CENTRE DE LUTTE CONTRE L’IMPUNITE
ET L’INJUSTICE AU RWANDA
BP 141  Bruxelles 3                                                                                                                   Bruxelles, le  10 avril 2006
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Lettre ouverte à Monsieur Armand De DECKER, Ministre de la Coopération belge au Développement.
 
Concerne : Les cérémonies du 6 avril 2006 devant le mémorial dédié à toutes les  victimes du
                  génocide rwandais sans aucune distinction.
 
Monsieur le Ministre,
 
            Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda (CLIIR) est indigné par votre communiqué de presse du 7 avril 2006 réagissant à la manifestation organisée le 6 avril 2006 par le COSAR (Collectif du 6 avril) en collaboration avec la SOCIRWA (Société Civile Rwandaise en exil) et le CLIIR. Le Centre est particulièrement peiné de lire que vous traitez les organisateurs de la manifestation de « négationnistes », sans aucune mise en relief de leurs motivations et en l’absence de toute déclaration dans leur chef, pouvant trahir un quelconque sentiment « négationniste », à moins que le mot n’ait été vidé de son sens.
 
Votre communiqué du 7 avril 2006, qui nous qualifie d’opposants rwandais négationnistes, confirme sans équivoque que vous n’oeuvrez pas pour la réconciliation des rwandais, mais plutôt pour un certain courant qui veut réécrire l’histoire de la tragédie rwandaise en fonction des intérêts du vainqueur de la guerre, en l’occurrence le Front Patriotique Rwandais et son chef le Général Paul KAGAME.
 
En effet, Monsieur le Ministre, comme notre Centre l’a toujours dit, la réconciliation du peuple rwandais ne sera possible que si les rwandais, toutes les composantes ethniques confondues, reconnaissent leur responsabilité dans le drame qui a frappé le pays au cours de la décennie 90. Et nous pensons que cette étape devrait être appuyée, entre autres,  par les pays qui hébergent les réfugiés,  surtout lorsque les rescapes du génocide, hutu, tutsi et twa, se mettent ensemble pour commémorer ce génocide qui a emporté autant de vies humaines innocentes.
 
Il est donc surprenant et regrettable, qu’un membre du gouvernement belge, qui s’est toujours défendu de tout parti pris, qualifie  de « négationnistes » des gens qui commémorent pacifiquement la mémoire des victimes rwandaises du génocide de 1994, sans distinction aucune et sans aucune provocation de qui que ce soit. Vous aurez remarqué au passage que les manifestants n’étaient d’ailleurs pas que Hutu, comme vous semblez l’insinuer.
 
Vouloir satisfaire les autorités politiques rwandaises en appuyant la commémoration faite par les exilés tutsis, qui ne pensent qu’aux seuls morts tutsi alors que tous les groupes ethniques ont été endeuillés par ce drame (le rapport de l’ONU qui a reconnu ce génocide parle d’ailleurs de génocide rwandais), ne fait que encourager la haine et les divisions entre les rwandais.  En tant qu’ancienne puissance coloniale, la Belgique devrait être la première à lutter pour une véritable réconciliation du peuple rwandais, qui transcende tous les courants et qui donne à chacun le droit de pleurer ses morts.
 
 Monsieur le Ministre, comme vous pouvez le constater vous même, le discours  annexé à la présente qui a été prononcé le 06/04/2006 au mémorial du génocide par le président du COSAR, Monsieur Albert Rukerantare, ne contient aucun élément de négationnisme du génocide. Dans la mesure où le drame a commencé le 06/04/1994 et non le 07/04/1994, nous ne voyons nullement en quoi commémorer le génocide rwandais le 06 avril constitue un négationnisme si grave au point de nécessiter le vote d’une loi au parlement.
 
Monsieur le Ministre,
 
En attendant de vous envoyer prochainement un mémorandum détaillé sur la nécessité d’un débat sans complaisance sur l’histoire du génocide rwandais, nous nous permettons de vous faire des observations suivantes :
 
1) Notre Centre estime que personne n’a le droit d’interdire aux rescapés Batwa et Bahutu du génocide rwandais à commémorer, en Belgique comme partout ailleurs dans le monde, la mémoire de toutes les victimes rwandaises, comme nous l’avons fait le 6 avril 2006. Ce qui est par contre interdit au Rwanda car les autorités imposent la commémoration des seules victimes Tutsi. Or, les victimes du génocide rwandais (terme utilisé par l’ONU) ne se résument pas aux seules victimes tutsi. Nous affirmons sans ambiguïté que ce génocide a emporté des milliers de personnes dans les trois ethnies du Rwanda.
 
Depuis le 6 avril 2005, le COSAR, en collaboration avec la SOCIRWA , organise chaque 6 avril une cérémonie pour honorer toutes les victimes (Tutsi, Hutu, Twa) du génocide rwandais. Ce que les rescapés tutsi, regroupés dans l’association « IBUKA, Mémoire et Justice », ne font pas le 7 avril de chaque année car ils sont préoccupés par les seules victimes tutsi.
 
