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Rwanda
Rwanda : la malnutrition ronge les campagnes
 

(Syfia Grands Lacs/Rwanda) La malnutrition fait des ravages dans les campagnes rwandaises où les agriculteurs n'ont plus le droit de cultiver les denrées alimentaires de leur choix sur leurs exploitations exiguës. Quand la sécheresse s'en mêle, c'est la catastrophe. Témoignages.

"Je ne comprends pas comment à notre époque, un adulte peut être atteint de kwashiorkor" , s’est indigné le président rwandais, Paul Kagame, lors de sa visite à Kirehe, est du Rwanda, une région frontalière avec la Tanzanie, fin avril dernier. En passant par l’hôpital du lieu, le chef de l’État a été surpris de voir des adultes hospitalisés pour malnutrition. "La population locale connaît une grave pénurie alimentaire, car nous avons perdu une saison culturale à la suite du manque de pluie", explique un dirigeant local. Mais, pour bon nombre de villageois, le nœud du problème c'est la nouvelle politique agricole. "La dernière saison culturale, on nous a obligés à cultiver seulement le maïs, et nous n’avons rien récolté à cause d'une grande sécheresse, témoigne un villageois, très déçu. Si on pouvait mettre plusieurs cultures en même temps, au moins on pourrait en sauver une partie". "Avec une seule culture, surtout destinée à la commercialisation, sans haricots, patates douces et céréales, il nous est impossible de résister à la famine", se résigne-t-il.
Suivant la nouvelle politique agricole, "Green revolution", (la Révolution verte), en vigueur depuis 2007, chaque province doit cultiver les plantes les mieux adaptées à la région. Ainsi, l’Est doit se concentrer sur le café, le riz, le maïs, la banane et l’ananas. C'est pourquoi, même les marchés sont vides de produits alimentaires… tout comme de consommateurs.

Manque de denrées et d'acheteurs
Ainsi, à Nyamata, le grand marché du district de Bugesera, Est, le premier samedi de mai, les rares détaillants de denrées alimentaires perdent l’espoir de vendre. Il leur faut plusieurs jours pour écouler quelques sacs de haricots, de manioc, maïs et patates douces. "Malgré des prix raisonnables et la carence sévère en aliments de la population, il n y a pas d’acheteurs, car la population n’a pas les moyens de payer", remarque Charlotte, vendeuse de haricots. "Aujourd’hui un kilo de haricot coûte 200 Frw, (près de 0,35 $), ce qui est moitié moins qu'il a six mois, mais les consommateurs n’achètent pas. Une bonne partie de la population locale ne mange que des aliments peu nutritifs… et une seule fois par jour", explique-t-elle.
"Le manque de denrées alimentaires récurrent dans cette région explique le grand nombre de malnutris ici. Depuis trois mois, aux moins 100 personnes souffrant de malnutrition ont été admis au centre nutritionnel" , témoigne un membre du personnel de l’hôpital de Nyamata, sous couvert d’anonymat.

Des contraintes qui pèsent lourd
Dans d'autres régions, c'est l'aménagement des terres qui pèse sur les agriculteurs. "La construction des terrasses radicales – une obligation des autorités – nous a fait perdre au moins deux saisons culturales, témoigne un villageois de Rugarika au Sud. Toute ma propriété a été retravaillée, et on doit attendre que la terre se rétablisse. Cela prend au moins six mois. Pendant ce temps, je n’ai pas d’autres terres à cultiver…" Il avoue que depuis six mois, sa famille ne mange que de la pâte de manioc et de la soupe de tomates une fois par jour.
Son voisin de Musambira, lui, explique ces problèmes par la politique de restructuration des exploitations. Les agriculteurs doivent faire de grandes plantations d’une seule culture en mettant leurs champs en commun. Ainsi, toutes les plaines du Sud sont exploitées par les coopératives qui ont été obligées, la saison passée, de ne cultiver que le maïs. "Puisque, sur les collines, la terre ne donne rien d’autre que le manioc et le sorgho, les villageois avaient l’habitude de récolter les légumes dans les marais et plaines. Cette saison on n'a rien", constate un membre de la Coaleka, la coopérative des agriculteurs des légumes de Kamonyi.
L’étude de l’Association de coopération et de recherche pour le développement, (ACORD), publiée en avril dernier, estime que six ménages rwandais sur dix ont environ 0,7 ha de terre, les autres moins de 0,5 ha. Non seulement les terres manquent, mais elles sont épuisées, faute de fertilisants. Depuis une décennie, l’utilisation des engrais est estimée à 4 kg par hectare cultivé. La moyenne en Afrique est de 10 kg et de 90 kg pour le reste du monde. "Puisque l’État introduit cette révolution verte, il devrait prévoir des subsides pour les agriculteurs, les denrées et les intrants agricoles", suggère un habitant du Sud. Mais pour l'heure, l’intervention de l’État dans le secteur agricole reste faible. Selon ACORD, l'agriculture qui couvre près de 90 % des besoins alimentaires des Rwandais, ne bénéficie que de 5 % du budget national.