Biographie du Président Kayibanda


 

Origines familiales et formation [1]
 

Kayibanda est né à  Tare le 1 mai 1924 au sud du Rwanda. Son père Léonidas Rwamanywa et sa mère Caroline Nyirambeba ont eu 13 enfants dont 5 devaient arriver à l'âge adulte.

Il fit ses études primaires, d'abord à Tare (1932-1934) ensuite à Kabgayi (1934-1937). Il fut inscrit en 1937 au Petit Séminaire Saint Léon à Kabgayi. Ayant fini ses études secondaires en 1943, il rejoignit le 28 décembre 1944 le Grand Séminaire de Nyakibanda, situé à une douzaine de km au Sud de la ville de Butare. C'était à l'époque l'unique institution d'enseignement supérieur au Rwanda. Le 15 novembre 1948, il décida de quitter définitivement le Grand Séminaire et s'orienta vers l'enseignement.

Après avoir quitté le Grand Séminaire, ayant ainsi renoncé à la prêtrise, Grégoire Kayibanda fut obligé de passer deux mois chez ses parents à Tare à cause de la maladie. Le 20 janvier 1949, Grégoire Kayibanda fut engagé comme enseignant à l'Institut Léon Classe où il devait dispenser les cours généraux: français, histoire, géographie et religion. Fondé en 1944 et basé à Kigali, cet institut était une école secondaire professionnelle, qui deviendra plus tard, sous l'égide des Salésiens depuis 1952, l'Ecole Technique Officielle (ETO).

 

Activités professionnelles et politiques

a) Enseignant et catholique engagé
Edition Panama - Lieutenant Abdul Ruzibiza

Engagé dans le mouvement de la Jeunesse ouvrière catholique (JOC), Grégoire Kayibanda fut envoyé à Bruxelles par Mgr Déprimoz, Vicair  e Apostolique de Kabgayi, pour représenter le Rwanda au Congrès et à la Semaine Internationale de la Jeunesse Ouvrière Catholique du 3 au 10 septembre 1950, à l'occasion du 25ème anniversaire du mouvement.

En 1953, Grégoire Kayibanda fut affecté à Kabgayi au Bureau de l'inspection des écoles au Service chargé de refondre et d'adapter les manuels scolaires. A la tête d'une association de moniteurs (AMR) qui comptait près de 2000 adhérents, Grégoire Kayibanda animait la revue professionnelle Kurerera Imana ("Éduquer pour Dieu"). Lorsque fut annoncée la laïcisation des écoles, l'AMR fut à même de réunir près de 100 000 signatures pour soutenir les Conseils des parents qui menaçaient de faire des manifestations si l'enseignement de la religion était supprimé des programmes.

En 1952 se formèrent à Kabgayi deux mouvements d'action catholique: la Légion de Marie et la Ligue du Sacré Coeur. A l'issue du premier présidium, Grégoire Kayibanda fut élu président de la Légion de Marie. Dans ses carnets, il écrivit (cité par Paternostre de la Mairieu): "Je n'aimais pas d'abord la forme légionnaire en action catholique. Sa rigidité me paraissait un obstacle à bien des développements et adaptations... Mais quand je vis en pratique la profondeur de l'esprit aventurier - le don de soi - qu'elle peut apporter à un peuple humble, je l'aimai et me suis employé de toutes mes forces à l'aider". Dès son affectation à l'Inspection des Ecoles à Kabgayi, Grégoire Kayibanda entreprit de multiples activités sociales et justifiait ainsi son activisme (cité par Paternostre de la Mairieu): "dans un pays où l'on bâillonne les petits... par dirigisme et par un certain racisme... en me concentrant sur une seule activité, je risquerais de me voir vite réduit à néant... Je préfère éveiller mon pays à la conscience de ses possibilités... repérer autour de moi les aptitudes timides ou inconscientes... les aider à découvrir les besoins de ceux qui les entourent, les pousser et les encourager à rendre service. (...) Je crois que c'est ma vocation sociale, dans un pays qui se cherche encore, qui pose ses jalons pour un démarrage définitif prochain".

 

b)Journalisme et politique

De juin 1953 à décembre 1954 Grégoire Kayibanda fut rédacteur en chef et éditorialiste de la revue L'ami, fondée en 1945 par le Père Pierre Boutry à l'intention des intellectuels du Rwanda. A ce poste il bénéficia d'une importante documentation du Vicariat Apostolique comprenant outre des documents religieux, tous les textes officiels régissant la vie politique du pays à une époque cruciale de son évolution. La revue L'ami devint très vite une tribune idéale pour agir sur l'opinion des élites de toute la région. Sur un langage mesuré, Grégoire Kayibanda fustigeait les inégalités sociales et politiques basées sur la discrimination ethnique en faveur des Tutsi par l'administration de tutelle (coloniale) belge et par la monarchie féodale tutsi. Il stigmatisait l'exclusion de la majorité hutu des sphères du pouvoir.

 

Grégoire Kayibanda voyait son influence politique s'étendre. En 1953, il fut élu au Conseil de la chefferie, puis du Territoire. Il note dans ses carnets (cité par Paternostre de la Mairieu): "[le Chef présidant le Conseil de chefferie] semble me croire anarchiste, et me craint quelque peu. Il est habitué à en imposer à ses Sous-Chefs, or je n'accepte pas tous ses dogmes! Mon esprit est plein des iniquités subies par mon peuple, et je supporte très mal un régime aussi désuet qu'inopérant".

Pour le changement de la situation de son pays, notamment au niveau politique, Grégoire Kayibanda proposait à l'élite l'action sociale à travers les associations, les coopératives. Or la législation en vigueur au Rwanda à l'époque interdisait la constitution d'associations dans la mesure où elles auraient des activités politiques. Il plaidait que le droit d'association soit reconnu sans aucune restriction pour tous les citoyens rwandais. Avec un brin d'ironie, à l'adresse de l'autorité coloniale et de la monarchie féodale tutsi, il écrivait dans la revue L'ami: "Nos éducateurs européens, tout comme leur aide, la hiérarchie coutumière, trouveront dans la promotion d'associations un appui sûr pour mener à bonne fin l'évolution pacifique dans laquelle ils ont jusqu'à présent plus ou moins réussi"[2]. Le regroupement recherché par les élites entourant Grégoire Kayibanda (le futur Mouvement Social Hutu) affichait des buts à caractère social, mais dut garder longtemps la forme d'une association de fait. Il ne sera reconnu que le 4 avril 1958 par l'administration de tutelle (coloniale).

Au début de l'année 1955, Grégoire Kayibanda passa de l'Inspection des Écoles à la rédaction du journal catholique Kinyamateka sous la direction du Père Arthur Dejemeppe, vicaire délégué de Mgr Déprimoz depuis 1953. Ce journal laissait poindre depuis un certain temps "un courant revendicatif ou réformiste" faisant grimper son tirage de 5 000 à 20 000 exemplaires. Selon Donat Murego "l'idée-force autour de laquelle tournaient griefs, louanges ou voeux fut celle du progrès (amajyambere)"[3]. La nomination de Grégoire Kayibanda comme éditeur responsable du Kinyamateka fit l'effet d'une bombe dans les sphères du pouvoir. Par cette promotion, l'église catholique manifestait ainsi son soutien aux idées de Grégoire Kayibanda, en lui permettant de prendre la direction de L'Ami d'abord et celle de l'unique journal politique du pays, le Kinyamateka, édité en kinyarwanda. Le journal apporta son ferme soutien à ceux qui revendiquaient plus de justice sociale contre la ségrégation socio-ethnique au niveau des institutions.

