Au Burundi, la visite officielle du président Kagame provoque un malaise

 

BUJUMBURA (AFP) - vendredi 22 août 2008 - 18h58 - La première visite officielle du président rwandais Paul Kagame au Burundi, moins d'un mois après que Kigali eut accusé 670 Burundais d'avoir participé au génocide de 1994, a provoqué un malaise dans le pays, même si les relations sont officiellement au "beau fixe".

Cette visite de M. Kagame de jeudi à samedi intervient après que le Rwanda eut annoncé, le 30 juillet, avoir transmis au Burundi les dossiers de 670 Burundais accusés d'avoir participé au génocide rwandais.

Jeudi, des centaines de tracts anti-Kagame ont été retrouvés dans la ville de Ngozi (nord du Burundi, près de la frontière rwandaise) et à Bujumbura, selon des sources policières.

"Nous protestons avec force contre la visite du président Kagame au Burundi", affirme l'un de ces tracts en kirundi (langue nationale), parvenu vendredi à l'AFP.

"Nous ne sommes pas contre l'idée que ceux qui ont participé au génocide rwandais comparaissent devant la justice, mais nous demandons que cette même justice fasse comparaître ceux qui ont tué des Burundais qui étaient réfugiés au Rwanda et en République démocratique du Congo (RDC) en 1994 et en 1995, et ceux qui ont tué le président Cyprien Ntaryamira", ajoute le tract anonyme.

Le président burundais Cyprien Ntaryamira a été tué dans l'avion de son homologue rwandais Juvénal Habyarimana en avril 1994 près de Kigali, un attentat qui a été l'élément déclencheur du génocide.

Environ 800.000 personnes, selon l'ONU, essentiellement parmi la minorité tutsie, ont été tuées dans le génocide, planifié et mis à exécution par des extrémistes hutus.

Selon de nombreux témoignages devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et les tribunaux rwandais, beaucoup de réfugiés hutus burundais au Rwanda ont participé aux massacres de Tutsis en 1994. Ces personnes accusées avaient fui le Burundi en 1993, après l'assassinat du premier président burundais démocratiquement élu Melchior Ndadaye, un Hutu, par l'armée alors dominée par la minorité tutsie.

Les tracts anti-Kagame ont lancé la polémique au Burundi, alimentée par les réactions de plusieurs partis politiques, dont le Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu, parti hutu), principale formation d'opposition.

"Le président (Pierre) Nkurunziza doit demander au président Kagame que la question des responsabilités pour les différents crimes commis au Rwanda et RDC, notamment sur des réfugiés burundais, soit traitée dans un cadre régional qui comprend le Burundi, le Rwanda et la RDC", a déclaré à la presse le vice-président du Frodebu, Frédéric Bamvuginyumvira.

Pour Aloïse Rubuka, président du parti Uprona (principal parti tutsi), "ceux qui ont participé au génocide doivent être poursuivis (...) mais devant une justice neutre et impartiale".

"La meilleure solution, c'est une Cour internationale de justice car il y aurait trop de méfiance si le Rwanda se rendait justice lui-même", a-t-il dit vendredi à l'AFP.

De nombreux Burundais se sont exprimés sur des radios privées pour demander au gouvernement d'"exiger des éclaircissements sur l'assassinat du président Ntaryamira".

Mais officiellement, "les relations entre le Rwanda et le Burundi sont au beau fixe", a réagi Léonidas Hatungimana, porte-parole du président burundais.

"Ce ne sont pas seulement des relations diplomatiques, mais il s'agit de véritables relations fraternelles", a-t-il dit à l'AFP.

Le Burundi tente de sortir de 14 ans de guerre civile, qui a opposé l'armée dominée jusqu'à récemment par la minorité tutsie et des mouvements rebelles hutus.

Le pays est dirigé depuis 2005 par un pouvoir dominé par la majorité hutue, tandis que le Rwanda est dirigé par le Front patriotique rwandais (FPR), ex-rébellion majoritairement tutsie qui avait mis fin au génocide en prenant le pouvoir en 1994.