LU POUR VOUS,
« Au-delà des barrières » par Charles KAREMANO, L’Harmattan, Paris 2003

INTRODUCTION

(1) Dans son article, « Petite sociologie de la Barrière », paru dans le numéro 233 de la Revue Dialogue, Charles KAREMANO fait cette solennelle et émouvante déclaration : « Je suis à la recherche de tout ce qui peut mettre fin aux barrières. » C’est un ambitieux programme auquel il a longuement réfléchi, notamment dans son livre dont Mme Lucie Bragard a recommandé la lecture en ces termes : « Il est non seulement émouvant et passionnant à lire mais sera surtout très utile tant pour les Rwandais exilés dans le monde que pour les Européens qui souhaitent les aider à retrouver la sécurité et la paix. »[1] Ce sont là des arguments suffisants pour séduire le lecteur des extraits de ce livre « Au-delà des barrières » publiés dans la revue Dialogue et le pousser à lire tout le livre.

(2) La recension particulièrement élogieuse publiée dans le numéro 232 sous la plume de Joseph Ufiteyezu avait déjà conditionné ma curiosité de lecteur intéressé par les explications de la tragédie rwandaise et préoccupé d’en appréhender les causes profondes et d’apprécier la pertinence des voies et moyens suggérés par l’auteur pour sortir notre pays et notre peuple de l’impasse actuelle.

(3) A ces motifs déjà suffisants pour me convaincre de lire et analyser ce précieux document sont venus s’ajouter la caution et le soutien inconditionnels d’autres journalistes et chercheurs au fait du dossier rwandais. Joseph Ntamahungiro, Claudine Vidal, Charles Ntampaka et Thierry Smith soutiennent tous la solution miracle préconisée par Charles KAREMANO pour supprimer les barrières qui empêchent les Rwandais d’avancer : « Le fameux pacte de sang dit IGIHANGO en Kinyarwanda ». Après analyse, je suis d’avis que cette proposition doit faire l’objet d’un débat ouvert permettant aux lecteurs moyennement informés sur le dossier rwandais de donner leurs avis s’ils le souhaitent.

(4) Fort de la recommandation faite aux lecteurs de Dialogue par Charles Ntampaka dans l’éditorial du numéro 235, je saisis cette opportunité pour proposer aux autres lecteurs l’analyse que j’ai faite de ce livre de Mr Charles KAREMANO. Je suis persuadé qu’elle va dans le sens de ces échanges constructifs prônés par les promoteurs de la revue Dialogue depuis sa fondation en mars 1967. Elle complète utilement la recension de Joseph Ufiteyezu qui n’a pas abordé certains aspects qu’il ne pouvait pas appréhender à la seule lecture du récit de KAREMANO ou qui ont pu échapper à son attention.

(5) Dans la formulation de critiques que je souhaite partager avec mon frère Charles KARIMANO et les lecteurs de son récit, je ferai de mon mieux pour rester constamment guidé par ces paroles du prophète Michée : « On vous a enseigné quelle est la conduite juste que le Seigneur exige des hommes. Il vous demande seulement de respecter les droits des autres, d’aimer agir avec bonté et de suivre avec soin le chemin que Lui, votre Dieu, vous indique.» (Mich. 6 :8). Par ailleurs, je souhaiterais rappeler et faire mienne cette recommandation de saint Paul : « Souvenez- vous de ceux qui sont en prison comme si vous étiez en prison avec eux.» (Heb.13,3).

I) Qui est Charles KAREMANO ?
(6) Tout au long de son récit, Mr KAREMANO s’ouvre sincèrement au lecteur. Il parle beaucoup de lui, de sa femme et de leurs trois enfants. Il parle aussi de ses proches parents dont sa sœur Nathalie à qui il dédie son livre. Mais, Charles KAREMANO ne se contente pas de raconter sa propre histoire. Il a choisi d’y mêler ses amis intimes, Runyinya BARABWIRIZA et Jean Gualbert RUMIYA.

J. G. RUMIYA a été tué pendant les événements d’avril-juillet 1994. Son épouse et ses enfants ont échappé aux massacres. Ce sont des rescapés qui sont traités comme tels par le nouveau régime.

Runyinya BARABWILIZA s’est jeté aveuglement dans la gueule du loup FPR. Cependant, il n’a pas été broyé même s’il croupit en prison depuis bientôt dix ans. Son épouse n’a pas eu les mêmes chances. Elle est morte enfermée dans un de ces “containers” transformés en prison par le pouvoir FPR par cynisme, mais aussi par pénurie de lieux de détention de ses opposants réels ou supposés. Certains de leurs enfants vivent en exil, d’autres ont probablement été tués ou vivotent au Rwanda.

Charles KAREMANO et sa famille ont survécu aux événements d’avril-juillet 1994. Ils ont rejoint les rangs du FPR quelques jours après la chute de Butare avant de regagner la capitale Kigali, le 22 juillet 1994. Déçu et plus tard menacé par le nouveau régime, KAREMANO a fui le Rwanda et vit en exil en Belgique avec sa famille au complet.

