RWANDA
MOUVEMENT DEMOCRATIQUE REPUBLICAIN (MDR)
B.P. 2278 Kigali

POUR LE RESPECT DES ACCORDS DE PAIX D'ARUSHA ET LE SUCCES DU PROCESSUS DEMOCRATIQUE AU RWANDA

1. INTRODUCTION / RESUME

Malgré la signature à Arusha d'un accord de Paix entre le Gouvernement Rwandais et le Front Patriotique Rwandais en date du 4/8/1993, la crise politique que traverse le pays menace la paix et la démocratie au Rwanda. Cette crise résulte des manoeuvres entreprises par le Président de la République et certains dirigeants de l'opposition en vue d'exclure le parti MDR des organes de gestion de la transition élargie. Ces manoeuvres ont abouti au renversement du Gouvernement de transition mis en place le 16/04/92 et qui venait de réussir les négociations de paix d'Arusha, et à la constitution d'un bloc antidémocratique, comprenant les présidents des partis de la coalition gouvernementale et dirigé par le Président de la République lui- même.

Comme aucun organe habilité des partis de la coalition gouvernementale n'appuie ce bloc antidémocratique, il en résulte un divorce flagrant entre les dirigeants des partis d'un côté, la masse des adhérents et les organes de décision de ces partis de l'autre côté. D'où l'impossibilité de former un Gouvernement de transition à base élargie crédible, prévu dans les Accords de Paix d'Arusha. D'où aussi le comportement antidémocratique et autoritaire adopté par le gouvernement actuel et les chefs de partis, qui entrave toute recherche d'une solution juste et équitable en vue de rétablir le parti MDR dans ses droits et de mettre en place les institutions de la transition.

Le vide institutionnel ainsi crée favorise l'émergence de groupuscules extrémistes, à caractère éthniste et régionaliste, hostiles à la fois au processus démocratique et aux Accords de Paix d'Arusha. Dans ces conditions, les forces politiques et morales doivent prendre conscience de la gravité de la situation et obliger le Président de République et ses alliés occasionnels, les Chefs des partis, à mettre fin à ces manoeuvres et à respecter l'esprit et la lettre des Accords de Paix d'Arusha, notamment le protocole sur l 'État de droit signé le 18/8/1992, qui consacre la démocratie comme système de gouvernement pour le Rwanda.

Eu égard aux répercussions que la non-application conforme des Accords de Paix d'Arusha aura sur la paix et la stabilité au Rwanda et dans la sous-région, eu égard aussi au fait que la dérive anti-démocratique actuelle peut plonger le Rwanda dans une guerre civile, la communauté internationale se doit de sortir de son mutisme et exiger des autorités rwandaises, en particulier du Président de la République, le respect strict et inconditionnel des Accords de Paix d'Arusha, du processus démocratique et des droits de l'homme.

De son côté le parti MDR est déterminé à recouvrer ses droits et à participer activement aux institutions de la transition. C'est pourquoi il est décidé à entreprendre une série d'actions visant à relancer la dynamique unitaire au sein de l'opposition démocratique, à sauvegarder le processus de paix et à consolider le processus démocratique.

Cela dit, voici comment la situation politique se présente actuellement et les comportements que le MDR doit adopter pour sortir le pays de l'impasse, à travers une participation active et positive aux Institutions de la transition.

2. RAPPEL DES FAITS
i) En date du 16/6/1993, le président du MDR et des dirigeants du PL et du PSD, ont signé, conjointement avec des dirigeants du MRND, un communiqué de presse, cautionnant par avance la décision du Président de la République de reporter sine die la signature des Accords de Paix d'Arusha.

ii) En date du 22/6/1993, le Conseil des ministres, convoqué en toute hâte, confirme l'ajournement de la signature des Accords de Paix d'Arusha. Par la même occasion, les ministres issus du MRND, du PSD ainsi qu'un ministre issu du PL, marquent une appréciation défavorable à l'endroit du candidat Premier Ministre du Gouvernement de transition a base élargie présenté par le MDR.

iii) En date du 16/7/1993, le président du MDR et les dirigeants du PL et du PSD, s'associent avec les dirigeants du MRND pour renverser le Gouvernement de transition et mettre en place un nouveau gouvernement a la dévotion du Président de la République.

iv) En date du 23/7/1993, le Congrès Extraordinaire du MDR prend des sanctions contre le président du Parti et le nouveau Premier Ministre, pour trahison envers le parti. Par la même occasion il confirme la candidature de Monsieur KAMBANDA Jean au poste de Premier Ministre du Gouvernement de transition à base élargie, et met en garde le Gouvernement rwandais et le FPR contre l'autocandidature de Monsieur TWAGIRAMUNGU Faustin au poste de Premier Ministre du Gouvernement de Transition à Base Elargie.

v) En date du 25/7/1993, le Gouvernement rwandais et le FPR soutiennent l'autocandidature de Monsieur TWAGIRAMUNGU Faustin au poste de Premier Ministre du Gouvernement de Transition à Base Elargie en dépit des protestations des organes habilités du MDR.

vi) En date du 4/8/1993, le Gouvernement rwandais et le FPR signent à Arusha l'Accord de Paix.

