Le Rwanda juge infondée la demande du juge français de poursuivre son président

 


Le président rwandais Paul Kagame à Washington, le 31 mai 2006
© AFP/Archives Mandel Ngan

KIGALI (AFP) - mardi 21 novembre 2006 - 17h14 - Le Rwanda a catégoriquement rejeté mardi les recommandations explosives d'un juge français de poursuivre l'actuel président rwandais Paul Kagame pour sa participation présumée à l'attentat en 1994 contre l'un de ses prédécesseurs, Juvénal Habyarimana, dont la mort avait provoqué le génocide.

"Ces allégations sont totalement infondées. Le juge agit sur la base de ragots et rumeurs", a déclaré le ministre rwandais de la Justice, Tharcisse Karugarama. "Ce sont des jeux politiques plutôt qu'une procédure judiciaire".

Ces allégations sont d'autant plus inacceptables pouRr Kigali que l'attentat avait servi de déclencheur aux massacres contre la minorité tutsie, dont M. Kagame fait partie. Le génocide, dans lequel Kigali met régulièrement en cause le , a fait, selon l'ONU, environ 800.000 morts.

Le juge Jean-Louis Bruguière a recommandé des poursuites devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) contre M. Kagame pour sa "participation présumée" dans l'attentat contre l'avion de M. Habyarimana, un Hutu.

M. Kagame était à l'époque le chef de la rébellion majoritairement tutsie du Front patriotique rwandais (FPR), en guerre contre le régime hutu.

Parallèlement, le juge a demandé l'avis du ministère public sur les arrestations de neuf membres de l'entourage de M. Kagame dans le cadre de l'enquête, dont l'actuel chef d'état-major de l'armée James Kabarebe.


Le juge Jean-Louis Bruguière en conférence de presse à Londres le 14 novembre 2006
© AFP/Archives Bertrand Langlois

Jusqu'à présent, deux hypothèses étaient avancées dans cet attentat non élucidé: la première pointait du doigt les extrémistes hutus, opposés à un partage du pouvoir avec le FPR, la seconde mettait en cause des membres du FPR, dont M. Kagame.

Ce dernier a toujours nié que lui ou son mouvement aient été impliqués dans l'attentat, pour lequel la France a ouvert une enquête après dépôt d'une plainte par les proches d'un pilote français de l'avion.

Le Falcon 50, qui transportait notamment M. Habyarimana, avait été abattu le 6 avril 1994 par des missiles sol-air alors qu'il était en phase d'atterrissage au-dessus de Kigali.

Selon le juge, le FPR disposait de missiles anti-aériens SAM 14 et SAM 16 (utilisés lors de l'attentat), tandis que que l'armée régulière rwandaise n'avait que de faibles capacités anti-aériennes.

M. Bruguière a recommandé que M. Kagame soit poursuivi par le TPIR. Cependant il bénéficie de l'immmunité présidentielle jusqu'à la fin de son mandat en 2010.

Le TPIR est chargé de rechercher et juger les principaux responsables du génocide au Rwanda. Il est aussi "habilité à poursuivre les personnes qui commettent ou donnent l'ordre de commettre des violations graves (...) aux Conventions de Genève", dont "les actes de terrorisme" commis au Rwanda entre le 1er janvier et 31 décembre 1994.

Contacté par l'AFP, le TPIR, qui n'a jamais jugé de membres du FPR, n'avait pas réagi mardi aux recommandations du magistrat français.

Mais des avocats de la défense au TPIR se sont félicités. "Nous sommes soulagés de voir que les vrais responsables de cette tragédie seront vraisemblablement poursuivis", a commenté Me John Philpot.

Le précédent procureur du TPIR, Carla Del Ponte, avait annoncé fin 2000 que des investigations avaient été lancées pour mettre en accusation des membres du FPR, provoquant la fureur de Kigali.

Son remplaçant, Hassan Bubacar Jallow, affirme être en train d'évaluer les preuves collectées avant de décider d'ouvrir ou non des poursuites dans ce sens.

Les recommandations du juge Bruguière interviennent alors qu'une commission d'enquête rwandaise mène des recherches sur le rôle de la France dans le génocide.

Paris est accusé par Kigali d'avoir entraîné et armé les auteurs du génocide et d'avoir facilité la fuite des responsables des massacres dans le cadre de son opération militaro-humanitaire au Rwanda, ce que la France a toujours rejeté.