Quels acquis réels pour la troisième république rwandaise ?

Joseph Ndahimana

Hier c’était la date du onzième anniversaire du gouvernement FPR.  C’est dire combien le temps passe impitoyablement, sans se soucier des tergiversations de notre cheminement vers la conquête d’une vraie paix sociale.  Ainsi, l’année prochaine, le régime issu de « la libération » de 1994 aura le même âge que celui qui fit suite à « la révolution » de 1959. 

 

Mais, l’objet de mon propos ne sera pas d’établir un parallélisme entre ces deux régimes qui, quoiqu’ ayant des visées radicalement opposées, partagent fondamentalement la nature des revendications de légitimité : le premier disait avoir « libéré les Hutu du joug féodal tutsi », l’autre clame avoir « libéré le Rwanda et les Tutsi en particulier de l’emprise du régime raciste hutu ».  Selon cette vision binaire ethnique des choses, le régime de Habyarimana n’aura été qu’une continuité et un héritier naturel de son frère jumeau de la première république.

Hier c’était la date du onzième anniversaire du gouvernement FPR.  C’est dire combien le temps passe impitoyablement, sans se soucier des tergiversations de notre cheminement vers la conquête d’une vraie paix sociale.  Ainsi, l’année prochaine, le régime issu de « la libération » de 1994 aura le même âge que celui qui fit suite à « la révolution » de 1959. 

 

Mais, l’objet de mon propos ne sera pas d’établir un parallélisme entre ces deux régimes qui, quoiqu’ ayant des visées radicalement opposées, partagent fondamentalement la nature des revendications de légitimité : le premier disait avoir « libéré les Hutu du joug féodal tutsi », l’autre clame avoir « libéré le Rwanda et les Tutsi en particulier de l’emprise du régime raciste hutu ».  Selon cette vision binaire ethnique des choses, le régime de Habyarimana n’aura été qu’une continuité et un héritier naturel de son frère jumeau de la première république.

 

                        Le devoir d’une évaluation objective

 

Si aujourd’hui je suis de ceux qui souhaitent l’ouverture d’un débat franc sur les principaux sujets qui constituent les tabous de l’histoire politique rwandaise, c’est que je crois fermement qu’il est diabolique d’entretenir un silence forcé sur ces sujets.  Mais, je ne suis pas sans savoir qu’au stade actuel, le débat sur les choix stratégiques et les réalisations socio- politiques du régime en place ressemble souvent à une sorte de pugilat où les uns affirment que tout va absolument bien dans « le nouveau Rwanda » et les autres rétorquent que rien ne peut aller dans un pays où règnent la terreur et l’exclusion. 

 

La confrontation entre les deux principaux protagonistes de la dispute revêt même les caractères d’une croisade; à tel point que les fervents du nouvel ordre politique rwandais affirment être persuadés que ceux qui critiquent l’action du régime sont uniquement animés par une haine ethnique.  Ils affirment ainsi que certains Hutu, qualifiés d’extrémistes ou même de génocidaires, sont allergiques à l’idée d’être dirigés par un président tutsi. 

 

Mon point de vue est qu’effectivement la société rwandaise comporte en son sein quelques « fous de dieu », opposés radicalement au projet de la cohabitation pacifique entre toutes les composantes de la société.  Mais, à force de vouloir mettre tout le monde dans le même sac, on gonfle artificiellement le poids de ces marginaux qui se retrouvent tant parmi les Hutu que parmi les Tutsi.  L’autorité qui se laisse aller à ces états d’âme, au lieu de prouver son mérite par l’attitude et l’action, manque cruellement à son devoir de servir objectivement la nation.  Une telle autorité ne reconnaît pas la nécessité de la légitimation  de son pouvoir par le peuple.  Elle se comporte elle-même comme une victime ou un miraculé du génocide et à ce titre, elle s’impose en dictateur éclairé.

 

                        Les acquis souvent évoqués.

 

1.      Le rapatriement des réfugiés d’avant 1990.  L’épineux problème des réfugiés tutsi qui datait de 1959 a été l’une des manifestations majeures de l’échec de la révolution de 1959.  Ce fut aussi un bel argument pour dénoncer l’exclusion qui a frappé cette catégorie de Rwandais pendant des décennies, et un prétexte solide pour justifier la guerre de 1990.  Les arguments de la défense qui tentent de faire valoir des hypothétiques efforts qui auraient été déployés par le régime de Habyarimana pour régler ce contentieux avant le déclenchement de la guerre de 1990 ne résistent pas aux preuves de la mauvaise foi qui a caractérisé la méconnaissance active de ce problème, jusqu’au bout.

