La France et le peuple rwandais.

L'unique erreur de la France sous la Deuxième République Rwandaise n'a été, à mes yeux, que d'avoir entretenu des relations normales d'amitié et de coopération avec un régime dictatorial irrespectueux des droits humains les plus élémentaires, celui du Général Major Juvénal Habyarimana, qui s'est par la suite terminé dans un bain de sang de Rwandais innocents.

La meilleure excuse que la France puisse présenter au peuple rwandais, c'est de ne plus entretenir des relations normales d'amitié et de coopération avec l'oppresseur du peuple qui s'appelle, aujourd'hui, Paul Kagame. Ce n'est en tout cas pas en se soumettant à un exercice d'autoflagellation en vue de l'expiation de ses erreurs du passé qu'elle y parviendra. Et si d'aventure elle s'y soumettait (la politique a parfois des raisons que la raison ignore), cela ne pourrait profiter qu'au régime dictatorial de Paul Kagame qui, à bien des égards, est pire que le précédent. Au demeurant, la France n'est, dans la tragédie rwandaise de la dernière décennie du 20ème siècle, ni plus responsable ni plus coupable que les pays (Uganda, USA, Grande Bretagne) qui ont armé ce mouvement politico-militaro-commercial qu'est le FPR et l'ont activement soutenu dans son invasion du Rwanda à partir de l'Uganda. Le FPR a déjà inscrit sur son palmarès de nombreux crimes de guerre, crimes contre l'humanité, voire actes de génnocide notamment à Byumba, Umutara, Kibungo, Bugesera, Ruhengeri, Gisenyi, mais aussi et surtout, dans l'Est du Congo. L'aveuglement de la France d'avant 1994 n'est pas plus coupable que celui de ces trois pays précités datant de la même époque, voire même, pour les USA, postérieurement à 1994 jusqu'à aujourd'hui.

L'opération Turquoise a permis de sauver quelques dizaines de milliers de Tutsi. C'est peu, mais c'est déjà ça. Combien les USA en ont-ils sauvé? Madeleine Albright regrette déjà de s'être opposée, à la demande du FPR, à une proposition de la France de renforcer la MINUAR dès avril 1994 pour mettre fin aux massacres de Rwandais innocents. Sur ce point précis, elle a raison; l'attitude des USA a été, en avril 1994, des plus scandaleuse.

La France devrait-elle présenter ses excuses au peuple rwandais avant les Etats-Unis d'Amérique? Je ne le pense pas.

Au fait, pourquoi le gouvernement français est-il en train d'étouffer dans l'oeuf le rapport accablant du juge Bruguière sur les responsabilités de Paul Kagame et du FPR dans l'attentat contre l'avion présidentiel du 6 avril 1994 qui a servi de détonateur à la machine à tuer?

Pierre Boutros Boutros Ghali a promis de faire des révélations fracassantes à ce sujet d'ici 20 ans s'il est encore en vie. Il n'est pas souhaitable que des excuses éventuelles de la France au peuple rwandais se fassent au détriment de l'éclatement de la vérité. Les Rwandais ont d'abord besoin de connaître la vérité sur ce qui leur est arrivé. Quant aux responsables de leur malheur, ils les connaissent très bien, et ce ne sont pas les Français (tout au moins, pas en première ligne).

Que la France rende publics les résultats de l'enquête du juge Bruguière et l'immense majorité du peuple rwandais l'absoudra ipso facto de tous ses errements du passé. Ce faisant, la France n'aura pas rendu service qu'au peuple rwandais, mais bien à l'humanité toute entière, qui a besoin de savoir pourquoi son Secrétaire Général de l'ONU, Koffi Anan (pour ne pas le nommer), qui ne manque pourtant pas de strapontins, fauteuils, et autres canapés sur lesquels il peut s'asseoir (c'est le moins que l'on puisse dire), s'assied pendant dix ans sur une vraie fausse boîte noire métallique de couleur orange peu confortable !!!

