Des Rwandais cultivent pour des Congolais

Friday, 04 March 2011 12:03 by Syfia Grands Lacs
 
Rusizi : Des milliers de Rwandais de Bugarama vont chaque matin au Sud Kivu pour travailler dans les champs des Congolais ou dans ceux qu'ils leur ont loués. Le travail y est abondant et le prix payé satisfaisant.


Il est 6 h du matin. Sur la route qui mène à la frontière rwando-congolaise, des hommes, des femmes, des jeunes garçons et filles marchent houe sur l'épaule. Ils font la queue devant la douane de la Ruzizi II, à l’ouest du Rwanda, qui mène à Kamanyola au sud Kivu pour avoir le jeton qui leur permet de traverser légalement. Une heure durant, leur ligne ne diminue pas, tellement ils sont nombreux. « Quand ils sont du secteur Bugarama, frontalier avec la RDC, ils montrent leur carte d’identité(CI). Ceux des autres secteurs doivent avoir un laissez-passer », explique un agent de l’immigration sur place.

Difficile d'estimer leur nombre. De 1 000 à 3 000 personnes, selon les sources, passeraient chaque jour. De l’autre côté de la frontière, en RDC, les Congolais sont nombreux à les attendre pour les embaucher dans leurs champs: « Hier celui qui nous a engagé a pris 40 personnes », témoigne Théogène Nahimana. Ceux qui ne sont pas recrutés sur place cherchent plus loin, le long de la route. « Ici, aucun Rwandais ne peut manquer d’emploi, surtout en cette période de pluie où nous sommes en train de cultiver et de semer », raconte Donatien Kizungu, un Congolais de Kamanyola qui affirme que leurs terres sont tellement grandes qu’ils ne peuvent pas les cultiver seuls.
La région de Bugarama, elle, est très peuplée. Les gens manquent de terres et n'ont plus le droit de cultiver ce qu'ils veulent mais seulement la culture choisie par le gouvernement pour leur région. Ils ont du mal à nourrir leurs nombreux enfants et cherchent à travailler là où le besoin s'en fait sentir.

Main-d'œuvre recherchée

La main d’œuvre rwandaise est recherchée par les Congolais, les prix varient. « Après 6 heures de travail, nous les payons 1 000 ou 1 200 Frw (2 $). Mais tout dépend des périodes. Pendant les semis, ils sont chers », fait remarquer Donatien. Selon leurs besoins et pour stimuler les rendements, certains Congolais augmentent les tarifs. « Hier, j’ai été d’abord  engagée pour 1 200 Frw. Soudain, j’ai vu un autre recruteur qui proposait 1700 Frw (3 $). J'’ai abandonné le premier au profit du second », raconte une dame.

Dans les familles nombreuses, c’est le couple qui part à la recherche de travail en RDC. Samuel Sinamenye de Gishoma, à l’ouest, a huit enfants. Pour les nourrir, lui et sa femme vont en RDC où chacun se débrouille. « Moi, j’ai trouvé un travail ici, à 2 km de la frontière. Elle, peut le trouver à 4, 5, 10 ou 15 km », confie-t-il. Ils espèrent ainsi rentrer avec plus de 4 $ par jour, ce qui leur permet de payer la nourriture et la scolarité de leurs enfants.

Seuls ceux qui ne sont pas originaires de la région et ont besoin d'un laissez-passer pour aller en RDC restent travailler à Bugarama. . Ils touchent la moitié de la rémunération congolaise : 600 Frw par jour (1 $).

Échanges transfrontaliers

Les Rwandais qui ont un peu d'argent ne se contentent pas de travailler pour les Congolais, ils louent annuellement des terres à Kamanyola pour 20 à 40 $ et plus, en fonction de la surface. Fitina Nyiranizeyimana, une jeune femme, a un champ juste à la frontière. Pendant que les autres cherchent une embauche, elle travaille sur sa parcelle : « Je vais semer les haricots », dit-elle, expliquant que toutes les personnes qu'on voit avec de petits sacs pleins de grains de maïs ou de haricots sur la tête, vont les semer dans leur champ loué au Congo.

Les Congolais traversent aussi la frontière. « Ils  vont au Rwanda moudre les grains de maïs puisque ils y trouvent des moulins électriques tandis qu’au Congo, faute de courant, on utilise des moulins mécaniques qui donnent une farine de mauvaise qualité. Les Congolais achètent aussi du ciment au Rwanda », témoignent Nyongoli Imani et Excellent Pacifique, journalistes de la Radio Communautaire Kamanyola (RCKA).

Les commerçants de Kamanyola, de Luvungi et d'ailleurs en RDC sont aussi obligés de passer par le Rwanda pour aller à Bukavu, capitale du Sud Kivul les routes du Congo étant en mauvais état. En effet, « par la route réhabilitée du Rwanda, une heure suffit pour arriver à Bukavu, alors qu’en passant par la route de Ngomo, en mauvais état et non macadamisée, il faut plus de 3 heures » constate Ishanja Jacob, un Congolais. (Fin)