Kagame au Canada : un mort, des blessés

 

La visite récente du président rwandais Paul Kagame, au Canada aura suscité beaucoup d’inquiétudes. L’espoir de voir le Canada refuser un visa d’entrée à cet homme, considéré comme l’un des derniers grands criminels de notre temps, s’est évanoui et est donc mort.  Mais cette décision d’octroyer un visa d’entrée  au Canada à Paul Kagame a laissé  derrière elle beaucoup de blessés. Tout comme celle prise par l’Université de Sherbrooke de lui remettre une décoration. Les autorités de l’Université ont eu beau répéter que la médaille est destinée au peuple rwandais mais personne n’est dupe. Vu le tollé provoqué par le geste,  il fallait par tous les moyens amortir l’onde de choc née de cette manœuvre malhabile.

Premières blessées,  les nombreuses victimes des crimes commis par Kagame et son armée. L’octroi d’une médaille de la Paix au président Paul Kagame est un mépris envers ces victimes. Un tel geste  constitue également une erreur grave de la part de l’Université de Sherbrooke qui pourtant aura contribué à la formation de nombreux rwandais (dont je fais fièrement partie). Ces rwandais, pour la plupart, ne sont jamais retournés dans leur pays d’origine parce que  justement le régime de Paul Kagame ne rime pas avec la Paix et encore moins la sécurité!

Deuxièmes blessés,  le droit canadien et le droit international : en déroulant le tapis rouge à Paul Kagame, malgré de vives voix discordantes, l’Université de Sherbrooke vient de se placer en porte-à-faux avec le droit canadien qui nous a habitués à la rigueur contre l’impunité.

Troisièmes blessées, des familles québécoises. Deux prêtres québécois, le père Claude Simard, tué à coups de marteau le 17 octobre 1994 et le père Guy Pinard fusillé en pleine messe dans sa paroisse de Kampanga le 02 février 1997, figurent parmi la liste des victimes de Paul Kagame et de son gouvernement.  A l’époque, le parlement canadien avait demandé  que les auteurs de ces crimes odieux soient un jour traduits en justice. Une dizaine d’années plus tard, non seulement les meurtriers de ces deux canadiens et leurs commanditaires n’ont jamais été jugés mais, encore pire, l’université de Sherbrooke décerne une décoration à celui soupçonné d’être à la tête de ces assassinats!

Mais passés la déception et le moment d'incrédulité –comment, encore une fois, peut-on, après tout, expliquer qu’une institution du haut savoir, comme l’Université de Sherbrooke, ne soit pas mise au courant que Paul Kagame est accusé de crimes graves contre l’humanité, infligés à son propre peuple ? Comment l’Université  en est-elle venue à décider de décerner un prix de reconnaissance  à ce triste personnage? Comment expliquer  ce revirement spectaculaire du gouvernement canadien face à ce criminel de guerre qui a entraîné son pays (et, plus tard, le Congo voisin) dans une guerre meurtrière (on parle de plusieurs millions de morts dans la région des Grands Lacs Africains), guerre déclenchée au nom de mensonges grotesques, suivie d'une chasse à l’homme contre tous ceux qui osent décrier ses penchants autoritaires, etc. ? –, passé également le constat que l’opinion internationale commence à prendre très au sérieux les appels pressants exprimés des observateurs crédibles face à la dérive totalitaire du régime Kagame,  nous, qui ne faisons pas partie du cercle des décideurs de ce monde, sommes doublement sollicités. Nous ne pouvons, en effet, nous permettre ni illusions, ni excuses.

 

L'illusion serait de croire que Paul Kagame, au vu de ses desseins funèbres, et auréolé par les honneurs que certaines institutions universitaires de ce pays  il  a également été l’hôte de l’Université de Western Ontario  lui ont réservés, pourrait, réalisme oblige, s’amender et respecter les droits humains dans son pays.  À cet égard, le firmament national pour la réconciliation des rwandais est plutôt chargé de nuages. Aucun gouvernement au monde, si puissant soit-il,  ne peut indéfiniment gouverner contre son propre peuple!

 

Dans le livre « Rwanda : l’histoire secrète» (Editions du Panama, 2005), le lieutenant Abdul Ruzibiza, un ancien compagnon d’armes de monsieur Kagame, décrit de façon précise les nombreux crimes commis par Paul Kagame et son armée pendant l’invasion du Rwanda en 1990 et après la prise du pouvoir en juillet 1994. Son livre et son témoignage, des pièces à conviction déposées auprès du  Tribunal pénal international sur le Rwanda, nous apprennent comment Paul Kagame a été l’architecte principal de l’attentat du 06 avril 1994 contre l’avion présidentiel de son prédécesseur. Cet attentat aura été le détonateur du cataclysme que le Rwanda a connu.

 

Les excuses seraient que des pays comme le Canada puissent, dans leurs politiques,  continuer d’accueillir des hommes politiques rwandais recherchés par la justice sous prétexte que l’opinion internationale n’a pas été suffisamment musclée pour arrêter –à tout le moins en atténuer les dégâts– la tragédie rwandaise de 1994. Est-il besoin de rappeler que le gouvernement espagnol vient de déclarer recevable la plainte déposée auprès des instances judiciaires de l’Espagne contre Kagame et son entourage pour leur implication directe dans le meurtre de ressortissants espagnols et pour les crimes de génocide, les crimes de guerre, le terrorisme et d’autres crimes internationaux commis entre 1992 et 2002?  Nous l’avons dit, l’opinion canadienne devrait être plus vigilante pour  demander à son gouvernement plus de fermeté vis-à-vis des dirigeants, comme Paul Kagame, aux mains souillées par le sang.

 

La venue au Canada de Paul Kagame achève donc de nous convaincre que les autorités de ce grand pays ne perpétueront pas la tradition canadienne  de se battre aux côtés des peuples démunis croupissant sous le joug des régimes dictatoriaux.

 

Quelle preuve nous reste-t-il à produire pour convaincre l’Université de Sherbrooke que Paul Kagame est un homme aux vertus douteuses et non fréquentable?

 

 

Augustin Baziramwabo

ancien étudiant de l’Université de Sherbrooke

Gatineau (Secteur Hull) Québec, J9A 2K6