La vérité est un passage obligé de toute réconciliation et/ou excuse.

Abatabizi bicwa no kutabimenya.

NIKOZITAMBIRWA, 14-11-2004.

 

Objet : Jean-Hervé Bradol, Rony Brauman, André Guichaoua et Claudine Vidal
sur le rôle de la France au Rwanda.


Chers Netters,

A ma connaissance aucun des auteurs de l'article paru dans « LA CROIX » le 3/11/2004 n'a entrepris une analyse approfondie du contexte international de l'engagement de la France au Rwanda et au Burundi. Cela n'est pas étonnant vu que de telles analyses ne sont normalement pas du ressort des sociologues
et des médecins. Soit.
La conclusion correcte que les auteurs auraient du» tirer de cette situation serait la revendication d'une analyse scientifique du rôle de la France joué au Rwanda et au Burundi .¹ à ma connaissance la France n'a pas réagi à l'assassinat du Président Ndadaye le 21 octobre 1993.
La Commission d'information de l'Assemblée Nationale a exclu la question de l'attentat du 6 avril 1994. Son rapport est par ce fait insuffisant et incomplet. Les auteurs jugent définitivement sans une telle étude, c'est risqué.
L'article indique que l'église catholique s'approche de la position anti-française renouvelée par Paul Kagamé lors des cérémonies de la commémoration du dixième anniversaire du génocide à Kigali le 7 avril 2004.
Après la mort de Mgr. Perraudin même LA CROIX, qui auparavant a ouvert ses pages pour défendre sa position, semble se rallier à la ligne de conduite préconisée depuis la visite de Paul Kagamé à Rome. La revue DIALOGUE commence également à atténuer ses positions critiques envers le régime de Kigali.
Ce n'est sûrement pas le rôle d'un allemand de défendre la France contre des français, mais je me permets néanmoins de vous transmettre le résultat des mes recherches. J'arrive à la conclusion que le génocide à pu avoir lieu parce que la France n'a pas respecté sous l'impulsion de Edouard Balladur ses engagements pris lors de la conclusion du traité de paix conclu à Arusha le 4 août 1993. La France avait promis de laisser ses troupes au Rwanda jusqu'à la mise en place du gouvernement de transition à base élargie (GTBE). Les soldats français ont cependant quitté le pays en décembre 1993 sans la mise en place de ce gouvernement. Cela a laissé resurgir l'espoir du FPR en faveur d'une conquête totale du pouvoir au Rwanda échouée en février 1993.. Comme condition préalable à l'exécution d'un tel plan il fallait faire disparaître le Président Habyarimana et les dirigeants de l'armée rwandaise qui auraient pu s'y opposer. Quand ces conditions étaient remplies après¨s le 6 avril 1994, la conquête a repris et la France n'était
militairement plus en mesure de défendre les Accords d'Arusha. Arusha était un accord de partage de pouvoir et non pas un permis pour le FPR de s'emparer seul du pouvoir. Le vide politique crée par l'attentat du 6 avril et par la reprise de la guerre est l'arrière fond qui a rendu possible le génocide condamnable . Jean-Hervé Bradol a raison quand il disait le 7 avril 2004« Malheureusement l'intervention militaire internationale contre les auteurs du génocide n'a jamais eu lieu et la victoire militaire du Front
patriotique rwandais (FPR) est survenue après¨s le massacre de la grande majorité des victimes. Les Nations unies, alors présentes militairement dans le pays, portent la lourde responsabilité de ne pas avoir tenté de protéger les Rwandais Tutsis. Mais Bradol donne une interprétation insuffisante de la position du gouvernement français et de l'opération Turquoise quand il dit : Mais la France est coupable d'avoir trop longtemps soutenu un régime génocidaire et, lorsqu'elle est finalement intervenue, d'avoir mené une
intervention militaire "neutre" (l'opération Turquoise), contribuant à offrir un sanctuaire aux auteurs du génocide dans les camps de réfugiés au Zaïre. (Voir MSF, 7 avril 2004). Lui et les autres auteurs négligent que l'opération turquoise est le résultat des négociations de Gérard Prunier à  Mulindi conduisant à l'approbation du FPR à cette opération.
En plus la France a clairement dit au Ministre des Affaires étrangères du gouvernement intérimaire que son gouvernement n'est pas soutenu par le gouvernement français. Cette affirmation est d'ailleurs confirmée par l'article de Balladur au FIGARO mentionné par les auteurs. Les auteurs ont cité Balladur d'une façon incomplète parce qu'il a exprimé clairement qu'il a refusé catégoriquement et même saboté quand on se réfère à la lettre que Balladur à adressée à Mitterrand le 21 juin 1994 (voir les documents rendu publics par la Commission d'information de l'Assemblée Nationale) - l'idée poursuivie pendant en certain moment par Mitterrand d'empêcher la victoire militaire du FPR pour rendre possible un cessez-le-feu permettant de sauver les tutsi.
Personnellement je recommande à MSF une certaine prudence vu le rôle joué par cette organisation dans les camps des réfugiés au Zaire. En se retirant en 1996 cette organisation a couvert politiquement la conquête du Zaire par l'AFDL (Bizima Karaha, James Kaberehe et en dernier lieu Laurent Kabila) et
le génocide contre les réfugiés hutu.