En septembre 1957, à l'intention de la prochaine Mission de visite de l'ONU, le Conseil Supérieur du Pays (sorte de parlement qui n'en avait pas le nom), presque entièrement tutsi, avait rédigé un document revendicatif intitulé "Mise au point" adopté en février 1957. Passant à côté du problème crucial du monopole du pouvoir par la minorité tutsi estimée à 9% de la population, les auteurs de la "Mise au point" se servirent d'un autre problème du racisme tout aussi réel entre l'administration coloniale et la monarchie tutsi: "Une question essentielle qui se pose maintenant dans notre pays est sans conteste celle des relations humaines entre Blancs et Noirs". La "Mise au point" dénonçait  "la situation de dépendance et le rôle d’exécutants dans lesquels les dirigeants traditionnels rwandais ont été insérés dès le début de la colonisation. Avec le temps et ce, malgré le maintien d’une grande partie de leurs privilèges par le Gouvernement colonial, cette dépendance et ce rôle ont développé des sentiments de frustration dans la mesure où ces dirigeants se rendaient compte qu’ils étaient de moins en moins maîtres des décisions engageant leur pays et leur autorité"[4].

En guise de réponse à cette "Mise au point", les leaders hutu se réunirent à Gitarama le 20 mars 1957, pour préparer et signer un document intitulé "Note sur l'aspect social du problème racial au Rwanda" désigné dans la suite par l'administration coloniale sous l'appellation de Manifeste des Bahutu. Ils dénonçaient dans ce document le "colonialisme à double étage", c'est-à-dire la domination de la minorité tutsi, et celle de l'administration de tutelle.

Le 9 septembre 1957, Grégoire Kayibanda fut envoyé en Belgique par Mgr André Perraudin (nommé Vicaire Apostolique de Kabgayi en décembre 1955) en stage de journalisme auprès du journal Vers l'avenir - qui avait son siège à Namur - contre un engagement de revenir travailler au journal Kinyamateka à son retour. Son stage ayant pris fin, il regagna le Rwanda le 8 novembre 1958 et reprit ses activités au journal Kinyamateka le 25 novembre 1958. Sur le plan non professionnel, il put également retrouver le "Mouvement Social Hutu" (MSH) fondé avec les autres démocrates en juin 1957, trois mois avant son départ pour l'Europe. Il accepta également son élection comme président du conseil de gestion de la Trafipro (Travail, Fidélité, Progrès), grande coopérative de consommation dont il était devenu membre avant son départ pour l'Europe. Ce conseil, note Paternostre de la Mairieu (idem, p.130) "devait veiller à ce que le profit économique et social voulu pour les populations soit assuré par une gestion financière rigoureuse sans que des intérêts particuliers viennent en fausser le jeu". Il redevint à nouveau président national de la Légion de Marie, ce qui lui facilitait les contacts au niveau du pays avec les responsables locaux aux quatre coins du pays. Il fut de plus en plus mieux connu de tous, connaissances qu'il mettra à profit pour pour organiser un parti politique et établir les futurs Conseils communaux à l'issue des élections communales. Le 26 septembre 1959, à l'issue d'une réunion des principaux leaders du Mouvement Social Hutu (MSH), fut fondé le PARMEHUTU (Parti du Mouvement de l'Emancipation des Hutu). Ce parti voulait non seulement rassembler les Hutu au sein d'un même parti, mais aussi être le porte-voix des populations exploitées, c'est-à-dire de très nombreux Tutsi et de Twa pauvres, sans se limiter au groupe ethnique des Hutu.

 

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Le changement: Premier Ministre puis Président

Le 1er novembre 1959 se déclencha la révolution, suite à un incident dans lequel le Sous-Chef Hutu Dominique Mbonyumutwa fut molesté par un groupe de jeunes Tutsi. Il réussit à repousser ses agresseurs sans avoir besoin d'aide. Dès lors les bruits coururent que le Sous-Chef Mbonyumutwa avait été assassiné. Les gens de la région se mobilisèrent et le soir même commencèrent les incendies systématiques d'habitations des Tutsi par des bandes de Hutu armés d'arcs et de lances. Ils chassaient d'abord les gens de leurs habitations avant d'y mettre le feu. En général ceux qui résistaient aux expulsions risquaient d'être lynchés. Une flambée de violence s'étendit sur tout le pays. Les royalistes mirent sur pied une "politique de décapitation" afin d'éliminer les noyaux du Parmehutu. Les principaux leaders hutu dont Grégoire Kayibanda furent protégés pas des soldats armés mais plusieurs leaders hutu furent assassinés[5]. Les mêmes mesures furent prises pour des personnalités Tutsi et quelques Blancs qui avaient manifesté leur soutien au régime monarchique. Ainsi comme l'écrit le Colonel Guy Logiest résident militaire au Rwanda [6]: "J'assignai quelques personnes à résidence, notamment l'abbé Kagame, le poète historien des rois tutsi, ainsi que l'un ou l'autre Européen qui avait manifesté trop ouvertement ses opinions pro-tutsi". C'est en plein milieu de cette révolution que le gouvernement belge remit au Parlement une Déclaration définissant les grandes lignes des réformes institutionnelles dans le sens du manifeste-programme du Parmehutu. Deux semaines après le début des troubles, l'essentiel des revendications de la révolution avaient été satisfaites et l'ordre rétabli. Le 25 décembre 1959, les réformes institutionnelles annoncées par la Déclaration gouvernementale du 10 novembre furent précisées par un Décret qui annonçait la fin de l'administration indirecte et du monopole tutsi dans les sphères du pouvoir. En vertu de ce texte, les 544 sous-chefferies furent regroupés pour former 229 communes. Des élections communales furent fixées dans un délai de six mois pour constituer les conseils communaux au sein desquels seraient élus des bourgmestres proposés à la nomination du Roi. Les dix Territoires devinrent dix Préfectures confiées à des Préfets rwandais. Un Conseil du Pays fut mis en place dont les membres élus au second degré exerçaient un certain pouvoir législatif conjointement avec le Roi en attendant les élections législatives en bonne et due forme. Ce décret permit aux partis politiques de se préparer aux élections communales.

Le 6 juin 1960, les leaders du Parmehutu se réunirent à Ruhengeri, sous la présidence de Grégoire Kayibanda. Ils rejetèrent définitivement l'institution monarchique. Leur parti s'appela désormais Mouvement Démocratique Républicain (MDR) Parmehutu. C'est sous cette étiquette que Grégoire Kayibanda fit campagne pour les élections communales. Celles-ci se déroulèrent au suffrage universel, territoire par territoire, entre le 26 juin et le 22 juillet 1960. Ces élections furent largement remportées par le MDR-Parmehutu [7]. Organisées en l'absence du Roi qui ne remettra plus les pieds dans son pays, elles sonnèrent le glas de l'institution monarchique.

Après cette victoire Grégoire Kayibanda fut chargé,le 26 octobre 1960, de former un gouvernement provisoire en tant que 1er Ministre. Celui-ci comptait 9 Ministères et 12 Secrétariats d'État et d'administration dont huit membres de l'administration belge de tutelle pour faciliter une transition efficace vers une autonomie de plus en plus large. Le 28 janvier 1961, les leaders hutu organisèrent à Gitarama une réunion de tous les élus communaux et se prononcèrent en faveur de la forme républicaine de l'État et élirent par bulletin secret le Premier Président du Rwanda en la personne de Dominique Mbonyumutwa, tandis que Grégoire Kayibanda fut investi en tant que Premier Ministre. Les élections législatives connues sous l'appellation de Kamarampaka, furent organisées le 25 septembre 1961 et furent également remportées par le Parmehutu à 77,7% des voix. La question du Roi ayant été posée lors de ces élections, elle fut définitivement tranchée, les républicains obtinrent 80% des suffrages. Le Roi s'exilera aussi définitivement.

