Le régime Akazu dans le chaos rwandais

 NDENGEYINKA

Colonel BEM Balthazar NDENGEYINKA

Le régime Akazu s’est installé au pouvoir dans un climat tendu de divisions. Il a pratiqué des divisions entre les Rwandais, desquelles il a profité pour renforcer son emprise sur le peuple rwandais. Même la guerre ne lui a pas fait pressentir le danger de son totalitarisme moderne. Jamais on ne l’a vu se remettre en cause, ni douter de sa capacité de conserver le pouvoir. Le pouvoir était devenu un droit inaliénable pour les dignitaires. Le garder, à tout prix, a été la seule vision pour les dignitaires du régime.

A. Le régime Akazu et la stratégie de division

1. Les événements de février 1973 et le coup d’état du 05.07.1973

a. Les précédents du coup d’état du 05.07.1973    

Le coup d’état a été précédé d’une période d’insécurité dont le point de départ a été localisé à l’université nationale du Rwanda (UNR). Les étudiants et élèves Tutsi du secondaire ont été chassés des écoles. D’autres, des Hutu douteux ont été sommés de rentrer chez-eux apporter une pièce justificative, autrement dit le fameux Ibuku pour prouver l’authenticité de leur sous population hutue (y compris des enfants du président Grégoire Kayibanda). Des fonctionnaires Tutsi ont été chassés de leurs postes, et le mouvement a atteint des zones rurales. Il y a eu des morts, des sinistrés et des réfugiés dont un nombre important d’intellectuels (étudiants et fonctionnaires), avant le calme relatif. Tout le monde est d’accord que ce n’est pas du jour au lendemain que des étudiants hutus, assurés de toute impunité, se sont mis soudain à chasser leurs collègues tutsis des établissements scolaires, se déplaçant de jour avec une logistique assurée sur toute l’étendue du territoire rwandais. Ils faisaient le job de quelqu’un de plus puissant.

 

Faute de débat, des gens, surtout en rapport avec des Banyakazu, continuent à croire en la thèse de Habyalimana qui avait déclaré après son coup d’état, que c’était son prédécesseur Kayibanda, qui avait fomenté les troubles, le motif étant de créer les conditions favorables pour modifier la constitution rwandaise, afin de pouvoir se maintenir au pouvoir. Au contraire, d’autres pensent que ce sont des officiers du camp Habyalimana qui ont fomenté les troubles pour pouvoir justifier le coup d’état. La thèse est appuyée par des arguments suivants :

b. L’implication directe du lieutenant colonel Alexis Kanyarengwe

Enfin, une autre preuve matérielle qui dément les dénégations des Banyakazu est que des étudiants de l’école d’officiers ont vu, de leurs propres yeux, Alexis Kanyarengwe entrain d’afficher, sur la porte d’entrée de la SIRWA, une liste d’employés Tutsi devant déguerpir. C’est le service central des renseignements dont il était directeur général qui établissait ces listes-là. Il y avait beaucoup de Tutsis travaillant à la SIRWA, et il n’y avait de volontaires pour aller afficher ces listes-là. C’était au petit matin (= mu gitondo kare cyane). Il y avait, à l’école des officiers, un exercice physique qu’on appelait le cross matinal. Il se faisait avant le début des cours, chaque jour. C’est donc en cross matinal, juste en tournant au grand rond point de Kigali, que des étudiants de l’école des officiers ont vu de leurs propres yeux Alexis Kanyarengwe entrain d’afficher cette liste. Ils l’ont bien vu et bien observé. C’était bien lui. C’est ainsi qu’ils nous ont informé que sans nul doute, les gens qui étaient entrain de chasser les Tutsis des écoles et des entreprises étaient coordonnés par des militaires en général et en particulier par le service central des renseignements dirigé par Alexis Kanyarengwe.

c. La roublardise de Juvénal Habyalimana

Il est dit au Manuel d’Histoire politique et sociale du Rwanda contemporain, Tome 1, page 415 (Mureme, 2012), ce qui suit : « Conscient de leurs intentions, le président Kayibanda décida de désorganiser la conspiration en déclenchant la procédure de révocation de Kanyarengwe et Nsekalije. Habyalimana s’y opposant, arguant qu’il n’y avait pas de preuves. Sur pression de la Belgique en tant que pays ami et pilier principal de l’armée rwandaise, Kayibanda renonça à leur révocation, mais décida de séparer les trois officiers suspects et les affecta à l’intérieur du pays. Le 23 mars 1973, Kanyarengwe fut nommé recteur du petit séminaire catholique de Nyundo. Le 26 mars 1973, Nsekalije fut détaché auprès de l’office national du tourisme et le major Benda Sabin nommé directeur de l’usine à thé Shagasha ». Tout cela est vrai. Il convient d’apporter au récit de cet évènement un élément nouveau très important. Au fait, c’est Juvénal Habyalimana qui catalysait tout cela. Il bloquait Grégoire Kayibanda et poussait la Belgique à faire pression sur lui. Ces transferts étaient un piège tendu à Grégoire Kayibanda.  Malgré tout, ils ont continué la déstabilisation du régime, ni vu ni connu. Paradoxalement, en raison de sa duplicité, et avec l’aide de la Belgique, Habyalimana fut promu général major le 1er avril 1973. De nouveau Grégoire Kayibanda était fatalement piégé en promouvant un traître. 

La preuve que c’était Juvénal Habyalimana qui catalysait tout cela, est que c’est lui-même qui a préparé, pour Grégoire Kayibanda, les arrêtés présidentiels de transfert et qui les a contresignés en qualité de ministre de la garde nationale et de la police. Comment connait-on cela ? Le secrétaire particulier de Habyalimana était le premier sergent-major Sebutiyongera. Il est à signaler qu’ils partiront ensemble à la présidence de la République. Il a été son secrétaire particulier permanant. Bref, Habyalimana lui a demandé de lui montrer comment on tape une lettre. Donc, il ne voulait pas que même son secrétaire particulier le sache. Intrigué, Sebutiyongera piégea Habyalimana. Il lui apprit très bien tout, mais lui fila des papiers lettres, des carbones usagés, un carbone neuf caché dedans et un papier duplicateur derrière. Il lui expliqua que le truc consiste à taper, à retirer tous ses papiers, puis à lui remettre ses carbones de travail. C’est comme cela que, en déchiffrant tout sur le carbone neuf, Sebutiyongera fut au courant de tous les transferts secrets en cours. Après quoi, Habyalimana alla signer les documents en aparté conjointement avec Grégoire Kayibanda. J’ai appris d’avance tout cela par un camarade de ma classe qui s’appelait Théoneste Ntuyahaga. On était sergent à ce moment-là, en 1973. C’était un grand ami à moi. À la fin des cours, il me prit à part et me dit : « Surtout, ne sors pas, ce soir ». « Pourquoi ?, lui demandais-je ». « Il y a des choses qui vont être dites à la radio et des personnalités importantes vont être virées », me dit-il. Effectivement, le même soir, c’a été publié à la radio. Peu après, on entendit un autre communiqué radiophonique nommant plutôt Aloys Nsekalije ambassadeur du Rwanda au Zaïre ou quelque chose dont je ne me souviens plus. Cependant, pour des raisons que j’ignore, Nsekalije n’est pas parti au Zaïre. Les préparatifs étaient toujours en cours. En tout cas, le jour du coup d’état, Nsekalije était bel et bien à Kigali et il a été l’un des grands concepteurs les plus déterminés du coup d’état du 05 juillet 1973, de beaucoup plus déterminé que Juvénal Habyalimana. Enfin, il est à préciser que c’est mon copain Théoneste Ntuyahaga qui m’a finalement relaté l’exploit de Sebutiyongera qui était un proche à lui.

d. Le putsch

La nuit du 04 au 05 juillet 1973, le général major Habyalimana renverse le président Grégoire Kayibanda et instaure un régime militaire. Des hauts dignitaires du régime, des officiers, sous-officiers et hommes de troupe sont arrêtés, chassés de leur boulot. D’autres sont renvoyés et consignés dans leurs communes d’origine. Le nouveau régime les accuse d’avoir fomenté les troubles du début de l’année, et du projet d’assassinat sur les hautes personnalités et officiers du Nord. Tous ceux qui ont été touchés par ces différentes mesures proviennent tous, des 7 préfectures désormais dites « Sud ». Il est quand même à faire remarquer le cas de l’ex-capitaine Joachin Muramutsa, auteur de la tentative de coup d’état de 1968. Cet ancien officier de la 2ème promotion de l’École d’Officiers (= E.O.) a passé deux mois en prison. En 1980, il a de nouveau été emprisonné avec le groupe Lizinde. En 1994, alors qu’il était bourgmestre de la commune Muhura, et membre du MRND, il a été assassiné au début des troubles d’avril 1994 par des gens en uniformes, – venus de Kigali-, qu’on dit être des militaires.

2. Une junte militaire sans projet de société et partant sans programmes politiques

Le coup d’état du 05 juillet 1973 a été planifié. Les militaires Bakiga voulaient le pouvoir et ils le voulaient tout entier et absolu. Ils y étaient encouragés par divers intervenants étrangers qui ne voulaient pas Grégoire Kayibanda à la tête du Rwanda. L’aspect non militaire de ce thème a été bien traité et bien analysé par Bonaventure Mureme K. dans son Manuel d’Histoire politique et sociale du Rwanda contemporain. Ici, je vais traiter l’aspect militaire du thème en question.

a. Le déroulement du coup d’état du 05 juillet 1973

Dans son Manuel d’Histoire politique et sociale du Rwanda contemporain, Tome 2, de la page 438 à la page 477, Bonaventure Mureme K. a bien fait le récit du coup d’état égoïste du 05 juillet 1973 et la fin tragique du président Grégoire Kayibanda alias Se-Bwigenge Umubambuzwashakwe. J’y reviens juste pour insister sur le déroulement du coup d’état du 05 juillet 1973. Ce n’est pas le comité pour la paix et l’unité nationale qui a commis le coup d’état, mais plutôt un groupuscule d’individus qui ont ensuite convié d’autres à la table du festin. C’a été un cafouillage lamentable. Le partage du butin a suscité des rancœurs tenaces. Petit à petit, Juvénal Habyalimana raflera toute la mise.

b. Les concepteurs du coup d’état du 05 juillet 1973

En un mot, le coup d’état a été planifié. Les officiers Bakiga l’attendaient très impatiemment. Juvénal Habyalimana s’y était longtemps préparé mais, à la dernière minute, il avait peur. Et c’est Aloys Nsekalije qui l’a talonné, appuyé en cela par Alexis Kanyarengwe et Théoneste Lizinde. Alexis Kanyarengwe était officiellement à Nyundo mais, depuis sa manifestation outrancière du 01 juillet 1973 au stade national de Nyamirambo, il ne quittait pratiquement pas Kigali et intriguait tout le temps, partout et en tout lieu, par tous les moyens possibles. On ne fait pas des choses pareilles sous les yeux du chef de l’état pour retourner croiser les bras à Nyundo. Lizinde Théoneste, l’enfant terrible du Bugoyi, a apporté beaucoup de fougue à la conspiration. Voilà l’âme du coup d’état du 05 juillet 1973.

c. Les principaux exécuteurs du coup d’état du 05 juillet 1973

d. Le partage désordonné du butin

Pour les putchistes Bakiga, seul comptait le contrôle de l’appareil de l’état. La société rwandaise, ça ne voulait rien dire. Ils n’avaient donc pas de projet de société et ils n’étaient même pas unis. Bien entendu, on ne donne pas ce qu’on n’a pas. Dans ces conditions, il est inutile de parler de comité pour la paix et l’unité nationale. Il n’était pas cohérent. Il était artificiel. Excepté Habyalimana, Kanyarengwe, Aloys Nsekalije, Bonaventure Ntibitura, Laurent Serubuga, les autres membres sont mis devant le fait accompli. C’est après le coup d’état que des hélicoptères sont allés les chercher toute la nuit : Benda Sabin, à Cyangugu ; Ruhashya Épimaque, à Ruhengeli ; Bonaventure Buregeya, à Butare ; Aloys Simba et Fabien Gahimano, à Kigali. Quant à Jean-Nepomuscène Munyandekwe, se sachant Munyagitarama, il était entrain de prendre la fuite et c’est à Gikondo qu’il a été arrêté. C’est en garde à vue, -blessé par ceux qui l’avaient arrêté-, qu’il entendait à la radio qu’il avait participé au coup d’état, main dans la main avec ses dix autres camarades du 05 juillet 1973. Le communiqué du coup d’état était lui-même une tromperie. Le comité se voulait national alors qu’en réalité, il ne l’était pas. C’était un coup d’état régionaliste et tribaliste.