2.      L’unité nationale.  Même s’il faut reconnaître que le programme de l’unité d’un peuple est un processus qui ne peut se réaliser du jour au lendemain, au Rwanda on explique les réalisations actuelles en la matière par l’existence d’un gouvernement bi-ethnique, la suppression de la mention ethnique dans les documents d’identité, l’accès équitable à l’enseignement, l’ouverture formelle de l’accès de chaque Rwandais à son pays sans condition, l’absence apparente d’une propagande ethnique, etc.

3.      La sécurité.  L’absence de guerre constitue l’argument du régime en faveur de la paix et la sécurité sur tout le territoire national.

4.      Le développement.  D’aucuns reconnaissent que la ville de Kigali est splendide, comparée à ce qu’elle était avant le génocide et aux autres capitales d’Afrique.

5.      Les relations internationales.  Après le génocide de 1994, le Rwanda et le gouvernement rwandais en particulier ont pu compter sur la compassion et la solidarité internationale, en vue de la reconstruction du tissu social et économique.  Notre pays est ainsi devenu célèbre et ses officiels ont bénéficié d’une écoute attentive à travers des forums internationaux ou dans les démarches de relations bilatérales.  Le bénéfice du doute et un état de grâce sans limites ont été les attitudes générales du monde entier à l’égard du Rwanda.  A cela s’ajoutent les effets d’un sentiment de culpabilité largement répandu au sein de la communauté internationale, pour sa passivité devant l’accomplissement du génocide.  Mais, par-dessus tout, le régime de Kigali est assuré des soutiens tous azimuts émanant de lobbies américains et britanniques, dans le cadre d’une convergence structurelle d’intérêts et du parrainage dont le FPR a bénéficié de la part de ces lobbies, déjà à son stade de rébellion.

6.      La réconciliation nationale.  Comme l’unité nationale, le projet de réconciliation est considéré comme accompli et les symboles en sont notamment « l’intégration » dans l’armée d’éléments de l’ancienne armée déchue, le rapatriement de réfugiés hutu, et les tribunaux gacaca, présentés surtout à la communauté internationale comme une sorte de magie judiciaire, essentiellement  réparatrice.  

      

La fragilité des acquis de la libération de 1994.

 

 

 

 En décidant de livrer mon point de vue sur la fragilité des acquis du processus de reconstruction piloté d’une main de fer par le régime du FPR, je ne m’attends absolument pas à influencer par les belles paroles les choix vitaux des maîtres de Kigali.  C’est que tout simplement il serait infernal et contradictoire de ma part de ne pas mentionner ne fut-ce que le caractère virtuel et pour le moins superficiel des acquis en question.  Bien sûr, je n’ai pas non plus de temps ni d’énergie à perdre dans des combats inutiles visant à convaincre coûte que coûte des fanatiques de quelque bord que ce soit.  J’aimerais simplement solliciter des réactions en mesure de contredire mon assertion par l’apport d’éléments tangibles qui prouvent la solidité du processus en question.  Tout comme je suppose que des faits et des analyses plus pertinentes pourraient être apportés par d’autres pour étayer les miens.

 