 

Après les consultations populaires du 25 septembre 1961, l'assemblée législative s'attela par priorité à la question du régime constitutionnel pour la nouvelle république. La question fut débattue dans sa séance du 4 octobre 1961. L'assemblée législative se prononça pour un État républicain et un régime présidentiel fort. Le président serait à la fois Chef de l'État et Chef du Gouvernement. Il serait élu par l'Assemblée législative en son sein au bulletin secret et à la majorité des 2/3. L'élection eut lieu le 26 octobre 1961 et fut remportée par Grégoire Kayibanda par 34 voix sur 44. Le 1er juillet 1962 fut proclamée l'indépendance du Rwanda. En date du 23 novembre 1962 l'Assemblée Nationale vota une constitution qui institua désormais le principe de l'élection du président de la République au suffrage universel avec un mandat de 4 ans renouvelable trois fois seulement. Un amendement fut apporté à la constitution pour y conformer la situation du Chef de l'État qui avait été élu par l'Assemblée nationale. Le Président Kayibanda fut réélu jusqu'à son ultime mandat constitutionnel.

 

Le coup d'état de 1973

En 1973, les élections présidentielles devaient avoir lieu au mois de septembre.Un projet de loi fut soumis à l'Assemblée Nationale, voté par celle-ci et promulgué le 18 mai: la durée du mandat présidentiel fut prolongé de 4 à 5 ans, la limite d'age de 60 ans fut également supprimée. La présidence du Président Grégoire Kayibanda prit fin le 5 juillet 1973 à la suite du coup d'état organisé par son ministre de la défense Juvénal Habyarimana,  qui l'a remplacé.

Il fut assigné à résidence à Rwerere, dans la préfecture de Ruhengeri, et ensuite, après le décès de son épouse, empoisonnée dans sa maison de Kavumu près de Gitarama. Il fut condamné à mort par l'arrêté N° 0001/ 74/ CM de la cour martiale le 29 juin 1974. Sa peine fut commuée en prison à perpétuité sur décision de Juvénal Habyarimana.

Le président Kayibanda est décédé à son domicile le 15 décembre 1976. Paternostre de la Mairieu écrit à ce propos: "Le matin du 14 décembre à 9h30, [le président Kayibanda] se plaignit de douleurs dans la région du coeur; et son fils Pio dut alerter le Corps de Garde, qui fit appel à un docteur de l'hôpital de Kabgayi. Ce médecin* qui n'avait jamais eu l'occasion de soigner le Président auparavant, vint vers 19 heures et, au cours d'une rapide visite (une dizaine de minutes), le trouva 'lucide, souriant, aimable', avec l'apparence d'un homme bien portant. Et quoi qu'il n'en ait rien voulu dire, on raconte qu'il constata une affection abdominale. Il estima que Grégoire Kayibanda 'était juste légèrement souffrant', qu'il n'y avait pas de gravité dans son mal' et se contenta de prescrire quelques médicaments, qui furent apportés de la pharmacie de l'hôpital. Dans la nuit cependant, le mal reprit et, à 4 heures du matin, le Président Kayibanda s'éteignit... On était le 15 décembre 1976."

Eugène Shimamungu

 

[1] Paternostre de la Mairieu, Baudouin - Pour vous mes frères: Vie de Grégoire Kayibanda, premier Président du Rwanda, Pierre Téqui Editeur, Paris, 1994. La plupart des informations contenues dans cet article sont tirées de cette biographie dont l'auteur, de nationalité belge, a vécu au Rwanda de 1961 à 1977, comme conseiller aux Affaires étrangères

[2] Kayibanda Grégoire, "Notre rôle dans la cité" dans L'ami, n°114, janv.1954 (cité par Paternostre de la Mairieu)

[3] Murego Donat - La révolution rwandaise 1959-1962, Publications de l'Institut des Sciences Sociales, Bruxelles, 1976. pp.803 et 804

[4] Murego Donat, idem, pp.751-752

[5] Logiest Guy, Mission au Rwanda, Bruxelles, Didier Hâtier, p.46.

[6] Logiest Guy, idem, p.45

[7] Munyarugerero François Xavier - Réseaux, pouvoirs, oppositions: la compétition politique au Rwanda, L'Harmattan, Paris, 2003

 

*Uriya Muganga Shema yavuze utarashoboye kuvura Kayibanda igihe yari arwaye yitwa Bendedari .FPR imaze gufata ubutegetsi ntiyigeze  ahunga .Yaje gufungirwa muri prison yo ,hanyuma FPR imenye ko ashobora kuba yaragize uruhari mu rupfu rwa Nyakubahwa Grégori Kayibanda bahise bamufungura. Ubu ni Munganga mu Rwanda :aho mperukira yavuraga mu Bitaro by'i Murunda muri Gisenyi.

 


 

Extrait du livre de Pierre-Célestin Kabanda, 2012, Rwanda, l'idéal des pionniers: les hommes qui ont fait la différence, Editions Sources du Nil, Lille. Prix 20 €. Commandes à adresser à sources_du_nil@yahoo.fr, en ligne sur www.editions-sources-du-nil.eu ou chez votre libraire.

 

8.3.1. Décès de Grégoire Kayibanda

kayibandaPar la Cour Martiale, G. Kayibanda fut condamné à mort le 26 Juin 1974, avec sept autres détenus politiques. Cette peine sera commuée en détention à perpétuité par Arrêté présidentiel N°141/04 du 19 Juillet 1974.

Le 11 Septembre 1974, Grégoire Kayibanda sera autorisé à poursuivre sa détention en résidence surveillée à Kavumu, où il retrouva sa famille. Malheureusement, Vérédiane, cette digne compagne de Grégoire Kayibanda, n’ayant pas eu la force de supporter les nouvelles conditions de vie dans lesquelles elle et son mari étaient placés, s’éteignit à Kavumu même, le 13 Octobre 1974. Dieu ait son âme.

A son tour, Grégoire Kayibanda rendit l’âme, le 15 Décembre 1976, « à 4h du matin » (d’après son fils aîné Pio, le seul témoin oculaire). A 15h30, il fut inhumé dans sa propriété, à côté de son épouse, après une messe concélébrée par les Evêques catholiques du Rwanda : André Perraudin, Aloys Bigirumwami, Jean-Baptiste Gahamanyi, Joseph Sibomana et Phocas Nikwigize ainsi que l’Abbé Massion ». Côté officiel : le Commandant Elie Sagatwa, Secrétaire particulier du Président de la République, le Capitaine Kanyandekwe, Commandant de Place de Gitarama, et une haute garde militaire.

La devise du Président Kayibanda, leader principal de la Révolution rwandaise, est inscrite sur sa tombe en latin et en kinyarwanda : Libertatem filiorum Dei : Tubohore abana b’Imana « libérons les enfants de Dieu »

La triste nouvelle du décès du Président Kayibanda me fut communiquée par le Curé de Cyanika, le Père Stanislas de Jamblinne (j’étais alors Préfet à Gikongoro). Lui-même l’avait appris, la veille, de S.E. Mgr. André Perraudin, sous forme de confidence car cela, trois jours après, n’était connu que par très peu de gens, et ne se disait que sous cape !

Le blackout entourant la mort de Grégoire Kayibanda fut une grave erreur. Cet homme s’était consacré corps et âme, à la restauration de la dignité de son peuple, y compris de ceux-là mêmes qui le traitaient de la sorte ! Il méritait au moins d’être déclaré mort et d’être accompagné jusqu’à sa dernière demeure !

Il repose en paix, aux côtés de tous les héros qui ont consacré leur vie au rétablissement et à la sauvegarde de la dignité du Munyarwanda. Un jour-lointain, peut-être, l’Histoire rétablira la mémoire de celui qui fut le père de la République.

Grégoire Kayibanda n’avait pas cherché le pouvoir pour lui-même. Il le voulait uniquement pour servir, et servir surtout les plus démunis. Il prêchait d'exemple dans son train de vie, dans le travail quotidien, comme dans la gestion publique. Il n’utilisait les frais de représentation qu’à l’occasion des fêtes officielles, jamais, que je sache, à sa résidence de Kavumu (Gitarama) où, pourtant, il accueillait tout le monde, grands et petits. J’oserais même dire qu’il se ruinait financièrement. Mais tel ne semblait pas être son souci. Il s’imposait cette contrainte sociale en tant que pater familias, sachant que souvent « les honneurs sont onéreux », honor onus !