À peine regroupés à Kigali, ils se précipitent sur des fauteuils. Habyalimana court s’asseoir dans le fauteuil présidentiel de Grégoire Kayibanda ; Aloys Nsekalije, dans celui du ministre de l’intérieur et des affaires judiciaires ; Laurent Serubuga, dans celui du ministère de la coopération internationale et ainsi de suite. C’est Alexis Kanyarengwe qui s’affiche le dernier. Il arrive au ministère de l’intérieur et des affaires judiciaires, y trouve Aloys Nsekalije et, en tant qu’ancien, lui montre la porte de sortie. Nsekalije va au ministère de la coopération internationale, y trouve Laurent Serubuga et fait de même. Serubuga va au ministère de la famille et du développement communautaire, s’y installe et se contente de ça – et ainsi de suite. Le gouvernement intérimaire fut donc lui-même une grande bataille. Il était anormal et irrégulier. Il en résulta des frustrations quand vint le moment de mettre sur pied un gouvernement normal et régulier, le 01 août 1973. Seuls furent maintenus en place Alexis Kanyarengwe et Aloys Nsekalije en tant que concepteurs intouchables du coup d’état. Comme il fallait cacher officiellement le régionalisme et le tribalisme de la junte militaire, il a fallu des ministres Banyenduga et un ministre Tutsi. C’est comme ça qu’Aloys Simba devint ministre de l’information ; Pierre-Célestin Rwagafilita, ministre de la Jeunesse. En conséquence, Théoneste Lizinde devint directeur général du service central des renseignements ; Bonaventure Buregeya, secrétaire général de la présidence de la République ; etc. De ce fait, Rwagafilita et Lizinde, qui appartenaient à la 3ème promotion, devinrent plus importants que certains camarades du 05 juillet 1973. Être membre du comité pour la paix et l’unité nationale devint un titre honorifique.

À la fondation du MRND, le comité pour la paix et l’unité nationale dut être dissout. Comme le secrétaire général du MRND allait devenir le n° 2 du régime, Kanyarengwe et Nsekalije s’attendaient à exercer cette fonction, l’un à défaut de l’autre. À la surprise générale, Habyalimana nomma un civil, en l’occurrence Bonaventure Habimana. C’était finalement la preuve que Habyalimana avait décidé de rafler toute la mise et de ne travailler qu’avec des serviteurs très obéissants. Il tourna la page de la camaraderie et s’enfonça dans le totalitarisme moderne, au très grand mécontentement des véritables concepteurs du coup d’état. Il les écarta tous, un à un. Plus il les écartait, plus ils le haïssaient et haïssaient ses marionnettes profiteuses. Alexis Kanyarengwe et Aloys Nsekalije ne restaient plus que de simples ministres que Habyalimana ne daignait, même pas, recevoir. Habyalimana était un homme malhonnête, mobile et versatile. Il est un proverbe Kinyarwanda qui dit : « Akabuliye mu isiza ntikabonekera mu isakara = qui sème le vent récolte la tempête ».

Voilà comment les quatre concepteurs du coup d’état, à savoir Habyalimana, Kanyarengwe, Nsekalije et Lizinde, sont devenus des porte-malheurs au peuple rwandais. Ils devinrent entre eux-mêmes des ennemis mortels : d’un côté, Kanyarengwe, Nsekalije et Lizinde et de l’autre côté, Habyalimana. Les trois premiers juraient, -peu importe la suite-, de détruire la tyrannie militaire de Juvénal Habyalimana qu’ils surnommaient « Bihehe » et ils y sont parvenus. C’est bien dommage.             

e. La gestion de l’après coup d’état

1°. Les raisons déclarées du coup d’état

Le coup d’état a été suivi d’une importante propagande mensongère destinée à faire croire que Habyalimana venait de faire l’objet d’une tentative d’assassinat perpétré dans la résidence du président Kayibanda ; que d’autres officiers du Nord figuraient sur la liste des candidats à la mort. Différents auteurs, surtout le chercheur Bonaventure Mureme K. ont décrit clairement le déroulement des évènements. Ils ont ainsi prouvé suffisamment que c’est un mensonge grossier qui ne persistait que parce que les auteurs du coup d’état avaient interdit le débat. Il a été dit par exemple que c’avait été le capitaine Bizimana André qui avait tenté d’arrêter Habyalimana ; que, étant bâti en hercule, celui-ci lui avait échappé grâce à sa force musculaire. Pourtant, lorsqu’on compare cette version au déroulement de l’arrestation du capitaine Bizimana quelques instants plus tard, la version du général Habyalimana s’écroule. L’arrestation a été effectuée par le premier sergent-major (grade en 1973) Guillaume Mbonigaba, un sous-officier mécanicien, (frère aîné du major Rwendeye). Selon sa version, il s’est présenté chez le capitaine Bizimana (en face de l’école belge), a frappé à la porte, et Bizimana lui a ouvert la porte. Le sous-officier lui a dit que le général major Habyalimana voudrait le voir d’urgence à l’état-major. Le capitaine Bizimana est rentré dans la maison, s’est bien habillé, a pris un carnet de notes et est sorti. Il est allé vers sa voiture, mais le sous-officier lui a proposé de le prendre dans sa jeep, ce que Bizimana a accepté de tout cœur et par acquis de conscience (= n’umutima ukeye). Il ne se doutait de rien (= preuve qu’il n’avait rien commis de mal la veille). Le sous-officier l’a installé sur la place de convoyeur et s’est mis lui-même au volant. Bizimana n’a pas fait attention tout de suite. C’est à Nyabugogo, à la sortie de la ville de Kigali, qu’il s’est rendu compte qu’ils n’avaient pas pris la direction de l’état major, mais plutôt celle de Ruhengeli. Il s’est mis à rouspéter. C’est alors qu’on lui a mis des menottes.

2°. Les arrestations et assassinats des prisonniers

Les arrestations se sont passées en deux vagues : la première dans la semaine suivant le coup d’état, et la deuxième, quelques mois plus tard. En 1975, il a été organisé à Ruhengeli un simulacre de justice. Une partie seulement des prisonniers (dont Grégoire Kayibanda) y a eu droit. Des sentences allant jusqu’à la peine capitale ont été prononcées. Il s’en suivit une histoire terrible et épouvantable. Les prisonniers ont été assassinés dans les conditions absolument abominables : privation d’eau et nourriture, achèvement par fracassement des crânes, ou par balle pour les plus chanceux. Une femme, la sœur du capitaine André Bizimana aurait battu le record de résistance. Elle aurait passé plus de jours que tous les autres (60 jours) sans boire ni manger, avant de mourir d’arrêt cardiaque.

. Le président Grégoire Kayibanda

1). Confidences du lieutenant Grégoire Mutabaruka

Le lieutenant Mutabaruka est un officier de la 10ème promotion, originaire de Byumba. En 1975, il commandait la compagnie Gitarama, et à ce titre, chargé de la gestion du prisonnier Grégoire Kayibanda. Un jour, le commandant Sagatwa Elie vint le voir et lui proposa d’assassiner l’illustre prisonnier. Mutabaruka, paniqué, lui demanda quelques jours de réflexion. Il est allé se confier à Mr Seminega, ancien président de la cour suprême (dans le régime Kayibanda), lui aussi originaire de Byumba. Celui-ci a compris le dilemme de l’officier : soit, il refuse la suggestion, et risque pour sa vie ; ou il accepte et il portera le crime sur sa conscience toute sa vie. Il lui conseilla d’exiger un ordre écrit. Le commandant Sagatwa revint et Mutabaruka lui exigea un ordre écrit. Sagatwa rentra à Kigali en promettant de revenir avec le document. À la place du document promis, il fut muté pour Kigali et fut remplacé par le lieutenant Papias Kandekwe. Grégoire Kayibanda est mort quelques temps après. En 1977, le lieutenant Mutabaruka remplissait toutes les conditions pour monter au grade de capitaine. Il fut surpris de ne pas passer, et soupçonna la cause « non évoquée et non évocable » soit le refus opposé à l’ordre de Sagatwa. Il ne broncha pas, et on ne lui dit rien non plus. L’année suivante, il reçut une excellente côte, mais ne passa pas non plus. Alors vint la visite d’inspection officielle du ministre de la défense (général major Habyalimana) à l’état major et dans toutes les unités de l’armée rwandaise. Le lieutenant Mutabaruka se confia à un officier de la 9ème promotion habitué aux tracasseries de l’éternel chef d’état-major adjoint, le lieutenant-colonel Laurent Serubuga. Beaucoup pensaient encore que Habyalimana était un saint homme, que le méchant c’était Serubuga. Au fait, Serubuga était à la fois un homme cruel et une vraie marionnette. L’officier lui conseilla d’exposer son problème verbalement, au général major Habyalimana, en présence de Serubuga, afin de les obliger à échanger sur son cas en sa présence. Après l’exposé du lieutenant Mutabaruka, Habyalimana passa la parole à Serubuga, qui déclara que le lieutenant Mutabaruka avait été victime d’une erreur d’oubli. Il obtint ainsi son grade de capitaine. Et même dans cette circonstance, Habyalimana cherchait à paraître comme un saint homme. Serubuga et Sagatwa étaient ses boucliers.

2). Confidences du caporal Giti (ce n’est pas son vrai nom)

Le caporal Giti, est originaire de Byumba. Affecté à la compagnie Gitarama, il faisait partie de l’équipe des militaires qui gardait la maison de Grégoire Kayibanda au moment de son assassinat. D’un côté d’après Bonaventure Mureme Kubwimana, Grégoire Kayibanda a été assassiné en plein milieu de la matinée du 15.12.1976 par Élie Sagatwa aidé par des militaires qui gardaient la maison dont Giti. D’après l’aveu personnel trop peiné de Giti, qui faisait partie des bourreaux, ils ont achevé Grégoire Kayibanda en lui cassant les côtes avec leurs bottines (= kunyukanyuka). Après la sale besogne, les bourreaux furent arrêtés d’une manière trompeuse puis touchèrent une avance de deux ans sur leurs soldes (comprendre salaire) et furent renvoyés dans leurs communes natales respectives, avec interdiction de les quitter. D’après Mureme, leur arrestation en début de l’après-midi du 15.12.1976 n’était qu’un simulacre d’arrestation. Après deux ans de chômage, Giti alla supplier un entrepreneur belge qui venait d’ouvrir un chantier dans sa commune, de l’embaucher comme veilleur, car il ne pouvait pas quitter sa commune. C’est dans ce cadre strictement rassurant que Giti a finalement confié en détail son secret de Polichinelle à l’Histoire du Rwanda. En récolant toutes les versions, surtout celle de l’historien Mureme et celle du bourreau Giti, Grégoire Kayibanda a été étranglé en plein milieu de la matinée du 15.12.1976 par Élie Sagatwa. Puis des militaires qui gardaient sa maison et dont faisait partie le caporal Giti l’ont effectivement achevé en lui cassant les côtes avec leurs bottines (= Kunyukanyuka). Donc les deux versions convergent.

. Les autres prisonniers

Les autres prisonniers ont été sortis des prisons de Kigali, de Ruhengeli et de Gisenyi puis exécutés.

1). Confidences du commandant François Burasa

Un jour de 1977, au cours d’une séance de l’Umuganda, un officier nous annonça que le commandant Burasa avait été interné au centre psychiatrique de Ndera. Le capitaine Appollinaire Bikolimana répliqua tout haut, que ce n’était pas une maladie ordinaire, qu’il était assailli par les âmes des prisonniers politiques qu’il avait assassinés. Il s’en est suivi un silence significativement lourd. Burasa fut vite transféré en Belgique. Là, les médecins lui signifièrent qu’il avait quelque chose sur la conscience, probablement du sang innocent. Ils lui conseillèrent d’en parler pour soulager sa conscience. C’est alors qu’il commença à parler à tous ceux qui lui rendaient visite, des méchants Habyalimana, Zigiranyirazo, Serubuga, Lizinde, qui l’avaient impliqué dans les crimes, de sorte qu’il en fût tombé malade, alors qu’eux-mêmes restaient sains. Sur ce, il fut rappelé d’urgence au Rwanda, renvoyé de l’armée, et consigné à résidence surveillée dans sa commune natale, où il est resté durant quelques années. Après son rétablissement, il fut ramené à Kigali où il trouva du travail dans le secteur privé. 

2). Confidences du capitaine Habyalimana Simon (alias Kajyunguli)

Le capitaine BEM Habyalimana était G2 EMAR (chef du bureau des renseignements à l’état-major de l’armée rwandaise). Un jour, il s’est présenté chez sa maîtresse (Tutsie) à Nyamata en Bugesera et lui fit sentir le bout du canon de son pistolet. Celui-ci sentait la poudre. Il lui expliqua qu’il venait d’utiliser son pistolet en tuant des gens. En fait, le matin, sur le chemin vers le Bugesera, il avait croisé le capitaine Rwabakika et ils s’étaient brièvement parlé. Rwabakika remarqua que deux jeeps bâchées qui le suivaient se balançaient, pourtant à l’arrêt. Très étonné, il lui demanda quelle sorte de chargement il avait. Au lieu de lui répondre, il interrompit la conversation et démarra en trombe, suivi par les jeeps. Le lendemain, le lieutenant Alphonse Baliyanga, commandant de la toute nouvelle compagnie « Garde présidentielle » a été vu hors de lui-même, se lamentant contre le capitaine Simon Habyalimana qui aurait utilisé des militaires de son unité sans son autorisation ni son avertissement. Un jour après, des passants découvrirent des cadavres flottant dans la marre bien connue dite « Urwobo rwa Bayanga » en Bugesera. Ils transmirent vite l’information au camp militaire de Gako. Le capitaine François Munyengango, accompagné de quelques officiers se rendirent sur place. Ils reconnurent les cadavres comme étant ceux des officiers Banyenduga enprisonnés. Ils avaient été exécutés par arme de calibre 9mm (les douilles ont été retrouvées sur place). Choqué, il ne s’est jamais remis complètement du choc. Aurait-t-il vu le corps de son beau-frère, le capitaine Gallican Nyamwasa ? Quelques années plus tard, Alphonse Baliyanga et Mutabaruka, -tous deux de la 10ème promotion de l’école des officiers-, moururent dans des accidents de la route étrangement semblables. Baliyanga mourut au volant de sa voiture à Shyorongi, apparemment à petite vitesse. On dirait que son cœur avait brusquement arrêté de battre. Mutabaruka mourut non loin du camp militaire de Gako, au volant d’une jeep militaire. Il venait du camp et rejoignait son unité à Kibugabuga. La jeep aurait dévié étrangement de la route.