  1. Le phénomène des réfugiés rwandais.  Le mérite du FPR d’avoir rapatrié les anciens réfugiés n’est que partiel.  En effet, le régime du FPR étant pratiquement l’image renversée du régime Kayibanda en matière de règlement des questions ethniques, il n’a pas pu rapatrier les anciens réfugiés sans provoquer un exode d’autres Rwandais.  S’il est vrai que la plupart de ceux qui ont fui  en 1994 ont été entraînés passivement dans une vague de l’exode général des structures de l’ancien régime, il n’est pas tenable, onze après, de justifier la méfiance des Rwandais à l’égard du FPR par le simple effet de la propagande des ténors du régime Habyarimana.  Affirmer que ceux qui refusent de rentrer craignent pour leur responsabilité dans le génocide est aussi un argument simpliste de globalisation qui persiste à vouloir passer sous silence le nombre de Hutu et de Tutsi innocents qui ne rentrent pas ou qui fuient le pays pour l’unique raison de l’existence au Rwanda d’une dictature sans égal dans l’histoire du Rwanda et du continent africain en général.
  2. L’unité et la réconciliation nationales.  Pour être crédible, le processus de réconciliation national en cours a besoin de plus que des pétitions de principes ou des slogans.  Je pense que tous les Rwandais, y compris le président Kagame, ont besoin d’être convaincus de la validité d’un processus fondé sur tout sauf l’engagement bien compris de tout un chacun à comprendre et rejeter à jamais les facteurs qui sont à la base de la discorde nationale.  Et ce n’est pas la simple suppression de la mention ethnique dans les documents d’identité ou l’étouffement du débat sur le contentieux ethnique qui convaincront qui que ce soit.  De plus, le président rwandais sait pertinemment que chaque Rwandais attend de sa part un message de paix et de pacification, mais jusqu’ici il se refuse à un tel exercice et ne cesse d’entretenir des propos menaçants à l’adresse d’adversaires mal définis.  Tout comme il n’est pas là sans mesurer l’ampleur de la problématique d’une justice à deux vitesses consacrée entre autres par son refus d’apporter un éclaircissement sur l’attentat détonateur du génocide ou la part du FPR dans le drame rwandais en général.  A moins d’espérer que seul le temps a le devoir d’arranger nos problèmes, il n’est pas facile de comprendre comment des paysans sont quotidiennement malmenés pour participation au génocide, alors que le FPR, détenteur du pouvoir et un des protagonistes du conflit qui a engendré la tragédie rwandaise ne daigne pas avouer la moindre part de responsabilité et s’exonère d’office de la comparution devant les tribunaux gacaca.  Ce fait suffit à lui seul à vider ces tribunaux de toute substance.  En effet, dans notre société traditionnelle, la priorité était accordée à l’intégrité morale des témoins et la garantie d’impunité ne pouvait pas être autant institutionnalisée.
  3. La sécurité au sens large du terme.  Le Rwanda est le pays totalitaire par excellence.  Ainsi, le président Kagame est le détenteur réel de tous les pouvoirs.  C’est lui qui choisit qui il protège et qui il laisse tomber.  Le gouvernement, le parlement et l’appareil judiciaire sont là pour l’embellissement.  D’aucuns se demandent si jamais le pouvoir en place prévoit à terme un programme de lutte contre la paupérisation et l’isolement des campagnes et des provinces périphériques du pays.  Les inégalités sont telles que le Rwanda ne compte plus de classe moyenne : plus de 80% du patrimoine national sont concentré dans la ville de Kigali et détenus par une poignée de richards couverts de près ou de loin au FPR.
  4. Les relations internationales.  Si l’on peut aisément comprendre le bien-fondé de l’élan mondial en faveur du Rwanda après le génocide de 1994, il n’est pas certain que le parrainage absolu du régime FPR par des lobbies essentiellement anglo-saxons aille dans le sens d’une coopération durable et qui tienne compte des aspirations légitimes du peuple rwandais.  En effet, tout compte fait, il apparaît nettement que le conflit rwandais qui a dégénéré dans un génocide et qui a été à l’origine de crimes contre l’humanité d’une ampleur incommensurable, a été en réalité la manifestation apparente d’une sorte de guerre des tranchées ( je ne veux pas l’appeler froide car elle ne l’a pas été) entre la France d’une part et les Etats-Unis et la Grande-Bretagne d’autre part, pour le contrôle de la région des grands lacs.  Depuis, une propagande systématique a stigmatisé la France pour son rôle dans le soutien des régimes Habyarimana et Mobutu.  Mais très peu de voix osent dénoncer le rôle néfaste joué par les deux autres puissances dans la déstabilisation de notre région.  Il en est de même de l’état de grâce interminable dont continue de bénéficier le régime FPR, sous l’impulsion anglo-saxonne.  Pire encore, le conflit rwandais a débordé nos frontières et a été volontairement exporté au Congo, avec des conséquences dévastatrices de pertes en vies humaines et sur la paix et la sécurité de nos voisins congolais.  Toujours avec la bénédiction anglo-saxonne.  

 

En définitive, je réitère ma conviction que seul un débat franc sur les problèmes fondamentaux de notre société et les remèdes à y apporter est à même de pouvoir éviter le pire à notre peuple et à chacun de nous le risque de devoir un jour supporter à lui seul les conséquences inévitables de l’étouffement de la liberté de pensée des Rwandais, au nom d’une bizarre volonté d’unité nationale.  Ce n’est pas en imposant la chanson des faux acquis d’une libération conditionnelle que nous parviendrons à réaliser l’objectif, pourtant noble et même incontournable, de l’unité entre les Rwandais.

 

Joseph Ndahimana