Il se ruinait aussi physiquement par de longues veillées, imposées par le va-et-vient incessant d’hommes de tous bords, surtout les week-ends et les jours de fête. Cela dit cependant, je n’ai jamais décelé aucun signe de fatigue ni intellectuelle ni physique, pendant le temps que j’ai travaillé à la Présidence. Il fut victime de trop de confiance en son entourage politico-social, lequel a vraisemblablement renforcé sa conviction que lui, Grégoire Kayibanda, était devenu un leader incontournable.

Il fut victime aussi d’abus de confiance car, parmi ceux qu’il avait placés sur le piédestal, certains épiaient ses méthodes, sa capacité de réaction, et s’organisaient en conséquence. Et quand le moment était devenu favorable pour le renverser, ils sont passés à l’action. Les raisons de son renversement, telles qu’annoncées au public, n’étaient que des pétitions de principes ! Ceux qui cherchaient le pouvoir l’ont eu, le moment qu’ils ont choisi !


 

8.3.2. Indemnité versée aux familles des détenus politiques morts en prison (Impozamarira)

Comme il fut reconnu que les prisonniers de Ruhengeri et de Gisenyi avaient succombé sous les coups d’agents de l’Etat, il était normal que le Gouvernement, plutôt le Comité Central du MRND envisageât d’indemniser les familles éplorées. Ainsi, sous des pressions venant de plusieurs côtés (notamment des familles des victimes, des Pasteurs religieux, catholiques et Protestants confondus) le Gouvernement décida de faire une opération de charme : les veuves ou autres ayants droit furent invités à Kigali, les uns après les autres, pour recevoir « le pécule de consolation » Impozamarira comme on l’appelait.

Cela dit, les sommes d’argent réservées aux ayants droit, et surtout la façon dont elles ont été versées, ont nourri beaucoup de commentaires. Au sujet de ces Impozamalira, je voudrais livrer ici un témoignage directement reçu d’une veuve qui fut convoquée à cette séance : les récipiendaires devaient apposer leur signature ou leurs empreintes digitales sur un document préparé à l’avance, document sur lequel il était écrit (citation non littérale de la veuve en question) : Amafaranga y’impozamarira, kubera umugabo wanjye/umubyeyi wanjye, waguye mu buroko yishwe na Lizinde ». Ce qui se traduit : « Somme compensatoire pour le meurtre de mon mari/de mon père [selon le cas] par Lizinde. Aucune copie de ce document n’était remise à la personne signataire, mais seulement une enveloppe fermée, enveloppe qu’il était d’ailleurs interdit d’ouvrir sur place ! Le montant contenu dans l’enveloppe n’était indiqué nulle part. La personne signait un reçu pour réception de l’enveloppe et non pour le contenu.

En fait, pour les personnes disparues, chaque veuve (ou chaque famille) recevait 1.000.000 de francs rwandais [l’équivalent d’environ $1,800 en valeurs actuelles], somme uniforme pour tout le monde. En plus de cette somme, 100.000 francs [environ $180 aujourd’hui] étaient remise à la famille, pour chaque orphelin encore en vie. Fin du témoignage.

Quelles que fussent les motivations de la décision du Comité Central (finis operandi), les familles éplorées eurent tout de même – dans ce geste d’ impozamalira − un supplément d’oxygène dans leurs tribulations de tous les jours (finis operis), étant entendu qu’aucune compensation ne pouvait combler le vide créé par la disparition des leurs.

 

Colonel BEM B Ndengeyinka sur la tragédie rwandaise

 Le putsch

La nuit du 04 au 05 juillet 1973, le général major Habyalimana renverse le président Grégoire Kayibanda et instaure un régime militaire. Des hauts dignitaires du régime, des officiers, sous-officiers et hommes de troupe sont arrêtés, chassés de leur boulot. D’autres sont renvoyés et consignés dans leurs communes d’origine. Le nouveau régime les accuse d’avoir fomenté les troubles du début de l’année, et du projet d’assassinat sur les hautes personnalités et officiers du Nord. Tous ceux qui ont été touchés par ces différentes mesures proviennent tous, des 7 préfectures désormais dites « Sud ». Il est quand même à faire remarquer le cas de l’ex-capitaine Joachin Muramutsa, auteur de la tentative de coup d’état de 1968. Cet ancien officier de la 2ème promotion de l’École d’Officiers (= E.O.) a passé deux mois en prison. En 1980, il a de nouveau été emprisonné avec le groupe Lizinde. En 1994, alors qu’il était bourgmestre de la commune Muhura, et membre du MRND, il a été assassiné au début des troubles d’avril 1994 par des gens en uniformes, – venus de Kigali-, qu’on dit être des militaires.

 Une junte militaire sans projet de société et partant sans programmes politiques

Le coup d’état du 05 juillet 1973 a été planifié. Les militaires Bakiga voulaient le pouvoir et ils le voulaient tout entier et absolu. Ils y étaient encouragés par divers intervenants étrangers qui ne voulaient pas Grégoire Kayibanda à la tête du Rwanda. L’aspect non militaire de ce thème a été bien traité et bien analysé par Bonaventure Mureme K. dans son Manuel d’Histoire politique et sociale du Rwanda contemporain. Ici, je vais traiter l’aspect militaire du thème en question.

a. Le déroulement du coup d’état du 05 juillet 1973

Dans son Manuel d’Histoire politique et sociale du Rwanda contemporain, Tome 2, de la page 438 à la page 477, Bonaventure Mureme K. a bien fait le récit du coup d’état égoïste du 05 juillet 1973 et la fin tragique du président Grégoire Kayibanda alias Se-Bwigenge Umubambuzwashakwe. J’y reviens juste pour insister sur le déroulement du coup d’état du 05 juillet 1973. Ce n’est pas le comité pour la paix et l’unité nationale qui a commis le coup d’état, mais plutôt un groupuscule d’individus qui ont ensuite convié d’autres à la table du festin. C’a été un cafouillage lamentable. Le partage du butin a suscité des rancœurs tenaces. Petit à petit, Juvénal Habyalimana raflera toute la mise.

b. Les concepteurs du coup d’état du 05 juillet 1973

  • ·         Le lieutenant colonel Alexis Kanyarengwe, qui est vraiment le principal artisan de la démolition du régime révolutionnaire civil Grégoire Kayibanda
  • ·         Aloys Nsekalije, qui a vraiment été l’appui indispensable du craintif et désespéré Juvénal Habyalimana dans la nuit du 04 au 05 juillet 1973
  • ·         Théoneste Lizinde, la tête pensante de la junte militaire, qui a recommandé le coup d’état et fait beaucoup d’agitation.
  • ·         Juvénal Habyalimana, l’homme qui a eu la chance d’être intronisé en qualité de supérieur hiérarchique, mais qui n’en sera reconnaissant à personne et qui jouera avec la vie du peuple rwandais.

En un mot, le coup d’état a été planifié. Les officiers Bakiga l’attendaient très impatiemment. Juvénal Habyalimana s’y était longtemps préparé mais, à la dernière minute, il avait peur. Et c’est Aloys Nsekalije qui l’a talonné, appuyé en cela par Alexis Kanyarengwe et Théoneste Lizinde. Alexis Kanyarengwe était officiellement à Nyundo mais, depuis sa manifestation outrancière du 01 juillet 1973 au stade national de Nyamirambo, il ne quittait pratiquement pas Kigali et intriguait tout le temps, partout et en tout lieu, par tous les moyens possibles. On ne fait pas des choses pareilles sous les yeux du chef de l’état pour retourner croiser les bras à Nyundo. Lizinde Théoneste, l’enfant terrible du Bugoyi, a apporté beaucoup de fougue à la conspiration. Voilà l’âme du coup d’état du 05 juillet 1973.