3). Confidences du caporal Rekerayo (ce n’est pas son vrai nom)

Le caporal Rekerayo appartenait à la compagnie de Ruhengeli, commandée par le capitaine Stanislas Biseruka, et avait fait partie de l’équipe des bourreaux. Le jour du prononcé du premier procès contre le major Lizinde en 1982, il m’a fait la confidence suivante. Je commentais que Lizinde subissait le même sort qu’il y avait quelques années, lui-même avait fait subir aux autres. Il me dit que juste avant son exécution, le capitaine André Bizimana leur a donné un message à transmettre au major Lizinde : « Je sais que c’est toi qui nous envoie à la mort et que c’est pour le pouvoir. Je te connais. Tu aimes trop le pouvoir. Je parie qu’avant 20 ans, tu nous auras rejoint ». Il me révéla que l’équipe des bourreaux était composée de militaires choisis par le commandant d’unité Stanislas Biseruka originaire de Gisenyi et que tous étaient originaires de cette même région. Les exécutions ont eu lieu en plusieurs vagues. Chaque fois un télégramme désignant les prisonniers à exécuter venait de l’état-major et émanait de Laurent Serubuga. Nuitamment, les bourreaux allaient chercher les prisonniers, et les amenaient sur le lieu du supplice. Ils creusaient une fosse commune, puis les exécutaient en leur fracassant les crânes, en commençant par les plus haut-gradés. Il y a même eu un rescapé, en l’occurrence un sous officier originaire du Mayaga. Juste avant son exécution, un télégramme est venu de l’état-major, ordonnant de l’épargner, s’il était encore en vie.

4). Les pensionnaires de la prison de Gisenyi

Les prisonniers ont été assassinés, et enterrés dans une fosse commune dans un cimetière populaire non loin de la route Bigogwe-Gisenyi (ancien tracé). Des riverains ont signalé que la préfecture a fait creuser la fosse commune où on a ensuite amené des cadavres par véhicules de l’état. Ils ont précisé que les cadavres étaient ligotés et appartenaient à des gens inconnus dans le secteur.

. Gestion de l’ « après- assassinats des prisonniers»

Les assassinats ont impliqué tellement de gens que des fuites étaient presque immédiates. On dirait que les donneurs d’ordre d’exécution étaient assurés de l’impunité. Ils paraissaient même se foutre de l’opinion des proches des victimes, et le plus étonnant, de l’opinion nationale et même internationale. La même attitude, on la retrouve aujourd’hui encore parmi des dinosaures qui ont trempé directement dans le coup d’état du 05 juillet 1973, et plus préoccupant aussi, parmi les plus jeunes Banyakazu, se faisant appeler « Imfubyi za Habyalimana = orphelins de Habyalimana ». C’est précisément cette appellation qu’on retrouve dans plusieurs groupuscules de la rébellion rwandaise au Congo. Ignorent-ils les faits ou feignent-ils de les ignorer ? Il est décontenançant de constater une telle solidarité dans un crime aussi odieux, pour des gens qui, du reste, n’y ont été pour rien. En effet, après les assassinats en Bugesera, un officier Munyakazu, du service de criminologie, vint faire le constat et déclara à Munyengango qu’il trouvait que c’était vraisemblablement un règlement de compte entre bandes de bandits inconnus. Les visages des victimes avaient pourtant été reconnus. Le calibre du ou des armes du crime avait été reconnu comme étant celui des armes en usage dans les FAR. Après cet incident, les exécutions ont continué normalement, cyniquement et sadiquement.

En 1979, le président Habyalimana voulait proposer à Sylvestre Nsanzimana, -alors recteur de l’université nationale du Rwanda-, de le faire nommer au poste de secrétaire général adjoint à l’OUA. À la fin de leur entretien le président lui posa une question devenue rituelle à la fin de tous les entretiens : Nta kindi kibazo ufite ? N’avez-vous rien d’autre à ajouter ? Nsanzimana déclara qu’ils avaient, lui et sa sœur, épouse de l’ancien ministre Gaspard Harelimana, le souci de connaître son sort, parce qu’ils étaient sans ses nouvelles depuis son arrestation en 1973. La réponse fut froide et sans le moindre remords, comme s’il l’avait envoyé en mission secrète : «Il est mort ». Beaucoup de gens le savaient, mais pas encore aussi officiellement.  Petit à petit, sous la pression d’Amnistie Internationale, de l’évêque de Kabgayi, Mgr André Perraudin, le président Habyalimana s’est décidé finalement à donner une réponse officielle aux proches des disparus et à l’opinion nationale et internationale. Mais la qualité de la réponse qu’il s’est trouvée, ainsi que la façon dont il s’y est pris ont été d’une étonnante médiocrité. C’est comme s’il se fichait de ce qu’on pouvait bien penser de lui. Durant la période des exécutions des prisonniers, Bonaventure Habimana était fonctionnaire au ministère de la Justice. Il était chargé de la population carcérale. Un jour, lors d’un passage de celui-ci au mess des officiers de Kigali, un officier qu’il n’a pas pu reconnaître par après, l’a interpellé, et lui a dit que, comme il était en position de savoir quel jour et par quelle autorité les disparus sont sortis de prisons, le moment venu, il serait accusé au même titre que les bourreaux. Affolé, il cria au mess : « Nta leta itica, niya Nyerere yalishe kandi irakomeye » c’est-à-dire « Tous les régimes tuent. Même celui de Nyerere « tanzanien » a tué, et maintenant il tient solidement ». Quelques mois après, il était nommé au poste de secrétaire général du tout nouveau MRND.

Au cours de la préparation du procès contre le major Théoneste Lizinde, des bruits (ou plutôt des fuites) ont couru comme quoi le président Habyalimana était en consultation avec ses proches pour mettre les assassinats sur le dos du seul major Lizinde. Le projet fut abandonné, persuadé qu’il ne pourra convaincre personne, qu’un simple directeur général des renseignements, aussi puissant et incontrôlable fût-il, ne pouvait supprimer la vie d’autant de prisonniers politiques à l’insu du président de la République. Ainsi le premier procès, en 1982, se déroula sans cette charge. Vint enfin en 1985 le procès des assassinats politiques. Là furent impliquées uniquement des personnes se trouvant déjà en prison et condamnées pour ce qui avait été convenu d’appeler « le coup d’état de Lizinde », au fait le groupe des Bagoyi (Lizinde et Biseruka). Il est vrai que les bourreaux qui ont exécuté les prisonniers de la prison de Ruhengeli venaient de l’unité commandée par le capitaine Biseruka. Pourtant, à Kigali aussi, en Bugesera, des prisonniers ont été exécutés par le capitaine Simon Habyalimana, originaire du Cyingogo, et à Gisenyi, des prisonniers ont été assassinés sous la supervision du commandant Mathias Havugwintore, originaire du Kanage. Ceux-ci n’ont pas été inquiétés. Avant le procès, des agents de la sûreté nationale se présentaient nuitamment chez les veuves des prisonniers, les amenaient sans ménagement à Kigali dans les locaux de la sûreté et les sommaient de décliner leurs identités ainsi que celles des orphelins. Ensuite, on les ramenait chez elles de nuit. Une autre nuit, on les amena toutes à Gitarama. On les fit entrer l’une après l’autre dans le bureau du préfet. Elles y trouvèrent le préfet de préfecture, James Kabera, le procureur Déogratias Kayibanda, et Augustin Nduwayezu, directeur général du service central des renseignements. Celui-ci dit à chacune combien le président Habyalimana avait été surpris et chagriné d’apprendre l’assassinat de son mari par l’ignoble Lizinde, et pour cela le président s’était résolu à indemniser les endeuillés à raison de 1.000.000 Frw par veuve et 100.000 Frw par orphelin. Elles eurent droit à entendre de la bouche de Nduwayezu, l’homme « fétiche » présidentiel, le récit du supplice respectif de leurs maris, ce qui correspondait à ce que les veuves savaient déjà. Ce qui ne correspondait pas, c’était les certificats de décès signés par le docteur Cyprien Hakizimana, qui signalaient qu’ils étaient morts de maladie. Dans la cour, des agents de la sûreté empêchaient ces malheureuses veuves de se parler entre elles, après tant d’années de blocage chacune dans sa commune de résidence. Effectivement, à l’issue du procès, l’état rwandais fut condamné à indemniser les ayants-droits à raison de 1000’000 Frw par veuve et 100.000 Frw par orphelin, exactement comme l’ « homme fétiche » du président l’avait prédit.

La gestion du dossier « coup d’état » a engendré de sérieuses interrogations quand à la nature du nouveau régime, à son fonctionnement, à ses motivations et à ses objectifs, bref, à ses capacités de gérer les problèmes du pays. On pourrait penser que le procès contre le major Lizinde pouvait viser à réconcilier le régime avec les familles qu’il avait endeuillées sauvagement, et peut-être annoncer une politique de réconciliation avec les 7 préfectures dites du « Sud ». Cela s’est révélé faux. La stratégie que l’homme fétiche du président a pratiquée pour recueillir les identités des ayants-droits, annoncer la solution que le régime se proposait à mettre en œuvre, a traumatisé les familles et a contribué à raviver leur rage, au lieu de les rassurer et de les apaiser. En plus, la politique d’exclusion a continué vis-à-vis des préfectures du Nduga Élargi comme allant de soi. De contradiction à contradiction, le régime tomba dans la faillite morale. Une belle légende est récitée : « Le coup d’état du 05 juillet 1973 s’est effectué sans tirer un seul coup de feu. Le Rwanda était au bord d’un précipice très profond. Ceux qui cherchaient à l’y jeter en planifiant de verser le sang des innocents ont été arrêtés sans résistance, y compris le capitaine André Bizimana qui avait essayé de ligoter Juvénal Habyalimana quelques heures plus tôt ». Paradoxalement, un procès contre les prisonniers politiques a été organisé et seule une partie des prisonniers y a eu droit. Pour couronner le tout, tous les prisonniers politiques ont été assassinés, pendant la période allant de 1973 à 1976. En 1979, le président de la République avoue la mort de son ancien collègue ministre Gaspard Harelimana. Bizarrement, en 1985, il déclare qu’il n’était au courant de rien. Il organise un procès contre les assassins, et curieusement, on en oublie certains. Franchement qui pouvait-il penser convaincre ? Il est aberrant que Nduwayezu, un fonctionnaire du pouvoir exécutif, annonce les décisions futures d’une cour de justice. Que peut-on en penser en termes d’indépendance de cette cour ? Il est naturel de conclure que les gouvernants étaient une horde d’assassins. C’était du totalitarisme moderne. Ils prenaient des décisions qui concernaient les Rwandais, tout en se foutant complètement de ce que les Rwandais voyaient, entendaient, et savaient. Le bateau « Rwanda », -comme on le nommait-, avait-il réellement un capitaine à bord ? Quel était l’état psychique et mental du président Habyalimana ? Avait-il un poids sur la conscience ? Certainement oui ! On raconte par exemple que quelques décennies avant Habyalimana, le Mwami Yuhi V Musinga souffrait régulièrement des attaques des âmes des princes assassinés pendant la révolution de palais de Rucunshu en 1896. On raconte qu’il avait alors eu recours à un traitement mystique approprié afin de faire stopper ces attaques très dangereuses. Traditionnellement, on appelait cela la guérison mystique. Il serait hors sujet d’expliquer ça ici. Bref, rien n’y fut, dit-on, puisque, raconte-t-on, des spécialistes de l’invisible ont organisé une visite auprès de Musinga dans l’au-delà et ont rapporté qu’à sa mort il s’était fait hué par le Rwanda invisible. Il est également souhaitable qu’ils puissent organiser une autre visite auprès de Habyalimana et reviennent dire au monde des vivants ce qui s’est passé dans son cas précis.

