Justice. Les dérives du tribunal d’Arusha

Le 14/05/2006 à 7 h 00 - par Patrick Girard
 
Dans un livre solidement documenté, Thierry Cruvellier s’interroge sur le fonctionnement, plutôt chaotique, du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, établi à Arusha en Tanzanie et sur les arcanes de ce safari juridique.
En 1994, la communauté internationale a laissé les miliciens extrémistes hutus massacrer plus de 800 000 personnes, Tutsis et Hutus libéraux, au pays des Mille collines, sans songer à intervenir immédiatement pour empêcher les tueurs d’accomplir leur sinistre besogne. Prise de remords, elle a créé, une fois le sang séché, un Tribunal Pénal International chargé de juger les génocidaires qui seraient appréhendés dans les pays où ils avaient trouvé refuge. Le Kenya ayant refusé de l’abriter, en raison de ses rapports tendus avec les nouvelles autorités de Kigali c’est la Tanzanie qui a été choisie et, plus précisément, la ville d’Arusha, non loin du Kilimandjaro, qui disposait de l’équipement hôtelier suffisant pour accueillir magistrats, greffiers et enquêteurs, voire journalistes, assurés de pouvoir, durant leurs moments de loisir, faire quelques safaris les consolant de la morne vie nocturne d’Arusha.
Ledit Tribunal a eu beaucoup de mal à commencer son travail. La procureure canadienne, Louise Arbour, entendait en effet non seulement juger les génocidaires mais aussi ouvrir une enquête sur les circonstances de l’assassinat du président Juvénal Habyarimana, qui provoqua les massacres, et sur les exactions commises par le FPR (Front patriotique rwandais). Cela ne facilita guère ses relations avec le régime de Kigali. Quant aux premiers inculpés, certains furent l’objet de pressions pour interpréter un rôle qui leur vaudrait une amélioration de leurs conditions de détention, voire un verdict plus clément.
L’arrivée de sa remplaçante, Carla del Ponte, n’a rien changé à la dérive de l’institution, elle l’a même aggravée comme le montre, preuves à l’appui, Thierry Cruvellier dans le livre passionnant. Mais il est fort douteux que le TPIR en tire les conclusions qui s’imposent. Il ne faut pas troubler la quiétude des magistrats rendant la justice non pas au pied d’un chêne mais d’un frangipanier.
 
 
Thierry Cruvellier, Le Tribunal des vaincus. Un Nuremberg pour le Rwanda ?,
Calmann-Lévy, 280 p., 20, 50 euros