3. OBSERVATIONS SUR CES FAITS
Quoique surprenante pour les adhérents de l'opposition démocratique non avertis des tractations qui avaient eu lieu entre certains dirigeants de leurs partis et ceux du MRND depuis la reprise des hostilités le 8/02/1993, cette mésalliance constituait l'aboutissement d'un long travail de sape et de division de l'opposition entrepris par le Président de la République depuis l'éclosion du multipartisme au Rwanda.

Ayant échoué dans sa tentative de remporter une victoire militaire sur les rebelles du FPR Inkotanyi, ayant échoué aussi dans ses démarches de provoquer une guerre civile au Rwanda en vue de profiter de la confusion pour liquider l'opposition démocratique, le Président de la République s'est fixé comme objectif majeur de son action politique la désintégration de l'opposition démocratique et en particulier celle du MDR, afin de se retrouver seul, après la signature forcée des Accords de Paix d'Arusha, face au FPR Inkotanyi.. En fait, il s'agit d'une togolisation de la vie politique rwandaise.

Toutefois une telle approche ne pouvait réussir sans le concours actif des dirigeants opportunistes issus de l'opposition, avides de pouvoir et pressés d'accaparer des postes. Ceci est tellement vrai qu'un de ces dirigeants répétait à qui voulait l'entendre ceci: "Avec la fin de la guerre, le temps est venu de nous partager le butin.. Et comme c'est le Président de la République qui règle encore ce genre de partage, on comprend maintenant le comportement pour le moins étrange de certains dirigeants de l'opposition démocratique. Ainsi, suite à des promesses fallacieuses, certains dirigeants de l'opposition démocratique ont été amenés à développer des attitudes divisionnistes au sein de leurs propres partis, et ont conclu une alliance opportuniste et momentanée avec le MRND, sur base des considérations éthnistes et surtout régionalistes.

En fait, l'objectif ultime de toutes ces manoeuvres est d'amenuiser l'opposition démocratique au Rwanda, d'éliminer progressivement ses leaders et de polariser la vie politique rwandaise, avec d'un côté la mouvance présidentielle renforcée par des élémemts opportunistes issus de l'opposition démocratique et, de l'autre cote les éléments issus de l'opposition armée, le FPR, renforcés par des opposants déçus par l'opportunisme des leaders de l'ancienne opposition démocratique.

Cette bipolarisation de la vie politique est hautement préjudiciable à la poursuite du processus démocratique et à l'application des Accords de Paix, dans la mesure ou les éléments durs des deux camps seront incités à recourir à la force pour assurer la suprématie de leurs groupes dans la conduite des affaires du pays.

D'où la nécessité de rétablir le MDR dans ses droits et d'assurer sa pleine participation aux institutions de la transition comme élément d'équilibre et de modération..

4. POURQUOI CET ACHARNEMENT CONTRE LE MDR
Parti de masse, le MDR est implanté dans tout le pays et recrute ses adhérents dans toutes les couches   de la société rwandaise, sans distinction d'ethnies, de régions, de religions ou de profession. C'est un parti qui rassemble des agriculteurs, des artisans, des commerçants, des ouvriers, des chômeurs, des salariés et des cadres des entreprises privées et de l'administration publique. De par ses structures décentralisées et ses méthodes de travail collectif, le MDR privilégie une large participation de ses adhérents à la prise des décisions et à la circulation de l'information.

De part son organisation ouverte, le MDR place les intérêts du pays et de la population au dessus des intérêts individuels ou de groupes. Par ailleurs, l'engagement ferme et sans équivoque du MDR en faveur d'une solution politique négociée au conflit rwandais a été déterminant dans la conduite et la conclusion des Accords de Paix d'Arusha.

II s'agit là d'autant de raisons qui font du MDR un acteur incontournable de la vie politique rwandaise, et les tenants de l'ordre ancien, tout comme les opportunistes, ne supportent point une telle occupation du terrain par le MDR, d'où cet acharnement pour sa destruction, quitte à contrarier le processus démocratique et à compromettre la paix.

5. QUE FAIRE
Face aux graves dangers qui guettent notre pays, à savoir le détournement du processus de paix et la perversion du processus démocratique par des forces rétrogrades et opportunistes, le MDR se doit de se ressaisir, de redoubler de vigilance et d'adopter des attitudes et des comportements visant à sauvegarder le processus de paix et à consolider le processus démocratique.