3. Politique de division

a. Le régionalisme entre les Hutu

Pour les besoins de la réussite du coup d’état, le pays a été divisé en deux parties. D’une part, on a le Nord comprenant 3 préfectures (Gisenyi, Ruhengeli et Byumba) baptisées les Inkiga. D’autre part, on a le Sud comprenant les 7 préfectures restantes, baptisée aussi le Nduga élargi. Dans l’entendement contemporain, le Nduga élargi (Nduga Ngali) couvre sept régions : Kigali, Gitarama, Butare, Gikongoro, Cyangugu, Kibuye, Kibungo. Ses habitants s’appellent les Banyenduga. Bref, le régime Akazu voulait les Bakiga (habitants des Inkiga) si différents des Banyenduga (habitants du Nduga Ngali) que vers 1978, il recruta à l’université de Butare, deux jeunes enseignants originaires de Ruhengeli, à savoir Ferdinand Nahimana et Damascène Nduwayezu, afin d’écrire l’Histoire du Rwanda des Hutu, en sous entendant que les vrais Hutu sont ceux du Nord. Les autres sont des Hutu métissés, apparentés aux Tutsis (= des Banyenduga). Pour les extrémistes Bakiga, même des Hutu et des Twa du Nduga sont des Tutsis. Ils ignorent évidemment l’existence de la haute, de la moyenne, de la basse noblesse tutsie, des Tutsis défavorisés, des Hutus, des Twa céramistes et des Twa forestiers. Les castes du Rwanda ancien sont faussement présentées comme des ethnies. C’est une gigantesque manipulation cherchant à détruire l’état-unitaire rwandais en fracturant socialement autant que faire se peut. De la sorte la vraie Histoire du Rwanda déjà écrite par Mgr Alexis Kagame devrait être détruite et considérée comme une Histoire des Banyenduga et de leurs rois Tutsis Nyiginya. Cette trouvaille émanait des chercheurs coloniaux belges Jan Vansina, Marcel D’Hertefelt et compagnie qui ont subdivisé les Hutu du Rwanda en trois familles à savoir les négrilles Hutu (= Abakiga), les Hutu éthiopides (= Abanyenduga) et les Hutu Imbo (= Abanyacyangugu). Nduwayezu est décédé tôt. Ces travaux bizarres ont été continués par le seul Ferdinand Nahimana. Il est à noter que Marcel D’Hertefelt a été codirecteur de la thèse de Doctorat de Ferdinand Nahimana et c’est de lui qu’il a tiré son modèle. Or, -ironie du sort-, ce Nahimana serait issue d’une famille tutsie qui a émigré de la région de Gitarama, vers celle de Ruhengeli. La partie de la famille restée dans Gitarama serait Tutsie pendant que lui est un Hutu pur. C’est ce fichu modèle que le chercheur rwandais Bonaventure Mureme K. appelle « l’Histoire du Rwanda suivant le modèle Akazu ». Le modèle Akazu s’est tellement répandu dans certains milieux universitaires que le chercheur belge Filip Reyntjens a conclu que le régime Akazu a fait émerger au Rwanda, une sous population nouvelle, antérieurement inconnue, c’est-à-dire les Bakiga. La thèse de doctorat de Ferdinand Nahimana était une thèse engagée. Le comble du clientélisme fut que Ferdinand Nahimana dédia sa thèse de doctorat à un fils de Juvénal Habyalimana nommé Jean Claude-Désiré Habyalimana qu’il appelait son ami. Tout bien considéré, les Banyakazu étaient entrain d’ériger des valeurs dynastiques légitimant leur domination interne du Rwanda.  

Dans la pratique, au fur et à mesure que le régime se sentait sûr de ses assises, il restreignait le cercle des privilégiés. Assez vite, Byumba fut délaissé, puis Ruhengeli, et enfin toutes les régions naturelles de Gisenyi autres que le Bushiru à savoir le Bugoyi, le Cyingogo, le Kanage. En Bushiru même, les membres de la famille du président Habyalimana, et ceux de sa belle famille passaient avant les autres. En 1992 à Arusha, commentant son appartenance à l’Akazu, le colonel Bagosora m’a signalé qu’il y a deux échelons parmi les membres de l’Akazu à savoir ceux qui sont à l’intérieur de l’Akazu (= membres de la famille et belle-famille du président), et ceux qui sont seulement dans la cour de l’Akazu, et qu’il était de ce dernier groupe. Ainsi les castes que l’on croyait dépassées et enterrées dans la révolution rwandaise de 1959, ont été ressuscitées par le régime Akazu, mais avec une nouvelle hiérarchie :

1)      Les membres du lignage et du beau-lignage du président Habyalimana (= c’est l’intérieur de l’Akazu c.à.d. « Abanyakazu bo mu mbere ») [= entièrement]

2)      Les autres Bashiru (communes Karago et Giciye) [moins les opposants Bashiru]

3)      Les Banyagisenyi (originaires de la préfecture de Gisenyi) [moins les opposants Banyagisenyi]

4)      Les Banyaruhengeli (originaires de la préfecture de Ruhengeli)  [moins les opposants Banyaruhengeli]

5)      Les Banyabyumba (originaire de la préfecture de Byumba) [moins les opposants Banyabyumba]

6)      Les opposants Bakiga et les Banyenduga (originaires des 7 préfectures dites le Nduga élargi) [moins les Abase = les alliés Banyenduga ou Banyenduga de service ou Batoni de l’Akazu autrement dit les Banyenduga affiliés à l’Akazu]

En somme, tout bien considéré, l’appartenance à l’Akazu était d’ordre idéologique et non régional. Des alliés ou des Banyenduga de service ou des Batoni de l’Akazu étaient mieux vus que des Bakiga opposants (= abagambanyi) attendu que les opposants Banyenduga étaient qualifiés de abagome. Avec ce genre de schémas mentaux, il est impossible d’organiser une société.

b. Le régime Akazu et la sous population Tutsie

1°. L’élite commerçante

Le régime a adopté à l’égard de l’élite commerçante tutsie, une attitude étonnamment favorable. L’accès aux crédits bancaires et aux marchés publics était plus facile pour eux et leurs affaires ont si bien prospéré qu’en 1990, elle contrôlait majoritairement l’économie du pays. Toutefois, ils étaient souvent associés aux membres de l’Akazu, ce qui autorisait certains à adopter des comportements méprisants, ou franchement, gratuitement hostiles envers des fonctionnaires originaires du Sud. Cela a été le cas notamment à Butare jusqu’en 1982. Nous avons dû nous en plaindre officiellement lors d’un conseil de sécurité préfectoral qui traitait du problème des tracts dits « du major Lizinde ». C’est dans cet esprit affairiste que les Banyakazu ont aidé bêtement la rébellion ougandaise, -dont le fer de lance était constitué de réfugiés tutsis rwandais-, de Kaguta Museveni à prendre le pouvoir en Ouganda. C’est également dans cet esprit qu’ils ont noué des relations avec les hauts cadres du futur FPR. Ce n’est plus un secret, le général major Fred Rwigema est venu personnellement à Kigali inviter le général major Juvénal Habyalimana à la cérémonie d’accolade de grades à Kampala, invitation que celui-ci a honoré. Par ailleurs, un homme, se faisant passer pour un beau-frère du général major Fred Rwigema aurait séjourné au Rwanda, aurait travaillé comme mécanicien dans l’entreprise « La Rwandaise » dans lequel le président Habyalimana avait des actions. Ainsi le FPR a-t-il pu sans difficulté, infiltrer ses espions dans les hautes sphères du régime et du pays, collecter des informations de qualité qui lui permettraient de préparer et de mener la guerre contre le régime avec une incroyable précision.

Par exemple en 1990, un commando de 4 hommes est parti d’Ouganda pour une mission à Gisenyi. L’équipe était dirigée par le capitaine Karema du FPR et guidé par un certain Eustache Kayijuka, qui était recherché pour avoir volé une voiture d’un expatrié travaillant pour la banque nationale du Rwanda. Laissant un homme (frère de Kayijuka) et leur voiture à Goma, le commando a passé la frontière rwando- zaïroise pour se rendre à l’hôtel Palm Beach à Gisenyi. Kayijuka a été vite reconnu par un client, et l’information a atterri dans les oreilles du major Ildephonse Rwendeye qui séjournait aussi à l’hôtel. Avec l’intervention de militaires de la compagnie de Gisenyi, il a pu neutraliser et arrêter le capitaine Karema qui était en possession d’un pistolet. Kayijuka a pu s’enfuir, tandis que le troisième homme, moins chanceux, a été tué. Le capitaine Karema a été traduit en justice. Il a déclaré au tribunal être venu à Gisenyi pour voler une importante somme d’argent sur un riche homme qui n’était connu que d’Eustache Kayijuka. Les journaux Kinyamateka et Imvaho ont rapporté que le commando avait été commandité par Protais Zigiranyirazo, beau-frère du président Habyalimana et préfet de préfecture de Ruhengeli, pour assassiner un homme à l’hôtel Palm-Beach. Effectivement, après le procès, Zigiranyirazo a exigé et obtenu que Karema soit transféré à la prison de Ruhengeli. Ensuite il a pu regagner le FPR. Il est rentré au Rwanda en 1994 avec le grade de lieutenant-colonel. Il a épousé par la suite une des filles du colonel Epimaque Ruhashya.  

2° Le reste de la sous population Tutsie

Traumatisée par les troubles du début de l’année 1973, la sous population tutsie a accueilli avec soulagement le coup d’état de Habyalimana. La devise de son parti le MRND « Unité, Paix et Développement » l’a rassurée. Très vite, elle a déchanté. Tout comme la sous population Hutu du Sud, elle a souffert de la politique dite « équilibre ethnique et régionale ». En fait, ça a été une politique de déséquilibre, car au nom de cette politique, on a imposé dans les écoles et emplois, des quotas qui n’ont rien à voir avec les représentations démographiques. En guise d’exemple, en ce qui concerne les communes Karago et Giciye, on admettait l’entrée à l’école secondaire un nombre d’élèves respectivement supérieur à celui des préfectures comme Kibuye, Gikongoro ou Kibungo. Dans les hautes fonctions de l’administration, les services de sécurité (armée et gendarmerie), les Tutsis étaient sous-représentés ou carrément exclus. Le MRND, le parti de l’« Unité Nationale » n’a nommé aucun préfet de préfecture, qu’un seul bourgmestre Tutsi (= Ruberangeyo de Ruhashya), et n’a fait élire aucun député Tutsi, même pas à Butare, la préfecture la plus peuplée du pays avec une forte représentation Tutsi (= 17% selon le recensement du début des années 1990). En 1983, l’assistant médical Rugema a tenté sa chance. Il était connu et très populaire dans toutes les communes de Butare car il avait été pendant plusieurs années chef du service de radiographie à l’hôpital universitaire de Butare. Tous les malades qui y ont passé aux rayons X, le connaissaient et surtout l’avaient bien apprécié. Les électeurs de la préfecture de Butare ont voté pour lui et en masse. Néanmoins, les officiels du MRND lui ont barré la route. 

3°. Le régime et les relations Hutu-Tutsi-Twa

Les Rwandais, Hutu, Tutsi et Twa, au long des siècles de vie ensemble, se sont fondus en un état-nation unitaire millénaire. Ils parlent la même langue, pratiquent la même religion, et habitent pêle-mêle dans toutes les régions du pays. Les Hutu, initialement cultivateurs, ont acquis de plus en plus nombreux du cheptel et pratiquent aussi l’élevage. Les Tutsi n’ayant plus assez de pâturages ont acquis de plus en plus nombreux des champs et pratiquent l’agriculture. Les Hutu et les Tutsi sont devenus des « cultivateurs- éleveurs ». Les Twa, initialement chasseurs pratiquent la poterie. Les Rwandais Hutu, Tutsi et Twa se retrouvent entremêlés dans d’autres ensembles sociaux que les chercheurs coloniaux ont appelés « Clans », mais que Bonaventure Mureme Kubwimana considèrent comme de simples sortes de « cartes de visite » et appelle des groupements socio-familiaux. Chaque ensemble comptant dans ses membres, des Hutu, des Tutsi et Twa. Il semble qu’après la colonisation, les chercheurs coloniaux aient changé leur interprétation. En 1986, à la question de savoir si les Hutu, Tutsi, et Twa, signifiaient de véritables ethnies différentes, et si des clans signifiaient de véritables clans, rassemblant des gens ayant un même ancêtre, comment alors des Hutu, des Tutsi et des Twa se retrouvaient dans un même clan, Marcel D’Hertefelt, -qui a écrit un bouquin sur les clans du Rwanda ancien-, m’a déclaré que, tant qu’il a encore besoin de se rendre au Rwanda, il ne peut pas rendre public son point de vue, car, étant en contradiction avec l’idéologie officielle, il risquerait d’interdiction d’entrée au Rwanda. Concrètement, il venait de m’avouer lui-même que son attitude vis-à-vis du Rwanda était hypocrite. Le fait est donc que, comme le dit bien le chercheur rwandais Bonaventure Mureme Kubwimana, les Amôko « Hutu, Tutsi et Twa » ne sont pas des ethnies mais plutôt de simples sous populations c’est-à-dire des castes du Rwanda ancien en voie de disparition. Le fait est également que les Amôko « Abanyiginya, Abega, Abaha, Abagesera, Abasinga, …. Abasita, Abanyakarama » ne sont pas des clans mais plutôt des groupements socio-familiaux. Au fait, le concept de groupement socio-familial a contribué grandement à l’évolution de l’idée de nation et à la construction de l’unité de la nation rwandaise. Pour de plus amples détails, il y a lieu de se référer à l’organisation socio-familiale rwandaise au Manuel d’Histoire du Rwanda à l’époque coloniale. 

Jusqu’à l’arrivée du régime Akazu, les Rwandais s’identifiaient officiellement en déclinant le nom, les noms des parents, la sous population (Hutu, Tutsi ou Twa) et le groupement socio-familial « Abanyiginya, Abega, Abaha, Abagesera, Abasinga, …. Abasita, Abanyakarama » soit par exemple : Umuhutu w’Umusinga, Umututsi w’Umwega. L’abandon par le régime, de la référence aux groupements socio-familiaux, tout en gardant la référence aux sous populations, semble traduire une volonté délibérée de marteler les différences tribales entre les Rwandais, ce qui constitue un retour en arrière dans la construction dynamique de l’unité nationale. Comme pour renforcer cette division, le régime a fait la chasse aux Tutsi qui auraient volé l’identité Hutu. A fait partie des pourchassés l’un des plus intellectuels des révolutionnaires Hutus, Anastase Makuza. Il a dû s’acquitter d’une amende mais il est resté Hutu. Plus tard, son fils, Bernard Makuza jouira sans problème de son identité « Hutu ». Ironie du sort, sous le régime Igiti (= la noblesse tutsie moderne faction Abâkagara), le fils a renié et sali le rôle joué par le père durant de la révolution rwandaise de 1959.