(7) Des trois amis, KAREMANO a été décidément le plus chanceux. Cette chance qui ne le quitte jamais, Charles KAREMANO la doit probablement à son sens du rêve mais aussi à ses aptitudes à mentir. Tout au long de son récit, Charles KAREMANO se donne les bons rôles et ne se prive pas de le confesser: “Je gravis les échelons aussi vite que l’on monte les escaliers d’une maison à peu d’étages. A 33 ans, je fus nommé ambassadeur plénipotentiaire représentant le Président de la République. J’occupais le poste deux ans à peine. Pour me consoler, on me nomma directeur de l’Administration pénitentiaire”[2] En fait, Charles Karemano ne dit pas toute la vérité. Il faut tout de suite noter qu’il tait délibérément le fait que sa nomination surprise comme ambassadeur en Libye ne découlait pas de ses exceptionnels talents de diplomate, mais s’explique uniquement au regard de la politique d’équilibre régional pratiquée par le régime Habyarimana. Il évite surtout de mentionner que la fin prématurée de sa mission a été provoquée par le Président KHADAFI qui a demandé à Habyarimana de le reprendre, car l’ambassade du Rwanda à Tripoli était devenue un comptoir d’alcool dans un pays musulman.

(8) KAREMANO se montre très sévère à l’égard de ses amis Runyinya BARABWILIZA et Jean Gualbert RUMIYA. “Nous trouvions indécent qu’un professeur d’Université aille faire la cour à tel qui n’avait d’autre mérite que d’appartenir au cercle du pouvoir. Malgré notre amitié, ils nous soupçonnaient probablement de leur déconseiller ces fréquentations pour mieux conserver nos places”[3] Ou encore : « Même si mon parti n’offrait pas d’avantages matériels, politiquement je me croyais peser aussi lourd que mes amis cooptés au MRND”[4]. D’après Charles KAREMANO, « Nous n‘échappons pas à la force du destin. Il nous mène où il veut et comme il veut. Parfois il fait le malin et nous laisse lui prêter la main. Charles Karemano, Jean Gualbert Rumiya et Runyinya Barabwiriza ont prêté la main à leurs destins. »[5] Ainsi donc, si Runyinya est en prison, ce serait de sa faute ; si Rumiya fut assassiné, ce serait de sa faute ; si Karemano est en exil en Belgique avec tous les siens, c’est grâce à sa clairvoyance.

(9) KAREMANO ne dit pas que du bien de lui. A plusieurs reprises, il s’affuble de qualificatifs peu flatteurs: menteur, étourdi, naïf. Menteur, KAREMANO semble l’avoir été depuis sa tendre enfance et le reconnaît sans détour: “J’étais donc obligé de donner à l’Evêque la réponse qui lui faisait plaisir. Il en était tellement content qu’un jour il me fit cadeau de cinquante francs”[6]. Ailleurs, il écrit : “J’étais effrayé de constater que mes supérieurs investissaient en moi pour que je puisse peut-être un jour prendre la direction du monastère. J’ai perdu le sommeil lorsqu’une vieille religieuse m’avoua son impatience de me voir ordonné prêtre pour devenir son confesseur. Je quittais le monastère en 1974. RUMIYA fût le premier à qui je confiai mon intention de me marier l’année suivante.”[7]

(10) Charles KAREMANO affirme aux pages 22 et 23 de son livre précité que, dans sa naïveté, il a souvent fait de mauvais choix. Cependant, quand on connaît son “cursus”, on peut également suggérer qu’il est moins naïf que calculateur. En effet, très souvent, ses choix se sont avérés bénéfiques et payants et comme il l’explique bien, il n’a pas gardé du monastère que la naïveté: “Du monastère, j’ai gardé les valeurs suivantes: une noble naïveté, le rêve, le goût du travail et de la réflexion”. Ses décisions et ses choix semblent découler de la culture de l’optimisme et du rêve acquise pendant les sept années passées chez les moines.

(11) Pour magnifier les vertus et les mérites de son épouse Laurence, Karemano n’hésite pas à se présenter dans son récit comme un étourdi. “Sans ma femme, mon audace, disons mieux mon étourderie, m’aurait ouvert les portes de la mort.” Ou encore : « Ma femme me conseilla de fuir tant qu’il était encore temps. J’objectai que “seuls les faibles et les coupables choisissent le chemin de l’exil.”[8] C’est le même son de cloche, concernant sa mère et sa fille Diane: “Quand au hasard des discussions je suis amené à parler de la femme, je me surprends toujours en train de parler indistinctement de ma mère, de ma femme et de ma fille. Ensuite, je leur colle ce “ma” éternel qui dénote mon instinct possessif à leur égard. Ma mère est “partie” le 15 septembre 1995. Nous étions, mes fils et moi, loin en exil. Ma femme et ma fille l’ont accompagnée jusqu’à sa dernière demeure.”[9]

(12) Parlant de sa famille élargie, Charles KAREMANO ne tarit pas d’éloges: Alertes et clairvoyants, certains parmi ses proches occupent les premiers postes dans les camps et sont même postulants pour des fonctions de dirigeants au niveau de leur commune Ruhashya: “La Responsabilité du camp avait été confiée à Alexis NGIRUWONSANGA, l’aîné de mes neveux et nièces. Il était chargé de rassembler les gens et d’introduire les leçons d’idéologie politique que dispensait chaque jour l’Afandi »[10] Et plus loin: “Mes parents sont amenés aussi. Destination Ruhashya, notre commue d’origine. Je voyais l’un de mes neveux occuper la fonction de Bourgmestre. Mon beau-frère allait, me disais-je, redevenir le représentant de mon parti dans la commune. A moi bien sûr, les nouveaux maîtres devaient confier de hautes fonctions. Quant à ma soeur, elle serait la matrone, soeur, épouse et mère des notables du nouveau régime.”[11]

(13) La souffrance, la déception et la colère de Charles KAREMANO, quand il apprendra l’extermination de la quasi totalité des membres de sa famille (21 personnes sur sa liste), sera à la hauteur de la confiance qu’il avait placée dans ses alliés du FPR: “Contrairement à ce que l’on avait fait croire et à ce que nous avions cru, tous les hôtes du camp des déplacés avaient été conduits à quelques kilomètres de là, dans la forêt du Groupe Scolaire de Butare et de l’Université Nationale et massacrés selon la technique propre au FPR”.[12]

