Boîte noire découverte à l'Onu: "elle ne sert à rien" (expert)

 

NAIROBI, 12 mars (AFP) - La boîte noire confiée à l'Onu après l'attentat en 1994 contre le président rwandais, Juvénal Habyarimana, qui a déclenché le génocide, "ne sert à rien", a estimé vendredi à l'AFP un spécialiste français du Rwanda, Gérard Prunier.

"La boîte noire ne sert à rien. Cela ne dira pas si M. Paul Kagame (actuel président rwandais, alors chef de la rébellion tutsie) a abattu l'avion ou si c'est quelqu'un d'autre", a indiqué M. Prunier, installé à Addis Abeba et interrogé par téléphone depuis Nairobi.

"Elle ne fournira aucune espèce d'indications qui permettra de déterminer qui a tiré ou la position des tireurs au sol. On aura seulement les paramètres de l'avion, sa vitesse, son altitude et les discussions des pilotes", a-t-il ajouté.

Visiblement embarrassée, l'Onu a révélé jeudi qu'elle détenait une boîte noire qui pourrait être celle de l'avion du président Habyarimana abattu en 1994, deux jours après avoir été mise en cause dans le quotidien français Le Monde.

"D'après ce que je comprends, cela a l'air d'une vraie bourde, une bourde de première classe", a déclaré le secrétaire-général de l'Onu, Kofi Annan.

"Je ne crois pas qu'il y ait eu de tentative de dissimulation, et nos services juridiques coopèrent très efficacement avec le juge" français enquêtant sur l'attentat, a-t-il ajouté.

Interrogé sur l'attitude des Nations unies, qui ont cette boîte noire depuis une décennie, M. Prunier a répondu: "Il y a quelque chose de grotesque, de suspect et de bizarre. Je me pose la question. Il y a quelque chose d'anormal".

"Ce qui est curieux, c'est qu'on l'ait conservée comme un trésor alors qu'elle ne sert à rien', a-t-il souligné.

Il a également réagi sur le rapport, dont des extraits ont été publiés par le journal français Le Monde, réalisé dans le cadre de l'enquête du juge parisien Jean-Louis Bruguière sur l'attentat du 6 avril 1994, qui désigne M. Kagame comme principal décisionnaire de cette attaque.

"Cela ne m'apporte rien que ce que je savais déjà. S'il n'y a rien de plus que les extraits publiés, cela n'a aucun intérêt. Est-ce qu'il y a quelque chose de plus? Le rapport fait plus de 200 pages. Je connais tous les gens cités", a-t-il poursuivi.

"Il n'y a pas un seul élément qui me semble déterminant. On n'a pas de preuves détaillées. Ils (les témoins) donnent leur opinion. Est-ce exact ou non, je n'en sais rien. Il faut voir les preuves. Devant un tribunal, il faut des preuves", a-t-il insisté.

"Il faudrait que ce rapport soit publié", a-t-il conclu. L'attentat contre l'avion du président Habyarimana avait entraîné le déclenchement du génocide rwandais, qui a fait un million de morts, selon une estimation des autorités de Kigali.

Politologue et historien, auteur de plusieurs ouvrages de référence sur le Rwanda, M. Prunier est actuellement directeur du Centre français d'études éthiopiennes à Addis Abeba. Il prépare un livre sur la République démocratique du Congo (RDC).