Point de vue sur GACACA

 

Nul ne peut se targuer de détenir la solution miracle au problème inextricable résultant du nombre impressionnant de personnes ayant été impliquées, de près ou de loin, dans le génocide rwandais de 1994. 

Une chose est sûre, les juges professionnels étaient débordés. Il fallait trouver une autre solution.  Le reproche que je fais au système actuel des GACACA au Rwanda c'est de n'être pas conforme à l'esprit des GACACA traditionnels.  Les GACACA traditionnels ne s'occupaient que des infractions mineures, tandis que les infractions considérées comme graves (tels le vol de gros bétail ou le meurtre) échappaient à la compétence des GACACA pour être confiées à la juridiction du Mwami ou de ses représentants (= juridictions étatiques). 

Lorsque le trouble social résultant d'une infraction est minime, point n'est besoin d'en confier le jugement aux juges professionnels.  Mais le choix opéré par le législateur rwandais est des plus irréaliste. Il procède d'une banalisation dangereuse du crime de génocide.  Si je devais ordonner les infractions en commençant par les plus graves, la liste se présenterait comme suit: 
1. Génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre;
2. Crimes de droit commun;
3. Délits;
4. Contraventions. 
Il n'est pas compréhensible que le jugement des délits et des contraventions, infractions les moins graves de toutes, soit confié à des juges professionnels, au moment où l'immense majorité des auteurs de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre sont jugés par des GACACA. C'est l'inverse qu'il eut fallu faire: confier le jugement des cas d'homicide involontaire et d'autres infractions peu graves aux GACACA, et réserver le jugement des crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre aux seuls juges professionnels.

 Il ne fallait pas désengorger les juridictions étatiques en les dessaisissant des crimes les plus graves pour en confier le jugement à des juges non professionnels, non indépendants et partiaux; il fallait plutôt les dessaisir des infractions mineures pour qu'elles s'occupent, au besoin exclusivement, du jugement des crimes les plus graves ayant été commis au pays des mille collines en 1994.  Car, il convient de ne pas perdre de vue la difficulté qu'avaient les juridictions étatiques pour juger tous ces accusés de génocide: 
1. la plupart des dossiers étaient vides;
2. les enquêteurs se sont avérés incapables de réunir les preuves.  Or, un juge professionnel ne peut (ou ne devrait pas) condamner sans preuve ou sur base d'un dossier vide. D'où le recours à la procédure d'aveux (souvent extorqués) et l'instauration des Gacaca, qui, eux, pourront condamner sans preuve (sur base de rumeurs, des on-dit, de la commune rénommée, des inimitiés familiales, ou des témoignages de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui était avec l'homme qui a commis le crime...).

 Il était également possible (et il eut été préférable) de confier à ces GACACA la seule tâche du rassemblement des preuves (l'instruction des affaires) tout en réservant le jugement de toutes les affaires à des juges professionnels.  Penses-tu sincèrement qu'André Ntagerura et Emmanuel Bagambiki, deux innocents acquittés par le TPIR, s'ils avaient été jugés par ces Gacaca que l'on connaît, auraient pu être acquittés? A moins d'être les protégés de Paul Kagame lui-même comme le sont aujourd'hui Boniface Rucagu et le Général Marcel Gatsinzi. Ceux-ci ne seront condamnés que si Paul Kagame décident de se débarrasser d'eux et ne le seront pas s'il a encore besoin d'eux. C'est tout le contraire de l'idée que je me fais de la justice. 

Le régime de Paul Kagame qui manipulait déjà les juges professionnels comme des marionnettes, manipulera encore plus facilement les Gacaca composés de juges non professionnels, non rémunérés, non formés, non indépendants, partiaux, incompétents...  Rien de bon ne peut sortir de ces Gacaca là.  Bonne soirée.  

Abatabizi bicwa no kutabimenya.

 NIKOZITAMBIRWA, 30-03-2005.