(14) Après avoir relevé ces quelques extraits significatifs du récit que Charles KAREMANO fait de lui-même, de ses amis intimes Runyinya et Rumiya, de sa famille nucléaire et élargie, je suis tenté de conclure rapidement pour ne pas donner l’impression d’un acharnement qui me pousserait à ne retenir que les passages négatifs du récit. Mais je n’ai pas le droit d’en rester là sans brosser le tableau que Charles KAREMANO fait de ses amis et partenaires politiques au sein du Parti social démocrate et au sein des autres partis de l’opposition, de ses adversaires politiques au sein du MRND et même des individus rencontrés au hasard des circonstances de la vie. C’est en cela que ma position d’acteur et d’observateur privilégié pendant ces événements m’autorise à compléter utilement les commentaires avisés de Joseph Ufiteyezu.

(15) S’agissant des critiques émises contre son Parti, le PSD, contre ses dirigeants et contre certains parmi ses membres influents selon les époques, Charles KAREMANO n’y va pas du dos de la cuillère. Il annonce les couleurs en ces termes: “Que l’on ne se fasse cependant pas d’illusion: Le PSD ne fût pas guidé, pas plus que les autres Partis politiques rwandais, par son manifeste. Comme les autres, il fût amarré sur les calculs de ses dirigeants.”[13]

Suit alors un sévère réquisitoire qui n’épargne aucun des principaux dirigeants du PSD. 

(a) Frédéric NZAMURAMBAHO, Président du Parti PSD.
Plus à l’aise dans ses bottes d’agriculteur que dans les meetings politiques, il n’était pas un bon orateur. Il procédait moins par idéologie que par optimisme naturel et par sagesse populaire. Profitant de quelques libertés promises par le multipartisme, sa femme retrouva les membres de sa famille dont certains se trouvaient au Burundi voisin. Les détracteurs de Nzamurambaho prétendaient qu’il mettait les véhicules de l’Etat à la disposition de sa femme pour ravitailler le FPR à partir de ce pays.[14]

(b) GATABAZI Félicien, Secrétaire Général du PSD.
Personne n’étant parfait, Félicien GATABAZI avait au moins deux défauts. La nature l’avait beaucoup doté du point de vue intellectuel. Voulant prêter main forte à la nature au niveau matériel aussi, tous les moyens lui semblaient permis. Il ne parvint pas à se défaire d’Emile Nyungura jugé peu fréquentable par le Parti et s’est entouré d’individus répréhensibles tels que François Ndungutse, Biroto, Mbarushimana, Mutabaruka et Rafiki Hyacinthe Nsengiyumva. Ce mauvais choix du Secrétaire général et Ministre GATABAZI était doublé d’une volonté de faire du PSD “un lieu pour régler les comptes personnels et une propriété familiale.”[15]Il avait des ambitions démesurées.

(c) Félicien NGANGO, Premier Vice Président du PSD.
Ambitieux, bon orateur, l’homme était inclassable. Il était prêt à s’allier au MRND si celui-ci lui promettait un poste ministériel. Il se rendait au siège du FPR à notre insu pour s’assurer du soutien de ce Parti à la présidence de l’Assemblée nationale de Transition (ANT). Quoi que Hutu lui-même, son langage était insondable et fort opportuniste[16]

(d) Théoneste GAFARANGA, 2ème Vice-Président du PSD.
Au sein du PSD et même de l’opposition à Habyalimana, Théoneste GAFARANGA constituait un cas difficile à gérer. Il recrutait publiquement les jeunes qu’il envoyait grossir les rangs du FPR. Son Cabinet médical privé à Nyamirambo était devenu un camp de recrutement au point que son associé TUTSI s’en plaignait au Parti. Il se rendait nuitamment à Mulindi en compagnie de Félicien Ngango.[17]

(e) RUGENERA Marc, Ministre des Finances du PSD dans les gouvernements de transition avant et après la victoire du FPR.
Il ne s’est jamais intéressé aux affaires du parti comme tel; il était plus à l’aise dans les rencontres mondaines ou dans des affaires (souvent louches) que dans des meetings ou réunions des partis politiques pour lui stériles. Il avait des tendances plus régionalistes que partisanes.

(f) Charles NTAKIRUTINKA, Directeur général au Ministère des Travaux Publics.
Après la victoire du FPR, il se proclama Président du PSD et s’octroya le ministère des Travaux Publics pendant que Rugenera passait Secrétaire Général du Parti PSD et s’octroyait le Ministère des Finances.[18]

(g) NSENGIYUMVA Rafiki Hyacinthe et François NDUNGUTSE, Membres du Bureau Politique du PSD.
Avec Emmanuel NDINDABAHIZI et Dr Straton NSABUMUKUNZI, ils se sont répartis les portes feuilles ministériels réservés au parti PSD au Gouvernement intérimaire dirigé par KAMBANDA. Ils sont présentés par C. KAREMANO comme ses ennemis redoutables[19]

(h) NSABUMUKUNZI Straton, Ministre de l’Agriculture dans le Gouvernement KAMBANDA.
C’est un soulard irresponsable, selon Charles KAREMANO, qui s’est soûlé quand il a appris la nouvelle de sa nomination au gouvernement au point de ne pas pouvoir se rendre à la cérémonie de prestation de serment.

