la paix » comme si la paix était déjà là ! Cette région n’a jamais connue de paix depuis que les éléments de l’armée nationale ougandaise (National Resistence Army -NRA) dont Paul Kagame faisait partie, ont envahi le Rwanda, le 1er octobre 1990. Depuis que Kagame est arrivé au pouvoir à Kigali, il y a eu une sorte de métastase du conflit qui a été exporté au Congo en vue d’accomplir les desseins les plus néfastes de conquête du Kivu et d’exploitation des richesses minières du Congo.

    Cette occupation a été justifiée devant l’opinion internationale comme une recherche d’espace vital pour le peuple rwandais vers des régions considérées comme appartenant jadis au Rwanda avant le découpage des frontières à la conférence de Berlin en 1896. Que nenni ! Le peuple rwandais n’a pas besoin d’espace vital, en tous cas pas par les armes. De plus les régions rwandophones de l’Est Congolais n’appartenaient pas au Rwanda avant l’arrivée de la colonisation. Tout expansionnisme par les armes prive le peuple rwandais de la bienveillance des peuples voisins quant à la coopération régionale en vue de la formation d’un espace économique large en Afrique centrale. Le peuple rwandais perd à la fois leur amitié et leur coopération future grâce à la folie meurtrière et l’avidité d’un individu, Paul Kagame, pour l’exploitation illégale du sous-sol congolais. Il n’y aura jamais de paix, tant que Kagame n’aura pas quitté le Congo. Il n’y aura jamais de paix tant qu’il sera au pouvoir à Kigali contre la volonté du peuple rwandais. On ne peut pas « consolider la paix » avec un dictateur de cet acabit qui a du sang sur les mains. Sa place devrait être devant les Tribunaux. Le devoir du citoyen rwandais est de le combattre par tous les moyens, démocratiques et militaires.


    Neutraliser les FDLR n’est pas la solution : simplement démocratiser le Rwanda

    En ciblant les FDLR comme le seul et unique obstacle à la paix, le rapport oublie les raisons d’existence des FDLR comme ceux des mouvements d’opposition politique armés et non armés à l’extérieur du Rwanda. Le problème essentiel est en effet le déficit démocratique du régime de Kigali. S’il y avait la démocratie au Rwanda, il n’y aurait pas de FDLR, ni d’opposition armée ou non armée en exil. Neutraliser les FDLR c’est comme couper uniquement les feuilles d’un arbre en voulant le faire disparaître. Les feuilles repoussent aussitôt, beaucoup plus nombreuses, et l’arbre reste en place. Si les FDLR sont neutralisées aujourd’hui, il en naîtra un ou plusieurs autres mouvements armés beaucoup plus incontrôlables, demain ou après demain, car la question politique du Rwanda n’est pas réglée. Faire l’impasse sur la nature dictatoriale et sanguinaire du régime de Kigali, accule les mouvements d’opposition armée et non armée à trouver d’autres solutions extrêmes, radicales et peut-être désespérées, qui ne peuvent conduire qu’à un nouveau bain de sang.

    Comment l’ICG a-t-il pu oublier que la première revendication des FDLR est la démocratisation du Rwanda ? Comment le rapport de l’ICG n’a-t-il pas évoqué la prochaine élection présidentielle comme une possibilité de résolution du conflit rwandais, et partant du problème des FDLR, si Paul Kagame admet la participation d’autres candidats libres à cette élection ainsi que le devoir pour lui de respecter le verdict des urnes ? Le RUD-Urunana qui est également mis en cause dans le rapport participe à une coalition ODR-Dufatanye qui a annoncé qu’elle ne participerait pas à l’élection présidentielle parce que « les droits et libertés d’opinion et d’expression nécessaires pour mener la campagne pour les élections présidentielles au Rwanda sont totalement bafoués par la dictature militaire absolue instaurée par le régime FPR depuis 1994 à nos jours » et que « Mr Paul Kagame en personne, est à la tête d’une liste des criminels identifiés et recherchés par la justice internationale. (…)  il tente par tous les moyens illégaux et illégitimes de se maintenir durablement au pouvoir sans partage pour ensuite pouvoir contourner les mandats internationaux, éviter de répondre de ses crimes contre l’humanité qui lui sont reprochés et livrer à la justice internationale d’autres criminels qui ne sont pas protégés par l’immunité présidentielle ». Aujourd’hui, une seule candidate à la candidature est en lice, Victoire Ingabire Umuhoza, et elle n’est même pas assurée d’obtenir son passeport pour participer à l’élection présidentielle. C’est-à-dire qu’il y a encore beaucoup à faire pour démocratiser le régime de Kigali. Or le rapport de l’ICG ne dit rien de tout cela de tout cela. En démocratisant le pouvoir rwandais, on crée les conditions de paix et de réconciliation entre les Rwandais, on crée en même temps la paix en Afrique centrale dont le Rwanda et l’Ouganda sont les déstabilisateurs.

