Rwanda : un film retraçant le génocide des Hutu par

 le FPR (1994-1996)

L’extrait censuré du documentaire « Chronique d’un génocide annoncé » (1996). En visionnant le documentaire, on perçoit les raisons pour lesquelles Seth Sendashonga a été assassiné, le pourquoi de la mort de l'abbé André Sibomana ou de l'emprisonnement du Dr Théoneste Niyitegeka.

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[Marie Madeleine Bicamumpaka]

Ce documentaire d’une quarantaine de minutes a été présenté pour la première fois au cours de la cérémonie de commémoration des 50 ans d’indépendance du Rwanda qui a eu lieu à Bruxelles le 1er juillet 2012.

Beaucoup de ceux qui liront cet article et regarderont cet extrait seront sûrement très étonnés de ne pas en avoir eu connaissance bien avant. En effet, le titre « Chronique d’un Génocide Annoncé » leur est connu depuis longtemps déjà. Normal, car ce document date de 1996, si bien que pour le visionner et trier ces images à partir d’une vieille cassette VHS, afin de les adapter aux outils modernes de la télédiffusion, n’a pas été une sinécure.

Le réalisateur du document d’origine d’où ces images ont été tirées est un canadien, Monsieur Yvan Patry. Il est décédé jeune, à l’âge de 51 ans, juste peu de temps après la présentation officielle de son œuvre. Même si « Chronique d’un Génocide Annoncé » en est le titre principal, en réalité il s’agit d’une compilation de trois documentaires tournés sur le Rwanda par le même auteur entre 1994 et 1996, à savoir : Chronicle of a Genocide Foretold (Chronique d’un Génocide Annoncé), Hand of God et Hand of Devil (La main de Dieu et La main du Diable), Sitting on Volcano (Assis sur un Volcan).

Ces films rassemblés en un seul document donnent un produit fini d’une qualité très remarquable dont la série « Chronique d’un Génocide Annoncé », elle-même présentée en trois parties, en est la charpente. Monsieur Yvan Patry a titré et décrit chacune de ces trois sous-séries.

Première partie (Part 1 : Blood was flowing like a river) : Le sang coulait comme une rivière : il s’agit de la genèse du génocide dans deux régions clés du Rwanda, Kibuye et Bugesera, avec le constat que les rwandais ne seront plus jamais les mêmes.

Deuxième partie (Part 2 : We were cowards) : Nous avons été des lâches : cette série analyse comment et pourquoi la Communauté Internationale a abandonné les rwandais pendant ces jours tragiques les livrant ainsi à leurs bourreaux, lorsqu’elle a décidé le retrait des soldats de la MINUAR du Rwanda.

Troisième partie (Part 3 : We feel betrayed) : Nous nous sentons trahis : dans cette partie, le réalisateur pose un autre regard sur le caractère des massacres en cours au Rwanda durant cette période entre 1994 et 1996, quand cette fois-ci comme il le dit, c’est la majorité hutu qui subit les crimes contre l’humanité commis par le nouveau gouvernement rwandais dont à la tête se trouvent des extrémistes tutsi. Il finit en prenant acte de la nécessité d’une recherche de justice, dans un pays où il pense que le chemin de la réconciliation sera bien long…, très très long….

A partir de la fin des années nonante, nous avons pu suivre sur différentes chaînes de télévision du monde, les extraits de Part 1 et de Part 2, qui parfois même ont été télédiffusées dans leur entièreté. C’est surtout autour du mois d’avril de chaque année que différents médias programment leur projection, car au Rwanda on commémore l’Icyunamo (deuil national), reconnu au niveau international. Dès lors, l’on ne peut ne pas être envahi par une stupeur incommensurable quand on découvre qu’une censure plus qu’hermétique frappe une partie de ce même document depuis 16 ans !

Imaginez un auteur qui fait publier un livre de 240 pages. Mais qu’une fois mis en vente, tous les libraires se mettent d’accord pour coller ensemble les 80 dernières pages, de telle sorte que tout client qui l’achètera ne sache jamais le contenu de cette dernière partie de l’ouvrage. C’est ce à quoi nous avons assisté en ce qui concerne ce documentaire de Monsieur Yvan Patry ! Film qui par ailleurs a été très apprécié. C’est dans ce cadre qu’il a remporté le Prix Chalmers de créativité et d’excellence au Canada et le Grand Prix du meilleur documentaire au festival Hot Docs de Toronto en 1998.

Ce refus catégorique pendant toutes ces années, de laisser le public avoir connaissance des atrocités commises par le FPR pendant cette seule période (1994-1996) tel qu’elle a été délimitée par l’auteur lui-même, est une preuve de plus que dès le départ, le peuple rwandais a été sciemment trahi par les décideurs de ce monde. Jusqu’il y a peu, oser dire que le FPR, commandé par le général Paul Kagame, a commis des crimes à grand échelle et que ses victimes doivent eux aussi être honorées, c’était considéré comme un « crime de lèse-majesté-stoppeur du génocide » ! On le sait bien, c’est en partie pour cette même raison que la courageuse Madame INGABIRE Victoire UMUHOZA, présidente du parti d’opposition politique, les FDU, croupit dans les geôles rwandaises, elle et ses compagnons de lutte.

Porter ces crimes barbares à la connaissance du public, en diffusant ces images, j’ai senti cela comme un devoir. Avant sa mort, Monsieur Yvan Patry avait déjà réalisé d’autres films documentaires et des reportages en Afrique, en Amérique Latine et en Asie. Il disait qu’il faisait cela pour secouer l’indifférence, pour témoigner, partager et agir. Mais comment témoigner et secouer tout le monde, si on censure une partie d’un document comme celui-ci ! Les premiers de ceux qui devraient être secoués sont ceux-là même qui décident que personne ne doit savoir, préférant fermer les yeux de tout le monde, fuyant ainsi leurs responsabilités ! Comme s’ils ignoraient tous qu’en réalité, comme l’a dit Voltaire : « C’est le propre de la censure violente d’accréditer les opinions qu’elle attaque ».

En prenant le temps de regarder ce film ramené à 45 minutes, on rend hommage à cet auteur, Monsieur Yvan Patry. En même temps, on honore les témoins de première catégorie qui, se sachant en danger de mor,t ont malgré tout osé. Il s’agit surtout ici de l’Abbé André Sibomana et de Monsieur Seth Sendashonga, emportés par cette machine à tuer, manœuvrée de différentes manières avec tant d’habilité, tant à l’intérieur qu’au-delà des frontières de notre mère-patrie, au vu et au su de tous, depuis plus de deux décennies déjà…

Marie Madeleine BICAMUMPAKA
06/08/2012