(i) Donatien RUGEMA, Député du PSD sous le régime FPR.
Un tutsi rescapé du génocide, originaire de la Préfecture Kibuye. Il aurait publié un tract accusant KAREMANO d’avoir usurpé le pouvoir dans les ONG, d’être membre du parti CDR, tout ça pour lui barrer la route et l’empêcher d’occuper le siège rendu vacant par le décès de Jean Bapfakurera, un autre député PSD originaire de Butare.[20]

(j) Sylvain NSABIMANA: Préfet de Butare pendant les mois d’avril-mai et juin 1994.
Un vaut rien qui le reconnaît, au point qu’il était fier de l’avancer comme un argument disculpatoire contre la déposition du témoin expert du Procureur, le Professeur André Guichaoua.[21]

(16) S’il en était ainsi du bois vert, qu’en était-il du bois mort? C’est ce que montrent les quelques extraits du récit de Charles KAREMANO repris dans les lignes qui suivent.

a) HABIMANA Emmanue
l désigné dans le livre par E[22]
C’est la première victime - citée - de la jalousie dont l’auteur KAREMANO semble faire ouvertement preuve. Karemano n’a pas supporté que le Recteur de l’Université Nationale du Rwanda, le Dr Sylvestre NSANZIMANA, lui préfère son neveu Emmanuel HABIMANA, pour remplacer le canadien titulaire des cours de Sociologie. Pourtant, Emmanuel Habimana était fraîchement diplômé de l’Université Catholique de Louvain et mieux préparé pour l’enseignement que Charles KAREMANO.

b) Daniel MBANGURA et Anatole RWAGASANA.[23]
Charles KAREMANO leur en veut encore aujourd’hui, puisqu’il a jugé important de revenir sur cette épisode qui remonte à l’année 1977-1978. Pour lui, leurs dossiers pour poursuivre les études de doctorat auraient été retenus par la Belgique parce que le directeur des bourses d’études, à l’époque Joseph KURAZIKUBONE, était leur ancien copain de faculté.

Pourtant, Charles KAREMANO reconnaît indirectement qu’ils étaient tous les deux mieux placés que lui puisqu’ils enseignaient déjà à l’Institut pédagogique National (IPN) et lui à l’école sociale de KARUBANDA.

c) Théodore SINDIKUBWABO[24]
Karemano l’accuse de tous les maux. Il a prononcé le discours qui a mis le feu aux poudres. Selon Karemano, ce discours appelait à faire la chasse aux ennemis, identifiés aux TUTSI. Quand il s’établit dans la ville, il traîne avec lui la Garde de son prédécesseur assassiné. Ces militaires tuent et invitent la population à faire de même et à piller. Le Dr Sindikubwabo, Président du Gouvernement pendant la sinistre période, a fait tuer sa concubine Maria dont la maison était située en face de la maison de Bwanakeye. C’est là que le FPR va fusiller de milliers de personnes adultes, hommes et femmes, dont les bras avaient été préalablement liés derrière le dos, à la manière du FPR.

d) KALIMANZIRA Callixte[25]
Ami de longue date de Charles Karemano, l’intéressé, à l’époque directeur de cabinet du Ministre de l’intérieur, se trouvait à Butare. Il refusa la main que Karemano lui tendait et le renvoya brutalement, sans lui laisser le temps de voir le préfet NSABIMANA.

e) KARWERA Spérantie, Aloys SIMBA et MUGIMBA[26]
Les deux premiers sont des anciens dignitaires du MRND, tandis que MUGIMBA est un ancien dirigeant du parti CDR. Ils auraient fait beaucoup de tort à KAREMANO à son arrivée en exil au Sénégal où ils étaient arrivés bien avant lui. Ils l’accusaient d’être un agent du FPR venu les espionner.

(17) KAREMANO n’a pas épargné les individus rencontrés au hasard des circonstances de la vie, du moment que l’évocation de leurs noms pouvait apporter du piment à son récit. C’est ainsi qu’il parle
presque méchamment des anciens Président du Burundi. Il dit de tous ses locataires Burundais, anciens réfugiés et étudiants à Butare, qu’ils étaient mauvais payeurs. Il ne s’empêche pas de signaler que le président Cyprien NTARYAMIRA et l’ancien ministre de l’intérieur François NGEZE ont organisé leurs mariages dans sa maison de Cyarwa. Quant à Melchior Ndadaye, KAREMANO rappelle fièrement qu’il a été l’un de ses étudiants. Mais, par la même occasion, il regrette que le dernier occupant burundais de sa maison de Cyarwa y ait laissé des photos de Melchior, donnant ainsi involontairement aux squatteurs du FPR la preuve que la maison appartenait à un “Hutu dur comme Melchior Ndadaye”. KAREMANO n’a jamais réussi à récupérer sa maison et le regrette amèrement.

II) Les révélations de Charles KAREMANO
(18) Comme tout bon “modéré”, Charles KAREMANO renvoie dos à dos le MRND et le FPR. Il s’en explique en ces termes: “De retour à Kigali, la grande difficulté que j’éprouve personnellement est celle de ressentir comment je me classe: où dois-je me situer, dans le camp des vainqueurs ou dans celui des vaincus? Certainement pas celui des vaincus! Je n’ai jamais pactisé avec les Interahamwe. Je n’ai pas soutenu le Gouvernement vaincu. D’autre part je n’ai point contribué à la victoire du FPR. Ni dans le combat, ni par une déclaration, ni par une information dont il aurait pu profiter.”[27] Ailleurs, pour circonscrire le contexte de sa fuite, KAREMANO écrira : « Le contexte est celui d’une société binaire du point de vue ethnique et régional, d’une démocratisation forcée, d’un multipartisme improvisé et chaotique, d’une guerre aux agendas cachés, enfin d’une victoire sur fond de destruction humaine, matérielle et morale. » [28]

(19) Mais cette position est loin d’être confortable. Une fois désillusionné, Karemano a été amené à faire cet aveu: “Sans aucun doute je me trouvais dans le camp de la désolation et, bientôt celui du désenchantement.”[29] C’est à la lumière de cette double mise au point qu’il faut apprécier les révélations ou confirmations concernant les responsabilités des principaux protagonistes de la crise rwandaise à travers le récit de Charles KAREMANO.

