La dénomination du drame rwandais et ses acteurs

            A la veille du début de la démonstration sanguinaire du 6 avril 1994, le schéma des acteurs de l'imbroglio socio-politique rwandais, qui s'est vite transformé en une confrontation armée des deux adversaires ethniques, était composé comme suit:

Le camp hutu, dans lequel on pouvait distinguer:

            - les membres du parti au pouvoir (MRND) avec sa milice interahamwe,

            - les factions des autres partis d'opposition démocratique qui s'étaient ralliés au           MRND.

Le camp tutsi, dans lequel il faut distinguer:

            - L'Ouganda.

            - le FPR avec toute la diaspora tutsi,

            - les tutsi qui vivaient à l'intérieur du pays avant la guerre,

            - les dissidents (hutu) des différents partis démocratiques d'opposition             sympathisants du FPR. Les étrangers les appellent à tort et à travers les "modérés".      

A ces deux camps à caractère purement ethnique, il faut ajouter un troisième camp relativement moins visible. C’est le camp des pays impérialistes , vecteurs du conflit rwandais.

            Pendant les massacres d'avril 1994, le camp hutu s'est montré farouche à ces deux dernières catégories du camp tutsi: les tutsi de l'intérieur et les dissidents des partis politiques d'opposition pro-FPR. Les tutsi de l'intérieur, alors que certains d'entre eux n'avaient rien à avoir avec le FPR, ont été massacré. D'une part, ils étaient considérés comme des conspirateurs par le camp hutu et de l'autre part, le FPR les a considérés comme un bouclier. En effet, par ses attaques, le FPR savait bien qu'il compromettait leur vie mais il le faisait malgré tout. Certains membres du FPR sont même arrivé à dire qu'on ne peut pas faire d'omelette sans casser d'oeufs. C'est ainsi que dans les tirs d'obus qui se sont abattus sur la capitale Kigali, le FPR en a délibérément lancés plusieurs sur les abris des tutsi (Eglise Sainte Famille). Cela se faisait dans le but de discréditer publiquement l'armée rwandaise et de la rendre responsable de tous les maux.

 

            C'est dans le même cadre que le FPR s'est rendu coupable en massacrant des milliers de hutu après la prise de l'Est du pays. En effet, alors que presque tous les hutu avaient traversé la frontière tanzanienne pour y trouver refuge et que le FPR était resté seul maître de toute la région, plusieurs corps qui flottaient sur la rivière AKAGERA et le lac Victoria ont été montrés aux médias étrangers. Le FPR et son principal allié l'Ouganda avançaient que ces corps avaient été tués par des interahamwe. Les interahamwe ne pouvaient pas massacrer ces personnes alors qu'ils n'étaient plus sur le territoire rwandais. La majorité de ces corps était liée les mains dans le dos, ce qui est une torture célèbre utilisée exclusivement par les inyenzi-inkotanyi. Pour détourner l'attention de la communauté internationale, le président ougandais Museveni, qui est le véritable génocidaire du peuple rwandais, s'est précipité à déclarer le lac Victoria comme zone sinistrée.

           

            Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que dans certaines régions du pays, c'est le FPR qui a commencé les massacres des tutsi. Bien sûr, le discours du gouvernement Kambanda n'était pas aussi pour la paix, mais grâce aux  infiltrations massives du FPR, ce discours belliqueux lui permettait directement de passer physiquement à l'action. Comme les soldats FPR étaient habillés comme des FAR (Forces Armées Rwandaises) et que l'un des buts de ces infiltrations était d'inciter la population civile à s'exterminer, les massacres devenaient si vite infernales qu'on ne pouvait absolument pas se rendre compte d'où venait ce courant meurtrier. Dans la préfecture de Butare par exemple, le discours belliqueux du gouvernement Kambanda a permis au FPR de commencer les massacres. Dans son plan diabolique, il devait inciter la population civile à s'entretuer et entretemps, sa milice, qui était stationnée de l'autre côté au Burundi, devait trouver l'alibi d'entrer calmement dans ces massacres. Curieusement, plusieurs intellectuels tutsi détenaient des armes que le FPR avait distribuées. Malheureusement après avoir attisé le feu, la réaction de la population hutu a été si brutale que la milice FPR du Burundi est arrivée trop tard. Les dégâts en vies humaines étaient innombrables. Qu'importe pour les inyenzi-inkotanyi! Quel que soit le nombre des victimes tutsi, le FPR voulait seulement le pouvoir. Les massacres dans tout le pays, couplés avec la perte du territoire par les FAR à son profit le rapprochait de la victoire finale. C'est pourquoi le massacre des tutsi de l'intérieur du Rwanda, encouragé par ailleurs discrètement par le FPR, lui facilitait la tache sur le terrain. De l'autre part, les médias occidentaux ne transmettaient que des scènes d'horreur données exclusivement par le FPR. L'objectivité du métier journalistique était totalement réduite à son infime valeur.

 

            Alors que le camp hutu s'en était pris aux tutsi de l'intérieur et aux hutu pro-FPR, le FPR lui, s'en est pris à toute la population rwandaise. Hormis quelques personnalités hutu de renom publique qu'il avait évacuées sur le territoire conquis (Byumba), tous les autres hutu qui ont eu la malchance d'être capturés par le FPR ont été massacrés. Pourtant, pour se vanter de sa bonne discipline et de sa sagesse dans cette guerre, le FPR-inkotanyi a exhibé ces hutu sous sa protection devant les médias étrangers. La guerre des douilles s'était véritablement transformée en une guerre des médias.