    Alors que le désarmement et le retour des combattants des FDLR est conditionné à la démocratisation du pays, le Rwanda a multiplié les signaux négatifs dans ces derniers temps : en supprimant la peine de mort, le sénat rwandais l’a remplacé par la « réclusion criminelle à perpétuité en isolement », c’est-à-dire que le condamné n’a pas droit aux visites même s’il meurt personne son corps ne sera pas rendu à la famille (ce qui équivaut à une peine de mort déguisée) ; la comparution des chefs des FDLR, qui se sont rendus devant les tribunaux Gacaca, notamment le Général Rarakabije, et Séraphin Bizimungu, ce dernier ayant écopé de la peine la plus lourde (réclusion criminelle à perpétuité en isolement= peine de mort) ; la pressé est muselée, les journalistes sont régulièrement harcelés et emprisonnés, même les médias étrangers ne sont pas en reste : BBC a été momentanément interdite au courant de cette année, RFI l’a été définitivement et n’émet plus depuis 2006 ; une délégation du RUD-Urunana qui s’est rendue au Rwanda en fin d’année 2008 a rendu un rapport négatif sur les conditions de viabilité d’un retour éventuel des combattants dans leur pays. Tout ceci a fini de décourager les candidats à la démobilisation et au retour parce que ce sont des indicateurs de la nature dictatoriale du régime de Kigali.
     

    La sempiternelle question des « présumés génocidaires » des FDLR: ce n’est pas à Kigali de fournir la liste c'est le TPIR
     

    Cette question est du ressort du Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Le régime de Kigali ou n’importe quelle organisation humanitaire n’ont pas le droit de l’évoquer pour refuser aux FDLR les négociations pour le  partage du pouvoir. Tous ceux qui sont suspectés d’avoir participé au génocide ont été arrêtés ou sont sous le coup de mandats d’arrêts internationaux. Le pouvoir de Kigali n’a donc pas le droit de choisir qui il veut pour participer aux négociations. C’est pourquoi le gouvernement congolais, les organismes humanitaires ne doivent pas demander au gouvernement de Kigali de fournir une liste de présumés génocidaires. Cette liste doit être fournie par le TPIR, car c’est lui qui doit poursuivre les prévenus qui se trouvent à l’étranger. Dans ce petit jeu là il ne faut pas oublier que le régime de Kigali  est juge et partie, car ses propres membres sont suspectés d’avoir commis au moins des crimes de guerre. Ce n’est donc pas à lui de traquer les génocidaires qui ne sont pas sur son territoire, c’est le TPIR. Le comble c’est que le pouvoir de Kigali s’attaque aux personnes dont la responsabilité dans le génocide n’a pas été reconnue par le TPIR. C’est le cas de Callixte Mbarushimana. Le TPIR ayant refusé de le poursuivre, le pouvoir de Kigali et l’ICG n’ont aucun argument pour dire qu’il est suspecté d’avoir participé au génocide. Sinon pourquoi le TPIR l’aurait-il relaxé ? Par cet anathème de « présumé génocidaire » ou de « génocidaire » tout court, l’ICG participe à la campagne de diabolisation de l’opposition politique, distillée par le pouvoir rwandais pour empêcher quiconque de rivaliser avec lui dans la course au pouvoir si jamais il était acculé à des élections libres et transparentes.

    Ce n’est pas à Kigali, ni à l’ICG, de désigner ceux qui doivent ou ne doivent pas participer à des négociations éventuelles. Ce qui doit être fait, c’est de lui imposer ces négociations en vue de mettre en place un pouvoir de transition comme l’a suggéré un communiqué du parti « Banyarwanda » de Boniface Rutayisire en vue de préparer les élections où toutes les candidatures puissent être présentées et où le peuple rwandais aurait le dernier mot. Ce n’est pas à l’ICG, ni au pouvoir actuel de Kigali, ni la communauté internationale d’imposer aux Rwandais une version du génocide qu’ils ont subi de plein fouet. Chacun des Rwandais l’a ressenti dans sa chair, car actuellement il n’existe aucune famille hutu, tutsi ou twa, qui n’a pas eu ses victimes. Chaque Rwandais sait qui a tué les membres de sa famille.  Je sais qui a tué les 26 membres de ma famille. Aucun Rwandais n’a besoin d’une interprétation, telle ou telle autre, selon les intérêts de tel ou tel régime, tel ou tel lobby étranger. Aucune victime n’est plus importante que l’autre. Chaque Rwandais connaît son tueur, il faut simplement mettre en place les possibilités d’une justice équitable, panser nos plaies, pour ensuite nous réconcilier.


    Conclusion

    Toutes les opérations de désarmement ou de retour forcé seront vouées à l’échec, tant que les revendications fondamentales des FDLR et du peuple rwandais ne seront pas satisfaites. La communauté internationale pourrait y mettre tous les moyens matériels et détruire tout l’équipement des FDLR. Mais les revendications seront toujours là. Pourtant la solution est simple et pas chère du tout à financer : exiger dès la prochaine élection présidentielle en 2010 que Paul Kagame démocratise le pays. Qu’il mette en place les institutions capables d’assurer les élections libres et transparentes. Ainsi pourra être mis fin à la guerre au Congo, et le peuple rwandais sera libéré du joug d’une dictature militariste sanguinaire.

    Eugène Shimamungu

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