(20) Sur le FPR, KAREMANO fait de nombreuses révélations dont notamment les suivantes:
* Page 33: Le FPR, sur sa Radio MUHABURA, annonçait fièrement sa progression fulgurante sur le terrain. Il publiait les noms des personnes tuées ou supposées, dans le but de rallier leurs familles à sa cause; il fournissait indirectement la preuve de leur traîtrise que les proches se devaient d’expier.

* Page 34: Le FPR est resté sourd à toute proposition de négociation. Il prétendait combattre pour arrêter le massacre des tutsi, mais en réalité, il s’est servi d’eux comme prétexte pour poursuivre ses conquêtes. Il a ensuite exploité leur misère pour consolider son pouvoir.

* Page 60: Comme s’il avait prévu celui-ci, la nuit même de l’attentat, le FPR se met en mouvement à partir de son quartier général de Byumba. Dans la ville de Kigali, ses soldats, plus nombreux que l’on ne croyait, se mobilisent. 

* Page 104: Le FPR a dynamité les maisons des dignitaires du régime vaincu ou de leurs proches.A défaut de les tuer eux-mêmes, on s’attaque à leurs symboles. A Kigali, rien que dans le seul quartier Kicukiro, au 20/04/1994, le FPR avait dynamité et mis par terre les résidences privées de Matthieu NGIRUMPATSE, Edouard KAREMERA, Denis NTIRUGIRIMBABAZI, François NGARUKIYINTWARI, tous membres influents du MRND.

* Page 105: Afande Odongo a expliqué à Charles KAREMANO les circonstances de l’assassinat des évêques à GAKURAZO. Il a complètement démenti la version officielle qui présentait cet assassinat comme une malheureuse bévue due au simple débordement de soldats indisciplinés.

* Page 105: Les officiers du FPR ont raconté à KAREMANO comment le FPR avait infiltré les milieux politiques et militaires du Gouvernement Habyalimana, notamment les faux domestiques introduits chez le Général Ndindiliyimana et chez le Colonel Rutayisire.

* Page 106: Afande Odongo révèle à Charles KAREMANO son identité véritable et comment il avait eu l’opportunité de parcourir tout le pays et de glaner les informations pour le FPR en 1988. A l’époque il avait travaillé à l’OVAPAM sous l’autorité de l’ancien Premier Ministre Dismas Nsengiyaremye et après sa mission d’espionnage, il était retourné en ouganda.

* Page 107 à 109: KAREMANO témoigne sur les massacres des réfugiés par le FPR et donne la liste des membres de sa famille tués par le FPR.

* Page 124: Charles Karemano livre des indications précises sur les sites des massacres perpétrés froidement par le FPR. Dans un document beaucoup plus analytique et détaillé , Jean P. Edouard KOMAYOMBI, de l’Association AKAGERA Rhein E, V, fait une poignante description des crimes du FPR dénoncés par ses anciens alliés ou supporteurs. Parmi ces Hutu modérés considérés comme des témoins crédibles, il y a l’ancien Ministre de la Défense de HABYARIMANA, GASANA James et l’ancien directeur du Centre IWACU, NKIKO NSENGIMANA, tous deux actuellement exilés en Suisse. Ils ont réalisé l’estimation la plus réaliste des victimes de la tragédie rwandaise arrêtée au mois d’octobre 1997.
D’autres « modérés », anciens collaborateurs ou dignitaires du Régime FPR ont dénoncé ses crimes. Parmi eux, J.P. Edouard KOMAYOMBI cite : Jean Marie Vianney NDAGIJIMANA, François Xavier NSANZUWERA, Sixbert MUSANGAMFURA et Faustin TWAGIRAMUNGU[30].

* Page 125: Charles Karemano retient que le FPR a fait du “génocide” un fonds de commerce pour négocier toutes sortes de financements; un instrument de chantage aussi, y compris contre le TPIR pour ne pas inculper les criminels dans ses rangs.

* Page 125-126: Le régime FPR pratique la discrimination sur des bases ethniques, reconnaît la qualité de victime aux morts de la seule ethnie TUTSI et considère globalement que tous les hutu sont des coupables. En cela, il a toujours joui du soutien américain et de certaines ONG d’assistance humanitaire.
Ci-dessous, je reprends ledit tableau estimatif des victimes du conflit rwandais par phase, régions et objectifs des tueries, tel que publié par James Gasana et Nkiko Nsengimana.