La majorité de nos manifestants du 06/04/2006 sont des jeunes enfants qui avaient moins de 5 ans en avril 1994 tels qu’ils sont décrits dans la déclaration (annexée à la présente) de Monsieur Déo MUSHAYIDI, un rescapé tutsi qui s’est associé à ces cérémonies du 6 et 7 avril 2006.
 
Comme vous pouvez le lire dans son discours annexé à la présente, Monsieur Déo Mushayidi rappelle aux lecteurs de sa lettre ouverte qu’il a commémoré la mémoire des victimes le 6 avril 2006 pour des raisons évidentes suivantes :
 
« Parce que je considère que le 06/04/1994 restera à jamais tristement mémorable dans les annales de l’histoire politique du Rwanda ;
Parce que je suis intimement convaincu que l’attentat du 06/04/1994, en emportant les Présidents Juvénal Habyarimana du Rwanda et son homologue Cyprien Ntaryamira du Burundi sans épargner tout l’équipage de l’avion qui les transportait, aura déclenché des événements qui ont tout chamboulé dans ma propre vie et dans celles des millions d’autres tant au Rwanda que dans la région voire dans le monde entier.(…)
J’ai remarqué tant à Woluwé Saint Pierre qu’au Palais de justice, des enfants de 12 ans ou parfois moins. Des jeunes de 15 à 25 ans ou plus, visages perplexes reflétant une incompréhension au bord de la révolte. Je les ai observés et cela m’a donné à réfléchir.
Quel héritage politique, dans les conditions actuelles, entendrions-nous léguer à ces jeunes générations et à celles de demain ? Comment peut-on persévérer dans ces politiques irresponsables et criminelles qui figent ou poussent des personnes voire des pans entiers de la société dans des positions dangereuses ?
De manière diverse, bien que parfois maladroitement, les Rwandais, toutes catégories confondues, réclament de plus en plus un espace de dialogue. C’est qu’ils se sentent à l’étroit dans ces catégories imposées et convenues sans que personne n’ait cru nécessaire de recueillir leur avis. Ils étouffent sous cette chape de plomb sous laquelle ploie un peuple privé de parole et de liberté. Ils aspirent à la discussion et au débat. Ils veulent savoir et comprendre ce qui leur est arrivé... »
 
Monsieur le Ministre,
 
Il serait malsain pour un pays démocratique comme la Belgique , de proposer une loi interdisant à une partie des exilés rwandais de continuer les débats sur le génocide rwandais. Vous feriez exactement comme le régime de Kigali, qui interdit tout débat politique. Est-ce le signal que vous voulez donner aux jeunes démocraties ?
 
Cette tentative de museler une partie des rwandais vivant en Belgique est décrit par Déo MUSHAYIDI dans ces termes: «… Ce peuple tant manipulé, brisé et meurtri et sur lequel une classe politique irresponsable tente aujourd’hui de se décharger notamment à travers les « gacaca », cet instrument au service de l’Etat FPR  par lequel il croit, impunément, imposer une justice à sens unique. Ce peuple veut désormais vivre et vivre libre…).
 
2) Le FPR du président Paul KAGAME n’a pas arrêté le génocide mais il y a participé activement. Le seul pays qui a sauvé des Tutsi et des Hutu est la France qui a imposé avec l’accord de l’ONU une zone turquoise qui a permis aux réfugiés hutu d’atteindre l’ex-Zaïre alors que le FPR avait prévu de les anéantir à l’intérieur du Rwanda en les encerclant à Cyangugu et à Gisenyi. La France a sauvé également les survivants tutsi de la Zone turquoise.
 
L’histoire « truquée » du génocide permet d’exercer un chantage permanent sur l’Eglise catholique (décapitée depuis le 05/06/1994 par l’assassinat de 4 évêques et des dizaines de religieux) et sur la France parce que le juge antiterroriste Bruguière a mis en cause le Président Kagame dans l’attentat terroriste du 6 avril 1994. Seule une commission vérité, justice et réconciliation pourra déterminer les responsabilités des uns et des autres.
 
Déo MUSHAYIDI dénonce le musellement du peuple rwandais dans ces termes : Si sans distinction, tous ceux et celles qui osent bousculer ces schémas convenus (l’histoire truquée, ndlr) doivent être inculpés de négationnisme ou de révisionnisme du génocide de 1994, alors je devrais l’être et j’assumerai.
J’assume totalement mon geste (commémoration du 6 avril, ndlr) que je dédie à la mémoire de tous les innocents, de quelque bord qu’ils soient qui, sans haine ni rancune, ont péri injustement de la folie meurtrière de leurs semblables. Une folie encouragée et encadrée par un Etat indigne de ce nom, et par des belligérants qui tous, dans leurs choix politiques, tactiques et stratégiques, auront dramatiquement dépassé les bornes. Une folie face à laquelle, lâche et démissionnaire, cette même Communauté internationale semble aujourd’hui chercher à imposer aux Rwandais la dictature des vainqueurs, feignant d’ignorer qu’aucun armistice crédible ne fut signé dans la guerre du Rwanda ». 
 