B. Le régime Akazu et la guerre contre le FPR

1. Situation avant la guerre

La guerre annoncée clairement dès la prise du pouvoir de Museveni en Ouganda en 1986, -le général Salim Saleh, demi-frère du président Museveni l’a déclaré à la radio nationale-, a été déclenchée le 01 octobre 1990 sans que ni l’armée rwandaise, ni le peuple rwandais ne soient prévenus du danger. Alors que Museveni, -qui, ça se savait, avaient des réfugiés tutsi rwandais dans ses rangs-, faisait encore la guerre contre le pouvoir de Kampala, le régime Akazu a choisi d’aider son camp, au lieu d’aider le gouvernement de Kampala. Le FPR a mis 4 ans aux préparatifs. Ses espions ont été arrêtés et ont parlé. Les diplomates à Kampala et au Burundi ont donné des informations. Les populations à la frontière avec l’Ouganda ont vu et informé. Une unité du FPR a séjourné dans le parc national du Nil-Kagera. Les gardes forestiers ont vu et informé. Elle est repartie en Ouganda sans intervention. Malgré tout ce qui était connu, le détachement militaire de Kagitumba, un peloton (quelques dizaines d’hommes) commandé par l’adjudant-chef Gasore originaire de Byumba, a été attaqué sans qu’il ne soit prévenu.

Deux services étatiques ont été les plus concernés par la guerre, à savoir le service des renseignements et les forces armées rwandaises.

a. Les renseignements

L’importance des renseignements a été perçue dans la révolution rwandaise de 1959. C’est grâce aux informations d’une équipe de reconnaissance sur le réseau routier rwandais que la force publique a pu se déployer très rapidement au Rwanda la première semaine de novembre 1959. C’est aussi grâce au renseignement militaire que des personnes ciblées ont été sauvées comme l’assistant médical Venant Ntabomvura, qui a été évacué de l’hôpital de Kigeme par une patrouille de para-commandos belges, quelques minutes avant l’arrivée de tueurs Batwa. Des activistes INYENZI ont été également arrêtés en dehors du Rwanda grâce au renseignement. Sous le régime Kayibanda, ce service a toujours été dirigé par des militaires.

C’est tout naturellement, que le service central des renseignements (SCR) a été confié à un militaire dans les débuts du régime Akazu en l’occurrence le commandant Théoneste Lizinde. Il était décrit comme un homme efficace et surtout, il inspirait la peur. Pour contrôler les activités de Lizinde, le commandant Elie Sagatwa a organisé un autre service de renseignements informel. Ainsi, quatre services indépendants, voir concurrents (SCR, Sagatwa, Armée, MININTER) fonctionnaient de façon efficace. Après l’éviction de Lizinde et un court intérim, a été nommé à la direction du SCR, un civil, Augustin Nduwayezu. Sa candidature avait été avancée par Elie Sagatwa, pour le récompenser du haut fait suivant. Ambassadeur en Ouganda, Augustin Nduwayezu avait réussi à faire kidnapper un fugitif, en l’occurrence le commandant Stanislas Biseruka, qui a été ramené au Rwanda, ligoté et drogué dans un coffre de voiture. Le voyage l’avait tellement abîmé qu’il ne pouvait plus marcher. Il n’a retrouvé l’usage de ses jambes dans la prison de Ruhengeli, que des mois plus tard, grâce au massage assidu d’un autre prisonnier, le capitaine Apollinaire Bikolimana. Depuis lors, le SCR fut, de fait, subordonné au commandant Sagatwa, à qui il donnait désormais ses rapports. Dans l’administration publique, Protais Zigiranyirazo, demi-frère du colonel Elie Sagatwa et frère d’Agathe Kanziga, épouse du président Habyalimana, a réussi à faire nommer la plupart des préfets de préfecture. Ceux-ci l’informaient de tout ce qui se passait dans le pays, et surtout lui demandaient conseil au lieu de demander conseil au ministre de l’intérieur. Dès lors, les quatre canaux des renseignements ont cessé d’être indépendants, car contrôlés par les deux beaux-frères du président. Le fonctionnement du renseignement, d’efficace qu’il était du temps de Lizinde est devenu médiocre du fait de la non concurrence. Et qui pis est, autour de ces canaux de renseignement, il s’est formé un groupe de gens, -Elie Sagatwa, Protais Zigiranyirazo, Augustin Nduwayezu, Laurent Serubuga, et Anatole Nsengiyumva-, une sorte de société mafieuse, plus puissante que les institutions officielles de l’état. Ils travaillaient de concert, fabriquaient des dossiers, emprisonnaient, terrorisaient, faisaient nommer et démissionner des hauts fonctionnaires de façon si évidente qu’on l’a surnommé « le gouvernement informel ». Toutes les grandes décisions du pays étaient prises par cette mafia, les institutions officielles et le gouvernement formel ne faisant qu’entériner. Puissants, solidaires et assurés de l’impunité, ils ont délaissé le travail de renseignement, et se sont consacré à leurs intérêts personnels (puissance, richesse), la sécurité du pays, devenant le cadet de leurs soucis. Concernant les lourds dossiers que la justice n’a pas pu élucider, les soupçons se sont portés sur les membres de cette mafia, depuis la culture de cannabis dans la forêt de Nyungwe, jusqu’au braconnage de gorilles de montagnes, à l’assassinat de leur protectrice l’américaine Diane Fossey (alias Nyiramacibili), et à l’assassinat du colonel Stanislas Mayuya. Certaines sources du fpr affirment que la mort du colonel stanyslas mayuya a été leur œuvre. Dans ce cas deux réseaux l’auraient visé. Mayuya est donc mort à la quatrième tentative d’assassinat. Les trois premières, -dont l’empoisonnement était la troisième-, avaient pour auteur le pôle N° 2 (= Madame) de l’Akazu tandis que la quatrième (= et la fatale) le FPR.

Pour ce dernier dossier, rappelons les faits. Le colonel Mayuya est mort le 18 avril 1988, de balles tirées par le sergent Biroli, chef de la garde du camp Kanombe. Le sergent venait de passer quelques semaines au pays, après un stage en Belgique. Il fut arrêté quelques heures après à Nyanza. Il mourut sous la torture quelques jours plus tard dans la prison de Kigali. Une commission d’enquête dirigée par le procureur général, Louis-Marie Nkubito fut nommée. Du côté de l’armée, elle comprenait le G1 (chef du bureau du personnel) le lieutenant-colonel Anselme Nkuliyekubona ; le G2 (chef du bureau des renseignements) le lieutenant-colonel Anatole Nsengiyumva et l’adjoint de celui-ci, le commandant Gaspard Mutambuka. La commission a travaillé un certain temps et a arrêté les travaux. Ensuite deux des officiers membres de la commission furent éloignés. Le commandant Mutambuka fut envoyé en Belgique pour suivre un cours. Le lieutenant-colonel Nkuliyekubona fut arrêté, -en compagnie du colonel Déogratias Ndibwami et du major Mathias Havugwintore-, sous l’accusation du même crime sur lequel il enquêtait. Ils restèrent en prison sans jugement jusqu’à l’avènement du gouvernement Nsengiyaremye qui les libérerait et les reprendrait dans les rangs de l’armée. Pourtant, pour le public, y compris la famille du défunt, l’assassin était le colonel Serubuga qui le pressentait comme son imminent remplaçant. Ce n’était pas tout à fait vrai et ce n’était pas tout à fait faux. Lors du levé du corps, la maman du colonel Mayuya tenta de frapper le colonel Serubuga de son bâton d’appui « ikibando », et des officiers présents l’immobilisèrent.

Compte tenu de tout cela, on a compris que la mafia ne travaillait pas contre le président Habyalimana, mais plutôt de concert avec lui. L’Akazu était une et une seule tout en ayant deux pôles.

b. Les Forces Armées Rwandaises (FAR)

Les FAR comprenaient deux corps, à savoir l’armée rwandaise et la gendarmerie nationale. L’armée rwandaise était outillée à contrer principalement la menace venant de l’extérieur et secondairement à assurer la sécurité intérieure du pays, à l’inverse de la gendarmerie nationale qui était chargée de la sécurité intérieure du pays en première mission, et collaborait avec l’armée rwandaise à contrer une menace extérieure en deuxième mission. Elles disposaient d’environ 8000 hommes et femmes

1° Organisation

Le commandant suprême des FAR était constitutionnellement le président de la République. Le président Habyalimana était aussi ministre de la défense, chef d’état-major de l’armée rwandaise, chef d’état-major de la gendarmerie nationale et président du MRND. À l’armée rwandaise, 26 unités dépendaient directement de l’état-major. À la Gendarmerie, 13 unités étaient des subordonnés directs de l’état-major. On constate que 4 fonctions du haut de la structure étaient dans les mains d’une personne, en l’occurrence Juvénal Habyalimana. C’était trop de pouvoir, trop de responsabilité pour être assumées efficacement par une seule personne. Il manquait un maillon dans la structure, un état-major pour les opérations conjointes des deux composantes. Les deux états-majors n’étaient pas suffisamment étoffés. À ce niveau, il aurait fallu assez de personnel pour pouvoir former, -lors des crises-, au moins trois équipes pouvant se relayer, et pouvoir travailler efficacement 24 heures sur 24, à raison de 10 heures chaque équipe. Or, le personnel disponible pouvait former à peine une équipe. 26 subordonnés pour l’armée rwandaise et 13 à la gendarmerie, c’était un défaut dans une structure militaire inimaginable en 1990. Pourtant, à commencer par Augustin Ndindiliyimana en 1973, ce défaut a été relevé par les stagiaires qui ont eu à travailler sur la structure des FAR à l’école de guerre de Bruxelles. C’est le principe de l’éventail de commandement selon lequel un échelon de commandement ne peut avoir plus de 7 subordonnés, principe expérimenté et défini par Napoléon Bonaparte. Il aurait fallu introduire l’échelon « brigade » et certainement « division » avec l’augmentation des effectifs au cours de la guerre 1990-1994.

2° Politique du personnel

Comme dans l’administration centrale, la politique du personnel a été entachée de régionalisme. Plusieurs astuces ont été utilisées pour parvenir à favoriser les uns et défavoriser les autres, y compris le système de cotation. Deux cas firent particulièrement scandale, à savoir le cas Ntagwabira et le cas Nzungize. 

Adjudant Ntagwabira

Ce sous-officier était un ancien de la police nationale originaire de la commune Nshili, préfecture de Gikongoro. Il était affecté à la police militaire, unité commandée par le commandant Théoneste Bagosora. En 1975, celui-ci attribua la mention « inapte à l’avancement » à tous les officiers et sous-officiers originaires des préfectures dites du Sud, et « apte à l’avancement » à tous les officiers et sous-officiers originaires des préfectures dites du Nord. Pour l’adjudant Ntagwabira, il avait donné comme justificatif qu’il était physiquement très faible. L’adjudant Ntagwabira réagit en demandant d’aller suivre un stage au centre d’entrainement commando de Bigogwe. Là, il obtint son brevet commando et démontra ainsi qu’il était parmi les militaires psychiquement et physiquement les plus aptes. Or, c’est le contraire de ce que Bagosora avait prétendu.

Lieutenant-colonel Alphonse Nzungize

Alphonse Nzungize était originaire de la commune Huye dans la préfecture de Butare. Il+ est sorti parmi les premiers dans la 11ème promotion en 1972. Alors qu’il remplissait les conditions de passer du grade de commandant à celui de major, afin de le bloquer, le colonel Laurent Serubuga lui attribua une cote insuffisante avec ce commentaire « son intelligence le plafonne au grade de commandant ». À ce moment-là, le concerné suivait le cours de commandant de compagnie à l’école supérieure militaire. Non seulement, il réussit mais surtout il passa premier de la promotion. Cette performance désavoua la cote lui attribuée par le colonel Serubuga.

3° Gestion de la carrière pour les 5 premières promotions de l’École d’Officiers

1961

1962-1964

1965-1966

Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessus, 36 officiers ont été promus de 1961 à 1966.  Chaque préfecture a eu au moins un représentant. En 1990, au moment de l’attaque du FPR, seulement 9 parmi eux étaient encore dans les rangs, dont 6 originaires de la préfecture de Gisenyi, 2 de la préfecture de Kigali, 1 de la préfecture de Kibungo. Les originaires de Gisenyi sont en fait tous des originaires des 2 communes de la province du Bushiru, à savoir Karago et Giciye. Ces deux communes ont eu en tout 7 officiers. Ceux-ci étaient tous encore dans les rangs en 1990, sauf le colonel Mayuya qui avait été assassiné en 1988. En un mot, des 36 officiers promus de 1961 à 1966, seulement 9 étaient encore dans les rangs en 1990. D’entre ceux-ci, 67 % étaient des Banyagisenyi et plus précisément des Bashiru Banyakazu.

4° Affectation dans les unités

En 1990, l’armée rwandaise avait comme unités combattantes, quatre bataillons dans la garnison de Kigali (la garde présidentielle, le bataillon para-commando, le bataillon de reconnaissance, la police militaire), deux bataillons commando à Kibungo (bataillon Huye) et à Ruhengeli (bataillon Ruhengeli = le camp Mukamira) et 7 compagnies (une dans chacune des autres préfectures). Les unités de la garnison de Kigali comprenaient des gens sélectionnés sur base de régions d’origine, par priorité du Bushiru, des autres communes de Gisenyi, de Ruhengeli, Byumba, et enfin, les autres préfectures. Elles constituaient une armée spéciale dans une autre.