Coût en vies humaines du conflit rwandais[31]
Phase de la crise Régions Objectifs des massacres Nombre de victimes
Octobre1990-février 1993 Byumba et Ruhengeri Le FPR et la NRA dégagent un territoire « Tutsiland » pour la négociation du pouvoir et linstallation des réfugiégociation du 20.000
Février 1993 Byumba et Ruhengeri Idem  
Avril–Juin 1994 Toutes les régions pour le génocides tutsi Byumba, Kibungo,Bugesera et Kigali-Est pour le génocide des hutus.  Lutte pour le pouvoir et lespace. Pour Byumba et Kibungo, le FPR dégage lespace pour linstallation des rapatriéLutte pour 1.180.000
Juin-août 1994 Centre et sud du Rwanda. Consolidation de l’ethno-cratie militaire tutsi et du butin de guerre. 400.000
Juillet - aoûJuillet–août 1994 Camps de réfugiés au Zaïre  Epidémie, maladies, faim 100.000 
Août-décembre 1994[32] Toutes les régions du pays Ecrémage accéléré des élites et des mâles hutus. Vengeance, consolidation du butin de guerre. 580.000
1995- août1996 Toutes les régions du pays Idem 250.000 
Novembre 1996 à février 1997 Camps des réfugiés au Zaïre  Génocide hutu perpétré par le FPR et la rébellion de Kabira Joseph 500.000
Mars-mai 1997 Massacres des réfugiés à Tingi Tingi et à Kisangani Idem 80.000 
Total

Rwanda

3.150.000

(21) Sur les principaux dirigeants de l’opposition intérieure et leurs partis, Charles KAREMANO fait des confirmations accablantes dont les suivantes :

* Page 45 : Le MDR miné par des luttes internes et fratricides. Le programme politique du MDR se résumait en quelques slogans tels que la conférence nationale souveraine (RUKOKOMA) alors à la mode en Afrique et les acquis de la Révolution Hutu de 1959. La méthode: le “KUBOHOZA” ou stratégie de la terre brûlée, pour libérer par la force les biens de l’Etat ou des particuliers. Le « kubohoza » consistait aussi à forcer les dirigeants locaux à adhérer au parti MDR. Les luttes intestines et fratricides pour se positionner à la tête du parti ou de l’Etat sont les seules constantes au sein du MDR d’avant ou d’après la victoire du FPR. Et de conclure: “D’aucuns pensent que sans luttes internes qui ont marqué le parti, le Rwanda aurait pu connaître meilleur destin.”

* Page 46: Le Parti Libéral détruit par la bicéphalie ethnique de sa direction. La lutte d’influence entre le Président Hutu du Parti, Monsieur Mugenzi Justin, et le Premier Vice-Président Landouard Ndasingwa, un Tutsi, est allée en s’aggravant pour culminer avec l’éclatement du parti à la suite de l’organisation par les deux factions de congrès séparés et l’élection des comités de direction concurrents en vue d’accaparer les postes attribués au PL dans les institutions de transition élargie. Les Tutsi, nombreux au sein du parti, se sont rangés sans hésiter derrière leur congénère Tutsi Landouard Ndasingwa, tandis que Mugenzi manoeuvrait pour s’assurer à tout prix une place personnelle dans le Gouvernement.

* Page 49 à 51: Le PSD, malade de la trahison de certains de ses dirigeants, des ambitions démesurées des autres et du goût très marqué de tous pour le détournement et l’accaparement des biens de l’Etat. A trois reprises, KAREMANO a raté l’occasion de prendre sa part du gâteau conquis de longue lutte par le parti PSD. Le 08 avril 1994, François Ndungutse, Nsengiyumva Rafiki Hyacinthe, Straton Nsabumukunzi et Emmanuel Ndindabahizi se sont partagés les postes au sein du gouvernement intérimaire et à la tête du parti. Le 18 juillet 1994, Charles NTAKIRUTINKA et Marc RUGENERA ont fait exactement la même chose quand le FPR a distribué des cadeaux à ses fidèles alliés des Forces Démocratiques de Changements (FDC) alors galvanisés par Faustin TWAGIRAMUNGU. Charles NTAKIRUTINKA, Juvénal NKUSI, Marc RUGENERA, Augustin IYAMUREMYE, et François NDUWUMWE sont restés bouches cousues en mars 1995 lors de l’examen de la candidature de Charles Karemano au poste de député par le Forum des partis politiques dominé par le FPR.

Averti par un ami TUTSI, membre du FPR, des propos on ne peut plus clairs tenus à son sujet par Patrick MAZIMPAKA, c’est un KAREMANO amer et désabusé qui décide de fuir le pays, pratiquement abandonné par tous ses amis du PSD qui craignaient de compromettre leur avenir. C’est de nouveau auprès de son épouse Laurence qu’il trouve compréhension et consolation avant de se résoudre à partir.

(21) De ce récit de Charles KAREMANO, une double conclusion semble se dégager : le Procureur se trompe grossièrement quand il croit pouvoir accuser le MRND et le Président Habyalimana d’avoir divisé les partis politiques de l’opposition pour retarder la mise en œuvre des accords de paix d’Arusha. La déposition d’un éminent modéré, par exemple Charles Karemano, sur ce volet de l’accusation portée contre les dirigeants du MRND détenus à Arusha contribuerait sans nul doute à rétablir la vérité et à déterminer les responsabilités des uns et des autres dans ces blocages. Ce serait aussi une opportunité pour supprimer une de ces barrières artificielles et faciles à briser.

III Des exceptions pour confirmer la règle
(22) Le récit de Charles KAREMANO ne laisse aucune ombre de doute sur son objectif principal : « Porter un regard critique sur mes actes et sur les actes des autres, oui. Dénoncer ce qui me paraît répréhensible, certes.»[33] Cependant il y a deux catégories de personnages hors du commun à l’endroit desquels des fleurs ont été littéralement jetées. Il s’agit de quelques femmes aux premiers rangs desquelles se trouvent son épouse Laurence et sa fille Diane.

Ce sont encore les quelques rares partenaires au sein du Parti social démocrate lui restés fidèles et exceptionnellement courageux en ces moments troubles.