Donc, « le grand ennemi de la vérité, est très souvent non le mensonge délibéré, artificiel et malhonnête, mais le mythe persistant, convaincant et irréaliste ». Cette définition, empruntée au président américain John Kennedy (dans son discours de remise des diplômes à l’Université de Yale, le 11 juin 1962) illustre très bien combien le mythe selon lequel le FPR a arrêté le génocide est le plus grand obstacle à la vérité, à la justice et à la réconciliation. Ce discours démontre ce mythe que le FPR et ses parrains ont imposé au monde entier.
 
 
3) Nous n’avons à aucun moment nié que les Tutsi aient été victimes du génocide rwandais de 1994. Mais nous ne pouvons tolérer que les autres victimes de ce génocide soient jetées aux oubliettes, comme si leur sang n’était pas aussi rouge. La discrimination des victimes Hutu et Twa du génocide rwandais telle que vulgarisée par l’ambassadeur du Rwanda en Belgique, Monsieur Joseph BONESHA est le véritable mal qui entrave toute réconciliation au Rwanda.
En effet, la déclaration de l'ambassadeur a été prononcée le 7 avril 2006 à l'ambassade du Rwanda à Bruxelles en présence de représentants de la Chambre et du Sénat belge, du Ministre belge de la Défense, mais aussi d'associations de victimes Tutsi du génocide et des membres de familles des dix paras assassinés au Rwanda. Cette cérémonie, qui a débuté par une minute de silence, aurait dû avoir lieu au rond-point Vandendriessche à Woluwe-Saint-Pierre. Mais pour le régime du FPR, le fait que des rwandais aient été au mémorial le 06 avril constitue une profanation.
Il a donc annoncé aux autorités belges que ce mémorial ne pourra plus, à ses yeux, représenter la mémoire des victimes du génocide, mais plutôt une humiliation posthume (...). Il a, dans la foulée, promis qu'une nouvelle stèle sera bientôt érigée à un autre endroit, sans donner plus de précisions.
 
4) Monsieur le Ministre,
Nous ne sommes pas les seuls à combattre cette discrimination des victimes du génocide par le régime FPR. Voici les propos du Colonel Luc MARCHAL qui a commémoré toutes les victimes rwandaises le 6 avril 2006 devant le mémorial du génocide à Woluwe St Pierre : « J'ai voulu exprimer mon sentiment à l'esprit de recueillement et au devoir de mémoire promus par les organisateurs de la commémoration qui m'ont invité… Quand on dit génocide, il faut aller au-delà de la période 1994, voire après la prise de pouvoir par le FPR, pour se rendre compte que des populations des deux côtés, hutu et tutsi, continuent à souffrir de massacres à grande échelle… Nous voulons savoir quel a été le facteur déclenchant du génocide ». Le COSAR, la SOCIRWA et le CLIIR ne cesseront jamais de réclamer la mise en place d’une « Commission vérité, justice et réconciliation » dont le président rwandais Paul Kagame et ses parrains occidentaux ont peur.
 
5) Comme la jeune démocratie burundaise se prépare à créer une commission vérité sur les massacres cycliques qui ont endeuillé le Burundi depuis 40 ans, vous devriez, en tant que Ministre belge de la Coopération au développement, aider le peuple rwandais à l’établissement de la vérité avant de proposer des lois qui punissent ceux qui refusent de se plier à une « histoire truquée » sur le génocide rwandais. Tous les millions d’euros que la Belgique débloque chaque année pour financer les juridictions GACACA ne serviront qu’à maintenir le peuple rwandais sous le joug d’une junte militaire que constituent les chefs militaires et politiques du FPR.
 
 
Enfin, nous vous informons de la manifestation pacifique prévue le Vendredi 21 avril 2006 de 13h à 15h devant votre Ministre pour dénoncer les erreurs que les autorités belges continuent de commettre dans le dossier rwandais. Car nous pensons que la Belgique peut faire mieux qu’intimider ceux qui veulent la vérité, la justice, la paix et la réconciliation. A cette occasion, nous vous informerons aussi que les Rwandais et Belges, décidés à commémorer toutes les victimes du génocide rwandais sans aucune distinction, sont prêts à violer n’importe quelle loi qu’ils estimeraient raciste, terroriste ou liberticide dès sa  promulgation. 
 
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, notre haute considération.
 
 
Pour le Centre, MATATA Joseph, Coordinateur.
 
Copie pour information :
 
-         Monsieur le Premier Ministre
-         Monsieur le Ministre ( tous )
-         Monsieur le Président du Parti ( tous )
-         Monsieur le Sénateur (tous)
-         Monsieur le Député ( tous )
-         Toutes les organisations qui s’intéressent à
       l’histoire du génocide rwandais