 

c. Les principaux exécuteurs du coup d’état du 05 juillet 1973

  • ·         Le sous lieutenant Ndamiyinka, originaire de Butare, était l’officier de garde. C’était la nuit. Par définition, il ne dort pas. C’est sur lui que Juvénal Habyalimana est tombé et à qui il a donné l’ordre de sonner l’alerte. C’est-à-dire que tous les militaires doivent se mettre au pied de guerre et venir écouter les instructions sur place.
  • ·         Le capitaine Athanase Gasake était le capitaine de semaine. Celui-ci veille étant chez lui. Il ne passait pas la nuit au camp militaire de Kigali.
  • ·         Le major Ntibitura Bonaventure, était l’officier de permanence de l’état-major. Celui-ci veille étant chez lui. Il ne passait pas la nuit au camp militaire (= à l’état-major). Concrètement, ça veut dire quoi, le bouclage de la ville ? L’officier de garde veille pour le camp militaire de Kigali. C’est lui qui garde les clefs des stocks d’armes et de minutions. Dès qu’il y a quelque chose qui se passe dans la préfecture de Kigali, il est le premier alerté. Lui-même alerte immédiatement l’officier de permanence de l’état-major. Celui-ci veille pour toute l’armée et joue le rôle nocturne de chef d’état-major. Comme c’était à Kigali, il a alerté le capitaine de semaine Athanase Gasake. Celui-ci veille pour toute la garnison de Kigali. C’est donc à lui que revenait de faire exécuter le bouclage de la ville de Kigali. Faire un coup d’état, c’est faire le bouclage de la ville, d’abord. Ce plan de bouclage a été écrit par un major belge qui s’appelait Closset. Celui-ci fut G3 c’est-à-dire chef du bureau opérations approximativement dans la période allant de 1966-1973, à l’état major de la garde nationale. Le bouclage de la ville consiste à prévoir de fermer toutes les routes à la première alerte et de bloquer la circulation. Puis, il est prévu une certaine répartition des unités par axes routiers. Ce plan visait à répondre efficacement aux actes éventuels de terrorisme pratiqués par les INYENZI des années 1963-1966. Par-dessus le marché, le capitaine Athanase Gasake était commandant de l’escadron de reconnaissance. Il lui revenait donc d’investir, avec son unité blindée, le plateau central de la colline de Nyarugenge, communément appelé le centre-ville. Là, résidaient le chef de d’état, tous les ministres et pratiquement tous les gouvernants, qui habitaient essentiellement dans la localité de Kiyovu. C’est comme cela que le capitaine Gasake est devenu célèbre dans cette histoire regrettable. Quant au capitaine Élie Sagatwa, son excès de zèle était informel. Il était particulièrement motivé du fait d’être beau-frère de Habyalimana. Il ne compte ni parmi les concepteurs du coup d’état, ni parmi les principaux exécuteurs. 

d. Le partage désordonné du butin

Pour les putchistes Bakiga, seul comptait le contrôle de l’appareil de l’état. La société rwandaise, ça ne voulait rien dire. Ils n’avaient donc pas de projet de société et ils n’étaient même pas unis. Bien entendu, on ne donne pas ce qu’on n’a pas. Dans ces conditions, il est inutile de parler de comité pour la paix et l’unité nationale. Il n’était pas cohérent. Il était artificiel. Excepté Habyalimana, Kanyarengwe, Aloys Nsekalije, Bonaventure Ntibitura, Laurent Serubuga, les autres membres sont mis devant le fait accompli. C’est après le coup d’état que des hélicoptères sont allés les chercher toute la nuit : Benda Sabin, à Cyangugu ; Ruhashya Épimaque, à Ruhengeli ; Bonaventure Buregeya, à Butare ; Aloys Simba et Fabien Gahimano, à Kigali. Quant à Jean-Nepomuscène Munyandekwe, se sachant Munyagitarama, il était entrain de prendre la fuite et c’est à Gikondo qu’il a été arrêté. C’est en garde à vue, -blessé par ceux qui l’avaient arrêté-, qu’il entendait à la radio qu’il avait participé au coup d’état, main dans la main avec ses dix autres camarades du 05 juillet 1973. Le communiqué du coup d’état était lui-même une tromperie. Le comité se voulait national alors qu’en réalité, il ne l’était pas. C’était un coup d’état régionaliste et tribaliste.

À peine regroupés à Kigali, ils se précipitent sur des fauteuils. Habyalimana court s’asseoir dans le fauteuil présidentiel de Grégoire Kayibanda ; Aloys Nsekalije, dans celui du ministre de l’intérieur et des affaires judiciaires ; Laurent Serubuga, dans celui du ministère de la coopération internationale et ainsi de suite. C’est Alexis Kanyarengwe qui s’affiche le dernier. Il arrive au ministère de l’intérieur et des affaires judiciaires, y trouve Aloys Nsekalije et, en tant qu’ancien, lui montre la porte de sortie. Nsekalije va au ministère de la coopération internationale, y trouve Laurent Serubuga et fait de même. Serubuga va au ministère de la famille et du développement communautaire, s’y installe et se contente de ça – et ainsi de suite. Le gouvernement intérimaire fut donc lui-même une grande bataille. Il était anormal et irrégulier. Il en résulta des frustrations quand vint le moment de mettre sur pied un gouvernement normal et régulier, le 01 août 1973. Seuls furent maintenus en place Alexis Kanyarengwe et Aloys Nsekalije en tant que concepteurs intouchables du coup d’état. Comme il fallait cacher officiellement le régionalisme et le tribalisme de la junte militaire, il a fallu des ministres Banyenduga et un ministre Tutsi. C’est comme ça qu’Aloys Simba devint ministre de l’information ; Pierre-Célestin Rwagafilita, ministre de la Jeunesse. En conséquence, Théoneste Lizinde devint directeur général du service central des renseignements ; Bonaventure Buregeya, secrétaire général de la présidence de la République ; etc. De ce fait, Rwagafilita et Lizinde, qui appartenaient à la 3ème promotion, devinrent plus importants que certains camarades du 05 juillet 1973. Être membre du comité pour la paix et l’unité nationale devint un titre honorifique.

À la fondation du MRND, le comité pour la paix et l’unité nationale dut être dissout. Comme le secrétaire général du MRND allait devenir le n° 2 du régime, Kanyarengwe et Nsekalije s’attendaient à exercer cette fonction, l’un à défaut de l’autre. À la surprise générale, Habyalimana nomma un civil, en l’occurrence Bonaventure Habimana. C’était finalement la preuve que Habyalimana avait décidé de rafler toute la mise et de ne travailler qu’avec des serviteurs très obéissants. Il tourna la page de la camaraderie et s’enfonça dans le totalitarisme moderne, au très grand mécontentement des véritables concepteurs du coup d’état. Il les écarta tous, un à un. Plus il les écartait, plus ils le haïssaient et haïssaient ses marionnettes profiteuses. Alexis Kanyarengwe et Aloys Nsekalije ne restaient plus que de simples ministres que Habyalimana ne daignait, même pas, recevoir. Habyalimana était un homme malhonnête, mobile et versatile. Il est un proverbe Kinyarwanda qui dit : « Akabuliye mu isiza ntikabonekera mu isakara = qui sème le vent récolte la tempête ».