Ci après les noms des commandants des bataillons en octobre 1990 :

     

      

1) La Garde Présidentielle Maj BEM Leonard Nkundiye Gisenyi(Bushiru)
2) Bn Para- Cdo Cdt Aloys Ntabakuze Gisenyi(Bushiru)  
3) Bn Recce Maj BEMS Ildephonse Rwendeye Gisenyi(Bushiru)  
4) Bn PM Cdt BEM Emmanuel Neretse Ruhengeli (commune Mukingo)
5) Bn Huye Maj BEMS Alphonse Ntezilyayo Butare (commune Kibayi) 
6) Bn Cdo Ruhengeli Maj BEM Augustin Bizimungu Byumba (commune Kiyombe)  

De ce tableau, il ressort clairement que l’armée rwandaise était la chasse gardée des Bakiga et majoritairement des Bashiru. Il est à faire remarquer que le Bushiru est une province du pays comptant deux petites communes (= Karago et Giciye) sur les 141 que totalisait le Rwanda à cette époque. Par ailleurs, les deux autres commandants originaires d’autres régions étaient tout de même Banyakazu. Augustin Bizimungu est apparenté à Félicien Kabuga qui avait marié sa fille à un fils de Juvénal Habyalimana. Augustin Bizimungu était Munyakazu. Emmanuel Neretse est apparenté à Joseph Nzirorera et à Munyampeta. Ils sont tous trois originaires de Mukingo et sont très étroitement liés. Or, un fils de Munyampeta, en l’occurrence, Alphonse Ntilivamunda a épousé une des filles de Juvénal Habyalimana (= Jeanne). C’est ça l’Akazu. Le seul intrus était Alphonse Ntezilyayo. C’était une tentative de Habyalimana de chercher un allié au Sud. Mais l’autre pôle de l’Akazu l’a évincé. Il n’était pas question d’introduire des étrangers à l’Akazu au haut commandement militaire, si alliés soient-il. Ailleurs, oui ! C’était faisable. Mais pas au haut commandement militaire qui était purement Akazu.    

2. La guerre d’octobre 1990 à 1994

a. Au déclenchement de la guerre, la réaction de la mafia Akazu a été inappropriée :

À Gisenyi et à Ruhengeri, les fonctionnaires originaires des autres préfectures ont été chassés, sous l’accusation d’être de connivence avec l’ennemi, y compris le préfet de préfecture Gisenyi, en l’occurrence François Nshunguyinka, qui, pourtant, avait beaucoup aidé l’Akazu à cacher les exécutions des prisonniers politiques. Commentant la disparition du chef de détachement en poste à Kagitumba, l’adjudant-chef Gasore, le colonel Laurent Serubuga, chef d état-major adjoint de l’armée, -qui aurait dû et pouvait prendre des mesures préventives-, a dit : «Yasanze bene wabo = Il a rejoint ses congénères », sous-entendu, « il est acolyte (= icyitso) du FPR ». Par ailleurs, l’attaque du FPR a été suivie d’actions qui ont eu pour effet, le traumatisme de la population et des membres des forces armées. Un simulacre d’attaque de la ville de Kigali a été organisé dans la soirée du 04 au 05 Octobre 1990 afin de faire croire que l’armée du FPR était déjà dans Kigali. Il s’en est suivi de nombreuses arrestations. D’une part, on ne peut pas nier que le FPR avait des espions dans la ville de Kigali. C’est même logique et normal. D’autre part, il a été prouvé que les armes qui avaient tiré à Kigali dans la nuit du 04 au 05 octobre 1990 appartenaient bel et bien aux FAR elles-mêmes. Il importe de révéler que les armes qu’on a montrées aux journalistes comme étant le butin pris sur les assaillants provenaient en fait des magasins des FAR. Le plan était si mauvais qu’un journaliste attentif eût pu découvrir la supercherie. On a montré les armes, mais on n’a montré ni prisonnier de guerre, ni blessé ni mort sur lesquels elles auraient été prises. Sur la vidéo prise par les journalistes, on distingue parfaitement des fusils mausers encore remplis de graisse de conservation. La vérité est que ces fusils avaient été pris sur les INYENZI dans les années 1960 et garnissaient le musée militaire de l’école supérieure militaire (ESM). C’est le colonel Élie Sagatwa en personne qui a donné l’ordre de montrer ces armes-là.  Le receveur d’ordres en resta interloqué mais dû obéir comme un cadavre. Ce qui eût été plus grave, et eût pu avoir des conséquences autrement désastreuses est la partie du plan non exécutée. Dans la nuit, le président Habyalimana en personne, a convoqué deux officiers supérieurs qui requièrent l’anonymat et leur a demandé, -c’est la vérité-, de se saisir de quelques personnes parmi ceux qui avaient été arrêtées, de les habiller en militaires, de les exécuter et d’exhiber leurs corps comme étant des assaillants tués. Paniqués, les deux officiers, dont il s’agit, ont pu se trouver par ici par là des prétextes divers pour ne pas s’exécuter.

b. Régionalisme et règlements de comptes

Les premiers jours de la guerre, un certain chaos apparemment provoqué a affecté le moral des FAR. Les unités ont tiré les unes sur les autres et des officiers ont été injustement emprisonnés. Au Mutara, des tirs provenant d’une jeep du bataillon de reconnaissance a tué deux militaires dans la jeep de commandement du major Alphonse Ntezilyayo, commandant du bataillon Huye. Celui-ci a été déclaré icyitso, a perdu le commandement du bataillon, et n’est plus revenu au front. À Kayonza, le poste de commandement du major Venant Musonera a été attaqué par des militaires du bataillon commando de Ruhengeli. Heureusement il avait changé de position dans la nuit. Des gendarmes de Rwamagana ont tiré sur une colonne de militaires de l’école des sous-officiers commandée par le lieutenant- colonel Marcel Gatsinzi. Les unités qui ont été visées étaient commandées par des officiers du Sud. Concernant les emprisonnements, deux cas attirent particulièrement l’attention, à savoir celui du Maj BEM Gaspard Mutambuka et celui du Maj BAM François Sabakunzi.

1° Le Maj BEM Gaspard Mutambuka

Dans l’affaire « assassinat du colonel Mayuya », Mutambuka fut membre de la commission d’enquête. Alors qu’Anselme Nkuliyekubona était emprisonné, Mutambuka a été envoyé en Belgique pour suivre le cours supérieur d’état-major. Protais Zigiranyirazo lui a rendu visite en Belgique et lui a demandé s’il ne savait pas pourquoi l’enquête n’avait pas abouti. Il aurait répondu que pour cela, il fallait arrêter et interroger le colonel Serubuga. Or, Serubuga est un haut Munyakazu. Rentré au Rwanda, il a été inquiété par certaines choses. Le mois qui a précédé la guerre, un avis d’interdiction de sortie du pays a été envoyé à tous les postes de frontière. Dès les débuts de la guerre, Mutambuka fut emprisonné sans motifs. Il sera élargi par le gouvernement de transition dirigé par Dr Dismas Nsengiyaremye, et le reprendra dans les rangs. Malheureusement, il a été assassiné ainsi que sa femme à Gisenyi en 1994 par le FPR.

2° Le Maj BAM François Sabakunzi

En 1982, la société générale de pétrole, SGP en abrégé, a été fondée par Boniface Karemera, beau-frère de Sabakunzi. Celui-ci y était actionnaire. Le colonel Laurent Serubuga s’est présenté dans la société pour exiger des actions sans rien payer, pratique courante pour les membres de l’organisation mafieuse Akazu, ayant été souvent pratiquée par Laurent Serubuga et Protais Zigiranyirazo. Boniface Karemera a refusé. Depuis lors, Sabakunzi a eu des ennuis avec le tout-puissant Laurent Serubuga. Sabakunzi et son beau-frère Boniface Karemera se sont retrouvés en prison au début de la guerre accusés d’être des acolytes de l’ennemi, « ibyitso ». Dès qu’on avait le moindre problème avec Laurent Serubuga, la vie devenait un enfer. Karemera a eu plus de chance, car à ce moment-là, il était le seul pétrolier à disposer de stock de carburant à Isaka (Tanzanie). Il fut donc sorti de prison sans autre formalité et alla chercher le carburant, grâce à l’intervention en sa faveur du ministre du Commerce et de la Consommation, en l’occurrence François Nzabahimana, originaire des environs de Mbazi dans la région de Butare. Quant à Sabakunzi, son calvaire a continué. Présent dans la prison de Ruhengeli au moment où un commando du FPR a libéré les prisonniers, il a choisi de ne pas suivre le FPR. Il s’est rendu au bureau communal de Gatonde, d’où il a téléphoné à Kigali pour signaler sa présence. Des militaires envoyés le récupérer l’ont torturé, transporté dans une jeep ligoté en forme d’un pneu de voiture. Pendant la confection du dossier judiciaire, des militaires qu’il commandait lors de son arrestation en octobre 1990 ont été sollicités pour donner de faux témoignages contre lui, mais, ils ont tous refusé. Alors sur ordre de Laurent Serubuga, ils ont été torturés au camp Kigali, emprisonnés et plus tard relâchés. Le 04 décembre 1991, le seul membre du groupe, originaire de Gisenyi, en l’occurrence le caporal Jean-Baptiste Bagiraneza matricule 18469 le paya cher. Il fut assailli par des militaires qui tiraient sur lui plusieurs balles en lui disant : « Voilà ta punition pour avoir refusé de témoigner contre Sabakunzi ». Il a rendu son âme le 07 décembre 1991. Les membres du groupe étaient : le sergent Munyakazi (= originaire de Byumba), le caporal Rukelibuga et soldat Mugabo (= originaires de Kibungo), le soldat Habiyaremye (= originaire de Kigali), le soldat Mulindahabi (= originaire de Butare), et le caporal Bagiraneza 18469 (= originaire du secteur Rwili, commune Gaseke, préfecture Gisenyi).

c. Incompétences et manque de patriotisme

Le top commandement des FAR a adopté un comportement irresponsable. Il a conduit la guerre dans un esprit dépourvu de professionnalisme alors qu’il disposait de gens compétents. Disposant de suffisamment d’informations sur les préparatifs, il aurait dû s’y préparer, matériellement et au moins informer le peuple et son armée du danger. Dans les conditions où la guerre a commencé, des têtes auraient dû tomber dans les rangs des responsables des renseignements et ou des politiques. Au lieu de cela, il a improvisé des actes de déstabilisation contre la population et des membres des FAR. Même après le début de la guerre, les renseignements ont continué à fonctionner aussi médiocrement qu’ils l’ont toujours été : même organisation, méthodes, moyens humains et matériels. Des opérations inutiles de ratissage dans le parc national du Nil-Kagera et des tirs inutiles d’hélicoptères dans les volcans ont été ordonnés sur base d’informations ne correspondant pas à la réalité sur le terrain. Même la bataille de Lyabega du 23 octobre 1990, qui a changé le cours de la guerre pour 3 ans au moins, n’a pas été une initiative du commandement, mais une proposition de notre secteur d’opérations (Gatsibo), en contrant une décision de l’état-major qui nous paraissait inadéquate.

Les mois qui ont suivi Lyabega, le FPR a montré des signes de découragement. Il ne réussissait plus aucune opération. Des désertions étaient nombreuses. Les soldats rouspétaient contre leurs chefs et nous le savions. L’initiative pour exploiter la situation est venue du terrain. Nous avons fait pression sur le commandement pour mettre au point un plan d’encouragement des désertions au sein du FPR. Le plan a été préparé, mais humainement pas attirant, les candidats devant venir en humiliés. Un premier contingent s’est quand même présenté. Il s’est arrêté à une certaine distance du poste militaire qui les attendait, et a envoyé un officier. Arrivé au poste, au lieu d’être bien accueilli, on lui a mis les menottes, et le reste s’est enfui. L’officier Inkotanyi sera gardé comme prisonnier au camp Kigali mais il rejoindra le FPR lors de l’opération d’échange de prisonniers de guerre en 1992. En bref, nous avons proposé un plan d’accueil tandis que le commandement préparait une embuscade. C’est alors que la communauté internationale, a compris que le régime Akazu n’était pas prêt à résoudre le problème des réfugiés. Elle a alors réarmé le FPR, et lui a donné les moyens de gagner la guerre.

