INTERNATIONAL   26/11/2005   18.00
DANIELLE MITTERRAND: DÉFENDRE L’EAU DE LA "DICTATURE ÉCONOMIQUE"
Politique et économie Politique et économie, Standard
"Le problème majeur est que nous sommes sous une dictature économique qui répond seulement aux impératifs liés à la rentabilité et qui se désintéresse du fait qu’1,5 milliard de personnes dans le monde n’ont pas accès à l’eau potable, que 2,6 milliards n’ont pas accès à l’assainissement et que 34.000 personnes en meurent chaque jour". C’est ce que déclare à la MISNA Danielle Mitterrand, présidente de la Fondation France Libertés, créée il y a 20 ans, qui a fait de la défense du droit de l’eau un de ses chevaux de bataille et vient de lancer une campagne de sensibilisation et d’appel aux dons pour ‘le droit de l’eau libre, potable et gratuite’. Notre interlocutrice s’empresse de souligner que "notre planète ne manque pas d’eau et n’en manquera jamais. Il y en a pour tout le monde, mais elle est mal répartie sur la planète, surexploitée et de plus en plus polluée". Géographiquement, neuf pays se partagent à eux seuls 60 pour cent des réserves mondiales d’eau douce (Brésil, Russie, États-Unis, Canada, Chine, Indonésie, Inde, Colombie et Pérou). Cette répartition inéquitable des ressources hydriques est renforcée par celle inégale de la population à l’échelle mondiale. Alors qu’un habitant des pays développés du Nord du monde consomme en moyenne de 100 jusqu’à 1.000 litres d’eau par jour, dans un grand nombre de pays du Sud de la planète, ce chiffre passe à quelques litres seulement, par exemple 15 litres par personne en Haïti. Entre temps, "en Amérique latine et en Afrique, les acteurs locaux et les citoyens ont su se mobiliser pour que leurs dirigeants renoncent aux contrats avec les multinationales qui prétendent gérer l’eau dans les intérêts des populations. C’est là une façon de répondre à la Banque mondiale, au Fmi et autres institutions internationales qui imposent, à travers des prêts et subventions, la privatisation des services de l’eau. Les services liés à l’eau doivent être assurés et financés par la collectivité, dans l’intérêt général", insiste la présidente de France Libertés. "L’eau est un élément constitutif de la vie. Or, pour nos gouvernements, l’accès à l’eau ne représente qu’un besoin et donc ils ne sont pas obligés de le satisfaire, alors qu’un droit doit être respecté. Développer l’accès à l’eau potable partout dans le monde n’est par conséquent qu’une question de volonté politique à l’échelle internationale car les solutions existent" ajoute Mme Mitterrand, qui explique à la MISNA que la campagne lancée par la fondation prône pour cette raison l’inscription du droit à l’accès à l’eau potable dans toutes les constitutions et, a fortiori, dans la constitution européenne, pour que chaque être humain puisse disposer gratuitement de 40 litres d’eau potable par jour, quantité nécessaire pour vivre. La question de la gratuité est en effet un enjeu important et c’est sur cet aspect que repose une partie des solutions du drame de l’eau, qui, selon les experts et activistes, ne doit plus faire l’objet d’une marchandisation. Si des avancées ont été constatées au fil d’années de bataille en ce qui concerne l’action des associations et des Ong et la prise de conscience des citoyens de leur propre responsabilité sur ce thème, Mme Mitterrand déplore au contraire que "du côté des institutions internationales, aucun résultat concret" n’a été obtenu. L’interviewée affirme que la communauté internationale connaît déjà les réponses et les solutions à adopter, mais toute action implique des coûts: "Si les états peuvent mettre plus de 1.000 milliards de dollars dans l’armement chaque année, ils peuvent au moins consacrer un pour cent de ce budget pendant 15 ans pour financer des programmes qui amèneront l’eau là où les habitants n’y ont pas accès". C’est précisément sur ce front que la fondation parisienne - qui participe au Collectif mondial de l’eau (né officiellement le 4 février 2002 sous le nom de Coalition mondiale contre la privatisation et la marchandisation de l’eau) – agit avec ses partenaires, en tentant de mettre en valeur des projets pensés et mis en œuvre dans le respect de l’environnement et des conditions économiques et sociales des habitants. Pour n’en citer que quelques-uns: de la réhabilitation de 18 puits traditionnels dans le nord du Niger) à l’accès à l’eau potable et le recyclage des eaux usés pour les villages les plus pauvres du delta du Gange, en passant par la revalorisation des rizières et du reboisement en Casamance, au Sénégal. Selon les experts, si la donne actuelle ne change pas, en 2025, trois milliards de personnes n’auront pas accès à l’eau potable. Au vu de la hausse croissante de sa valeur, l’eau deviendra, et représente déjà dans certains contextes, "l’or bleu" de demain, en bref, pour Mme Mitterrand, "une arme économique, politique et géo-stratégique. Qui aura la maîtrise des ressources hydriques sera le maître de la planète". (par Véronique Viriglio)[VV]

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