 

            Cinq ans après les événements malheureux de 1994, il semble de plus en plus évident que le sentiment de haine et de vengeance prédomine sur la réconciliation. Quand les journalistes ont demandé à une rescapée tutsi du génocide de 1994, si elle était prête à pardonner, sa réponse a été sans ambages. "Le pardon ne se donne pas comme on offre du chocolat aux enfants"*. Cette prise de position d'une ambassadrice officieuse du FPR en Belgique, mais réellement engagée, illustre bien l'attitude de son parti politique face à la question délicate de la réconciliation. Le problème qui se pose est de savoir: qui doit pardonner qui? Dès son attaque en 1990 jusque même après sa victoire, le FPR a massacré et continue de massacrer des civils hutu innocents. Lors du génocide de 1994, les hutu ont massacré les tutsi mais aussi des autres hutu. La responsabilité incombe à tous les camps. Tous devraient normalement se pardonner. Nous pensons qu'un regret sérieux accompagné d'un rejet sincère du mal vécu conduirait les hutu et les tutsi à vivre durablement ensemble. Un rwandais nouveau naîtrait ainsi, avec le seul but de porter pour son peuple l'étendard de la paix et non celui de la guerre.

 

            Ainsi, dans le cadre de la réconciliation, le camp hutu, qui regroupait presque la totalité des hutu, devrait reconnaitre sa part de responsabilité dans le drame rwandais. De fait, les hutu devraient comprendre qu'ils se sont laissée tomber dans le piège de l'ennemi - les inyenzi-inkotanyi. Ils devraient ainsi demander des excuses aux tutsi de l'intérieur qu'ils ont massacré alors que la plupart étaient des innocents. Ils devraient aussi se réconcilier avec les autres hutu et comprendre que la pluralité des idées et idéologies est une des richesses de la démocratie. Par ailleurs, malgré sa victoire militaire, le FPR devrait avoir la franchise de demander pardon à tout le peuple rwandais (hutu et tutsi). Il a causé une guerre meurtrière, massacré des hutu innocents et s'est servi des tutsi de l'intérieur comme un bouclier. Sans cette reconnaissance de la réalité rwandaise par les deux antagonistes, la réconciliation, tant prônée par les nations étrangères, ne sera que comme un bateau avec une voile mal attachée et qui d'un moment à l'autre est condamné à chavirer. Se réconcilier, c'est d'abord reconnaitre ses actes et surtout ses erreurs envers autrui. Ses quelques années de pouvoir FPR ne montrent rien dans ce sens.

 

            C'est pourquoi, le piège tendu par le FPR à la communauté internationale de reconnaître ces massacres comme un génocide constitue un grand projet historique, destructif et catastrophique pour les rwandais. Durant toute la guerre et cela des deux côtés des belligérants, il n'y a eu ni des bons ni des mauvais. Chacun avait l'objectif d'exterminer l'autre. En reconnaissant unilatéralement le génocide au Rwanda, la communauté internationale a signé pour une atteinte portée aux droits des tutsi seuls. Elle a ainsi rendu un mauvais service au peuple rwandais. En effet, les tutsi ont été considérés comme un peuple martyrisé quelque part au Rwanda. Cela a accentué la bipolarisation ethnique. C'est un frein réel à la réconciliation. Un génocide frappe la psychologie des survivants pendant longtemps. Il reste gravé dans leur mémoire. Il ne s'efface pas facilement et même l'histoire le cite en grandes lignes. Le malheur qui a fait que le génocide a été mis seulement sur le dos des hutu est lié à la fameuse question des minorités ethniques, mais aussi et surtout au fait que les hutu se sont laissés vaincre. Or, l'attaque du pays a été faite par le FPR. Ce dernier avait bien pesé toutes les conséquences. Si les allemands ont reconnu le génocide des juifs et qu'ils se sont même réconciliés, ce geste avait un sens. Ce sont eux qui se sont livrés à l'attaque et à la chasse des juifs. Dans le contexte rwandais, on veut paradoxalement faire croire au monde entier que celui qui a été agressé doit supporter tout le poids des malédictions de la guerre et présenter des excuses à son agresseur. Quelle logique de la communauté internationale!

 

            Même si l'histoire s'est caractérisé par plusieurs guerres, la guerre n'a jamais été un bon moyen pour arriver au pouvoir. Elle détruit plus qu'elle ne construit et l'agresseur devrait normalement assumer toutes ses responsabilités dans le drame. Malgré cela et quelles que soient ses atrocités, le vainqueur d'une guerre a malheureusement toujours raison. C'est ce qui s'est passé au Rwanda. La victoire du FPR en 1994 lui a conféré la légitimité. Toutefois, laisser une minorité quelconque évoluer dans des erreurs de gestion d'un pays sous prétexte de n'importe quelle bavure de son droit dans le passé est un acte démocratiquement irresponsable. Devant cette machination internationale, comment voulez-vous que la réconciliation soit facile? Perdre la partie a été une lâcheté pour les uns, mais les autres devraient reconnaître que la bataille n'a pas été perdue in aeternum. Ajoutons seulement que « qui vivra verra ». Cfr Livre : Rwanda : la désintégration d’un Etat ou d’un peuple



* Mukagasana Interview télévisée par la RTBF