En 1991, sous la pression de la guerre et des bailleurs occidentaux, le président Habyarimana accepte à contrecœur d’introduire le multipartisme. Moins de deux ans auparavant, lors du sommet de la Francophonie à la Baule en France en 1990, il avait commis une erreur très grossière en défiant le président François Mitterrand et en arguant que l’Afrique avait un modèle de démocratie à elle tout aussi valable. Ce mensonge grossier sur une place publique internationale trahissait surtout une ignorance coupable de la géopolitique. En fait, le multipartisme était le modèle laissé par les pays occidentaux aux pays africains au temps des indépendances. Il a été abandonné par les différents régimes à la faveur de la guerre froide, au profit du monopartisme plus favorable aux dictatures : système de gouvernement défendu par le bloc de l’Union Soviétique. Après la chute du mur de Berlin, concrétisant la victoire du bloc occidental sur le bloc de l’Union Soviétique et la fin de la guerre froide, le retour au multipartisme était une suite logique, une question de processus et de temps. Juvénal Habyalimana ignorait cela. Il se trompait lui-même. Malheureusement, il jouait avec la vie du peuple rwandais. Après les premiers pas du multipartisme, on remarque que Habyalimana n’avait pas de plan. Il n’a pas pensé à se réconcilier avec une partie de sa population que sa politique avait transformée en sous citoyens. Il n’a pas évalué le contenu de sa décision : ce qu’il doit abandonner ; ce qu’il se doit de céder et ce qu’il lui est possible de garder vis-à-vis des leaders des nouveaux partis. En l’absence de plan d’intégration valable des nouveaux venus dans la vie politique intérieure, c’est logiquement une opposition très remontée contre lui qui entre sur la scène politique, s’ajoutant aux problèmes de la guerre. C’est le durcissement de la confrontation. Les négociations d’Arusha, censées se dérouler entre deux parties en guerre, le gouvernement rwandais et le front patriotique rwandais, se sont déroulées entre le front patriotique rwandais, une partie du gouvernement appelée majorité présidentielle, et une autre partie du gouvernement appelée opposition intérieure. Cette pratique d’un responsable d’un pays consistant à laisser partir aux négociations de paix une délégation dans cet état d’esprit n’est pas une attitude intelligente ! Juvénal Habyalimana eût dû d’abord offrir des négociations intérieures à son opposition intérieure non armée. Or, ce qu’il a refusé de céder rationnellement à l’opposition intérieure non armée, il l’a cédé irrationnellement et de force à Arusha. L’opposition intérieure est allée à Arusha s’unir avec le FPR contre Habyalimana pour le lui arracher. C’est Habyalimana qui l’a jetée dans les bras du FPR. La société rwandaise était épuisée et excédée à cause de Juvénal Habyalimana. Se rendant finalement compte de l’inéluctable, il essayera de manipuler trop tard. Bref, il a été le plus grand perdant dans l’Histoire. En définitive, c’est le Habyalimanisme qui a perdu le plus, à cause de lui-même.

Nous notons une période moins sombre marquée par l’arrivée à la tête du ministère de la défense nationale du docteur James Gasana. Très vite il a compris le problème d’une armée devant faire face aux assauts du FPR, devant s’adapter à la nouvelle situation politique du multipartisme alors qu’elle est gangrénée par un régionalisme institutionnalisé. Il a notamment mis en place une commission militaire pour émettre un avis sur l’avancement de grade dans la catégorie des officiers supérieurs. Quoi que prévue dans les statuts, on ne l’avait pas encore utilisée. Les résultats des travaux de la commission n’ont pas plu aux durs du régime. Les membres du noyau de l’état-major, -le G1 (Lieutenant- Col BEM Phinéas Munyarugarama) et le G2 (Lieutenant -Col BEMS Anatole Nsengiyumva)-, ont obtenu la côte insuffisante, et de façon globale, les officiers qui sont restés trop longtemps à un seul poste ont été sanctionnés. C’est une désapprobation sans équivoque, de la politique du personnel, jusque là suivie par Juvénal Habyalimana. Le docteur Gasana fut menacé, accusé d’être contre les intérêts des Bakiga. Pourtant, originaire de Byumba, il est lui-même Mukiga selon la définition de 1973. Les résultats de la commission d’avancement ont poussé les inamovibles commandants de la garnison de Kigali à quitter leurs confortables fauteuils. Ainsi le Maj BEM Emmanuel Neretse et le Lt-Col BEM Léonard Nkundiye partirent pour le front. Néanmoins, ils n’auront leur baptême du feu qu’en avril 1994. Même s’il a du démissionner et s’exiler en Suisse en 1993, son action a fait de lui le meilleur ministre de la défense depuis Calliope Mulindahabi. Celui-ci a réussi à transformer l’ancienne garde territoriale en garde nationale en lui donnant la capacité de faire face à la menace des INYENZI, Le docteur James Gasana, quant à lui, a entrepris des actions menant à améliorer le fonctionnement des FAR, et à leur permettre de s’adapter aux changements de la situation politique.

Le président Habyalimana a continué à poser des gestes envers le président ougandais, même après le déclenchement de la guerre, tendant à laisser penser qu’ils avaient en commun des intérêts cachés en marge de la guerre. Le 23 octobre 1990, aux premières heures de notre attaque sur Lyabega, nous avons fait une grosse prise, soit une lance roquette (Katiusha) et un camion plein de roquettes, que nous avons envoyé à Kigali. Quelques jours après, l’état major nous a demandé notre avis sur la demande du président Museveni d’Ouganda au président Habyalimana de lui restituer l’arme que ses enfants du FPR lui avaient volée. Nous nous sommes sentis trahis et avons vigoureusement protesté, ce qui a dissuadé la restitution de la grosse arme. Fin 1990, selon une rumeur, le président Habyalimana aurait proposé une médaille au président Museveni, et la procédure aurait été bloquée par le ministre Casimir Bizimungu qui aurait refusé de signer la proposition d’arrêté présidentiel qui avait été préparée.

C. La fin tragique du régime Akazu

Le 04 août 1993, ont été signé les accords de paix dans la ville tanzanienne d’Arusha. Sans être parfaits, ils ont été accueillis avec un immense soulagement par le peuple rwandais, et les combattants des deux camps. Ils promettaient la fin de la guerre et une démocratie normale après une transition de deux ans. Ils signaient pour la transition, un partage du pouvoir entre le front patriotique rwandais, l’opposition intérieure, et la majorité présidentielle. Trois ans auparavant, le pouvoir était entre les mains du seul président Habyalimana et son parti unique MRND. Si l’immense majorité des Rwandais étaient satisfaits des accords, la suite des évènements a révélé qu’ils y avaient des insatisfaits dans les deux camps à savoir Paul Kagame, le chef militaire du FPR (qui voulait tout le pouvoir, y compris la partie que ne lui donnaient pas les accords), et le président Habyalimana (qui voulait récupérer tout le pouvoir, y compris la partie qu’il avait perdu avec les accords). Après les accords, le FPR a continué à s’approvisionner en armes et munitions, et plus significatif, à stocker dans des cachettes, des grandes quantités qui auraient été hors contrôle du gouvernement de transition, au cas où il aurait été effectivement mis en place. Kagame ne s‘est fait désigner dans aucun organe politique ou militaire de transition. Il prévoyait être libre, et donc incontrôlable dans la période de transition. On peut penser qu’il prévoyait son coup avec des armes cachées, au plutôt dans la période de transition. S’il a débuté son coup le soir du 06 avril 1994 par l’assassinat du président Habyalimana, c’est probablement en profitant de l’énorme discrédit que celui-ci s’était attiré de la part de la communauté internationale, du fait d’empêcher les organes de transition de se mettre en place.

Quant à Habyalimana, il avait affirmé explicitement dans son discours à Arusha, accepter le rapport de force établi dans les accords de paix entre les différentes composantes politiques. Effectivement, les accords avaient prévu un certain équilibre entre les pro-MRND et l’opposition (FPR et opposition intérieure). Aucune partie ne devrait avoir la majorité pour prendre une décision seule. Or les manipulations politiques initiées par Habyalimana, -dans la période qui a suivi la signature des accords (exiger l’entrée de la CDR dans les institutions, provocation des scissions dans les partis d’opposition en aspirant une partie dans la mouvance présidentielle)-, visaient à changer unilatéralement ce rapport de force en sa faveur. Ces manœuvres ont été sa dernière malhonnêteté grossièrement maladroite, aux conséquences désastreuses pour le pays. Les accords de paix ont été signés pour mettre fin à la guerre initiée par le FPR. Or, celui-ci disposait encore de son armée intacte, de ses amis, et des canaux d’approvisionnement intouchables. C’était naïf de penser à modifier le contenu des accords signés sous la pression des armes, unilatéralement, par de simples astuces, et de ne pas penser à une réaction militaire du FPR. Les FAR, ne disposaient pas de stock de munitions importantes. Habyalimana le savait. Il savait aussi, qu’en cas de déclenchement des hostilités les approvisionnements en munitions ne suivraient pas, le pays étant sous embargo et contrôlé par une communauté internationale dont l’opinion était défavorable au régime. Comme pour faciliter la tâche à Kagame, il a entrepris son dernier voyage en amenant avec lui le général major Nsabimana, chef d’état–major et dernier haut responsable de l’armée présent dans le pays (le ministre de la défense, les G2 et G3 étaient à l’étranger). C’est un comportement inimaginable dans une armée où on n’avait jamais laissé une seule petite unité sans commandement, même en temps de paix. Il a effectué son dernier voyage sur une note spéciale d’irresponsabilité. C’est d’ailleurs ainsi qu’était Habyalimana depuis probablement longtemps. Il a toujours vécu intensément le présent, sans prêter attention au passé, et incapable d’anticiper sur le futur. Il a dirigé le pays, les FAR, la guerre, en véritable absent. Selon un haut dignitaire du MRND, citant l’ambassadeur Juvénal Renzaho, -qui est malheureusement décédé dans le même avion que Habyalimana-, le président était d’une intelligence encore vive lors du coup d’état, mais quelques années après, il avait déjà perdu beaucoup de sa lucidité.

En 1994, le régime tombe sous les coups de la haute noblesse Tutsi, selon un scénario prédit par le vieux révolutionnaire Joseph Gitera, père de la République rwandaise. En 1979, il m’a exprimé sa profonde déception envers le comportement des tenants du régime, accusant de l’ignorance de l’Histoire du pays, surtout envers leur indifférence vis-à-vis du danger que représentait encore, la volonté des dignitaires de la noblesse tutsie de reprendre le pouvoir perdu lors de la révolution rwandaise de 1959. Il avait fait dessiner chez lui un tableau représentant sa vision de la fin du régime. Le tableau montrait des avions militaires larguant des parachutistes sur un troupeau de porcs sans défense, affairés à se servir sans souci dans un champ de patates douces. Pour lui, les parachutistes représentaient la future armée de la noblesse tutsie, et le troupeau de porcs, le peuple rwandais. Il est très clair que la personnalité du président Habyalimana a pesé plus dans l’effondrement du pays que l’ingéniosité des hommes du FPR. Le dictateur Kagame n’aurait pas pu atteindre ses ambitions s’il avait eu à faire à un homme plus clairvoyant, plus entreprenant, et plus soucieux des intérêts de la nation que de son propre statut. La nation rwandaise avait des atouts, des potentialités de loin supérieures à ce que le FPR pouvait mettre en œuvre. Le président Habyalimana, qui a pratiqué la politique de division durant tout son régime, n’a pas pu se dépasser, se muer en rassembleur d’hommes autour de la même cause, face à la guerre contre le FPR. Les Rwandais de l’intérieur, Hutu, Tutsi et Twa, étaient profondément contre cette guerre, et l’ont manifesté spontanément à Kigali à l’annonce de la mort du général Rwigema en novembre 1990. Le président Habyalimana n’a pas pu saisir l’élan manifesté, et l’exploiter politiquement.

D. Et demain le Rwanda

Le peuple rwandais a eu une évolution socio-historique semblable à celle des autres peuples du monde : société féodale jusqu’en 14ème siècle, ensuite monarchie patrimoniale jusqu’en 1903, colonisation de 1903 à 1962 et enfin état moderne embryonnaire de 1962 à 1973. Le cours normal a déraillé voici près de 50 ans avec la liquidation fortuite des partis d’opposition en 1964, pour caller complètement avec l’arrivée des dictatures militaires voici 40 ans.  

1. Contexte historique

Dès 1890, à son insu, le Rwanda faisait partie de ce que les puissances coloniales avaient appelé « le Protectorat allemand en Afrique centrale (= le Deutsche Ostafrika) ». Lorsque les allemands imposent leur protectorat sur le pays, ils ont trouvé sur place une monarchie mystico-patrimoniale dominée par quelques clans de la haute noblesse Tutsi. L’Allemagne réunit le royaume du Rwanda, le royaume du Burundi et bien d’autres royaumes de l’Afrique de l’Est et les administre comme une entité appelée « Deutsche Ostafrika) ». Dans la colonie allemande d’Afrique orientale, l’administration fut d’abord militaire avant d’être civile. C’est en 1899 que fut créée « la Région militaire (Berzirk) du Ruanda-Urundi » ayant pour « Militärstation » Usumbura. Elle fut placée sous l’autorité administrative et militaire du capitaine commandant dit « Hauptmann » Berthe qui lui-même dépendait du comte Von Götzen, devenu entre-temps gouverneur de toute l’Afrique orientale allemande ayant comme chef-lieu Dar-es-Salaam. En 1916, le territoire du Ruanda-Urundi passe ensuite sous mandat belge par suite de la perte par l’Allemagne de ses colonies à la fin de la première guerre mondiale. La Belgique administre le territoire au nom de la Société des Nations, ensuite (à la fin de la deuxième guerre mondiale) au nom de l’Organisation des Nations Unies (ONU).

