Rwanda:
Pas de conspiration, pas de planification de génocide… pas de génocide 
 

 

L'éditorialiste invité de "JURIST", Peter Erlinder, du William Mitchell College of Law, et avocat de la Défense au Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), déclare que si –comme le TPIR l'a décidé dans le procès "Militaires I"- les supposés « cerveaux », le colonel Théoneste Bagosora et les officiers supérieurs de l'Armée rwandaise sous ses ordres, n'ont pas élaboré de conspiration  ou de planification pour tuer des civils sur base ethnique, la tragédie qui engloutit le Rwanda en 1994 ne peut absolument pas être qualifiée à proprement parler de « génocide ».             

 Les rapports des organes de presse du jugement du 18 décembre à la Première Chambre au Tribunal Pénal International pour le Rwanda se sont essentiellement focalisés sur les condamnations de trois des quatre ancien dirigeants militaires de haut niveau, qui étaient les supposés « cerveaux » du génocide rwandais. Cependant, ainsi que le savent ceux qui ont suivi assidûment le TPIR, les condamnations de membres du gouvernement rwandais précédent et des militaires présentent à peine de l'intérêt pour le public.

    Depuis que le précédent Procureur en Chef du TPIR, Carla Del Ponte, et l'Enquêteur en Chef du Procureur Michaël Hourigan, ont rendu publiques en 2007-2008 les manipulations américaines et britanniques pour accorder une impunité de facto au président rwandais actuel Paul Kagame et à ses acolytes, de 1997 à la période actuelle, les condamnations des vaincus dans la guerre du Rwanda sont un fait réel. La réelle nouveauté était que TOUS les officiers militaires supérieurs rwandais étaient considérés comme non coupables de conspiration ou planification pour commettre un génocide. Et le général Gratien Kabiligi, un membre à haut niveau du staff général, a été acquitté de toutes les accusations. Les autres ont été jugés coupables d'actes spécifiques perpétrés par des subordonnés, en des endroits spécifiques, à des périodes spécifiques –pas une conspiration générale pour tuer des civils, plus ou moins des civils rwandais Tutsi-.

   Ceci soulève la question la plus essentielle : s'il n'y avait pas de conspiration ni de planification pour tuer des civils sur base ethnique, la tragédie qui a englouti le Rwanda en 1994 peut-elle encore être à proprement parler qualifiée de « génocide » ? Ou bien s'agissait-il plutôt d'un cas de civils surpris dans une violence de temps de guerre, comme le front de l'est lors de la Seconde Guerre Mondiale, plutôt que des tueries planifiées derrière les lignes dans les camps de mort nazi ? Le jugement du TPIR a mis en évidence la première option.

    La Cour a spécifiquement mis en évidence que les actions des autorités militaires rwandaises, tant avant qu'après l'assassinat du président précédent Juvénal Habyarimana en date du 6 avril 1994, étaient logiques avec des conditions de temps de guerre et le chaos généralisé, provoqué par la guerre d'invasion de quatre années, opérée à partir de l'Ouganda par l'armée du FPR du général Paul Kagame, lequel a pris le pouvoir en juillet 1994.

 Malgré le fait que la Chambre n'a pas spécifiquement mentionné des événements plus récents, il est remarquable de noter qu'il s'agit du même gouvernement qui a été cité dans un rapport du 12 décembre 2008, commandité par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, comme ayant envahi le Congo oriental (avec l'Ouganda) en 1996 et à nouveau en 1998, et ayant occupé un territoire quinze fois la taille du Rwanda depuis cette époque. Des rapports similaires du Conseil de Sécurité de l'ONU, en 2001, 2002 et 2003, montrent clairement que le rapt économique de l'est du Congo par le Rwanda et l'Ouganda, ainsi que la mort consécutive de plus de six millions de morts civils, sont depuis longtemps un « secret de Polichinelle ». Comme Avocat Principal de la Défense du Major Aloys Ntabakuze, qui a été condamné pour trois crimes spécifiques commis par des troupes, sans évidence qu'ils agissaient sous son autorité, je pourrais dire que le jugement est véritablement une victoire. Notre défense était basée sur des documents contemporains auparavant supprimés ainsi que sur des documents américains rendus accessibles au public, qui montraient le FPR de Kagame comme l'agresseur de temps de guerre qui fut responsable tant de l'assassinat du président précédent, que de l'empêchement d'une intervention  militaire pour mettre fin aux massacres prévisibles de civils.

   Le jugement oral du TPIR se réfère spécifiquement à cette explication « alternative » des événements tragiques au Rwanda, en étant une base pour rejeter les accusations de conspiration et de planification contre les chefs militaires précédents. Mais les documents montrent davantage. Dès le 17 mai 1994, le UNHCR a reçu des rapports de tueries de masse de civils par le FPR de Kagame dans le tiers du Rwanda qu'il occupait depuis le 22 avril. D'autres documents d'août, septembre et octobre 1994, décrivent une tentative délibérée par les nations Unies et les officiels du gouvernement des USA, d' « étouffer » les rapports sur les tueries du FPR, y compris des memoranda au Secrétaire d'Etat Warren Christopher. Apparemment, la politique américaine en vue de créer une « impunité » pour Kagame débuta dès qu'il prit le pouvoir. Si la « politique d'impunité » des USA n'avait pas eu lieu, Kagame aurait pu être poursuivi  en même temps que les accusés du procès Militaires-I, Bagosora et Nsengiyumva, ainsi que le Procureur du TPIR Michaël Hourigan l'a recommandé dès 1997. La responsabilité de Kagame dans l'assassinat de Habyarimana a été portée à la connaissance du Procureur du TPIR depuis ce moment au moins, si pas plus tôt. Si la « politique d'impunité » des USA n'avait pas pris place, Kagame aurait passé la dernière décade en attendant son jugement au TPIR, plutôt que de s'enrichir à partir des ressources du Congo, et du sang de millions d'Africains.

 Peter Erlinder est professeur au William Mitchell College of Law, à St. Paul, au Minnesota. Il est un ancient president de la National Lawyers Guild, un avocat principal de la Défense auprès du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, et le président de l'ADAD, l'Association des Avocats de la Défense du TPIR.