La reconquête du Rwanda (1990-1994) : aveu d’un complot international

En préparation de la commémoration du 15è anniversaire de la prise de Kigali par les éléments tutsi de l’armée régulière ougandaise, journée célébrée le 04 juillet de chaque année et est abusivement et cyniquement t appelée ''Libération Day'' par les conquérants, leur gouvernement vient de décider d’honorer, en les décorant, des étrangers qui auraient participé à cette ''libération''.

Par ce geste le régime de Paul Kagame entend honorer des personnalités dont des actions directes ou indirectes ont été déterminantes dans la conquête du pouvoir. Ces personnalités seront de toute évidence des ressortissants des puissances qui ont conçu et soutenu la reconquête du Rwanda par les réfugiés tutsi.

Ainsi seront décorés des Ougandais, des Tanzaniens, des Burundais, des Ethiopiens et Somaliens, des Belges, des Américains (USA) et des Anglais.

Au delà du profil individuel de chaque heureux élu, nous pensons que le geste du dictateur de Kigali est un clin d’œil adressé au pays d’origine de chaque lauréat pour sa contribution à la réinstauration de l’hégémonie tutsi au Rwanda. Bien entendu, les contraintes diplomatiques n’ont pas permis à Paul Kagame de décorer les représentants officiels de ces puissances. C’est  donc à travers quelques citoyens de ces pays que qu’il exprimera sa reconnaissance de l’aide apportée dans la conquête du pouvoir.

Il semble donc intéressant de se pencher sur les motivations respectives de chacune de ces puissances ainsi que sur les actes concrets posés par celles-ci pour soutenir la conquête du Rwanda.

 

L’Ouganda

On savait que la rébellion qui a installé Yoweri Museveni au pouvoir en 1986 était essentiellement commandée par des officiers tutsi d’origine rwandaise. Non seulement Museveni se devait de rendre l’ascenseur à ses anciens camarades de maquis mais aussi à s’en débarrasser et d’un coup se créer un protectorat sur son petit voisin du sud.

La concrétisation de cette stratégie fut on ne peut plus claire. Des unités entières de l’armée ougandaise ont fondu sur le Rwanda le 1er octobre 1990. Les casernes ougandaises sont restées des bases arrière de la soi-disante rébellion (FPR). Les combattants s’y repliaient après des opérations au Rwanda. Le gouvernement ougandais a permis au FPR de s’approvisionner en armes et autres matériels de guerre sous son couvert en tant qu’Etat souverain. Jusqu’à la conquête totale du pays, l’Ouganda a fourni des cadres et un soutien diplomatique au FPR chaque fois que le besoin sentir.

La Tanzanie

Pour comprendre l’engagement de la Tanzanie aux côtés du FPR dans la conquête du Rwanda, il faut pointer du doigt la position du leader incontesté de ce pays à cette époque. Julius Nyerere, qui est resté jusqu’à sa mort en 1999 le véritable homme fort de la Tanzanie, avait une aversion des Chefs d’Etat issus des Coups d’Etats militaires en général et de Juvénal Habyarimana en particulier. En plus en ce qui concerne le Rwanda et le Burundi, il avait une idée fixe ''bizarre'' car il était convaincu que le Rwanda devait revenir au Tutsi tandis que les Hutu devraient se regrouper au Burundi ! C’est ainsi que il soutenu la conquête du Rwanda par les soldats de l’armée ougandaise d’origine rwandaise tout en protégeant les réfugiés hutu burundais en Tanzanie et même en devenant leur parrain pour faire pression sur le régime tutsi burundais.

C’est dans ce contexte que la Tanzanie, sous couvert de neutralité (négociations d’Arusha dans lesquelles elle fut ''Facilitateur'', fut très active pour imposer les vues du FPR notamment à travers l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) dont le secrétaire général n’était autre que Salim Ahmed Salim, ancien ministre de Nyerere ! Comme en Ouganda les cadres tutsi dans toutes les instances ont été encouragés et aidés à rejoindre ou soutenir la conquête du Rwanda.

Le Burundi

La déstabilisation du Rwanda en 1990 fut une aubaine pour le régime mono-ethnique tutsi au Burundi. Ce régime militaire à bout de souffle voyait dans la conquête du Rwanda par les éléments tutsi de l’armée ougandaise une bouée d’oxygène et un signal fort aux Hutu qui rêvaient à l’émancipation.

C’est ainsi que le Burundi ne lésina pas sur les moyens pour soutenir la guerre de conquête du FPR. Les recrues venant du Rwanda transitaient au Burundi avant d’être acheminés en Ouganda. Les réfugiés tutsi rwandais résidant au Burundi furent tous encadrés par les services de sécurité pour soutenir la guerre. Les intellectuels ont reçu des facilités pour mener la lutte politique au sein des organes du FPR tout en bénéficiant de la protection du Burundi. Les hommes d’affaires ont été mobilisés pour contribuer à l’effort de guerre. Les jeunes (étudiants) ont été envoyés en masse et sous haute protection au front via l’Ouganda.

