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Libre opinion: Rwanda : la propagande contre l'information

 

Charles Onana
Journaliste et auteur du livre Les Secrets du génocide rwandais - Enquête sur les mystères d'un président, Éditions Duboiris, Paris, 2002

Édition du mercredi 28 avril 2004

Voici dix ans que le dossier du génocide rwandais subit les assauts répétés des militants et propagandistes occultes de l'Armée patriotique rwandaise (APR), un mouvement rebelle des extrémistes tutsis qui a pris le pouvoir en 1994 par les armes et dans le sang. Pour dissimuler ses crimes, son chef, Paul Kagamé, devenu président de la République, est régulièrement présenté comme un ange, un libérateur, etc. C'est bien à cette logique qu'obéit le propos de Luc-Normand Tellier paru dans Le Devoir du 14 avril 2004. [...]

M. Tellier a parfaitement le droit d'éprouver de la sympathie et même de l'admiration pour le général Paul Kagamé, qu'il considère comme un homme qui «a su étonner tout le monde» et dont il nous demande de comprendre «les choix souvent difficiles qui s'offraient à lui». [...]

Seulement, j'ai été amené à enquêter pendant trois ans sur Paul Kagamé, sur son régime et sur son rôle dans l'attentat terroriste du 6 avril 1994, qui a déclenché le génocide au Rwanda. J'ai ainsi pu obtenir des confidences de ses collaborateurs directs (premier ministre, président du Parlement, officiers supérieurs, chefs des services de renseignement, ministres, etc.). De nombreux documents et preuves m'ont également été fournis. C'est donc à ce titre que je voudrais relever quelques contre-vérités.

Précisions

Tout d'abord, selon Luc Normand Tellier, «Kagamé a passé toute sa jeunesse comme réfugié, sans perspective d'avenir ni au Rwanda ni en Ouganda». Faux ! M. Kagamé était officier supérieur dans l'armée ougandaise et est devenu en 1989 directeur adjoint des services de renseignement dans ce pays.

M. Tellier ajoute ceci : «Pendant 30 ans, de 1960 à 1990, Kagamé a eu, de facto, un statut d'apatride.» Faux ! M. Kagamé était rwandais, mais officiellement, il bénéficiait de la nationalité ougandaise que lui a attribuée Yoweri Museveni, chef de l'État ougandais. C'est en tant qu'Ougandais qu'il a été formé aux États-Unis, à l'US Army Command and General Staff College, à Fort Leavenworth (Kansas).

M. Tellier continue dans un élan effréné d'admiration en affirmant que Kagamé «provoqua les négociations d'Arusha, auxquelles le FPR participa». Faux ! Les accords d'Arusha ont été organisés et provoqués par la communauté internationale. Et c'est précisément M. Kagamé qui, craignant la mise en place d'un gouvernement à base élargie dans lequel Tutsis et Hutus devaient travailler ensemble, a empêché leur application. D'ailleurs M. Kagamé n'était pas à Arusha mais avec ses rebelles à Mulindi, une province rwandaise d'où il préparait la guerre et l'assaut contre la capitale, Kigali, en 1994.

M. Tellier dit aussi ceci : «Kagamé recevait de multiples informations selon lesquelles un génocide de grande ampleur se préparait au Rwanda.» Question : qu'a donc fait M. Kagamé pour empêcher que cela arrive ? A-t-il lancé une campagne de prévention à l'échelle africaine ou internationale ? Il avait 600 hommes à Kigali : a-t-il exigé que ses combattants protègent les populations menacées ? A-t-il exigé une intervention de l'ONU ?

Paradoxalement, c'est à ce moment-là qu'il préparait un attentat contre le président Juvénal Habyarimana, puis la guerre contre les forces armées rwandaises, pour pouvoir prendre Kigali et surtout tout le pouvoir, quand bien même le prix à payer était le sacrifice des Tutsis de l'intérieur. Ses objectifs ont été atteints. L'attentat a abouti à l'assassinat d'Habyarimana et du président burundais qui se trouvait avec lui, la capitale a été prise par son armée et les Tutsis et les Hutus ont été massacrés.

M. Kagamé pouvait-il faire mieux ? Là encore, M. Tellier vient vite à son secours et soutient que son idole «se défend mal». Il est clair que la défense «bénévole» de M. Tellier à l'égard de Kagamé est encore plus maladroite et vraiment hasardeuse.

Pour l'instant, il faut constater que les anciens collaborateurs de Kagamé ont été, à sa demande, soit assassinés, soit emprisonnés, comme l'est actuellement Pasteur Bizimungu, ex-président de la République, qui a simplement voulu créer un parti politique. L'ancien ministre de l'Intérieur, Seth Sendashonga, a été assassiné à Nairobi en 1998, l'ancien président du Parlement, Joseph Sebarenzi, s'est exilé aux États-Unis pour échapper à une tentative d'assassinat. La liste est longue.

À lire M. Tellier, on pourrait penser que Nelson Mandela devrait effectuer un stage sur les droits de l'homme et la démocratie chez le général Kagamé. Heureusement que l'Afrique peut bénéficier d'autres références que le général bien-aimé de Luc-Normand Tellier.