Rwanda/L'Onu admet posséder une "boîte noire" lié au génocide 

par Irwin Arieff

NATIONS UNIES (Reuters) - Les Nations unies ont reconnu jeudi avec embarras être en possession d'une "boîte noire" probablement liée à la destruction le 6 avril 1994 de l'avion du président Juvénal Habyarimana, événement déclencheur du génocide anti-tutsi qui fit 800.000 morts en trois mois.

Dans son édition datée de mercredi, le journal français Le Monde avait révélé que selon un rapport de la police judiciaire française datant du 30 janvier, la "boîte noire" du "Falcon 50" abattu par un missile sol-air à son atterrissage à Kigali avait été envoyée au siège new-yorkais de l'Onu et n'avait, depuis lors, jamais fait surface.

Le quotidien y accusait l'organisation internationale de faire obstruction à l'enquête judiciaire française sur l'attentat du 6 avril 1994.

Mardi, interrogé une première fois par des journalistes sur l'article du Monde, Fred Eckhard, principal porte-parole de l'Onu, avait balayé de la main les accusations du journal à propos de l'enquête, plaisantant même à propos de la "boîte noire": "Tenez, je l'ai justement ici sous la table".

Mais deux jours plus tard, le porte-parole de Kofi Annan, très embarrassé, a admis qu'une "boîte noire" avait bien été retrouvée dans un tiroir sous clé, tout en précisant que les experts ne savaient toujours pas s'il s'agissait de l'enregistreur des voix du cockpit ou de celui des paramètres du vol.

Selon lui, la "boîte noire" avait été expédiée de Kigali après les faits par la valise diplomatique au siège de l'Onu. Des spécialistes de la sécurité aérienne de l'organisation internationale l'avait rangée dans une armoire après avoir conclu qu'elle ne pouvait pas provenir de l'appareil abattu puisqu'elle était intacte.

"Une fois la boîte arrivée il y a dix ans au service de la sécurité aérienne des opérations de maintien de la paix, les responsables de l'époque ont apparemment conclu que cela ne pouvait pas être la boîte noire en raison de sa condition impeccable (....)", a ajouté Eckhart.

"UN CAFOUILLAGE DE PREMIER ORDRE"

"Et de ce fait, les experts en sécurité aérienne, après avoir tenté vainement d'identifier sa provenance, ont placé la boîte noire dans un tiroir, sans en référer à leurs supérieurs hiérarchiques".

Les Nations unies vont désormais remettre la "boîte noire" à des experts indépendants pour établir s'il s'agit bien de celle du "Falcon" présidentiel rwandais abattu à son approche de Kigali.

Le porte-parole de Kofi Annan a aussi annoncé que l'inspection générale de l'Onu allait ouvrir une enquête sur la façon dont a été gérée cette affaire de "boîte noire".

Jeudi, le gouvernement rwandais s'est déclaré "indigné" par les "allégations infondées" publiées par Le Monde selon lesquelles l'actuel président Paul Kagamé serait le principal responsable de l'assassinat de son prédécesseur Juvénal Habyarimana en 1994. Le rapport publié par le quotidien parisien constitue la conclusion de six ans d'enquête menée par le juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière à la demande des proches de l'équipage français qui a péri dans l'attentat.

Dans son rapport, le magistrat français reproche aussi aux Nations unies de ne pas avoir leur propre enquête sur la destruction de l'avion présidentiel et d'avoir cherché à empêcher la manifestation de la vérité, assure Le Monde.

Le génocide rwandais est une source d'embarras pour les Nations unies en général, et pour Kofi Annan en particulier. L'actuel secrétaire général de l'Onu dirigeait à l'époque le département des opérations de maintien de la paix de l'organisation et était l'interlocuteur direct des "casques bleus" présents au Rwanda qui ne sont pas intervenus durant les massacres.

Interrogé sur la découverte de la "boîte noire", le secrétaire général a pour sa part déclaré: "Je dois avouer avoir été autant surpris que vous sur la présence dans cet immeuble de cette boîte noire. D'après ce que j'ai pu comprendre, il semblerait qu'il s'agisse d'un véritable cafouillage, d'un cafouillage de premier ordre".

Il a ajouté: "Je ne crois pas qu'il y ait eu une quelconque tentative de camoufler l'affaire."