Pour ce faire, le MDR doit entreprendre immédiatement les actions suivantes:
i) Mobiliser la population en faveur des Accords de Paix d'Arusha et procéder a une vaste campagne d'explication de ces Accords;

ii) Exiger du Président de la République, du gouvernement rwandais et des autres partis politiques le respect et l'application des Accords de paix d'Arusha;

iii) Conformément aux Accords de Paix d'Arusha, exiger du gouvernement Rwandais que le MDR soit rétabli pleinement dans ses droits et participe aux institutions de la transition;

iv) Défendre le libre exercice des libertés publiques et individuelles;

v) Faire respecter la pleine jouissance des droits de l'homme, y compris le droit au travail, à l'éducation, à la santé et au bien-être;

vi) Promouvoir le développement des activités culturelles, sportives, sociales et politiques à différents niveaux d'organisation de la société;

vii) Extirper de la vie politique rwandaise les vieux démons de l'ethnisme, du régionalisme et du népotisme;

viii) Combattre la corruption, les malversations, le trafic d'influence, le détournement des biens publics dans les administrations de l'État;

ix) Promouvoir la décentralisation des prises de décisions et des moyens de développement au niveau des collectivités locales (communes, sous-préfectures et préfectures) et assurer à celles-ci l'indépendance et le droit d'initiative nécessaires;

x) Opposer une résistance ferme et non-violente aux provocations et aux actions terroristes orchestrées par le gouvernement actuel contre les adhérents du MDR;

xi) Organiser un encadrement serré de la population et l'informer régulièrement de l'évolution de la situation politique;

xii) Instaurer une culture démocratique dans les organes de direction du parti et auprès des adhérents;

xiii) Oeuvrer en faveur du regroupement des forces démocratiques et progressistes du pays, dans le cadre d'une dynamique unitaire;

xiv) Appuyer les initiatives des organisations indépendantes en matière de défense des droits de l'homme, d'actions de développement, de promotion de la démocratie et de la justice;

xv) Soutenir les initiatives publiques et privées en faveur de la relance économique, de la création des emplois et de la reconstruction du pays.

6. LA PARTICIPATION DU MDR AU GOUVERNEMENT DE TRANSITION À BASE ELARGIE
Comme prévu dans les accords de Paix d'Arusha le MDR se doit de participer pleinement au Gouvernement de Transition à Base Elargie. Cependant cette participation est contrariée par des manoeuvres orchestrées par le President de la République et des éléments dissidents du MDR et alliés occasionnels du MRND. L'attribution des postes dévolus au MDR à ce groupe de dissidents équivaudrait à une exclusion pure et simple du MDR des institutions de la transition.

Ces dissidents du MDR doivent comprendre qu'ils ne représentent nullement le parti et que la poursuite de leur alliance contre nature avec le MRND ne peut que les conduire à leur perte. Aussi doivent-ils accepter et respecter les procédures de prise de décision au sein du parti.

Ainsi les ministres du Gouvernement de Transition à Base Elargie et les hauts cadres politiques issus du MDR seront designés par le bureau politique, tandis que les députés à l'Assemblée Nationale de Transition seront désignés par les Organes préfectoraux à raison d'un député par préfecture.

En vue de favoriser la dynamique unitaire et le regroupement des forces démocratiques et progressistes du pays, le congrès national et le bureau politique du MDR devraient procéder à la révision des sanctions prises à l'égard de certains membres dissidents dans la mesure où ceux-ci en expriment la demande et s'engagent à respecter les statuts et la discipline du parti. Ce faisant, le parti aura démontré sa maturité et aura déjoué les plans de division orchestrés par ses détracteurs.

Je tiens donc à réaffirmer solennellement que le MDR est déterminé à respecter et à faire respecter les Accords de Paix d'Arusha, à soutenir le processus démocratique, à promouvoir l'instauration d'un Etat de droit au Rwanda et à oeuvrer en faveur de l'unité et de la réconciliation nationales.

A cet effet, le MDR est ouvert au dialogue avec les autres forces politiques du pays en vue de trouver une solution juste et équitable permettant au pays de sortir de la crise actuelle et de se doter d'un gouvernement fiable et efficace.

II revient ainsi au Président de la République et aux autres Chefs de partis de mettre fin aux manoeuvres visant à exclure le MDR de la gestion de la période de transition. Ils doivent aussi cesser les actes d'intimidation, les menaces et autres formes de persécution envers les membres du MDR. De plus la censure envers le MDR érigée en système de gouvernement ainsi que les tracasseries de tous genres adoptées par le gouvernement actuel envers les membres du MDR doivent cesser immédiatement. II est en effet indispensable que soit créé un climat favorable au dialogue et à la recherche d'une solution juste et équitable aux problèmes que connaît actuellement notre pays.

Bruxelles, le 10/09/1993

Dr NSENGIYAREMYE,Dismas
Ier Vice-Président du MDR,
Ancien Premier Ministre du Rwanda.