* Page 36 : Vénéranda, l’épouse de Rumiya Jean Gualbert . Elle est restée fidèle à l’amitié d’antan. Lors de son séjour à Bruxelles où elle avait été appelée pour témoigner contre les « Quatre de Butare », elle n’a pas hésité à faire le déplacement pour aller voir les KAREMANO à leur domicile. Elle aurait même passé la nuit chez eux si les organisateurs du voyage des témoins n’en avaient brutalement décidé autrement.

* Page 51 : Mme MUTUYIMANA Emérence. Pour contrer la candidature de Nsengiyumva Hyacinthe soutenue par Félicien GATABAZI, KAREMANO avance celle de Mme MUTUYIMANA Emérence qui sera élue trésorière du parti en même temps que NGANGO Félicien et Théoneste GAFARANGA étaient réélus Premier et deuxième Vice-Président et Rafiki écarté.

* Page 71 : Mme KAMANZI Spéciose. Sur le chemin de la fuite vers Butare, KAREMANO arrive à GITARAMA à la tombée de la nuit et décide d’y passer la nuit. Il se présente chez son amie de longue date, Spéciose KAMANZI, alors directrice du Centre des services aux coopératives (CSC). Exceptionnellement, elle prit le risque de l’héberger, lui et sa famille, malgré les dangers réels, surtout qu’ils n’avaient pas les autorisations de se déplacer.

* Page 84 à 85, 97, 138 à 139 : Laurence et Diane. A travers ces pages, KAREMANO rend un hommage mérité à son épouse Laurence et à sa fille Diane. A plusieurs reprises, il s’incline volontiers devant la clairvoyance de son épouse et le courage de sa fille.

* Page 118 : Nathalie, la sœur de Charles KAREMANO à qui il dédie son livre. Elle a perdu son mari tutsi, tué par les miliciens. En avril 1995, elle ne fut pas admise à la cérémonie organisée par IBUKA pour enterrer dans la dignité les victimes du « Génocide ». Elle en souffre mais accepte sa situation comme si elle était née pour souffrir, dit son frère Karemano.

* Page 58 : Dr Rwangabo et Docteur Mungwakuzwe. Ce sont les rares membres du parti qui se sont préoccupés de son sort quand il était bloqué à Kigali après l’assassinat du Président Habyarimana. Bien plus, ils ont fait preuve de courage extraordinaire en parlant sur les antennes de Radio Muhabura pour dénoncer les agissements des INTERAHAMWE et de la Garde présidentielle. Mais ils se trouvaient déjà sous la protection du FPR.

* Page 82-83 : L’ancien Bourgmestre de Ngoma, Joseph KANYABASHI. Il a sauvé la vie à KAREMANO après une distribution de vivres qui avait créé des jalousies dans le secteur de Cyarwa. KANYABASHI était tellement respecté dans sa commune que, d’après KAREMANO, le seul fait de conférer publiquement avec lui a valu à ce dernier « quelques galons et du respect de la population. Personne n’osait plus l’importuner »

* Page 52 : Monsieur IYAMUREMYE Augustin et l’ambassadeur UWIBAJIJE Sylvestre. Pour assurer la succession de Félicien GATABAZI, assassiné, le Parti avait besoin d’un candidat originaire de Butare. IYAMUREMYE Augustin était le candidat de Charles KAREMANO. C’est lui qui fut plébiscité contre l’ancien ambassadeur Sylvestre UWIBAJIJE, Candidat de Nsengiyumva Rafiki et François Ndungutse. Directeur général du S.C.R sous les Gouvernements Nsengiyaremye et Uwilingiyimana Agathe, le Dr IYAMUREMYE travaillait manifestement pour le FPR. Il l’a d’ailleurs rejoint et occupé le poste de Ministre de l’ Agriculture dans le premier Gouvernement FPR. Malgré ses relations avec l’ancien Président Sindikubwabo tué par les hommes du FPR dans les forêts du Congo, le beau-fils n’a jamais été inquiété et figure parmi les Hutu de service encore utilisable au service du FPR. Il est sénateur coopté du PSD et siège au sein du parlement de l’Union Africaine.

IV Conclusions et recommandations
(23) Il est fort probable que Charles KAREMANO ait été animé de bonnes intentions quand il a annoncé être à la recherche de tout ce qui peut mettre fin aux barrières. Malheureusement, l’analyse de son récit conduit à la conclusion tout à fait contraire. A force de taper sur les morts, les prisonniers et les absents, il a créé de nouvelles barrières qu’il va avoir d’énormes difficultés à lever.

(24) Le récit de KAREMANO met en scène beaucoup d’anciens amis ou partenaires au sein du parti PSD ou des autres partis de l’opposition intérieure, particulièrement les animateurs des factions de ces partis politiques qui ont collaboré ouvertement avec l’agresseur du Pays. KAREMANO lui-même ne cache pas ses propres implications et sa préférence pour le FPR qu’il n’a pas hésité à rejoindre après sa victoire. C’est seulement après avoir vainement cherché à avoir sa part du gâteau qu’il se décida à quitter le pays, surtout quand il a senti l’étau se resserrer autour de lui. C’est également à partir de ce moment qu’il se rendit compte que le FPR est une organisation criminelle.

(25) Il est vraiment difficile de comprendre le comportement de KAREMANO qui espérait rentrer dans les structures du pouvoir FPR et y assumer des fonctions de responsabilité en même temps qu’il réclamait les poursuites contre les chefs du FPR qui ont ordonné l’extermination de nombreux Hutu dont ses propres proches parents.[34] Mais il peut se consoler en se disant qu’il partageait sa naïveté avec beaucoup d’autres « modérés »[35].