L’Ethiopie (en filigrane la Somalie)

L’Ethiopie fut impliquée dans la conquête du Rwanda à cause de deux fantasmes tout aussi farfelus que destructeurs.

A l’époque, l’homme fort actuel de l’Ethiopie, Meles Zenawi, venait de s’emparer du pouvoir par les armes à Addis-Abeba. Il était alors présenté par ses mentors américains comme l’un des modèles des ''nouveaux leaders'' dont avait besoin l’Afrique, tout comme son collègue Yoweri Museveni. Les Américains voulaient alors étendre ces modèles dans toute la région en commençant par le Rwanda.

L’autre fantasme est qu’on a fait croire aux Ethiopiens et aux Somaliens que les Tutsi qui marchaient sur Kigali étaient leurs frères de sang et donc qu’il fallait les soutenir car leur conquête constituerait autant d’espace vital gagné.

Cela c’est concrètement traduit par l’envoi d’unités entières de soldats éthiopiens pour occuper des zones conquises par le FPR dès mai 1994. Pour étouffer ce scandale et brouiller les cartes, l’ONU déclara que le premier contingent de la MINUAR II qui devait arriver en août 1994 serait constitué de soldats éthiopiens. L’annonce de l’arrivée de la MINUAR II (le contingent éthiopien) fut rendue publique plusieurs semaines après que des soldats éthiopiens étaient visibles au Rwanda sans savoir ni quand ni comment ils étaient arrivés.

Les Etats-Unis

A l’époque la superpuissance voulait promouvoir ces ''nouveaux leaders'' issus des maquis tels que Museveni, Zenawi, John Garang, etc. et tenait à ce que la contagion se répande dans toute la région. Le Maréchal Mobutu du Zaïre, principal allié du régime rwandais de Juvénal Habyarimana, était déjà condamné. Les USA se devait donc en toute logique soutenir une entreprise de son poulain ''Museveni'' d’autant plus que sa réussite permettrait à moindre frais d’avoir un tremplin pour sauter sur le Zaïre. Les Etats-Unis ont concrétisé ces prises de position en assurant la formation accélérée des officiers tutsi de l’armée ougandaise avant leur envoi au front. Par leur omnipuissance ils ont chaque fois fait pencher la balance du côté du FPR dans toutes les instances internationales, surtout à l’ONU, tout en enfonçant le gouvernement légitime.

Pendant toute la durée de la guerre et spécialement depuis avril 1994, les Etats-Unis ont fourni des renseignements militaires au FPR, ce qui lui a permis de hâter sa conquête. Les Etats-Unis avaient même positionné des troupes d’élites (marines) dans un pays voisin quelques jours avant le 06 avril 1994 (au cas où … !)

La Grande Bretagne

Avec l’accession de Museveni au pouvoir en Ouganda, la Grande Bretagne a cru avoir découvert ''l’oiseau rare'' ! Il le soutiendra dans toutes ses entreprises. En plus si c’est pour ''damer le pion'' à la France dans la région, c’est encore mieux. Pour concrétiser cet engagement, la Grande Bretagne abritera tous les quartiers généraux financiers (comptes bancaires) et sociaux (familles des leaders du FPR).pendant toute la durée de la conquête.

Tout comme les USA, la Grande Bretagne usera de son influence pour faire passer les vues du FPR et contrer le gouvernement rwandais.

La Belgique

Ceux qui sont au fait de la politique belge savent que ce pays n’a pas de politique étrangère et cela depuis 1945. Le leitmotiv en politique étrangère est de s’aligner aux positions des Etats-Unis. Dans le cas du Rwanda, il a donc suffi au Gouvernement belge d’alors de se rendre compte que les USA roulent pour le FPR pour faire les yeux doux à ce mouvement. Il faut aussi souligner que la politique belgo-belge a eu un effet considérable sur l’attitude des autorités belges. Les Libéraux qui étaient dans l’opposition depuis des décennies ont pris faits et causes du FPR pour accabler les Socio-Chrétiens au pouvoir et censés soutenir le régime Habyarimana.

Concrètement, la Belgique se distingua par une volte-face spectaculaire et inexplicable dès le déclenchement de la guerre. Bruxelles devint la tribune officielle du FPR. Les accords de coopération ou simplement les contrats commerciaux furent unilatéralement résiliés.

Conclusion

Les observateurs avertis étaient jusqu’ici convaincus qu’un complot international était à la base de la reconquête du Rwanda, mais jusqu’à présent le régime qui incarne cette reconquête, par orgueil ou par calcul politique, n’osait le reconnaître. Aujourd’hui c’est chose faite.

Emmanuel Neretse
Bruxelles le 29 juin 2009.