Voilà comment les quatre concepteurs du coup d’état, à savoir Habyalimana, Kanyarengwe, Nsekalije et Lizinde, sont devenus des porte-malheurs au peuple rwandais. Ils devinrent entre eux-mêmes des ennemis mortels : d’un côté, Kanyarengwe, Nsekalije et Lizinde et de l’autre côté, Habyalimana. Les trois premiers juraient, -peu importe la suite-, de détruire la tyrannie militaire de Juvénal Habyalimana qu’ils surnommaient « Bihehe » et ils y sont parvenus. C’est bien dommage.             

e. La gestion de l’après coup d’état

1°. Les raisons déclarées du coup d’état

Le coup d’état a été suivi d’une importante propagande mensongère destinée à faire croire que Habyalimana venait de faire l’objet d’une tentative d’assassinat perpétré dans la résidence du président Kayibanda ; que d’autres officiers du Nord figuraient sur la liste des candidats à la mort. Différents auteurs, surtout le chercheur Bonaventure Mureme K. ont décrit clairement le déroulement des évènements. Ils ont ainsi prouvé suffisamment que c’est un mensonge grossier qui ne persistait que parce que les auteurs du coup d’état avaient interdit le débat. Il a été dit par exemple que c’avait été le capitaine Bizimana André qui avait tenté d’arrêter Habyalimana ; que, étant bâti en hercule, celui-ci lui avait échappé grâce à sa force musculaire. Pourtant, lorsqu’on compare cette version au déroulement de l’arrestation du capitaine Bizimana quelques instants plus tard, la version du général Habyalimana s’écroule. L’arrestation a été effectuée par le premier sergent-major (grade en 1973) Guillaume Mbonigaba, un sous-officier mécanicien, (frère aîné du major Rwendeye). Selon sa version, il s’est présenté chez le capitaine Bizimana (en face de l’école belge), a frappé à la porte, et Bizimana lui a ouvert la porte. Le sous-officier lui a dit que le général major Habyalimana voudrait le voir d’urgence à l’état-major. Le capitaine Bizimana est rentré dans la maison, s’est bien habillé, a pris un carnet de notes et est sorti. Il est allé vers sa voiture, mais le sous-officier lui a proposé de le prendre dans sa jeep, ce que Bizimana a accepté de tout cœur et par acquis de conscience (= n’umutima ukeye). Il ne se doutait de rien (= preuve qu’il n’avait rien commis de mal la veille). Le sous-officier l’a installé sur la place de convoyeur et s’est mis lui-même au volant. Bizimana n’a pas fait attention tout de suite. C’est à Nyabugogo, à la sortie de la ville de Kigali, qu’il s’est rendu compte qu’ils n’avaient pas pris la direction de l’état major, mais plutôt celle de Ruhengeli. Il s’est mis à rouspéter. C’est alors qu’on lui a mis des menottes.

2°. Les arrestations et assassinats des prisonniers

Les arrestations se sont passées en deux vagues : la première dans la semaine suivant le coup d’état, et la deuxième, quelques mois plus tard. En 1975, il a été organisé à Ruhengeli un simulacre de justice. Une partie seulement des prisonniers (dont Grégoire Kayibanda) y a eu droit. Des sentences allant jusqu’à la peine capitale ont été prononcées.Dans la suite et pour faire disparaître les dossiers de jugement, qui n'étaient en réalité que des mensonges, l'Akazu, avec à la tête le préfet de Ruhengeri: Protais Zigiranyirazo, metta en scàne un incendie où étaint gardés ces jugements. Il s’en suivit une histoire terrible et épouvantable. Les prisonniers ont été assassinés dans les conditions absolument abominables : privation d’eau et nourriture, achèvement par fracassement des crânes, ou par balle pour les plus chanceux. Une femme, la sœur du capitaine André Bizimana aurait battu le record de résistance. Elle aurait passé plus de jours que tous les autres (60 jours) sans boire ni manger, avant de mourir d’arrêt cardiaque.

 

. Le président Grégoire Kayibanda

1). Confidences du lieutenant Grégoire Mutabaruka

Le lieutenant Mutabaruka est un officier de la 10ème promotion, originaire de Byumba. En 1975, il commandait la compagnie Gitarama, et à ce titre, chargé de la gestion du prisonnier Grégoire Kayibanda. Un jour, le commandant Sagatwa Elie vint le voir et lui proposa d’assassiner l’illustre prisonnier. Mutabaruka, paniqué, lui demanda quelques jours de réflexion. Il est allé se confier à Mr Seminega, ancien président de la cour suprême (dans le régime Kayibanda), lui aussi originaire de Byumba. Celui-ci a compris le dilemme de l’officier : soit, il refuse la suggestion, et risque pour sa vie ; ou il accepte et il portera le crime sur sa conscience toute sa vie. Il lui conseilla d’exiger un ordre écrit. Le commandant Sagatwa revint et Mutabaruka lui exigea un ordre écrit. Sagatwa rentra à Kigali en promettant de revenir avec le document. À la place du document promis, il fut muté pour Kigali et fut remplacé par le lieutenant Papias Kandekwe. Grégoire Kayibanda est mort quelques temps après. En 1977, le lieutenant Mutabaruka remplissait toutes les conditions pour monter au grade de capitaine. Il fut surpris de ne pas passer, et soupçonna la cause « non évoquée et non évocable » soit le refus opposé à l’ordre de Sagatwa. Il ne broncha pas, et on ne lui dit rien non plus. L’année suivante, il reçut une excellente côte, mais ne passa pas non plus. Alors vint la visite d’inspection officielle du ministre de la défense (général major Habyalimana) à l’état major et dans toutes les unités de l’armée rwandaise. Le lieutenant Mutabaruka se confia à un officier de la 9ème promotion habitué aux tracasseries de l’éternel chef d’état-major adjoint, le lieutenant-colonel Laurent Serubuga. Beaucoup pensaient encore que Habyalimana était un saint homme, que le méchant c’était Serubuga. Au fait, Serubuga était à la fois un homme cruel et une vraie marionnette. L’officier lui conseilla d’exposer son problème verbalement, au général major Habyalimana, en présence de Serubuga, afin de les obliger à échanger sur son cas en sa présence. Après l’exposé du lieutenant Mutabaruka, Habyalimana passa la parole à Serubuga, qui déclara que le lieutenant Mutabaruka avait été victime d’une erreur d’oubli. Il obtint ainsi son grade de capitaine. Et même dans cette circonstance, Habyalimana cherchait à paraître comme un saint homme. Serubuga et Sagatwa étaient ses boucliers.

2). Confidences du caporal Giti (ce n’est pas son vrai nom)

Le caporal Giti, est originaire de Byumba. Affecté à la compagnie Gitarama, il faisait partie de l’équipe des militaires qui gardait la maison de Grégoire Kayibanda au moment de son assassinat. D’un côté d’après Bonaventure Mureme Kubwimana, Grégoire Kayibanda a été assassiné en plein milieu de la matinée du 15.12.1976 par Élie Sagatwa aidé par des militaires qui gardaient la maison dont Giti. D’après l’aveu personnel trop peiné de Giti, qui faisait partie des bourreaux, ils ont achevé Grégoire Kayibanda en lui cassant les côtes avec leurs bottines (= kunyukanyuka). Après la sale besogne, les bourreaux furent arrêtés d’une manière trompeuse puis touchèrent une avance de deux ans sur leurs soldes (comprendre salaire) et furent renvoyés dans leurs communes natales respectives, avec interdiction de les quitter. D’après Mureme, leur arrestation en début de l’après-midi du 15.12.1976 n’était qu’un simulacre d’arrestation. Après deux ans de chômage, Giti alla supplier un entrepreneur belge qui venait d’ouvrir un chantier dans sa commune, de l’embaucher comme veilleur, car il ne pouvait pas quitter sa commune. C’est dans ce cadre strictement rassurant que Giti a finalement confié en détail son secret de Polichinelle à l’Histoire du Rwanda. En récolant toutes les versions, surtout celle de l’historien Mureme et celle du bourreau Giti, Grégoire Kayibanda a été étranglé en plein milieu de la matinée du 15.12.1976 par Élie Sagatwa. Puis des militaires qui gardaient sa maison et dont faisait partie le caporal Giti l’ont effectivement achevé en lui cassant les côtes avec leurs bottines (= Kunyukanyuka). Donc les deux versions convergent.