(26) Des journalistes et des chercheurs de renom tels que Lucie Bragard, Joseph Ntamahungiro, Claudine Vidal, Charles Ntampaka et Thierry Smedt ont tous apporté leur caution et un soutien inconditionnel à la solution miracle préconisée par KAREMANO pour sauver le Rwanda. Mon avis est que cette proposition doit être ouvertement et largement discutée. Dans ce cadre, je réponds positivement à l’invitation lancée aux lecteurs de Dialogue par Charles Ntampaka dans le n° 235 et vous propose la publication de cette analyse dans un de vos prochains numéros. Elle complète utilement la recension de Joseph Ufiteyezu

(27) KAREMANO Charles s’affuble de tous les qualificatifs ; ce qui est déjà très suspect. Il conclut son récit en proposant comme solution pour mettre fin aux barrières « Le pacte de sang qui scelle l’alliance entre des individus ». IGIHANGO est la piste que propose KAREMANO pour mettre fin aux maux qui gangrènent la société rwandaise : génocide, incitation à la haine, barrières ethniques et sociales, démission des intellectuels et des fonctionnaires, délation, discrimination, exclusion, simulation, mensonge…. Comment Charles KAREMANO, qui reconnaît sans nuance qu’il est un excellent menteur, compte-t-il sceller ce pacte de sang qui exige, comme condition sine qua non, la loyauté des partenaires ? Où compte-t-il trouver des naïfs, des menteurs et des rêveurs de sa trempe avec qui sceller son pacte de sang, après avoir tapé sur la quasi totalité de ses anciens amis ou partenaires, ceux qui sont morts comme ceux qui sont encore en survie dans les prisons mouroirs de KAGAME ?

(28) Fin des fins, est-ce que KAREMANO est sincère dans sa proposition ? Est-il conscient des exigences de ce pacte de sang qu’il propose comme solution aux problèmes des Rwandais ?

Il est permis d’en douter.

Jean KABANDANA

Décembre 2004



[1] Dialogue n°233, p.159
[2] Charles KAREMANO, « Au-delà des barrières » L’Harmattan, Paris 2003, p. 26.
[3] Charles KAREMANO, op.cit., p.27
[4] Ibidem, p.27
[5] Charles KAREMANO, op.cit., p.40
[6] Ibidem, p. 20; aux interrogations silencieuses des fuyards qui le voient revenir sur ses pas rejoindre le FPR, Karemano mentira en disant qu’il rentre rechecher sa mère. cfr C. KAREMANO, op. Cit, p 97. De même il memntira pour sauver la vie à un jeune arrêté sur un barrage. cfr C. KAREMANO, op.cit., p.146
[7] Ibidem , p. 22
[8] Charles KAREMANO, op. cit., pp 84-85
[9] Ibidem, p. 86. Comme on le sent, Charles Karemano va jusqu’à se culpabiliser, lui et ses fils d’avoir manqué aux funérailles de sa mère organisées par sa femme et sa fille.
[10] Ibidem, p. 105
[11] Ibidem., p.107-108.
[12] Ibidem, p 108.
[13] Ibidem,. pp 48-49
[14] Charles, KAREMANO, op cit. pp. 49-50.
[15] Ibidem., pp. 50-51.
[16] Ibidem., p. 54.
[17] Ibidem., p. 55.
[18] Charles, KAREMANO, op.cit, p.56.
[19] Ibidem. voir pp. 51-52-62-80 et 81 notamment.
[20] Ibidem, pp. 38-39.
[21] Ibidem, p. 80; cfr ausi audience des 11 et 12 Octobre 2004 dans le procès NYIRAMASUHUKO et consorts.
[22] Ibidem.; voir aussi p. 25.
[23] Idem.
[24] Charles KAREMANO, op.cit., pp.72 et 103
[25] Ibidem, p. 80.
[26] Ibidem., P. 141
[27] Ibidem., p. 113.
[28] Charles KAREMANO, op.cit., p.43. Charles KAREMANO ne cache cependant pas sa préférence pour le FPR : cfr p. 35, 44 et 93
[29] Charles KAREMANO, op. cit, p. 19.
[30] Jean P. Edouard KOMAYOMBI, Président de l’Association AKAGERA-Rhein E-V : Rwanda, les modérés parlent, avril 1996.
[31] Tableau reproduit in « La violence politique au Rwanda 1991-1993.» Déposition de James Gasana devant la Mission d’Information de l’Assemblée Nationale, France.
[32] Dans le rapport de décembre 1994, le Ministère de l’Intérieur (du nouveau régime), Division du Recensement, estimait le nombre total de victimes des massacres interethniques à 2,101.250
32 Voir aussi le rapport d’un témoin publié par le journal français Libération le 10 février 1997, sous le titre « Zaire : un témoin raconte les massacres. »
33 Des quelques 160.000 réfugiés survivants qui avaient atteint Tingitingi d’abord, Kisangani ensuite, environ 80.000 étaient encore en vie en début mai 1997 (voir aussi Time de la semaine du 12 mai 1997, « The Highway to Hell », p.28-33.
[33] Charles KAREMANO, op.cit., p.17
[34] Au sujet des massacres perpétrés par le FPR sur les populations civiles hutu, les indications que donne Charles KAREMANO sont significatives, mais incomplètes, car limitées à Butare seulement. Nous reproduisons ci-avant (page 9) le tableau établi par James GASANA et NKIKO NSENGIMANA dans le cadre du projet NOUER, Lausanne, Octobre 1997.
[35] Voir note de bas de page no 30 ci-avant : Rwanda, les modérés parlent, avril 1996.