Il est grand temps de faire la clarté sur la tragédie rwandaise.
 
Le Soir. Mardi 25 octobre 2005, p.15
 CARTE BLANCHE
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Luc Marchal, Ancien commandant du secteur Kigali de la Minuar (Mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda)
 
Ce 21 octobre, les médias ont révélé les conclusions du rapport préliminaire de la commission d'enquête de l'ONU relative à l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri. Cet assassinat fut perpétré le 14 février 2005. Ce jour-là, outre la cible visée, environ vingt autres personnes perdirent également la vie. C'est scandaleux et inacceptable, je crois que tout le monde est d'accord sur ce point. Un mois et demi à peine après cet attentat, l'ONU décida d'ouvrir une enquête internationale afin de mettre en évidence les responsabilités en la matière.
 
Tout ceci est fort bien et ne souffrirait aucun commentaire, si ce n'est que l'on est en droit de se demander pourquoi plus de onze ans après l'attentat qui coûta la vie aux présidents du Rwanda et du Burundi, ainsi qu'à une série d'autres personnes, l'ONU n'a toujours pas jugé utile de mettre sur pied une enquête internationale?
 
Plus personne ne met en doute aujourd'hui que cet attentat est le facteur déclenchant d'un véritable holocauste qui provoqua la mort de trois à quatre millions (estimation sans doute bien inférieure à la réalité) de personnes au Rwanda et dans l'est du Congo (ex-Zaïre).
 
Quelles sont les raisons profondes pour lesquelles, dans le premier cas, l'ONU s'empresse de vouloir faire la clarté sur un événement somme toute très limité dans ses conséquences, alors que dans le cas du Rwanda, et ce, malgré la démesure des conséquences, il n'y a aucune volonté de savoir qui est derrière l'attentat du 6 avril 1994?
 
Quand les commanditaires de cet holocauste vont-ils enfin devoir rendre des comptes pour les actes qu'ils ont posés? Quand cessera-t-on de vouloir faire croire que ceux que l'on juge actuellement devant le Tpir à Arusha sont les seuls responsables de ce qui s'est passé au Rwanda et dans l'est du Congo? Qui plus est, certains parmi ceux-ci, emprisonnés depuis plusieurs années, sont totalement étrangers aux accusations qui pèsent sur eux.
 
Messieurs les Ministres des Affaires étrangères et de la Défense, les commanditaires de l'attentat du 6 avril 1994 sont tout autant responsables de la mort de nos dix casques bleus que les mutins qui les ont assassinés. Il serait peut-être temps que la Belgique se montre plus incisive à l'égard du secrétaire général de l'ONU, afin qu'à l'instar de ce qui a été fait dans le contexte de la crise libanaise, les moyens adéquats soient également mobilisés pour que toute la clarté soit faite sur l'acte qui est à l'origine de la tragédie rwandaise.
 
Dans les circonstances qui ont suivi l'attentat du 6 avril 1994, nous, les militaires belges engagés au sein de la Minuar, nous étions tous des victimes potentielles. Certains ont eu plus de chance que d'autres, mais pour la mémoire de ceux qui payèrent de leur vie leur engagement au service de la paix et pour les autres qui n'étaient en réalité que de vulgaires pions déplacés sur un échiquier tronqué, il est plus que temps que notre pays s'engage de façon résolue pour exiger que l'identité de ceux qui "tiraient les ficelles dans l'ombre" soit enfin connue.
 
L'absence de réaction des autorités politiques belges concernées, malgré les éléments objectifs de plus en plus nombreux concernant les véritables responsabilités dans l'attentat du 6 avril 1994, finira par me convaincre que les accusations de certains milieux, à l'égard du rôle direct qu'aurait joué la Belgique dans l'élimination physique du président Habyarimana, sont bel et bien fondées. A force de ménager la chèvre et le chou, il ne faudra pas s'étonner d'être tenu un jour pour complice de l'holocauste rwando-congolais.
 
Puissent suffisamment de voix s'élever, dont les vôtres, afin que toutes ces victimes de la soif de pouvoir des uns et de l'indifférence coupable des autres ne meurent pas une seconde fois, abandonnés à tout jamais dans les oubliettes de l'histoire.