Rwanda : les cabarets, bureaux d'élus locaux sans moyens
 

(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Au Rwanda, les chefs de villages doivent tout faire bénévolement, mais n'ont souvent ni bureau, ni matériel. Sans cesse sollicités, ils traitent souvent les problèmes au cabaret et exigent des habitants papiers, stylos et… parfois bières pour les résoudre.

Les chefs de villages doivent être disponibles jour et nuit sur les collines rwandaises. Leurs responsabilités sont multiples : ils supervisent la mise en application des programmes du gouvernement, les travaux communautaires, règlent des conflits familiaux, des différends fonciers dans les villages et parcellaires en ville, etc.
Les services de ces élus sont normalement bénévoles. Cependant, bon nombre de ces responsables d’imidugudu, entités administratives de base, ont des "bureaux mobiles". "Quand on a besoin du chef d’umudugudu, on doit avoir des mollets durs pour suivre son itinéraire. Si tu arrives là où on te l’a indiqué, tu apprends qu’il vient de quitter, et souvent il traîne dans un cabaret", note un villageois de Gasabo, Kigali. Un chef d’umudugudu de Kigali s'en explique : "Nous recevons beaucoup de gens à la maison, parfois nous décidons d’aller au cabaret pour diminuer les va-et-vient des foules chez nous." Mais, poursuit un autre villageois du sud du pays, "une fois que tu le rencontres au bar, tu as honte de lui soumettre ton problème avant de lui avoir mouillé la gorge…"

La bière des témoins
Pour faciliter la médiation, rôle principal des élus de base, les conflits doivent être résolus lors de grands rassemblements. "Pour avoir beaucoup de gens qui puissent aider à concilier des parties en conflits, nous nous réunissons souvent dans un bar ou un restaurant", témoigne un chef de Rwamagana, Est. Il explique qu'une fois le litige tranché, "les deux protagonistes payent une "bière des témoins" à tous ceux qui ont participé à la médiation. Mais le médiateur national, l’Ombudsman, Tite Rutaremara, estime que "c'est une autre forme de corruption, car aucune loi ne le prévoit".
Pour le gouverneur de la province du Sud, Alphonse Munyantwari, "les élus locaux ne doivent pas résoudre des problèmes à la maison ou au cabaret, mais dans les assemblées populaires comme lors des travaux communautaires (umuganda) et des réunions." Cependant, remarque André Kagwa, le chef d’Umucyo de Kicukiro, Kigali, "quand un villageois appelle au secours pendant la nuit, le chef d’umudugudu est obligé d’arriver parmi les premiers sur les lieux. Il ne peut attendre le jour d’umuganda pour réconcilier une femme et son mari."

Pas de bureau ni de matériel
Dans de nombreuses entités administratives, les récents élus qui ont pris leurs fonctions ont juré de ne pas freiner les activités. Mais, beaucoup n’ont ni bureau ni matériel. Ils ne reçoivent qu'un cachet et un registre pour recenser leur population. "Ils doivent se débrouiller comme ils peuvent pour continuer à assurer des affaires courantes", précise un agent de la décentralisation au sein du ministère de l’Administration locale. "Pour trouver des papiers pour des rapports ou attestations, des stylos, des cartes de crédit pour le téléphone, confie un élu de Muhanga, souvent nous demandons aux populations de les fournir." "Des responsables laissent souvent de côté ton problème, si tu n'as pas les moyens de payer", témoigne H.D de Gikondo, Kigali. "Cet état de fait engendre des pratiques de corruption qui consistent à rançonner les gens pour leur rendre des services censés être bénévoles", constate un activiste des droits de l’homme de Kigali. Selon Egide Muhire, chef d’umudugudu de Gaseke, secteur Mukura du district Huye, Sud, "lorsqu’un responsable consomme une bière ou utilise un matériel offert par un villageois, il est tenté de pencher du côté de celui qui a donné le plus. Mais, si nous avions des bureaux avec le matériel nécessaire, nous pourrions traiter les gens sur un pied d’égalité."