. Les autres prisonniers

Les autres prisonniers ont été sortis des prisons de Kigali, de Ruhengeli et de Gisenyi puis exécutés.

1). Confidences du commandant François Burasa

Un jour de 1977, au cours d’une séance de l’Umuganda, un officier nous annonça que le commandant Burasa avait été interné au centre psychiatrique de Ndera. Le capitaine Appollinaire Bikolimana répliqua tout haut, que ce n’était pas une maladie ordinaire, qu’il était assailli par les âmes des prisonniers politiques qu’il avait assassinés. Il s’en est suivi un silence significativement lourd. Burasa fut vite transféré en Belgique. Là, les médecins lui signifièrent qu’il avait quelque chose sur la conscience, probablement du sang innocent. Ils lui conseillèrent d’en parler pour soulager sa conscience. C’est alors qu’il commença à parler à tous ceux qui lui rendaient visite, des méchants Habyalimana, Zigiranyirazo, Serubuga, Lizinde, qui l’avaient impliqué dans les crimes, de sorte qu’il en fût tombé malade, alors qu’eux-mêmes restaient sains. Sur ce, il fut rappelé d’urgence au Rwanda, renvoyé de l’armée, et consigné à résidence surveillée dans sa commune natale, où il est resté durant quelques années. Après son rétablissement, il fut ramené à Kigali où il trouva du travail dans le secteur privé. 

2). Confidences du capitaine Habyalimana Simon (alias Kajyunguli)

Le capitaine BEM Habyalimana était G2 EMAR (chef du bureau des renseignements à l’état-major de l’armée rwandaise). Un jour, il s’est présenté chez sa maîtresse (Tutsie) à Nyamata au Bugesera et lui fit sentir le bout du canon de son pistolet. Celui-ci sentait la poudre. Il lui expliqua qu’il venait d’utiliser son pistolet en tuant des gens. En fait, le matin, sur le chemin vers le Bugesera, il avait croisé le capitaine Rwabakika et ils s’étaient brièvement parlé. Rwabakika remarqua que deux jeeps bâchées qui le suivaient se balançaient, pourtant à l’arrêt. Très étonné, il lui demanda quelle sorte de chargement il avait. Au lieu de lui répondre, il interrompit la conversation et démarra en trombe, suivi par les jeeps. Le lendemain, le lieutenant Alphonse Baliyanga, commandant de la toute nouvelle compagnie « Garde présidentielle » a été vu hors de lui-même, se lamentant contre le capitaine Simon Habyalimana qui aurait utilisé des militaires de son unité sans son autorisation ni son avertissement. Un jour après, des passants découvrirent des cadavres flottant dans la marre bien connue dite « Urwobo rwa Bayanga » au Bugesera. Ils transmirent vite l’information au camp militaire de Gako. Le capitaine François Munyengango, accompagné de quelques officiers se rendirent sur place. Ils reconnurent les cadavres comme étant ceux des officiers Banyenduga enprisonnés. Ils avaient été exécutés par arme de calibre 9mm (les douilles ont été retrouvées sur place). Choqué, il ne s’est jamais remis complètement du choc. Aurait-t-il vu le corps de son beau-frère, le capitaine Gallican Nyamwasa ? Quelques années plus tard, Alphonse Baliyanga et Mutabaruka, -tous deux de la 10ème promotion de l’école des officiers-, moururent dans des accidents de la route étrangement semblables. Baliyanga mourut au volant de sa voiture à Shyorongi, apparemment à petite vitesse. On dirait que son cœur avait brusquement arrêté de battre. Mutabaruka mourut non loin du camp militaire de Gako, au volant d’une jeep militaire. Il venait du camp et rejoignait son unité à Kibugabuga. La jeep aurait dévié étrangement de la route.

3). Confidences du caporal Rekerayo (ce n’est pas son vrai nom)

Le caporal Rekerayo appartenait à la compagnie de Ruhengeli, commandée par le capitaine Stanislas Biseruka, et avait fait partie de l’équipe des bourreaux. Le jour du prononcé du premier procès contre le major Lizinde en 1982, il m’a fait la confidence suivante. Je commentais que Lizinde subissait le même sort qu’il y avait quelques années, lui-même avait fait subir aux autres. Il me dit que juste avant son exécution, le capitaine André Bizimana leur a donné un message à transmettre au major Lizinde : « Je sais que c’est toi qui nous envoie à la mort et que c’est pour le pouvoir. Je te connais. Tu aimes trop le pouvoir. Je parie qu’avant 20 ans, tu nous auras rejoint ». Il me révéla que l’équipe des bourreaux était composée de militaires choisis par le commandant d’unité Stanislas Biseruka originaire de Gisenyi et que tous étaient originaires de cette même région. Les exécutions ont eu lieu en plusieurs vagues. Chaque fois un télégramme désignant les prisonniers à exécuter venait de l’état-major et émanait de Laurent Serubuga. Nuitamment, les bourreaux allaient chercher les prisonniers, et les amenaient sur le lieu du supplice. Ils creusaient une fosse commune, puis les exécutaient en leur fracassant les crânes, en commençant par les plus haut-gradés. Il y a même eu un rescapé, en l’occurrence un sous officier originaire du Mayaga. Juste avant son exécution, un télégramme est venu de l’état-major, ordonnant de l’épargner, s’il était encore en vie.

4). Les pensionnaires de la prison de Gisenyi

Les prisonniers ont été assassinés, et enterrés dans une fosse commune dans un cimetière populaire non loin de la route Bigogwe-Gisenyi (ancien tracé). Des riverains ont signalé que la préfecture a fait creuser la fosse commune où on a ensuite amené des cadavres par véhicules de l’état. Ils ont précisé que les cadavres étaient ligotés et appartenaient à des gens inconnus dans le secteur.

. Gestion de l’ « après- assassinats des prisonniers»

Les assassinats ont impliqué tellement de gens que des fuites étaient presque immédiates. On dirait que les donneurs d’ordre d’exécution étaient assurés de l’impunité. Ils paraissaient même se foutre de l’opinion des proches des victimes, et le plus étonnant, de l’opinion nationale et même internationale. La même attitude, on la retrouve aujourd’hui encore parmi des dinosaures qui ont trempé directement dans le coup d’état du 05 juillet 1973, et plus préoccupant aussi, parmi les plus jeunes Banyakazu, se faisant appeler « Imfubyi za Habyalimana = orphelins de Habyalimana ». C’est précisément cette appellation qu’on retrouve dans plusieurs groupuscules de la rébellion rwandaise au Congo. Ignorent-ils les faits ou feignent-ils de les ignorer ? Il est décontenançant de constater une telle solidarité dans un crime aussi odieux, pour des gens qui, du reste, n’y ont été pour rien. En effet, après les assassinats en Bugesera, un officier Munyakazu, du service de criminologie, vint faire le constat et déclara à Munyengango qu’il trouvait que c’était vraisemblablement un règlement de compte entre bandes de bandits inconnus. Les visages des victimes avaient pourtant été reconnus. Le calibre du ou des armes du crime avait été reconnu comme étant celui des armes en usage dans les FAR. Après cet incident, les exécutions ont continué normalement, cyniquement et sadiquement.