Cordialement
Helmut Strizek
Berlin, le 7 novembre 2004

 

 

L’Etat français et le peuple rwandais

La France a une responsabilité considérable dans ce qui est arrivé au Rwanda, et la dénégation constante de cette responsabilité rejaillit sur tout le corps politique français.

Les critiques à l'encontre de la politique rwandaise du gouvernement français n'ont pas attendu le génocide de 1994 pour s'exprimer. Elles ont commencé dès 1993. Après le massacre, de multiples pressions ont été exercées sur les autorités pour que lumière

soit faite sur le rôle de la France au Rwanda, pressions auxquelles ont contribué les signataires de ce texte en exigeant l'ouverture d'une investigation parlementaire. Celle-ci a eu effectivement lieu en 1998. Les parlementaires ont formulé un jugement sévère sur l'engagement français au Rwanda, engagement dont le but a été d'empêcher à tout prix la victoire militaire du FPR (Front patriotique rwandais) au prix d'une « sous-estimation du caractère autoritaire, ethnique et raciste du régime rwandais », au prix de l'armement et de l'organisation d'une armée que « certains militaires français ont pu avoir le sentiment de construire », au prix d'une présence militaire française « à la limite de l'engagement militaire sur le terrain », au prix, enfin, d'avoir continué à accorder une légitimité au gouvernement intérimaire (mis en place après l'attentat du 6 avril 1994 contre le président Habyarimana) « en ne prenant pas en compte la réalité du génocide ».

Cinq ans plus tard, oubliées les critiques des parlementaires, enterrées les recommandations de la Mission d'information. La 10e commémoration du génocide des Rwandais tutsis a bel et bien été l'occasion pour des hommes politiques français, anciens et actuels ministres, de réaffirmer qu'ils continuaient à se féliciter de la politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1994. Ils ont été les seuls à ne jamais remettre en cause l'action de l'État français, alors que d'autres États (la Belgique et les États-Unis) et l'ONU ont accepté d'exprimer publiquement qu'ils avaient commis des erreurs aux conséquences tragiques.