Dès la fin de la 2ème guerre mondiale, l’ONU a enjoint à la Belgique de préparer le territoire à son recouvrement de l’indépendance, en opérant des réformes sociales de façon à transformer cette société jugée arriérée et féodo-monarchique, en société démocratique moderne. Dans les années 1950, l’ONU, compte-tenu de la durée des réformes à opérer, fixe la date de l’indépendance pour la mi-1962, le 01 juillet 1962 devenant ainsi un objectif. Au Burundi, la haute noblesse accepte de jouer le jeu et on a abouti à une monarchie constitutionnelle. Au Rwanda, dès qu’il devient clair que la démocratisation signifiera perte de privilèges, la haute noblesse tutsie s’oppose aux réformes et c’est le bras de fer avec les révolutionnaires, suivi d’affrontements. Le pays recouvre son indépendance sous un régime présidentiel démocratique. Les révolutionnaires, rappelons le, comprenaient Hutu et Tutsi et Twa, appuyés par des Belges et derrière eux, l’ONU. La noblesse tutsie s’est défendue dans les débuts en tant que telle, (voir sa déclaration connu sous le nom de « La mise au point » du 17 mai 1958). Ce n’est que plus tard qu’elle a cherché à attirer toute la sous population Tutsi dans ses rangs pour améliorer le rapport de forces, ce qui n’a pas fonctionné à 100%, parce que le régime issu des premières élections comprenait des ministres et des députés Hutu et Tutsi. En 1964, un crime catastrophique a frappé la démocratie. Il en a résulté plusieurs conséquences. Par suite d’une importante incursion des INYENZI, en Bugesera en décembre 1963, tous les dignitaires des partis d’opposition (ministres, députés, et représentants de partis UNAR et RADER) sont arrêtés et exécutés-, y compris le cousin de Kayibanda, Rwagasana, secrétaire général de l’UNAR-, sans procès. La démocratie est morte ce jour là. Jusqu’à présent, personne n’a encore élucidé le crime, et on ne sait pas encore qui a été responsable de quoi. Seul Monseigneur Alexis Kagame a relevé que l’évènement s’est passé en l’absence du président Kayibanda qui se trouvait à Addis-Abeba pour la séance de l’OUA. Dès son retour, il a congédié le contingent militaire belge qui aurait été désigné comme responsable du forfait.

Le nouveau régime démocratiquement élu, qui a rencontré énormément de difficultés dans la participation démocratique au pouvoir politique en raison de la domination externe, est balayé en 1973 par un coup d’état militaire.

Le putsch inaugure pour la démocratie, une période sombre qui dure encore consistant à arracher le pouvoir des mains de celui qui l’exerce par l’usage des armes. Des dictateurs militaires s’emparent du pouvoir et normalisent la situation en faisant voter des constitutions sur mesure. Dans les deux cas, le peuple, profitant des brèches dans les appareils de bâillonnement en expérience a réussi à laisser voir sa désapprobation. En 1979, la volonté du peuple a été claire dans les préfectures de Gikongoro et Kibuye où on a décompté 25% et 33% des voix (vite modifié en 56% et 67%) pour. En 2003, le candidat président Kagame n’a pas obtenu 30%, mais s’est proclamé vainqueur, tambours battant avec un record stalinien de 95%, et le peuple n’a eu qu’à murmurer son amertume ainsi : « Uliya mugabo twaramubeshye ngo tuzamutora, none nawe yilirwa atubeshyera hose ngo twaramutoye = Nous avons menti (pendant la campagne) à cet homme que nous voterons pour lui, et voilà qu’à son tour, il ment partout que nous avons voté pour lui ». Les deux dictateurs ont eu recours aux masques qui les ont bien réussi dans les débuts, mais s’usant avec le temps, leurs vrais visages se sont dévoilés c’est-à-dire le pouvoir pour s’assurer personnellement des privilèges colossaux, à eux, à leurs familles et enfin aux fidèles proches. Le totalitarisme moderne est pire que la monarchie mystico-patrimoniale du Rwanda ancien, selon laquelle le patrimoine national appartenait au seul roi, qui le redistribuait à ses sujets à sa guise. Deux faits illustrent ce concept dans les deux dictatures. À un moment, toutes les devises provenant des exportations du pays se sont retrouvées sur le compte personnel de Séraphin Rwabukumba, un fonctionnaire de la banque nationale du Rwanda, frère cadet du colonel Sagatwa et beau-frère du président Habyalimana, et cela pendant la guerre, sans se soucier de l’image du pays, ou du régime, qu’un tel crime économique projetait aux yeux des créanciers du pays. Par ailleurs, sous l’actuel régime, on apprend que le président Kagame, dans ses voyages à l’étranger, dort dans des suites payées la nuit des notes élevées à plusieurs fois le salaire mensuel d’un ministre. Il aurait dormi dans un hôtel appelé Mandarin Oriental à 16 000$ la nuit. Obama, le président des États-Unis, la super-puissance économique, payant 10 000$ sa nuit d’hôtel, le premier ministre britannique, Mr Cameron ne payant que 2 000$).

Les deux dictateurs ont eu recours aux masques. Jeune étudiant à l’université de Louvanium, à Kinshasa en 1960, Juvénal Habyalimana a été membre actif de la jeunesse de l’UNAR, puis du MDR-PARMEHUTU. En 1960, il s’est fait recruter à l’école d’officiers. Plus tard, il s’est fait sauveur de la nation (1973), puis leader des Bakiga, puis des Bashiru puis des Hutu. Kagame, descendant de Rwâkagâra, a utilisé pendant la guerre, le masque de libérateur démocrate vis-à-vis de la communauté internationale et de Tutsi pour les membres de la communauté tutsie. Quoique ce dernier masque était évident, la consigne de nier a toujours été respectée, nier l’évidence faisant partie de la philosophie ubwenge. Il y a lieu par exemple de se référer à l’échange houleux sur les ondes entre deux membres éminents du FPR (échange que j’ai tenté d’immortaliser par mon Email aux internautes en 2001) à savoir Charles Muligande, alors secrétaire général du FPR, et le mécontent professeur Kimenyi. Ils se sont lancé la phrase : « Abatutsi basangira amaraso ntibasangira amata = Tutsi, nous avons été solidaires en versant ensemble notre sang sur le champ de bataille, mais nous n’avons pas partagé équitablement le butin ». Même le docteur Théogène Rudasingwa admet implicitement l’utilisation du masque « Tutsi » dans l’éloge funèbre à feu Aloysie Inyumba.

Tout récemment, doutant de l’efficacité du masque « Tutsi » dans la situation actuelle, malmené par le phénomène qu’il a lui-même appelé «Ibigarasha », et malmené par des voyants internationaux, Kagame sort les gros moyens pour le remettre en état. Pour la première fois, il décrète personnellement que les Hutu portent un péché congénital et doivent demander à genoux pardon aux Tutsi de génération en génération. La manœuvre ne doit tromper personne. Elle est destinée à séduire la totalité de la sous population Tutsi, alors que les privilégiés du régime ne sont accaparés que par une minorité de la minorité tribale tutsie. Diplômé naturel de la philosophie Ubwenge, acquis à la haute école de la noblesse tutsie, il semble vouloir incarner le fameux monarque Kigeli IV Rwabugili, du 19ème siècle, contemporain de son illustre aïeul Rwâkagâra. Après avoir semé la désolation au Congo voisin, -où sa folie a donné lieu à des millions de morts-, il se tourne contre le président Kikwete de Tanzanie, un universitaire reconnu, qu’il sous humanise en le qualifiant de Injiji (= sans valeur intellectuelle). Puis il dévoile publiquement son intension de l’assassiner. Décidément, Kagame semble estimer que sa formation à l’école de la haute noblesse Tutsi du Rwanda est la plus importante au monde. Il est à préciser que, selon Mureme, l’ubwenge est un ensemble de méthodes, de cours et de niveaux réservés uniquement à la noblesse tutsie à l’Ibwami, ou à la cour des commandants en chef d’armée, de générations en générations. L’ubwenge met à côté les conventions morales et se situe sur un tout autre système d’axes non moral, inconnu du public, embrassant les sciences occultes, ésotériques, magiques noires, divinatoires, le renseignement humain, l’infiltration, la manipulation, la trahison, la sécurité, l’espionnage et le contre- espionnage, les techniques de combat corps à corps, les techniques de combat à l’épée, au couteau, à l’arc, à la lance, l’empoisonnement, la self- défense, le kidnapping, l’assassinat, la disparition etc.. (Voir Manuel d’Histoire politique et sociale du Rwanda contemporain, Tome 1, page163)

2. La logique du futur

Le temps où étaient encore supportables des systèmes de gouvernement privilégiant la naissance pour se partager les biens produits par les compétences, à travers un système de privilèges, favorisant la constitution et ou la consolidation de la hiérarchisation des groupes sociaux est révolu, depuis longtemps, en ce qui concerne le Rwanda. Le peuple rwandais souhaite, et c’est dans son réel intérêt, de se doter d’un système réellement démocratique, qui met en valeur compétence et productivité de ses citoyens, c’est-à-dire des femmes et des hommes à chances égales dans leur pays. C’est le seul système capable d’assurer une stabilité politico- sociale indispensable pour bâtir une économie compétitive pour le bien-être de tous. Le système doit créer les conditions permettant à chaque citoyen de se réaliser individuellement, faute de quoi, les citoyens continueront de s’abonner aux différents groupes sociaux, garantissant plus d’assurance.

Depuis 1973, des usurpateurs, baïonnettes au bout des canons, ont privé le peuple de son droit de se choisir ses propres élus, se constituer un système de gouvernement soucieux de ses intérêts. Porteurs de différents masques et manipulant la peur, ils ont eu recours aux méthodes radicales de tueries à grande échelle et c’est le peuple qui paie la note. En 1994, la folie de ces dictateurs a emporté la vie de plus d’un million de Rwandais, Hutu, Tutsi et Twa, et ce n’est pas encore fini. Cela fut commis pour si peu de choses, car, un dictateur absolument irresponsable a cédé la place à un dictateur absolument sanguinaire, et finalement pas plus responsable.

L’immense majorité des Rwandais n’est pas acquise aux idéologies des dictateurs, elle est consciente de ses vrais intérêts. Les deux régimes de dictateurs ne se sont appuyés que sur des inconditionnels recrutés dans une infime partie de la population (8% selon Mureme). Consciente de sa force et ses réels intérêts, elle devrait pouvoir s’organiser et venir à bout de la dictature. Elle en a les potentialités. J’en suis persuadé. Il est possible d’arracher le pouvoir des mains du dictateur de Kigali, mais aussi elle devra se prémunir de la construction d’autres dictatures. Non seulement il faut détruire l’atelier de masques, mais aussi construire celui de détecteurs de masques. Comme relevé en 1986 dans ma thèse « La Modernisation des forces armées rwandaises », la sécurité intérieure du Rwanda est un problème de saine politique, de tolérance, de justice et d’équité aussi bien à l’égard des individus que des groupes sociaux. J’y crois encore aujourd’hui.

Le peuple est visiblement en avance par rapport aux classes politiques. Ceux qui se réclament politiques semblent encore patauger dans des concepts menant tout droit, dans le chaos producteur de dictatures et dictateurs, en espérant, probablement chacun, être le seul survivant. Ils semblent ignorer que, ce faisant, ils assurent la survie du régime qu’ils sont censés combattre. Ils devraient plutôt s’entraîner au dialogue, débattre d’un projet de société, construire une stratégie d’ensemble à suivre. Le dialogue est un moyen de première importance pour souder l’opposition autour d’un projet de société centriste révolutionnaire et par après fixer ensemble une succession des objectifs à atteindre, c’est-à-dire des programmes politiques réalistes. La participation démocratique au pouvoir politique dans notre pays, est l’étape suivante logique de l’évolution sociopolitique du peuple rwandais, décélérée en 1964 et dont le processus s’est trop violemment arrêté en 1973. Ceux qui se battent pour redémarrer la réelle démocratie sont dans le courant de la marche du monde actuel. La lutte pour la démocratie est un projet soutenable et défendable, contre les agissements du dictateur Kagame qui prétend avoir le droit de diriger le pays d’une main de fer selon les méthodes injustes, brutales et cruelles de ses aïeux du 19ème siècle. Le recouvrement de la démocratie est d’actualité sur tout le continent africain. Même la haute noblesse tutsie revenue au pouvoir en 1994, n’a pas pu contester les valeurs démocratiques acquises en 1959 : élection du chef de l’État, direction selon la loi écrite, institutions modernes, séparation des pouvoirs. Si elle jouit encore de privilèges colossaux comme au temps de nos ancêtres, et parvient en même temps, encore, à persuader le monde qu’elle gouverne dans la modernité, ça ne tient qu’à l’usage de l’Ubwenge. Il est évident que l’Ubwenge qui repose sur le monopole de l’information par les tenants du pouvoir, ne peut plus fonctionner au 21ème siècle, vu les moyens modernes de communication disponibles. Déjà en 1959, les révolutionnaires ont réussi à la tenir en échec. Le pouvoir actuel est dans les mains de quelques personnes, recrutées dans quelques familles de la noblesse tutsie moderne faction Abâkagara, représentant une infime partie de la population (environ 3% selon Mureme). Il est, par nature, incapable de démocratiser le pays. La génération actuelle a la capacité de se procurer les moyens de réussir sa révolution. C’est aux classes politiques de sortir de leur torpeur et de construire une stratégie tenant compte de la nature du pouvoir Igiti (= la noblesse tutsie moderne faction Abâkagâra à combattre) et de la volonté politique (= à détruire) de l’Akazu de retourner au pouvoir. Elles doivent comprendre que l’entreprise est de taille et qu’elle doit être menée avec clairvoyance et ténacité.

E. Références bibliographiques

http://www.youtube.com/watch?v=lY0tcegz0Ac&feature=relmfu http://www.youtube.com/watch?v=0aR0mqUkDaY&feature=relmfu http://www.youtube.com/watch?v=BJC3hvCZuhk&feature=related http://www.youtube.com/watch?v=qvdrYF9crmU&feature=relmfu http://www.youtube.com/watch?v=dpikChUdNYE&feature=relmfu http://www.youtube.com/watch?v=MIhFZgSqeJg&feature=relmfu http://www.youtube.com/watch?v=KtKn2Ye7ZHw&feature=relmfu

Fait à Chamoson, le 20 septembre 2013 »

 Colonel BEM Balthazar NDENGEYINKA