En 1979, le président Habyalimana voulait proposer à Sylvestre Nsanzimana, -alors recteur de l’université nationale du Rwanda-, de le faire nommer au poste de secrétaire général adjoint à l’OUA. À la fin de leur entretien le président lui posa une question devenue rituelle à la fin de tous les entretiens : Nta kindi kibazo ufite ? N’avez-vous rien d’autre à ajouter ? Nsanzimana déclara qu’ils avaient, lui et sa sœur, épouse de l’ancien ministre Gaspard Harelimana, le souci de connaître son sort, parce qu’ils étaient sans ses nouvelles depuis son arrestation en 1973. La réponse fut froide et sans le moindre remords, comme s’il l’avait envoyé en mission secrète : «Il est mort ». Beaucoup de gens le savaient, mais pas encore aussi officiellement.  Petit à petit, sous la pression d’Amnistie Internationale, de l’évêque de Kabgayi, Mgr André Perraudin, le président Habyalimana s’est décidé finalement à donner une réponse officielle aux proches des disparus et à l’opinion nationale et internationale. Mais la qualité de la réponse qu’il s’est trouvée, ainsi que la façon dont il s’y est pris ont été d’une étonnante médiocrité. C’est comme s’il se fichait de ce qu’on pouvait bien penser de lui. Durant la période des exécutions des prisonniers, Bonaventure Habimana était fonctionnaire au ministère de la Justice. Il était chargé de la population carcérale. Un jour, lors d’un passage de celui-ci au mess des officiers de Kigali, un officier qu’il n’a pas pu reconnaître par après, l’a interpellé, et lui a dit que, comme il était en position de savoir quel jour et par quelle autorité les disparus sont sortis de prisons, le moment venu, il serait accusé au même titre que les bourreaux. Affolé, il cria au mess : « Nta leta itica, niya Nyerere yalishe kandi irakomeye » c’est-à-dire « Tous les régimes tuent. Même celui de Nyerere « tanzanien » a tué, et maintenant il tient solidement ». Quelques mois après, il était nommé au poste de secrétaire général du tout nouveau MRND.

Au cours de la préparation du procès contre le major Théoneste Lizinde, des bruits (ou plutôt des fuites) ont couru comme quoi le président Habyalimana était en consultation avec ses proches pour mettre les assassinats sur le dos du seul major Lizinde. Le projet fut abandonné, persuadé qu’il ne pourra convaincre personne, qu’un simple directeur général des renseignements, aussi puissant et incontrôlable fût-il, ne pouvait supprimer la vie d’autant de prisonniers politiques à l’insu du président de la République. Ainsi le premier procès, en 1982, se déroula sans cette charge. Vint enfin en 1985 le procès des assassinats politiques. Là furent impliquées uniquement des personnes se trouvant déjà en prison et condamnées pour ce qui avait été convenu d’appeler « le coup d’état de Lizinde », au fait le groupe des Bagoyi (Lizinde et Biseruka). Il est vrai que les bourreaux qui ont exécuté les prisonniers de la prison de Ruhengeli venaient de l’unité commandée par le capitaine Biseruka. Pourtant, à Kigali aussi, en Bugesera, des prisonniers ont été exécutés par le capitaine Simon Habyalimana, originaire du Cyingogo, et à Gisenyi, des prisonniers ont été assassinés sous la supervision du commandant Mathias Havugwintore, originaire du Kanage. Ceux-ci n’ont pas été inquiétés. Avant le procès, des agents de la sûreté nationale se présentaient nuitamment chez les veuves des prisonniers, les amenaient sans ménagement à Kigali dans les locaux de la sûreté et les sommaient de décliner leurs identités ainsi que celles des orphelins. Ensuite, on les ramenait chez elles de nuit. Une autre nuit, on les amena toutes à Gitarama. On les fit entrer l’une après l’autre dans le bureau du préfet. Elles y trouvèrent le préfet de préfecture, James Kabera, le procureur Déogratias Kayibanda, et Augustin Nduwayezu, directeur général du service central des renseignements. Celui-ci dit à chacune combien le président Habyalimana avait été surpris et chagriné d’apprendre l’assassinat de son mari par l’ignoble Lizinde, et pour cela le président s’était résolu à indemniser les endeuillés à raison de 1.000.000 Frw par veuve et 100.000 Frw par orphelin. Elles eurent droit à entendre de la bouche de Nduwayezu, l’homme « fétiche » présidentiel, le récit du supplice respectif de leurs maris, ce qui correspondait à ce que les veuves savaient déjà. Ce qui ne correspondait pas, c’était les certificats de décès signés par le docteur Cyprien Hakizimana, qui signalaient qu’ils étaient morts de maladie. Dans la cour, des agents de la sûreté empêchaient ces malheureuses veuves de se parler entre elles, après tant d’années de blocage chacune dans sa commune de résidence. Effectivement, à l’issue du procès, l’état rwandais fut condamné à indemniser les ayants-droits à raison de 1000’000 Frw par veuve et 100.000 Frw par orphelin, exactement comme l’ « homme fétiche » du président l’avait prédit.

La gestion du dossier « coup d’état » a engendré de sérieuses interrogations quand à la nature du nouveau régime, à son fonctionnement, à ses motivations et à ses objectifs, bref, à ses capacités de gérer les problèmes du pays. On pourrait penser que le procès contre le major Lizinde pouvait viser à réconcilier le régime avec les familles qu’il avait endeuillées sauvagement, et peut-être annoncer une politique de réconciliation avec les 7 préfectures dites du « Sud ». Cela s’est révélé faux. La stratégie que l’homme fétiche du président a pratiquée pour recueillir les identités des ayants-droits, annoncer la solution que le régime se proposait à mettre en œuvre, a traumatisé les familles et a contribué à raviver leur rage, au lieu de les rassurer et de les apaiser. En plus, la politique d’exclusion a continué vis-à-vis des préfectures du Nduga Élargi comme allant de soi. De contradiction à contradiction, le régime tomba dans la faillite morale. Une belle légende est récitée : « Le coup d’état du 05 juillet 1973 s’est effectué sans tirer un seul coup de feu. Le Rwanda était au bord d’un précipice très profond. Ceux qui cherchaient à l’y jeter en planifiant de verser le sang des innocents ont été arrêtés sans résistance, y compris le capitaine André Bizimana qui avait essayé de ligoter Juvénal Habyalimana quelques heures plus tôt ». Paradoxalement, un procès contre les prisonniers politiques a été organisé et seule une partie des prisonniers y a eu droit. Pour couronner le tout, tous les prisonniers politiques ont été assassinés, pendant la période allant de 1973 à 1976. En 1979, le président de la République avoue la mort de son ancien collègue ministre Gaspard Harelimana. Bizarrement, en 1985, il déclare qu’il n’était au courant de rien. Il organise un procès contre les assassins, et curieusement, on en oublie certains. Franchement qui pouvait-il penser convaincre ? Il est aberrant que Nduwayezu, un fonctionnaire du pouvoir exécutif, annonce les décisions futures d’une cour de justice. Que peut-on en penser en termes d’indépendance de cette cour ? Il est naturel de conclure que les gouvernants étaient une horde d’assassins. C’était du totalitarisme moderne. Ils prenaient des décisions qui concernaient les Rwandais, tout en se foutant complètement de ce que les Rwandais voyaient, entendaient, et savaient. Le bateau « Rwanda », -comme on le nommait-, avait-il réellement un capitaine à bord ? Quel était l’état psychique et mental du président Habyalimana ? Avait-il un poids sur la conscience ? Certainement oui ! On raconte par exemple que quelques décennies avant Habyalimana, le Mwami Yuhi V Musinga souffrait régulièrement des attaques des âmes des princes assassinés pendant la révolution de palais de Rucunshu en 1896. On raconte qu’il avait alors eu recours à un traitement mystique approprié afin de faire stopper ces attaques très dangereuses. Traditionnellement, on appelait cela la guérison mystique. Il serait hors sujet d’expliquer ça ici. Bref, rien n’y fut, dit-on, puisque, raconte-t-on, des spécialistes de l’invisible ont organisé une visite auprès de Musinga dans l’au-delà et ont rapporté qu’à sa mort il s’était fait hué par le Rwanda invisible. Il est également souhaitable qu’ils puissent organiser une autre visite auprès de Habyalimana et reviennent dire au monde des vivants ce qui s’est passé dans son cas précis.