Dans notre pays, chacun a défendu son propre secteur de responsabilité, et vanté d'abord les mérites de son département ministériel. D'où vient alors l'échec, c'est-à-dire le génocide? Des Rwandais eux-mêmes, de la communauté internationale et de nul autre, selon les responsables français. Quant aux conséquences des longs engagements de la France, politiques, militaires, diplomatiques, économiques, elles seraient ou positives ou inexistantes. Dans leur discours, cet engagement de la France s'arrête à la signature des accords de paix d'Arusha en août 1993 (prévoyant le retrait des militaires français) pour reprendre, en juin 1994, avec l'opération Turquoise, qualifiée de strictement humanitaire. Récemment encore, le « courage et la dignité » de l'opération Turquoise (terminée le 21 août), ont été « commémorés » par Édouard Balladur. Il a pourtant été avéré qu'un des objectifs de cette opération militaire était d'empêcher la victoire complète du FPR dans un Rwanda dont l'armée était décomposée tandis que seules les forces génocidaires étaient encore organisées et agissantes.

Ces autosatisfecit, au vu de tout ce qui est connu, établi, vérifié sur les relations de la France avec le régime rwandais de l'époque dont les télégrammes diplomatiques soulignaient les capacités criminelles, en même temps qu'ils désignaient les éléments d'une politique génocidaire. Pourtant, au lieu d'affaiblir ce régime qui n'avait pas d'autres soutiens internationaux, selon les propres termes d'Hubert Védrine, la France l'a assisté jusqu'au bout, même après le 7 avril 1994, pendant l'extermination des Rwandais tutsis.

Cette mansuétude connaît un prolongement particulièrement intolérable: la non-poursuite de Rwandais, notoirement connus comme assassins actifs durant le génocide et vivant en France depuis des années, incognito ou sous leur vrai nom, alors qu'en Belgique, ou encore en Suisse, des procédures ont été engagées à l'encontre de tels criminels. Serait-ce parce que leur inculpation et leur procès susciteraient inévitablement un débat public sur l'attitude du gouvernement français avant et après 1994?

Il ressort de la culture politique française de ne jamais reconnaître les erreurs, à moins que n'interviennent des contraintes judiciaires ou des ouvertures systématiques d'archives (en général, quelques décennies après les faits!). Tous nos ministres se conforment avec rigidité à ce modèle, à cette attitude d'infaillibilité, jusqu'à la dénégation des preuves. Ils s'enferment dans une logique où ils veulent nous maintenir avec eux au nom d'un consentement patriotique particulièrement déplacé dans ces circonstances. Cette attitude, que nous jugeons d'une autre époque, est inacceptable. Le génocide des Rwandais tutsis a bien eu lieu, la France a une responsabilité considérable dans ce qui est arrivé au Rwanda, et la dénégation constante de cette responsabilité rejaillit sur tout le corps politique français. Pour en sortir, le point de départ serait une démarche d'humilité en direction du peuple rwandais consistant à reconnaître la simple vérité: alors que « tout le monde savait qu'il y avait une énorme perspective de massacres », selon les propres termes d'Hubert Védrine, les responsables politiques français n'ont pas mis tous les moyens à leur disposition pour paralyser les autorités politiques et militaires rwandaises qui préparaient le génocide.

Article paru le : mercredi 03/11/2004
en page: 23
rubrique: Forum
nombre de mots: 984

LIBRE OPINION.
La France a une responsabilité considérable dans ce qui est arrivé au Rwanda, et la dénégation constante de cette responsabilité rejaillit sur tout le corps politique français. L'Etat français et le peuple rwandais. .
 Auteurs : BRADOL Jean-Hervé - BRAUMAN Rony - GUICHAOUA André - VIDAL Claudine

JEAN-HERVÉ BRADOL

président de Médecins sans frontières

RONY BRAUMAN

professeur associé à l'institut de sciences politiques et ex-président de Médecins sans frontières

ANDRÉ GUICHAOUA

professeur de sociologie à l'université de Paris 1, Panthéon-SorbonneCLAUDINE VIDALdirectrice de recherches émérite au CNRS

(Tous signataires d'un appel pour la création d'une commission d'enquête parlementaire sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994.)